PARLER DE CREATION

RCF Reims Ardennes juin 2008

Le mot « Création »

Vous me demandez de parler de la Création. Une première précision est à apporter, car ce mot a deux sens

– la Création peut désigner tout ce qui existe, c'est-à-dire le monde, le cosmos. C'est ainsi qu'on dit : « La création est belle ».

– la Création peut désigner aussi l'acte créateur, cet acte originel qui fait que ce monde qui nous entoure et duquel chacun de nous fait partie, est appelé Création. Et dans ce second sens que nous allons réfléchir à la Création. Et parler ainsi de la création, c'est donc parler aussi du Créateur.

Peut-on résumer la foi des chrétiens sur ce point ?

II suffit de se rappeler le symbole des Apôtres : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ». Cette expression s'inspire de la première page de la Bible. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Bien sûr, la Bible en parle souvent mais ce sont les premières pages qui sont les plus significatives.

Pouvez-vous alors expliciter cette formule de la Genèse ?

Précisons d'abord que dire que Dieu crée le ciel et la terre veut simplement dire qu'il a tout créé. Rien n'existe qui ne soit créé par Dieu. Le Credo de Nicée-Constantinople précise : « Je crois en un seul Dieu ». Il n'y a pas d'autre Dieu comme certains le croient quand ils disent qu'il y a un Dieu du bien et un Dieu du mal. Et donc, tout ce qui est en dehors de Lui reçoit de Lui son existence.

Le verbe « créer » est un verbe qui, en hébreu – baya – est réservé à Dieu. Ce qui suggère que l'acte créateur est différent de la « création » – ou plutôt « fabrication » – humaine. Quand Dieu crée, il ne fait pas, il ne fabrique pas comme le font les hommes. Car on parle aussi de certains hommes comme de créateurs, en particulier de certains artistes. Pensons à Mozart ou à Yves Saint Laurent : ce sont des créateurs, disons-nous, dans le langage courant.

Mais alors, quelles sont les différences ?

La grande différence c'est que Dieu, comme on dit, « crée de rien ». L'homme a toujours besoin de quelque chose d'autre que lui : le potier a besoin de terre, le poète de mots et le couturier de tissus... Dieu n'a besoin de rien d'autre que Lui pour créer. En même temps, cette création n'est pas une émanation nécessaire. Il crée librement. Cette expression « crée de rien », nous la trouvons dans l'Ancien Testament, lorsque dans le livre des Macchabées (2, 7, 22-23, 28) la mère encourage un de ses fils au martyr en lui disant : « Mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rien et que la race des hommes est faite de la même manière. »

On a du mal à s'imaginer cela !

Bien sûr ! C'est inimaginable mais pas impensable. Dieu nous révèle cette vérité dans les Ecritures, mais la raison est capable de poser Dieu-Créateur à l'origine de toutes choses. Le CEC (Catéchisme de l'Église Catholique) affirme : « L'existence de Dieu le Créateur peut être connue avec certitude par ses œuvres, grâce à la lumière de la raison humaine ». Mais ajoutons que cette démarche rationnelle est difficile.

Cela fait penser à l'expertise de tableaux dont on cherche l'auteur.

Exactement. Certains tableaux ne sont pas signés. Et certains spécialistes, en examinant de près le tableau, sont capables de savoir quel peintre a fait ce tableau. Pour la Création, c'est un peu la même chose. Le philosophe, s'il a un regard assez profond sur le cosmos, peut induire qu'il ne s'est pas fait tout seul et qu'il est nécessaire d’affirmer un Créateur, une Source, un Absolu. Bien sûr, ceci suppose une démarche rationnelle rigoureuse.

Mais vous avez oublié l'expression « au commencement ».

Non ! Je ne l'ai pas oublié. Loin de là. Car c'est peut-être la chose la plus délicate à comprendre. L'auteur de la genèse nous raconte la Création du monde par Dieu de manière imagée, comme si elle s'était passée sur une semaine, donc dans le temps ! Mais il nous faut interpréter les images. Dieu ne peut pas créer toutes choses dans le temps car il aurait fallu qu'il crée le temps avant de commencer sa Création. Ce qui serait contradictoire. L'acte créateur de Dieu – parce qu'il est divin – est en dehors du temps. Dieu n'a pas à prendre son temps. Le temps n'est pas le cadre de l'acte créateur, il en est la conséquence. Cet acte pose donc dans l'existence le monde spatial et temporel.

Alors, pourquoi utilise-t-on cette expression ?

Tout simplement parce qu'on fait référence ― c'est plus facile pour nous ― à la création ― disons la fabrication ― humaine. C'est ce qu'on appelle l'analogie. Quand un potier crée un objet, il y a bien un commencement : l'objet commence à exister tel jour (et il continuera à exister, même après la mort de son auteur puisque c'est avec une matière préexistante qu'il l'a fabriqué). De même, un poète dira, j'ai fait ce poème le 4 avril 1950. II a commencé à exister ce jour-là. Et ensuite, il continue à exister. Encore que !

Que voulez-vous dire par là ?

Oui. En effet, un poème n'existe vraiment que dans la mesure où il est prononcé : un poème enfermé dans un livre n'existe pas vraiment, comme une musique qui n'est écrite que sur une partition, contrairement à un vase ou une statue qui existe en dehors de son auteur et même après sa mort.

Cela nous ramène au texte de la Genèse où il est écrit : « Dieu dit et cela fut fait ». La création est comme un poème que Dieu n'arrête pas de dire (encore que cette expression soit trop temporelle). Dieu ne crée pas au commencement, il est toujours en train de créer le monde. S'il arrêtait son acte créateur, nous retomberions dans le néant.

On peut dire les choses autrement. Dieu crée aujourd'hui comme il a créé hier et créera demain puisqu'à chaque instant, le cosmos reçoit de Lui son existence.

Vous avez dit que Dieu crée librement. Oui, mais avec quoi crée-t-il le monde et l'homme ?

La réponse du catéchisme et de la Bible, c'est de dire que Dieu a créé le monde « pour sa gloire ». II faut bien entendre cette expression. Ce n'est pas une manière de se mettre en avant, comme certains artistes essaient de tirer la gloire de leurs œuvres. Ce n'est pas dans ce sens qu'il faut l'entendre.

Il faut l'entendre plutôt à l'image de ce qui se passe chez les parents. La gloire des parents, c'est d'avoir des enfants qui réussissent. La gloire des parents, c'est d'avoir des enfants devenus vraiment adultes, capables de faire leur vie... Il en est de même pour Dieu. La gloire de Dieu, c'est de partager sa vie avec ses créatures. Saint Irénée dit : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant. » Parce que Dieu est Amour, il crée par Amour, et créer, c'est donner. Quand Dieu crée, il ne le fait pas pour lui. II le fait pour le bonheur de l'homme.

Donc Dieu appelle à la vie ?

Oui ! Le premier Don, c'est la vie, le fait d'être. Et Dieu appelle à la vie. On a souvent répété cette phrase de St Irénée : « La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ». Mais n'oublions pas la suite : « et la vie de l'homme, c'est de voir Dieu. »

La vie de l'homme est d'entrer en communion de vie, d'amour avec Dieu. Voilà la vocation de l'homme ! Et la gloire de Dieu, c'est que l'homme réponde pleinement à sa vocation.

La création reste quand même un mystère !

Oui ! Mais ce mystère est fait pour être contemplé. Je suis en colère quand j'entends ceux qui veulent ouvrir les grands magasins le dimanche ! Il me semble que cette proposition est très significative de la fermeture de l'homme contemporain sur lui-même.

Que propose-t-on le dimanche ? De passer son temps en famille, au milieu des fabrications humaines. On veut faire croire à l'homme que son bonheur est dans l'accumulation des technologies. Regardez comment les jeunes se laissent prendre ! Comment on peut se précipiter et faire la queue pendant des heures pour être parmi les premiers à acheter la console de jeu dernier cri ! Consommation, consommation ! C'est le mot d'ordre qu'on nous ressasse.

A l'image de ces personnes qu'on veut « enfermer » dans ces magasins, la culture actuelle tend à enfermer l'homme dans le monde, ou plutôt dans « son » monde, celui qu'il construit. Il n'arrive plus à penser ou croire qu'il y a un au-delà de l'horizon qu'il voit. Et enfermé dans « son » monde, et donc en lui-même, il est pris d'angoisse, car en fait, il ne voit plus le sens dernier de sa vie, qui est au-delà de son horizon humain. Peut-être cela explique-t-il le suicide des jeunes et d'autres ?

L'homme n'est pas fait pour lui-même, mais pour Dieu. Il est invité, comme le promeneur du dimanche, à sortir de sa maison, de ses soucis, de « son » monde, pour regarder la création. S'ouvrir à l'espace infini du ciel, et redevenir un contemplatif capable d'interpréter, de comprendre ce monde comme une création, comme un don de Dieu pour lui. Et à retrouver le goût de Dieu.

L'homme est appelé à lever son regard vers le Père Créateur pour s'extasier devant sa grandeur, sa sainteté et son Amour. Comment ne pas redire tous ces psaumes qui expriment cette admiration : « O Seigneur, notre Dieu, qu'il est grand ton Nom par tout l'univers » (cf. Ps. 104 ; 103).

 

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