Premier dimanche de Carême
— A —

 

Lecture du Livre de la Genèse :      Gn 2, 7... 3,7

Au temps ou le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre, Il modela l'homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l'homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l'orient, et y plaça l'homme qu'il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toute sorte d'arbres à l'aspect attirant et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l'arbre de vie au milieu du jardin, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait fait. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a dit : ‘Vous ne mangerez le fruit d’aucun arbre du jardin’ » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour celui qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : 'Vous n'en mangerez pas, vous n'y toucherez pas, sinon vous mourrez.' » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »

La femme s'aperçut que le fruit de l'arbre devait être savoureux, qu'il avait un aspect agréable et qu'il était désirable, puisqu'il donnait l'intelligence. Elle prit de ce fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s'en firent des pagnes.

 

Psaume 50

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Pitié, Seigneur, car nous avons péché !

Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.
Pitié, Seigneur, car nous avons péché !

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Pitié, Seigneur, car nous avons péché !

Rends-moi la joie d'être sauvé ;
que l'esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

 

Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (V 12-19)

Frères, c'est par un seul homme, Adam, que le péché est entré dans le monde, et par le péché est venue la mort ; ainsi, la mort est passée en tous les hommes, du fait que tous ont péché.

Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde. Certes, on dit que le péché ne peut être sanctionné quand il n'y a pas de loi ; mais pourtant, depuis Adam jusqu'à Moïse, la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par désobéissance à la manière d'Adam. Et Adam préfigurait celui qui devait venir.

Mais le don gratuit de Dieu et la faute n'ont pas la même mesure. En effet, si la mort a frappé la multitude des hommes par la faute d'un seul,combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus-Christ. Le don de Dieu et les conséquences du péché d'un seul n'ont pas la même mesure non plus : d'une part, en effet, pour la faute d'un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d'autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification.

En effet, si à cause d'un seul homme, par la faute d'un seul homme, la mort a régné, combien plus, à cause de Jésus-Christ et de lui seul, règneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en plénitude le don de la grâce qui les rend justes. Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l'accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme a désobéi, de même tous deviendront justes parce qu'un seul homme a obéi.

 

Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ
selon Saint Matthieu     (IV, 1-11).

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l'Esprit pour être tenté par le diable.

Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s'approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

Alors le diable l'emmena à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : «  Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Le diable l'emmena encore sur une très haute montagne et lui fit voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m'adorer. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu dois adorer. » Alors le diable le quitta. Voici que des anges s'approchèrent de lui, et ils le servaient.

 

Chacun a sa part dans le combat contre le mal

L’épître de ce premier dimanche de Carême nous présente un de ces textes de saint Paul où notre petite logique cartésienne a du mal à se frayer un chemin. Un de ces textes peut-être aussi dont saint Pierre écrit qu’“Il s’y rencontre des points difficiles” (2Pt 3:16).

On se demande parfois pourquoi la faute d’Adam se serait répercutée sur ses descendants, sur tout le genre humain, sur moi, sur nous tous, et même sur la nature tout entière. Et aussi, pourquoi la mort ne serait apparue qu’après cette faute. Et puis, si réellement la maladie et la mort sont des conséquences de cette faute, qu’a donc apporté Jésus de nouveau, puisque nous continuons de souffrir et de mourir. Quelques réflexions vont peut-être amorcer un début d’explication à toutes ces questions.

Hériter de la faute d’un autre peut se comprendre mieux quand on pense à certaines maladies héréditaires ; ou aussi à une situation politico-culturelle où l’on hérite d’un passé sans y avoir la moindre responsabilité. Par exemple, quand on lit un livre d’histoire, on éprouve un irrésistible sentiment de soulagement ou de déception selon que “nous” avons gagné ou perdu telle bataille. A lire le récit des martyres de nos frères persécutés en différentes régions du globe à toutes les époques, nous ne pouvons qu’être fiers du courage de ces chrétiens, et nous en ressentons souvent une envie plus grande d’être nous aussi fidèles au Christ, bien que nous n’ayons connu ni ces persécutions ni ces souffrances.

L’humanité est faite d’innombrables unités toutes unies entre elles : la vie d’un humble paysan perdu au fond de la campagne chinoise a la même importance que le travail dangereux d’un mineur qui risque sa vie dans une galerie d’Ukraine ou que l’aventure d’un astronaute autour de la terre. Toutes ces cellules diverses appartiennent à un Corps unique, la famille immense de tous les fils de Dieu.

Quand une partie de notre corps souffre, même si nous supportons la douleur sans (trop) nous en plaindre, tout le corps est affecté. Si nous souffrons d’une infection quelconque, le corps sécrète des anticorps ; si nous boitons, tout notre corps se fatigue à compenser cette gêne par des mouvements adéquats ; et même si la souffrance n’est “que” physique, notre cerveau ne viendra pas nous faire dire que nous ne souffrons pas. Ainsi, toutes les parties du corps sont intéressées par l’état particulier de l’une d’elles.

Revenons à Adam. Il sera bon de rappeler que Dieu l’a créé “de peu en dessous des anges, couronné de gloire et d’honneur, ayant tout à ses pieds, ovins et bovins, animaux des champs, oiseaux du ciel, poissons de la mer” (cf Ps 8,6-9). Il ne différait des anges peut-être que par sa nature corporelle, mais il avait une intelligence, une perception de la divinité et beaucoup d’autres dons que nous avons du mal à imaginer, tant la créature de Dieu était belle. Dans cet état de magnificence, Adam avait présent en lui-même toute l’Humanité qui viendrait après lui. Tout ce qu’il pensait, désirait, faisait, projetait, concernait cette Humanité dans son intégralité.

C’est pourquoi la désobéissance d’Adam a été si grave, si lourde de conséquence. Adam n’a pas seulement fait une petite bêtise comme en font les enfants derrière le dos de leurs parents ; il connaissait très bien le trésor sacré qui était en lui, créé à l’image et ressemblance de Dieu, il savait très bien ce qu’il avait à transmettre à ses héritiers, et ce qui se passerait s’il transgressait l’ordre de Dieu ; en un mot, il savait que la vie qu’il transmettrait serait entachée de cette désobéissance, si clair et limpide était le commandement de Dieu. Il aurait pu ne pas pécher, comme Jésus sut résister aux tentations de Satan. Mais Adam succomba, lui, le centre de toute la création, l’image de Dieu, et l’humanité qui était en lui en germe, en fut toute contaminée avant même qu’il la transmît, et aussi toute la création dans son ensemble, avec lui.

On a en effet peine à imaginer que ce soit Dieu qui ait créé des êtres qui dussent se tuer les uns les autres pour survivre ; et aussi, pour reprendre un détail de la première lecture, pourquoi Adam et Eve devaient cacher leur nudité, puisque Dieu les avait créés si beaux et si purs. Mais avec leur désobéissance, leurs yeux aussi étaient devenus enclins au mal, aux pensées doubles, aux envies ou aux convoitises, et ils devaient éviter de voir ce qui pouvait désormais les empêcher d’élever leur pensée vers l’Absolu, alors que dans leur innocence initiale, toute leur nature était tendue constamment vers Dieu.

A partir d’Adam, tous les saints patriarches, tous les saints prophètes, tous les saints personnages de l’Ancien Testament ont cherché à se préparer à l’avènement du Nouvel Homme, le Rédempteur promis et tant attendu. Après sa faute, David écrivit cette splendide prière du Psaume 50, où il aspire à la purification, à la renaissance.

Christ, par sa naissance extraordinaire, par son combat victorieux contre les tentations qu’il a librement acceptées en Son humanité pour les repousser victorieusement, — Christ est ce Chef de cordée mystique qui nous apporte la nouvelle Vie, et nous conduit à la Résurrection.

Si nous souffrons encore, si nous connaissons la mort, c’est toujours dû à ce Corps unique auquel nous appartenons. Chacun a sa part dans le combat contre le mal et contre les tentations, et aussi dans la victoire définitive du Christ.

Il est à noter que les tentations que propose l’Esprit mauvais à Jésus, comportent toutes des vérités. C’est vrai que Jésus peut changer des pierres en pains, qu’Il peut se laisser tomber du haut du temple, et qu’Il est destiné à être le Roi unique de tous les peuples de la terre. Mais c’est à condition que tout concoure à l’édification du Royaume de Dieu, à la conversion de tous les hommes, à la victoire du Bien sur le Mal, tandis qu’en l’occurrence Jésus n’aurait cédé que pour sa propre utilité, et ne se serait par là soumis qu’au Tentateur, et non à Son Père Tout-puissant, qui lui avait confié une bien différente mission : faire de lui “la lumière des nations” (Is 42:6, cf. lecture pour le Baptême de Notre Seigneur).

On n’ose pas penser que peut-être Jésus “aurait pu” suivre les suggestions du Tentateur. Certes, l’humanité de Jésus était faible, puisqu’Il l’avait prise de nous, par sa sainte Mère ; mais cette humanité ne devait pas pécher, justement pour qu’elle retrouvât sa dignité perdue. Et la première voie par laquelle Jésus redonnait à cette humanité sa dignité, c’était l’humilité. Humilité dans sa naissance, humilité dans sa vie cachée à Nazareth, humilité en recevant le baptême de Jean, humilité en souffrant la faim au désert, humilité en combattant le Démon orgueilleux.

Jésus a vaincu par sa douceur. Nous lisions dernièrement les Béatitudes : “Heureux les doux : ils seront maîtres de la terre.”

Abbé Charles Marie de Roussy
Commentaire pour le Premier dimanche de Carême, année A

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