En janvier
1975, chirurgien-gynécologue à Rennes en clinique privée,
j’ai été le premier en Bretagne à appliquer la loi Veil, qui
instituait la pratique légale de l’avortement, appelé
pudiquement I. V. G : il s’agit en fait non d’une
interruption,
qui suppose un reprise possible, mais un arrêt, arrêt de
mort pur et simple. Il ne faut pas oublier que c’était une
exception à l’article 1° du titre 1° de cette loi qui
affir-mait : « La loi garantit le respect de tout être
humain dès le commence-ment de la vie », c’est-à-dire dès la
rencontre entre l’ovule et le spermato-zoïde. L’objection de
conscience était prévue pour le personnel médical, qui ne
souhaitait pas participer à cet acte exceptionnel. Aucune
structure n’é-tant encore mise en place par les pouvoirs
publics, mon épouse, infir-mière, assura « l’entretien
préalable » prévu par les textes et qui devait être
dissuasif. Les premières semaines, elle fut assaillie par
une quarantaine de demandes par jour et elle constata, que
faute d’information, beaucoup de jeunes femmes confondaient
avortement et contraception : leurs demandes étaient
motivées, non par des raisons médicales, mais par des
difficultés de revenus ou de logement, l’abandon par le
géniteur ou le rejet par la famille, toutes raisons qui
auraient nécessité un soutien matériel et psychologique
prévu par la loi, mais jamais appliqué. Après dissuasion et
sélection des cas les plus dramatiques j’ai réalisé une
dizaine d’I. V. G par semaine. Malgré la technique moderne
de l’aspiration du contenu utérin, force m’était, comme au
personnel médical, de constater la présence de fragments
d’embryons, notamment de petites mains et de petits pieds,
surnageant dans le flacon de l’aspirateur. Ce geste nous
apparut tout de suite comme odieux, antinaturel et contraire
à la vocation des médecins infirmières et aides-soignantes,
qui est de soigner, si possible de guérir, mais jamais de
tuer. J’eus rapidement le sentiment d’être, au nom de la
société, un exécuteur des hautes œuvres, comme les anciens
bourreaux, prié de corriger des carences sociales,
économiques ou familiales en supprimant l’enfant gêneur. Je
constatais aussi la détresse, l’angoisse, des jeunes femmes
qui jamais ne montaient de gaîté de cœur sur la table
d’opération ; on leur proposait d’ailleurs de se rétracter
au dernier moment, juste avant l’anesthésie générale, et
certaines choisirent cette option, tant était grande leur
horreur de détruire le fruit de leurs entrailles. J’ai
pratiquement mis fin à cette activité lorsque, quelques mois
plus tard, le C. H. U de Rennes a ouvert un centre
spécialisé consacré aux I.V.G. De même que je me suis
toujours refusé à toute forme d’euthanasie, je fus heureux
de mettre fin à cette activité mortifère ; n’y a-t-il pas
d’ailleurs un signe de la dégénérescence de l’espèce humaine
à considérer l’embryon comme un objet et le vieillard comme
un gêneur ? En fait, les notions de détresse et d’exception,
pourtant précisées dans la loi, ont été détournées par
certaines femmes et par les militants des droits de la
femme, au profit d’une liberté sans responsabilité
conduisant à l’homicide, sans que la dissuasion et le
soutien prévus par les textes ne soient réellement mis en
œuvre. Aucune politique familiale digne de ce nom n’a été
appliquée depuis 1975 pour permettre à la femme, dont la vie
n’est pas en péril, de garder l’enfant quelle porte, et
qu’elle désire même inconsciemment.
Maurice Caillet
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