SERMONS
POUR LA VEILLE DE NOËL

  PREMIER SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL
Sur ces paroles du martyrologe :
Jésus-Christ, fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda (*).

1. Il a retenti une parole de bonheur sur notre terre, un mot d'allégresse et de salut dans la tente des pécheurs; une bonne parole de consolation, un mot plein de bonheur, digne d'être accueilli par tous. Montagnes tressaillez, éclatez en cantiques de louange, arbres des forêts applaudissez tous au Seigneur : il arrive. Cieux prêtez l'oreille, terre écoutez avec attention; que toute créature, mais que l'homme surtout soit transporté d'admiration, éclate en louanges; "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " Quel homme au coeur de pierre ne sentira point son âme se fondre à ces mots? Quelle plus douce nouvelle pouvait-on nous annoncer? De quelles plus grandes délices pouvions-nous être inondés? A-t-on jamais rien entendu de pareil, et le monde a-t-il jamais rien appris de semblable ? " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " Quelques mots à peine pour rendre l'abaissement du Verbe, mais de quelles célestes douceurs ils sont remplis ! On voudrait pouvoir exprimer plus longuement cet océan de. douceurs comparables au miel, mais les expressions font défaut : telle est la grâce de ce peu de mots, que vouloir .y ajouter un seul iota serait en diminuer à l'instant le charme. " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " O naissance d'une inviolable sainteté! honorable aux yeux du monde entier, aimable à tout homme par la grandeur du bienfait qu'elle lui apporte, incompréhensible aux anges même, à cause de son excellence et de sa nouveauté. sans exemple, car on n'en vit point de semblable avant elle, et on n'en verra pas une seconde après elle. O enfantement qui seul ne connut point la douleur, qui seul n'a point connu la honte et seul est

(*) Ces mots se lisent dans le martyrologe d'Usuard, dont toutes, ou presque toutes les églises de France, et même celle de Rome, faisaient usage à cette époque.

demeuré pur de toute corruption! qui seul a fermé, au lieu de l'ouvrir, le sanctuaire d'un sein virginal! O naissance qui surpasse la nature par sa merveilleuse excellence et qui la sauve par sa vertu mystérieuse! O mes frères, qui est-ce qui pourra raconter cette naissance? Un ange est le messager qui l'annonce, la vertu du Très-Haut la couvre de son ombre, et le Saint-Esprit est survenu pour la consommer. Une vierge croit, par la foi une vierge conçoit, une vierge enfante et demeure toujours vierge : n'y a-t-il point là de quoi s'étonner ? Le Fils du Très-Haut, un Dieu engendré de Dieu avant tous les siècles vient au monde ; le Verbe naît enfant; qui pourrait ne point être frappé d'admiration?

2. Mais cette naissance n'est point oiseuse, ni cette grâce de la majesté divine, inutile. " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. " O vous qui êtes couchés dans la poussière, réveillez-vous et louez Dieu. Voici le Seigneur qui vient avec le salut, il vient plein d'onction, il vient environné de gloire. Car Jésus ne peut venir sans le salut, ni le Christ sans onction, ni le Fils de Dieu sans gloire, puisqu'il est lui-même le salut, l'onction et la gloire, selon qu'il est écrit : " Un fils sage est la gloire de son père (Prov. X, 1). " O heureuse l’âme qui, après avoir goûté au fruit du salut, se sent attirée et court dans l'odeur de son parfum, elle verra sa gloire, la gloire du Fils unique du Père. Respirez, ô vous qui êtes perdus, car Jésus est venu sauver ce qui avait péri. Malades, revenez à la santé, le Christ est venu mettre le baume de sa miséricorde sur les plaies de vos cœurs. Tressaillez de joie et de bonheur, vous tous qui aspirez à de grandes destinées; le Fils même de Dieu est descendu à vous pour faire de vous des cohéritiers de son royaume. Oui, Seigneur, je vous en conjure, guérissez-moi et je serai guéri; sauvez-moi et je serai sauvé; glorifiez-moi et je serai vraiment dans la gloire. Oui, que mon âme bénisse le Seigneur et que tout ce qui est en moi loue son saint nom (Psalm. CII, 1), quand il se sera offert en victime pour mes iniquités, qu'il aura cicatrisé toutes mes plaies et qu'il aura comblé tous mes veaux de bonheur. Voilà, mes très-chers frères, les trois avantages que je trouve dans la naissance de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Pourquoi l'appelons-nous Jésus, si ce n'est parce que " c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Matth. I, 21)? " Pourquoi a-t-il voulu que nous lui donnions, nous, le nom de Christ, sinon parce que " son huile fera éclater notre joug (Is. X, 27) ? " Pourquoi enfin le Fils de Dieu s'est-il fait homme, si ce n'est pour faire l'homme enfant de Dieu? Or, qui est-ce qui a jamais résisté à sa volonté? Quand Jésus nous justifie, qui est celui qui nous condamnera? Si c'est le Christ qui nous guérit, quel est celui qui pourra nous faire des blessures? Enfin si c'est le Fils même de Dieu qui nous élève, où est celui qui pourra nous abaisser?

3. C'est la naissance de Jésus : que celui donc que les péchés condamnaient au fond de sa conscience, à la damnation éternelle, se réjouisse; car la charité de Jésus dépasse de beaucoup le nombre et l'étendue de nos crimes. C'est la naissance de Jésus : réjouissez-vous, qui que vous soyez, vous que des vices anciens accablent, car, avec l'onction du Christ, il n'est pas de maladie de l'âme qui puisse durer, quelque invétérée qu'elle soit. C'est la naissance du Fils de Dieu; que ceux qui aspirent à de grandes destinées soient dans l'allégresse, car un grand distributeur de titres, de grandeurs, nous est né. Mes frères, celui qui vient de naître est l'héritier du Père; faisons-lui bon accueil, et son héritage est à nous; car celui qui nous a donné son propre Fils pourra-t-il bien ne nous point donner tout avec lui (Rom. III, 12) ? Point de doute, point d'hésitation, notre garant est bien sûr. Le Verbe de Dieu s'est fait chair et il a habité parmi nous (Joan. I, 14). Le Fils unique de Dieu a voulu avoir des frères en grand nombre pour être leur aîné ; et il s'est fait homme, fils et frère de l'homme, pour que la faiblesse et la fragilité de l'homme ne soient retenues par rien. Si vous hésitez à croire que cela soit possible, ouvrez les yeux et vous croirez.

4. Jésus-Christ naît à Bethléem de Juda. Quelle faveur pour cette cité! Ce n'est point à Jérusalem, la ville des rois de Juda, mais à Bethléem, la moindre de toutes les villes de Juda. O Bethléem, tu es bien petite, mais le Seigneur t'a bien grandie maintenant! Oui, celui qui, de grand qu'il est, a voulu naître petit dans tes murs, t'a comblée de gloire. Réjouis-toi donc, ô Bethléem, et que l'Alléluia de fête retentisse dans tes carrefours aujourd'hui. Quelle cité au monde, en apprenant cette nouvelle, ne t'enviera point cette précieuse étable, et la gloire de ta crèche? Déjà ton nom est célèbre dans toute la terre; toutes les nations te proclament bienheureuse. On dit de toi des choses glorieuses, ô cité de Dieu (Psal. LXXXVI, 2). Partout on chante ces paroles : Un homme est né dans cette ville, et le Très-Haut lui-même l'a fondée (Psal. rxgxvi, 5). Oui, partout on dit, partout on répète : " Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est né à Bethléem de Juda. " Il ne faut pas regarder comme inutile ce mot même, de Juda; car il nous fait souvenir de la promesse faite aux patriarches - " Le sceptre ne sortira point de Juda, ni le prince de la postérité, jusqu'à ce que celui qui doit être envoyé et qui sera l'attente des nations, soit venu (Gen. LXIX, 10). " En effet, le salut doit venir des Juifs et, de chez eux, se répandre au bout du monde. " Juda, dit le Patriarche, tes frères te loueront, et ta main fera peser le joug sur tes ennemis (Ibid. VIII), " et le reste, qui ne s'est jamais accompli en Juda, mais qui l'est sous nos yeux, un Jésus-Christ. C'est lui, en effet, qui est ce Lion de la tribu de Juda, dont il a été dit : " Juda est un jeune lion; tu t'es levé, mon fils, pour saisir ta proie (Gen. XLIX, 9). Ce grand ravisseur, " qui se charge des dépouilles de la Samarie, avant même de savoir nommer son père et sa mère (Isa. VIII, 4), " n'est autre que le Christ, car c'est lui qui, en s'élevant en l'air, a emmené avec lui, comme en triomphe, une grande multitude de captifs; ou plutôt non, il ne nous a rien ravi. tout au contraire, il a comblé les hommes de ses dons. Ces mots " Bethléem de Juda, " me rappellent donc à l'esprit ces prophéties et plusieurs autres semblables qui se sont accomplies en Jésus-Christ à qui elles se rapportaient; aussi n'y a-t-il pas à rechercher pour nous s'il peut venir quelque chose de bon de Bethléem.

5. Mais pour ce qui nous concerne, nous voyons par là comment veut être reçu par nous celui qui a voulu naître à Bethléem. Le roi de gloire pouvait sans doute penser qu'il lui convenait de rechercher des palais magnifiques, où il fût reçu avec gloire; mais ce n'est pas pour cela qu'il était descendu de son. trône royal : " Il a la longueur des jours dans sa main droite, et dans sa gauche il a les richesses et la gloire (Prov. III, 17). " Il possédait toutes ces choses en abondance dans les cieux, mais parmi elles il ne trouvait point la pauvreté, tandis que sur la terre cette richesse était partout en abondance, mais les hommes en ignoraient le prix. Voilà pourquoi le Fils de Dieu, qui l'aime, descendit du ciel et la choisit en partage, afin de nous la faire apprécier par l'estime qu'il en fait lui-même. O! Sion, parez votre lit nuptial, mais parez-le d'humilité et de pauvreté; car il se complaît dans ses langes, et, selon le témoignage même de Marie, voilà les soieries dont il veut être enveloppé. Immolez donc à votre Dieu les abominations des Egyptiens.

6. Remarquez donc bien que le Christ naît à Bethléem, de Juda, et efforcez-vous de devenir une autre Bethléem, de Juda, si vous voulez qu'il vous fasse la grâce de le recevoir aussi en vous. Or, Bethléem signifie la maison du pain, et Juda, la confession. Pour vous donc, si vous nourrissez votre âme du pain de la parole divine; si, tout indignes que vous soyez, vous recevez avec toute la foi et la piété dont vous êtes capables ce pain qui est descendu du ciel et donne la vie au monde, je veux dire le corps du Seigneur Jésus, en sorte que cette nouvelle chair de résurrection répare et fortifie la vieille outre de votre corps , en resserre le tissu et la rende capable de supporter le vin nouveau dont elle est remplie; si enfin vous vivez de la foi et ne gémissez point pour avoir oublié de manger votre pain, vous êtes une autre Bethléem, et il ne vous manque plus que la confession pour être tout à fait digne de recevoir le Sauveur. Que la Judée soit donc votre sanctification. Revêtez-vous de la confession et de la beauté, qui sont le plus beau vêtement que le Christ recherche avant tout dans ses ministres. D'ailleurs l'Apôtre vous les recommande l'une et l'autre en deux mots, quand il dit : " On croit de coeur pour obtenir la justice, et on confesse de bouche pour obtenir le salut (Rom. X, 10). " Or, la justice dans le coeur, c'est du pain dans la main; car la justice est un pain selon ces paroles : " Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés (Matth. V, 6)." Que votre coeur possède donc la justice, mais cette justice qui vient de la foi, car il n'y a que celle-là qui soit en honneur auprès de Dieu. Mais en même temps que votre bouche la confesse pour obtenir le salut, après cela vous pouvez en toute sécurité recevoir celui qui naît à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu.

SECOND SERMON POUR LA VEILLE DE NOEL
Sur ces paroles : " O Juda! et vous Jérusalem, ne craignez point, demain vous sortirez,
et le Seigneur sera avec vous (II Paral. XX, 17). "

1. Ces paroles s'adressent aux véritables Juifs, à ceux qui sont tels en esprit, non pas selon la lettre seulement, à la vraie race d'Abraham, qui s'est multipliée selon la promesse qu'elle avait reçue; car il ne faut regarder comme étant nés de lui que les enfants de la promesse, non point ceux de la chair et du sang. De même il ne s'agit point ici de la Jérusalem qui tue les prophètes, pourquoi consolerions-nous, en effet, la Jérusalem sur laquelle le Seigneur même a versé des larmes (Luc. XIX, 41), et qui a été renversée de fond en comble? C'est à la Jérusalem nouvelle, à celle qui descend du ciel, que nous nous adressons, quand nous disons : " O Juda, et vous Jérusalem, ne craignez point. " Non, ne craignez point, vous qui êtes de vrais confesseurs , qui confessez le Seigneur, non-seulement de bouche, mais de tout votre être, et qui faites de la confession comme votre vêtement, disons mieux, vous dont tout l'intérieur, les os mêmes disent : " Seigneur, qui est semblable à vous (Psal. XXXIV, 10)? " Mais ces paroles ne s'adressent point à ceux " qui confessent de bouche le Seigneur et le renient dans leurs couvres (Tit. I, 16). " Vous ne confesserez véritablement le Seigneur, mes frères, que si toutes vos actions sont faites pour lui et le confessent; or, il faut qu'elles confessent le Seigneur de deux manières, et que vous soyez revêtus comme d'un double vêtement par la confession de vos péchés et par la confession du Seigneur, qui consiste à chanter ses louanges. Vous serez donc de vrais Juifs, si toute votre vie confesse que vous êtes pécheurs et dignes des plus grands châtiments, et que Dieu est souverainement bon, puisqu'il vous permet de racheter les supplices éternels que vous avez mérités, par des peinés légères et de courte durée. Quiconque n'est point consumé par le plus ardent désir de faire pénitence, semble dire, par ses couvres, ou qu'il n'a pas besoin de pénitence et néglige ainsi de confesser sa faute, ou que la pénitence est inutile, et alors il ne confesse point que le Seigneur est bon. Si donc vous voulez être sans crainte, soyez de véritables Juifs, une vraie Jérusalem. Jérusalem signifie vision de la paix. Qui dit vision, ne dit point possession; or, le Seigneur a établi la paix à ses confins, non à l'entrée, ni même au sein de Jérusalem. Si donc vous n'avez point la paix, ou plutôt comme vous ne sauriez avoir une paix parfaite en ce monde, jetez du moins les yeux sur elle, regardez-la, considérez-la, appelez-la de tous vos voeux. Que les yeux de votre coeur soient tout entiers fixés sur elle, que toutes vos pensées soient tournées de son côté, et faites toutes vos actions pour obtenir cette paix qui surpasse tout sentiment (Philipp. IV, 7). En toutes choses, ne vous proposez point d'autre but que de vous réconcilier avec Dieu et d'être en paix avec le Seigneur.

2. C'est à ceux-là que je dis : " Ne craignez point. " Ce sont eux que je console, non pas ceux qui ne connaissent point le chemin de la paix. En effet, dire à ces derniers " demain vous sortirez, " ce n'est point les consoler, mais c'est leur faire une menace; il n'y a que ceux qui voient la paix et qui savent que si cette maison de terre où ils habitent, comme dans une tente, vient à se dissoudre, Dieu leur en donnera une autre dans le ciel, ceux qui désirent être dégagés des liens du corps et soupirent après leur départ d'ici-bas, non pas ceux qui ont la folie d'aimer leurs chaînes. D'ailleurs; pour ceux qui meurent dans ces dispositions, on ne saurait dire qu'ils sortent, il faut dire qu'ils entrent; car ce n'est point dans la lumière et en liberté qu'ils vont, mais ils tombent dans les ténèbres; ils vont en prison, ils descendent dans l'enfer. Mais c'est à vous qu'il est dit : " Ne craignez point, demain vous sortirez d'ici (II Paral. XX, 17), et il n'y aura plus de place pour la crainte dans le lieu de votre séjour. Vous comptez, il est vrai, de nombreux ennemis; d'abord votre propre chair, c'est votre plus proche ennemi; puis ce siècle pervers, au milieu duquel vous vivez ; enfin, les princes des ténèbres, qui, placés en embuscade dans les airs, assiègent votre route. Néanmoins, je vous dis : Ne craignez point, demain, c'est-à-dire bientôt, vous sortirez d'ici . car le mot demain signifie bientôt. Voilà pourquoi le saint homme Jacob disait : " Demain, mon innocence me rendra témoignage (Gen. XXX, 33.) " Il y a trois époques dont on lit : " Dans deux jours le Seigneur nous rendra la vie, et le troisième jour il nous ressuscitera (Ose. VI, 3). " La première est sous Adam, la seconde dans le Christ, et la troisième avec le Christ. Voilà pourquoi le Prophète ajoute : " Nous entrerons alors dans la science du Seigneur, et nous le suivrons pour le connaître (Ibid). " Or, c'est de cette époque-là qu'il est dit: " Demain vous sortirez d'ici, et le Seigneur sortira avec vous. " Car ces paroles s'adressent à ceux qui ont réduit leurs jours de moitié, pour qui n'est plus le jour qui les vit naître, le jour d'Adam, le jour du péché que Jérémie maudissait en ces termes : " Maudit soit le jour de ma naissance (Jerem. XX, 14). " C'est enfin le jour dans lequel nous sommes tous nés. Ah! périsse pour nous tout ce jour de brouillards et d'obscurité, ce jour de ténèbres et de tempêtes que nous a fait Adam, et qui nous vient de l'ennemi qui nous a dit : " Vos yeux s'ouvriront (Gen. III, 5 ). "

3. Or, le jour nouveau de notre rédemption vient de se lever pour nous, ce jour d'une antique réparation, d'une éternelle félicité. Voici maintenant le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous à son éclat, soyons pleins d'allégresse (Psalm. CXVII, 24), car demain nous sortirons d'ici. D'où sortirons-nous? du séjour de ce siècle, de l'étroite prison de notre corps, des étreintes de la nécessité, de la curiosité, de la vanité, de la volupté, qui entravent même malgré nous les pieds de notre affection. Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre la terre et notre âme? Pourquoi ne désire-t-elle point les choses spirituelles, pourquoi ne les recherche-t-elle point, ne les goûte-t-elle point? O mon âme, puisque vous êtes d'en haut, qu'avez-vous donc de commun avec ce qui est placé si bas? " Recherchez donc uniquement ce qui est dans le ciel, où Jésus est assis à la droite de Dieu : n'ayez de goût que pour les choses du ciel, non pour celles de la terre (Coloss. III, 4). " Mais " le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit par la multiplicité des soins que réclament sans cesse son attention et sa pensée (Sap. IX, 45). " Oui, une multitude de nécessités corporelles nous absorbent et nous retiennent, tous ces mauvais désirs, toutes ces délectations terrestres sont comme une glu qui embarrasse ses ailes et l'empêche de voler, et qui la fait bien vite retomber sur la terre, si par hasard elle parvient quelquefois à prendre son essor. Mais soyez sans crainte, demain vous sortirez d'ici, de cet abîme de misère, de la boue profonde où vous vous trouvez; car, pour vous en tirer, le Seigneur s'y est plongé profondément lui-même. Ne craignez donc plus, vous sortirez demain même de ce corps de mort et de toute la corruption du péché. Passez ce jour en Jésus-Christ, et vivez comme il a vécu; " car celui qui dit qu'il demeure en Jésus-Christ, doit marcher comme Jésus-Christ (I Joan. II, 66). — Ne craignez donc point, car demain vous sortirez d'ici, " et alors vous serez pour toujours avec le Seigneur. Peut-être ces mots, " et le Seigneur sera avec vous, " doivent-ils s'entendre en ce sens particulier que tant que nous serons dans notre corps, nous pouvons être avec le Seigneur, c'est-à-dire être unis de volonté avec lui, mais non pas en ce sens que lui-même il fera ce que nous voulons. En effet, ce que nous voudrions maintenant, ce serait d'être enfin délivrés de notre corps; ce que nous souhaiterions le plus ardemment ce serait d'en voir les liens se briser; le plus vif de nos désirs serait de nous voir partir d'ici : mais, pour certaines causes, il tarde encore à les satisfaire. Or demain nous sortirons d'ici et le Seigneur sera avec nous, et tout ce que nous voudrons il le voudra comme nous, sa volonté et la nôtre seront dans un complet accord.

4. Ne craignez donc point, Juda, ni vous, Jérusalem, si vous ne pouvez point encore être en possession de sa protection que vous désirez acquérir; mais que l'humilité de la confession supplée à ce qui manque à la perfection de votre vie, car cette imperfection n'a point échappé aux regards de votre Dieu. S'il a prescrit que ses commandements fussent exactement gardés, c'est afin que, voyant notre constante imperfection et notre impossibilité d'acquérir par nous-mêmes ce qui nous manque, nous recourions à sa miséricorde et nous nous écriions : " Votre miséricorde, Seigneur, est préférable à toutes les vies (Psal. LXII, 4), et que, ne pouvant nous montrer parés d'innocence et de justice, nous nous montrions du moins couverts du manteau de la confession; car il est dit : " La confession et la beauté sont devant ses yeux (Psal. XCV, 6). " Ce qui n'est pas vrai, toutefois, comme nous l'avons dit plus haut, si ce n'est pas de nos lèvres seulement, mais de tout notre corps qu'elle procède; si nos os eux-mêmes s'écrient: Qui est semblable à vous, Seigneur? et si nous ne nous exprimions ainsi qu'en vue de la paix et dans le seul désir d'être réconciliés avec Dieu; car il n'y a qu'à ceux qui sont dans ces dispositions, qu'il est dit: " O Juda et vous, Jérusalem, ne craignez point; demain, vous sortirez d'ici; " c'est-à-dire, bientôt votre âme quittera son corps; toutes ses affections, tous ses désirs, qui, comme autant de liens qui l'attachaient à tout ce qui est dans ce monde, se rompront; elle s'envolera, les ailes dégagées, de cette espèce de glu, et le Seigneur sera avec vous. Mais peut-être ce temps vous semble-t-il encore bien long, si vous ne considérez que vous, non point ce qui a rapport à vous. Mais n'est-ce pas l'attente du monde entier? La créature est sujette à la vanité, car à la chute de l'homme que son Seigneur avait établi pour gouverner sa maison et pour régir tous ses biens, l'héritage entier s'est trouvé détérioré, l'air a connu les intempéries, la terre a été maudite dans les œuvres d'Adam, et tout s'est trouvé soumis à la vanité.

5. Mais l'héritage ne sera restauré que lorsque les héritiers seront revenus eux-mêmes à leur premier état; mais, jusqu'à ce moment là, dit l'Apôtre, " toutes les créatures soupirent et sont comme dans les douleurs de l'enfantement (Rom. VIII, 22). " Or, ce n'est pas seulement aux yeux de ce monde, que nous sommes exposés en spectacle, mais nous le sommes aussi aux yeux des Anges et des hommes. En effet, dit le Prophète . " Les justes mêmes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez Psal. CXLI, 8). " Et lorsque les martyrs appelaient de leurs voeux le jour du jugement dernier, non point dans le désir de se voir vengés, mais dans la pensée d'obtenir enfin la félicité parfaite qui leur est assurée, ils reçurent de Dieu cette réponse : " Attendez en repos encore un peu de temps, jusqu'à ce que le nombre de vos frères soit complet (Apoc. vi, 11). " Ils ont, en effet, reçu chacun une robe, mais ils ne recevront la seconde que lorsque nous la recevrons nous-mêmes. Nous en avons pour gages leurs corps mêmes qui nous sont restés en otages, sans lesquels ils ne peuvent être consommés dans la gloire, et qu'ils ne reprendront que lorsque nous reprendrons nous-mêmes les nôtres. C'est ce qui faisait dire à l'Apôtre en parlant des patriarches et des prophètes . " Dieu a voulu, par une faveur singulière qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur bonheur (Hebr. XI, 40). " O si nous pouvions connaître l'ardeur de leur attente et de quels voeux ils appellent notre arrivée parmi eux ! Avec quelle sollicitude ils s'enquièrent, et avec quel bonheur ils sont informés du bien que nous faisons!

6. Mais qu'ai-je besoin de parler de ceux qui ont appris la compassion à l'école de leurs propres souffrances, quand les saints anges eux-mêmes désirent notre venue? N'est-ce point, en effet, ces pauvres vers de terre, cette vile poussière qui doit servir à la restauration des murs de la Jérusalem céleste? Or, vous faites-vous une idée de l'ardeur avec laquelle les citoyens de la céleste patrie désirent voir se relever les ruines de la cité sainte? Pouvons-nous concevoir avec quelle sollicitude ils attendent l'arrivée des pierres vivantes qui doivent entrer avec eux dans la construction de ces murs? Quels rapides messagers ils font entre nous et Dieu, portant fidèlement à ses pieds nos gémissements et nos larmes, et nous rapportant sa grâce avec un zèle admirable? Certes, je ne pense point qu'il leur répugne un jour d'être confondus avec ceux dont ils sont maintenant les ministres, car tous les anges sont des esprits qui tiennent lieu de serviteurs et de ministres, et qui sont envoyés en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut (Hebr. I, 14). Hâtons-nous donc, mes bons amis, hâtons-nous, je vous y engage, car toute la cour céleste nous attend. Les anges ont tressailli d'allégresse quand nous avons fait pénitence; avançons maintenant et empressons-nous de mettre, en ce qui nous concerne, le comble à leur joie. Ah! malheur à vous, qui que vous soyez, qui songez encore à retourner à votre bourbier, à revenir à votre vomissement! Pensez-vous vous rendre ainsi favorables au jour du jugement celui que vous privez d'une joie si grande et si vivement désirée? Ils ont tressailli de bonheur quand nous avons fait pénitence, parce qu'il leur semblait nous voir revenir des portes mêmes de l'enfer. Quelle ne sera pas maintenant leur affliction, s'ils voient s'éloigner des portes du ciel et faire un pas en arrière ceux qui avaient déjà un pied. dans le paradis? car, si par le corps nous sommes sur la terre, par le cœur, nous sommes déjà dans les cieux.

7. Courez donc, mes frères, courez vite; non-seulement les anges vous attendent, mais le créateur même des anges vous désire. Le festin des noces est prêt, mais il s'en faut bien que la salle soit remplie; on attend encore des convives pour occuper toutes les places. Dieu le Père nous attend donc et nous désire, non-seulement à cause de l'amour infini qu'il nous porte, comme le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous en a donné l'assurance en disant: Mon Père vous aime (Joan. XXI, 27), mais pour lui-même, selon le langage que lui prête le Prophète. " Ce n'est pas pour vous, mais pour moi, que je ferai ce que je dois faire (Ezech. XXXVI, 22). " Or, qui peut douter qu'il accomplisse un jour la promesse qu'il a faite à son Fils, en disant : " Demandez-moi les nations pour votre héritage, et je vous les donnerai (Psal. II, 8). " Et encore: "Asseyez-vous à ma droite jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied (Psal. CIX, 1). " Or, ses ennemis ne seront point réduits tant qu'ils nous attaqueront encore, nous qui sommes ses membres; et cette promesse ne recevra point son accomplissement tant que la mort, notre dernière ennemie, ne sera point terrassée. Quant au Fils, qui ne sait combien ardemment il désire recueillir les fruits de sa naissance, de la vie entière qu'il a passée sur la terre, le fruit enfin de sa croix et de sa mort, le prix de son précieux sang? Ne doit-il point remettre entre les mains de Dieu son Père le royaume qu'il s'est conquis? N'est-ce pas lui qui doit lui racheter ses créatures pour lesquelles le Père l'a envoyé sur la terre? Mais le Saint-Esprit nous attend aussi, car il est la bonté et la charité, qui nous a prédestiné de toute éternité; or, on ne saurait douter qu'il ne veuille voir sa prédestination s'accomplir.

8. Eh bien donc! puisque le festin des noces est prêt, et que toute la cour céleste nous désire et nous attend, courons vite, mais ne courons point au hasard; courons par nos désirs, courons en faisant des progrès dans la vertu; progresser, c'est partir. Disons tous : " Regardez-moi, Seigneur, et ayez pitié de moi; selon le jugement de ceux qui aiment votre nom (Psal. CXVIII, 132), " oui, ayez pitié de moi, mais selon ce que ceux-ci ont décidé, non point selon ce que j'ai mérité. " Ecrions-nous encore : " Que votre volonté se fasse comme dans le ciel (I Mac. III, 60), " ou bien tout simplement: "que votre volonté se fasse (Matth. VI, 10), " car il est écrit, nous le savons : " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (Rom. VIII, 34)? " et encore : " Qui osera se lever contre les élus de Dieu? Ne m'est-il point permis de faire ce que je veux (Matth. XX, 45)? " Que ces paroles soient notre consolation, mes bien chers frères, en attendant que nous quittions ce monde, et que le Seigneur soit avec nous; qu'ainsi, par sa grande miséricorde, il nous conduise à cette heureuse sortie, à ce brillant jour de demain; qu'il daigne, dans ce demain auquel nous touchons, nous visiter et être avec nous. Que ceux qui peuvent se trouver retenus encore dans les liens de la tentation s'en voient enfin dégagés par la miséricorde de celui qui est venu annoncer leur délivrance aux captifs; enfin, recevons dans une joie salutaire, la couronne de notre Roi enfant, recevons-la, dis-je, des mains de celui qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit et règne pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TROISIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL
Sur ces paroles : " Et vous verrez demain matin éclater la gloire du Seigneur,
car vous saurez que le Seigneur va venir aujourd'hui même. (Exod. XVI, 7). "

1. Habitants de la terre, enfants des hommes, écoutez : Vous qui dormez dans la poudre, éveillez-vous et chantez les louanges de Dieu, car un médecin va venir visiter ceux qui sont malades; un Rédempteur, ceux qui sont vendus, ceux qui se sont égarés du droit chemin, ceux qui sont morts à la vie. Oui, voici venir celui qui va jeter tous nos péchés au fond de l’abîme, guérir toutes nos infirmités, nous charger sur ses épaules et nous ramener à notre propre et originelle grandeur. Sa puissance est grande, mais sa miséricorde est plus admirable encore, puisque celui qui pouvait nous secourir a daigné venir comme il fa fait. " Aujourd'hui, dit l'auteur sacré, aujourd'hui même, le Seigneur va venir (Exod. XVI, 6). " Ces paroles se trouvent à leur place et dans leur temps, dans la sainte Ecriture, mais l'Eglise notre mère a pu les entendre de la veille de la naissance du Seigneur. L'Eglise, dis-je, que son époux et son Dieu assiste de ses conseils et de son esprit, sur le sein de laquelle le Bien-aimé aime à se reposer, qu’il possède uniquement, et dont il s'est fait un trône pour son coeur. On peut dire, en effet, qu'elle l'a blessé au coeur, et qu'elle plonge l'œil de sa contemplation jusqu'au plus profond abîme des secrets de Dieu, en sorte qu'elle lui fait dans son propre coeur et se prépare à elle-même dans le coeur de son époux une demeure éternelle. Aussi, quand il lui arrive de changer de place ou de sens, les paroles de la sainte Ecriture, l'emploi qu'elle en fait est préférable (a) au sens et à l'ordre primitif du texte sacré; peut-être même est-il permis de dire que son sens l'emporte sur le sens littéral, autant que la vérité l'emporte sur les figures, la lumière sur l'ombre, la maîtresse sur la servante.

2. " Vous saurez donc qu'aujourd'hui même le Seigneur va venir. " A mon avis ces paroles nous donnent bien clairement l'idée de deux sortes de jours; le premier a commencé à la chute du premier homme et se continue jusqu'à la fin du monde; c'est le jour que les saints sont souvent chargé de leurs malédictions. C'est qu'en effet Adam a été chassé par ce jour du jour de splendide lumière dans lequel il avait été créé; et, précipité dans le triste réduit des choses de ce monde, il s'est trouvé au milieu d'un jour ténébreux, et presque privé de tous les rayons de la vérité. Nous venons tous au monde dans ce jour-là, qui ne mériterait même point le nom de jour, mais plutôt de nuit, si l'infatigable miséricorde de Dieu ne nous avait point laissé la lumière de la raison comme une faible étincelle. Le second jour sera celui des saints pendant d'interminables éternités, alors que se lèvera ce demain d'une infinie sérénité, ce demain qui n'est autre que la miséricorde qui nous a été promise, lorsque la mort sera vaincue dans sa propre victoire, quand, à la place des ombres et des ténèbres, on ne verra plus partout, en haut et en bas, au dedans et au dehors, qu'une splendide et véritable lumière. Aussi un saint a-t-il dit : " Faites-moi sentir ce matin même votre miséricorde (Psal. CXLII, 8), et, dès le matin nous avons été comblés de votre miséricorde (Psal. LXXXIX, 14). " Mais revenons à notre jour à nous, à ce jour qui est comparé à une veille de la nuit, à cause de sa brièveté, et que l'organe ordinaire du Saint-Esprit appelle un rien, un néant, quand il s'écrie : " Nos jours se sont évanouis (Ibid.), — mes jours se sont évanouis comme la fumée dans l'air (Ibid.), — nos jours ont passé comme une ombre (Psal. CI, 12). — Tous les jours de ma vie sont en petit nombre et bien mauvais (Gen. XLVII, 9), " s'écriait le saint patriarche qui avait vu Dieu face à face et s'était entretenu familièrement avec lui. Or, dans ce jour, Dieu donne à l'homme la raison, il lui laisse l'intelligence, mais il faut qu'au sortir de ce monde il l'illumine lui-même de la lumière de la science; car s'il sortait dans l'obscurité complète de la prison où il habite maintenant, et des ombres de la mort, il ne pourrait plus être éclairé de toute l'éternité. Voilà pourqnoi le Fils unique de Dieu, le Soleil de justice, tel qu'un flambeau d'une lumière aussi répandue qu'éclatante, a été allumé et projette sa lumière dans la prison de ce monde. Maintenant, tous ceux qui veulent être éclairés doivent s'approcher de lui, se réunir à lui et ne permettre que rien ne se place entre eux et lui. Or ce qui peut nous séparer de Dieu, ce sont nos péchés qu'ils disparaissent et nous sommes éclairés de la vraie lumière, nous nous rapprochons tellement d'elle que nous ne devons plus faire qu'un corps avec elle. Ainsi rapproche-t-on, sans intermédiaire étranger, un flambeau éteint de celui qui brûle encore, pour le rallumer; cet exemple, tiré des choses visibles, nous donne une idée de ce qui se passe dans le monde des choses invisibles.

3. Suivons donc le conseil du Prophète (Ose. X, 12, juxta LXX.), allumons-nous, le flambeau de la science à cet astre si grand et si brillant, avant de sortir des ténèbres de ce monde, de peur que nous ne passions des ténèbres aux ténèbres, mais à des ténèbres éternelles. Mais de quelle science parlé je? De celle qui consiste à savoir que le Seigneur viendra, quoique nous ne puissions savoir quand il viendra. Voilà tout ce qui nous est demandé. Vous me direz peut-être que tout le monde aujourd'hui a cette science-là; quel homme, en effet, ne fut-il même chrétien que de nom, ignore que le Seigneur doit venir un jour et qu'il viendra en effet, pour juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses oeuvres? Non, mes frères, tout le monde ne sait point cela, ce n'est même su que de peu d'hommes, puisqu'il y en a si peu de sauvés. Pensez-vous, par exemple, que ceux qui sont heureux quand ils ont mal fait, et se réjouissent des pires choses (Prov. II, 14), sachent ou se rappellent qu'un jour le Seigneur viendra? S'ils l'affirmaient eux-mêmes, gardez-vous de les croire, car " celui qui dit qu'il le connaît et ne garde point ses commandements est un menteur, dit l'Apôtre (I Joan. II, 4). — Ils font profession, dit saint Paul, de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres, (Tit. I, 16) — attendu, continue saint Jacques, que la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jac. II, 20). " En effet, ils ne se souilleraient point de tant d'impuretés s'ils savaient que le Seigneur doit venir, et s'ils redoutaient sa venue; au contraire, ils veilleraient sur eux, et ne laisseraient pas le mal faire de tels ravages dans leur âme.

4. Or, cette science, au premier degré, opère dans l'âme un sentiment de pénitence et de douleur qui change les rires en pleurs, les chants en gémissements, la joie en tristesse, et fait que tout ce qui vous plaisait le plus auparavant commence à vous déplaire, et que tout ce dont vous aviez d'abord le plus d'horreur commence à avoir des charmes pour vous. Il est écrit, en effet : " Plus on a de science plus on a de peine (Eccli. I, 18). " La conséquence de la sainte et vraie science est donc la douleur. Au second degré, elle opère la correction en tant que vous cessez, à ce degré de science, de faire servir vos membres à l'iniquité : vous réprimez la gourmandise, vous étouffez la luxure, vous abaissez l'orgueil, voue contraignez votre corps à devenir un instrument de sainteté comme il l'avait été de l'iniquité auparavant. A quoi bon, en effet, le repentir sans la correction? A rien; car, selon le mot du Sage : " Si l'un bâtit et que l'autre détruise que gagneront-ils autre chose que de la perte? Si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix? Si celui, qui se lave après avoir touché un mort, le touche de nouveau, de quoi lui sert-il de s'être lavé (Eccli. XXXIV, 26)? " Ne doit-il pas craindre au contraire, selon la parole même du Sauveur, qu'il ne lui arrive quelque chose de pire (Joan. V, 14)? Mais comme on ne peut se tenir dans ces deux degrés pendant bien longtemps si l'esprit n'est dans une vigilance et une circonspection continuelle, il s'ensuit que la science au troisième degré produit la sollicitude, et fait que l'homme commence à marcher avec ce sentiment inquiet avec son Dieu, exclut toute chose en tous sens, dans la crainte de choquer, même dans les moindres choses, les regards de sa redoutable majesté. Ainsi le repentir l'enflamme, la correction le brûle, la sollicitude l'éclaire, en sorte qu'il est un homme nouveau aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.

5. Mais alors il commence à respirer un peu des tribulations et de la douleur que les péchés lui ont causées; une joie spirituelle tempère l'excès de sa crainte, et l'empêche de succomber à la tristesse, à la pensée de l'énormité de ses fautes. Aussi, d'un coté, s'il craint son Juge, de l'autre il espère en son Sauveur, et lorsque la crainte et la joie marchent au-devant l'une de l'autre dans son coeur elles finissent par se rencontrer. S'il arrive encore que la crainte soit plus forte que la joie, souvent aussi la joie triomphe de la crainte, et l'enferme dans ses prisons secrètes. Heureuse la conscience où ces deux sentiments se livrent sans relâche cette sorte de combat, jusqu'à ce que ce qui est mortel soit absorbé par la vie, que ce qui reste de crainte s'évanouisse et cède la place à la joie, ce qui est la perfection même; car sa crainte ne saurait être éternelle tandis que sa joie le sera. Mais pour être ainsi allumée et éclairée, elle ne doit pas encore se croire dans la maison où l'on a coutume de porter des flambeaux allumés sans craindre le souffle des vents, il faut qu'elle se rappelle qu'elle est toujours en plein air, qu'elle s'applique à protéger de ses deux mains la lumière qu'elle porte, et qu'elle se défie des vents, lors même que l'air lui semble tranquille; car il peut changer tout-à-coup, à l'heure où elle y pensera le moins, et si elle cesse un seul instant d'être sur ses gardes, elle verra sa lumière éteinte. S'il lui arrive dans l'ardeur de sa marche de se brûler les mains, comme il arrive quelquefois, qu'elle supporte la douleur plutôt que de les éloigner de la flamme qu'elles protègent, car en un instant, en un clin d'oeil, elle peut être soufflée. Ah! si nous étions déjà dans cette demeure qui n'est point faite de main d'homme, dans la demeure éternelle du ciel, où nul ennemi ne peut entrer et dont aucun ami ne peut sortir, il n'y aurait rien à craindre; mais maintenant nous sommes exposés au souffle des trois vents les plus mauvais et les plus forts, aux vents de la chair, du diable et du monde qui ont conjuré ensemble d'éteindre la lumière de notre conscience, en soufflant dans nos cœurs, de mauvais désirs et des mouvements déréglés, et de soulever en nous tout-à-coup une telle tourmente, que nous ne puissions plus distinguer ni d'où nous venons ni où nous allons. Deux de ces vents contraires cessent quelquefois de souffler, mais personne n'a jamais obtenu de trêve du troisième. Voilà pourquoi je vous dis que nous devons protéger notre âme, des deux mains de notre coeur et de notre corps, de peur que le flambeau, qui y est enfin allumé, ne vienne à s'éteindre ; il ne faut ni céder à la tempête, ni reculer devant elle, quand le souffle des passions ébranle trop violemment le double état de l'homme, mais il faut nous écrier avec un saint: " Mon âme est toujours entre mes mains (Psalm. CXVIII, 109). " Oui, mieux vaut nous brûler les mains que céder à l'orage. Et de même qu'on ne peut facilement oublier ce qu'on porte dans ses mains, ainsi nous ne saurions oublier l'affaire de nos âmes, et le soin qu'elles réclament de nous, doit être la principale affaire de nos cœurs.

6. Quand nos reins seront ceints et que nous aurons en main nos lampes allumées, il nous faudra veiller sur la troupe de nos pensées et de nos actions, afin que le Seigneur nous trouve prêts, qu'il vienne à la première, à la seconde ou à la troisième veille de la nuit. La première veille n'est autre chose que la régularité de nos actions, et consiste, par conséquent, dans les efforts que nous devons faire pour régler notre vie tout entière selon la règle que nous avons fait voeu de suivre, et de ne point franchir les limites que nos pères ont tracées pour tous les exercices de ce genre de vie, sans incliner ni à droite ni à gauche. La seconde consiste dans la pureté d'intention, si notre oeil est sain tout notre corps sera éclairé; par conséquent, il faut que nous fassions toutes nos actions pour Dieu, et que la grâce que nous recevons retourne à sa source pour en revenir de nouveau. Enfin, la troisième veille consiste à conserver l'union et à nous faire préférer quand nous sommes dans une congrégation, la volonté des autres à la nôtre, en sorte que nous vivions avec tous nos frères, non-seulement sans divisions, mais encore en bonne intelligence, nous supportant tous mutuellement et priant les uns pour les autres, de façon qu'on puisse dire de chacun de nous "C'est un véritable ami de ses frères et du peuple d'Israël, c'en est un qui prie beaucoup pour son peuple et pour toute la cité sainte (II Macchab. XV, 14). " Voilà donc comment ce jour-là la venue du Fils unique de Dieu allume en nous le flambeau de la véritable science, de ce savoir qui nous apprend que le Seigneur doit venir, et qui est le fondement inébranlable et perpétuel de nos moeurs.

7. " Et demain matin, dit l'écrivain sacré, vous verrez sa gloire. " O quel matin! ô jour meilleur dans les parvis du Seigneur que mille autres passés ailleurs! Quand verrons-nous ce mois succéder au mois, ce sabbat succéder au sabbat, la splendeur de la lumière et l'ardeur de la charité éclairer les habitants de la terre jusque dans ces sublimes merveilles ! Qui osera, je ne dis pas présumer assez de ses forces pour en parler, mais même pour y penser seulement? Mais en attendant, mes frères, édifions notre foi de manière à pouvoir du moins contempler quelque peu les merveilles qui s'accomplissent pour nous sur la terre s'il ne doit pas nous être donné de voir dès maintenant celles qui nous sont réservées dans les cieux. Or la toute-puissante majesté de Dieu a fait trois choses, trois mélanges, en prenant notre chair, mais trois choses si uniquement admirables et si admirablement uniques, qu'il ne s'est jamais fait et ne se fera jamais plus rien de semblable sur la terre. En effet, on a vu s'unir étroitement ensemble, Dieu et l'homme, la maternité et la virginité, 1a foi et un cœur d'homme. Ces mélanges sont admirables, mais ce qui dépasse toute merveille, c'est de voir comment des choses si diverses, si opposées entre elles, ont pu se réunir l'une à l'autre.

8. Et d'abord, considérez la création, la position et la disposition des choses. Quelle puissance a éclaté dans la création, quelle sagesse dans la disposition, quelle bonté dans la composition. Dans la création, voyez combien grandes et nombreuses sont les choses créées par la puissance, dans la position avec quelle sagesse elles ont été disposées; et dans la composition avec quelle bonté les choses les plus élevées ont été unies aux choses les plus humbles par les liens d'une si aimable et si admirable charité. En effet, au limon de la terre il a uni, dans les arbres, par exemple, une force vitale qui donne la beauté au feuillage, l'éclat aux fleurs, la saveur et leurs propriétés médicinales aux fruits. C'est peu; le Créateur a mis dans notre limon une autre force encore, la force sensible qu'on voit dans les animaux qui non-seulement ont la vie, mais encore sont doués de sensibilité, dont le siège repose dans cinq organes différents. Dieu voulut combler ensuite notre limon d'un nouvel honneur, et il lui donna la force raisonnable que nous voyons dans l'homme qui, non-seulement vit et sent, mais encore discerne entre ce qui convient et ce qui ne convient pas, entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux. Il voulut après cela élever notre bassesse à de plus hautes destinées encore, et sa grandeur se fit petite afin d'unir à notre limon ce qu'il y a de plus grand en lui, c'est-à-dire lui-même, et de ne plus faire qu'une seule et même personne de Dieu et de notre être de boue, d'une si grande majesté et d'un pareil néant, d'une telle grandeur et d'une semblable bassesse. En effet, il n'y a rien au-dessus de Dieu ni au-dessous de la boue; et pourtant Dieu daigna si bien descendre dans cette boue, et cette boue se trouva élevée si haut vers Dieu, que tout ce que Dieu fit dans notre limon, la foi nous dit que c'est notre limon même qui l'a fait; tout ce que notre limon a souffert nous disons que c'est Dieu même qui l'a enduré en lui, par un mystère non moins ineffable qu'incompréhensible. Mais remarquez encore que de même que dans cette unique divinité subsiste la Trinité des personnes, en même temps que l'unité de substance, ainsi dans ce mélange tout particulier, il y a trinité de substance et unité de personne : si dans l'une, les trois personnes ne détruisent point l'unité, de même que l'unité ne fait point disparaître la Trinité, ainsi dans le mélange dont nous parlons, l'unité de personne n'est point la confusion des substances, non plus que le nombre des substances n'empêche point l'unité de personne. Voilà l'œuvre admirable, l'oeuvre unique entre toutes et qui les dépasse toutes, que la suprême Trinité nous a montrée, cette Trinité où le Verbe de Dieu, l'âme et le corps, forment une seule personne; ces trois ne font qu'un et cet un fait trois, sans confusion de substances mais par l'unité de personne. Voilà le premier et surexcellent mélange, il est le premier des trois. Mais, ô homme, n'oublie pas que tu n'es que boue et ne te laisses point aller à l'orgueil; que tu es uni à Dieu, ne te montre point ingrat.

9. Le second mélange est celui d'une vierge-mère; il est admirable et sans exemple; jamais on n'a entendu parler d'une vierge qui fût mère et d'une mère qui fût vierge; jamais, dans le cours ordinaire des choses, la virginité ne se rencontre là où est la fécondité, ni la fécondité là où se trouve la virginité. Il n'y a que dans ce mélange que la virginité et la fécondité se sont rencontrées; là seulement s'est fait ce qui ne s'était jamais vu auparavant, et ne se renouvellera plus jamais dans la suite; car ce mélange est sans exemple avant lui et ne se répètera plus. Le troisième mélange est celui de la foi et du coeur de l'homme; il est sans doute bien inférieur aux deux premiers mélanges, mais peut-être n'est-il pas moins fort. Est-il, en effet, rien d'aussi surprenant que de voir comment le coeur de l'homme a ajouté foi aux deux premiers mélanges, au point de croire que Dieu fût homme, et qu'une vierge mère fût demeurée vierge? De même que le fer et l'argile ne peuvent s'unir, ainsi ces deux choses ne peuvent se fondre en une si l'esprit même de Dieu n'en fait le mélange. Faut-il donc croire que celui qui est déposé dans une crèche, qui vagit dans des langes, et ressent les mêmes nécessités que les autres enfants, qui est flagellé, conspué, crucifié, mis dans un sépulcre et renfermé entre deux pierres, soit le Dieu grand et immense? Sera-ce une vierge que cette femme qui allaite son enfant, et dont un mari partage la couche et la table? qu'il accompagne lorsqu'elle va en Egypte et quand elle en revient, et fait seul avec elle un voyage si long et si solitaire? Comment a-t-on pu faire croire cela aux hommes, le faire accepter de l'univers entier? Et pourtant cela s'est cru avec une telle facilité et une telle force, que moi-même je me sens porté à le croire, à cause de la multitude de ceux qui le croient. Des jeunes gens et des jeunes filles, des vieillards et des enfants ont préféré souffrir mille morts plutôt que de douter un seul instant de ces merveilles.

10. Oui, le premier mélange est excellent, mais le second l'est davantage, et le troisième l'est bien plus encore. Le premier, l'oreille l'a entendu, mais l'oeil ne l'a point vu. Eu effet, on a entendu prêcher et on a su d'un bout du monde à l'autre ce grand mystère d'amour; mais l'œil de l'homme n'a point vu, il n'y a que vous, ô mon Dieu, qui ayez vu, comment vous vous êtes uni à un corps semblable au nôtre dans l'étroit espace du sein d'une vierge. Quand au second mélange, l'oeil de l'homme l'a vu; car cette reine unique, qui conservait soigneusement le souvenir de toutes ces merveilles et les repassait dans son coeur, sut qu'elle était en même temps vierge et féconde; et Joseph, qui ne fut pas moins le témoin que le gardien d'une telle virginité, en eut aussi connaissance. Enfin, le troisième a trouvé place dans le coeur de l'homme, qui a cru ce qui a été fait, comme il a été fait; qui tient pour certain et croit très-fermement, non parée qu'il J'a vu, mais parce qu'il l'a entendu prêcher, ce qui s'est fait, et lui a été annoncé. Or, voyez dans le premier mélange ce que Dieu vous a donné; dans le second, par quel moyen il vous l'a donné; et dans le troisième, pour quel motif il vous l'a donné. Il vous a donné le Christ par Marie, pour vous guérir. Dans le premier mélange est un remède, un cataplasme fait de Dieu et de l'homme pour guérir toutes nos infirmités. Ces deux espèces se sont trouvées mélangées dans le sein de la Vierge, comme dans un mortier, le Saint-Esprit fut le pilon qui les mêla avec douceur. Mais, comme tu étais indigne, ô homme, de le recevoir directement, il fut donné à Marie, afin que tu reçusses d'elle tout ce que tu peux avoir; et Marie, en tant qu'elle est mère, 'a donné pour toi le jour à Dieu, et en tant qu'elle est vierge elle a mérité d'être exaucée dans ta cause, dans la cause du genre humain tout entier. Si elle n'était que mère, il lui suffirait d'être sauvée en mettant des enfants au monde; si elle n'était que vierge, elle se suffirait à elle-même ainsi; mais le fruit béni de ses entrailles ne serait point le prix du genre humain. Ainsi, dans le premier mélange se trouve le remède, dans le second il nous est appliqué; car Dieu a voulu que nous n'eussions rien qui ne nous vînt par Marie; mais dans le troisième se trouve le mérite, attendu que nous ne pouvons croire, avec une ferme foi, toutes ces choses, sans acquérir par là un mérité; or, dans la foi se trouve la guérison, puisqu'il est dit . " Celui qui croira sera sauvé (Marc. XVI, 16). "

QUATRIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL
Le remède se trouve dans la main gauche du Très-Haut, et sa droite est pleine de délices.

1. La coutume de notre ordre n'exige point de sermon aujourd'hui; néanmoins, comme la célébration des messes doit nous prendre demain plus de temps qu'à l'ordinaire, et nous en laisser trop peu pour un sermon d'une certaine étendue, j'ai pensé que je devais préparer dés aujourd'hui vos coeurs à cette grande solennité, surtout en considérant la profondeur et l'incompréhensible hauteur de ce mystère, qu'on pourrait comparer à une source d'eau vive, qui serait d'autant plus abondante qu'on y puise davantage, en sorte qu'on ne saurait l'épuiser. D'ailleurs, je connais toutes vos tribulations pour Jésus-Christ, Dieu inouïe ! une Vierge enfante et reste immaculée après son enfantement, possédant ainsi la fécondité du sexe et l'intégrité de la chair; la joie de la mère et l'honneur de la vierge. J'attends maintenant, avec confiance, la gloire promise de mon incorruptibilité dans ma chair, puisqu'il a conservé cette incorruptibilité dans sa mère. Il sera facile en effet, à celui qui laissa sa Mère immaculée dans l'enfantement, de me rendre incorruptible en me ressuscitant.

5. Mais il y a de plus grandes richesses encore et une gloire plus complète que ces richesses et cette gloire-là. C'est une femme devenue mère sans rien perdre de sa virginité, et un fils exempt de toute souillure du péché. Si la malédiction d'Eve n'atteint point cette mère, l'enfant, né d'elle, échappe aussi au sort commun de tous ceux dont le Prophète a dit : " Nul n'est exempt de souillure, pas même l'enfant qui n'a encore vécu qu'un jour sur la terre (Job XV, 14). " Voilà cet enfant sans souillure, seul vrai entre tous les hommes, disons mieux, la Vérité même. "Voilà l'Agneau sans tache, l'Agneau qui ôte les péchés du monde (Joan. I, 29). " Qui est-ce qui peut, en effet, mieux ôter les péchés du monde que celui en qui il n'y a point place pour le péché? Oui, celui-là peut me purifier qui est lui-même exempt de toute souillure. Que sa main, la seule que la poussière n'ait point salie. vienne enlever la boue dont mes yeux sont couverts; puisqu'il n'a point de poutre dans l'oeil, qu'il vienne ôter la paille qui se trouve dans le mien; bien plus, comme il n'a pas même le plus petit grain dé poussière dans le sien, qu'il débarrasse le mien de la poutre qui l'offusque.

6. Nous avons vu quelles sont ces richesses de salut et de vie, nous avons vu sa gloire, la gloire qui convient au Fils unique du Père. Si vous me demandez de quel Père, je vous répondrai par ces mots " Il sera appelé le Fils du Très-Haut (Luc. I, 32). " Tout le monde sait quel est ce Très-Haut, mais pour qu'il ne reste aucun doute sur ce point, l'ange Gabriel dit lui-même à Marie : "Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Ibid. 35): " O fruit véritablement saint, Seigneur, vous ne souffrirez point que votre saint, qui a exempté sa mère de toute corruption, éprouve lui-même la corruption (Ps. XV, 10). Les miracles s'accroissent, les richesses se multiplient, les trésors s'ouvrent. Celle qui enfante est mère et vierge, celui qui est enfanté est Dieu et homme. Maïs les choses saintes seront-elles données aux chiens et les perlés jetées aux pourceaux? Cachons notre trésor dans le champ et renfermons notre argent dans notre bourse. Que les fiançailles de la mère dérobent aux regards une conception à laquelle l'homme demeure étranger, que le vagissement et les cris de l'enfant nouveau-né donnent le change sur cet enfantement sans douleur; voilez, ô Marie, voilez l'éclat de ce soleil levant; déposez votre enfant dans une crèche, enveloppez-le de langes, car ces langes sont eux-mêmes toute notre richesse. En effet, les langes du Sauveur sont plus précieux que la pourpre, cette crèche est plus glorieuse que les trônes dorés des rois, la pauvreté de Jésus-Christ plus riche que toutes les richesses et que tous les trésors. Où trouver, en effet, quelque chose de plus riche et de plus précieux que l'humilité qui sert à acheter le ciel et à acquérir la grâce? car il est écrit : " Bien heureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux leur appartient (Matth. V, 3), et l'Apôtre nous assure que " Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). " Vous voyez combien l'humilité nous est recommandée dans la naissance du Sauveur qui, en venant au monde, s'est anéanti lui-même, a pris la forme et la nature de serviteur, et a passé pour homme par tout ce qui a paru de lui au dehors.

7. Mais voulez-vous des richesses plus précieuses et utile gloire plus excellente encore? Vous avez sa charité dans sa passion.; car " personne ne peut avoir un, plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Joan. XV, 13). " Ces richesses de salut et cette gloire ce sont le précieux sang par lequel nous avons été rachetés, et la croix du Seigneur dans laquelle nous mettons toute notre gloire, comme l'Apôtre qui disait : " Pour moi, Dieu me préserve de me glorifier en quoi que ce soit, si ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Gal. VI,14), " et qui s'écriait encore : " Je n'ai point fait profession de savoir autre chose, parmi vous, que Jésus-Christ crucifié ( I Corinth. II, 2). " La gauche de Dieu c'est donc Jésus-Christ, mais Jésus crucifié, et la droite c'est encore Jésus-Christ, mais Jésus glorifié : a Je ne connais, disait-il, que Jésus et Jésus crucifié. " Peut-être bien est-ce nous qui sommes nous-mêmes la croix de Jésus, à laquelle on rapporte qu'il a été attaché, car l'homme représente en lui la forme de la croix, comme on peut le voir lorsqu'il étend les bras. En effet, le Christ dit par la bouche du Psalmiste : " Je me trouve plongé dans le limon de l'abîme (Psal. LXVIII, 3). " Or, évidemment ce limon n'est autre chose que nous-mêmes, attendu que nous avons été faits de limon; mais celui qui a servi à nous faire était le limon du paradis terrestre, et maintenant nous sommes le limon de l'abîme. "Je suis plongé, " dit-il, non pas j'ai passé par le limon où j'en suis sorti. " Je suis avec vous jusqu'à la consommation, du siècle (Matth. XVIII, l0). " Attendu qu'il est Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous. Il est donc avec nous, mais par sa main gauche. Ainsi voyons-nous qu'autrefois, quand Thamar enfanta, Zara la première montra, hors du sein de sa mère, une main à laquelle fut lié un fil d'écarlate, symbole de la passion du Seigneur.

8. Nous tenons donc maintenant la main gauche, mais il nous faut encore crier : " Seigneur, tendez votre droite à l’ouvrage de vos mains (Job XIV, 15), " car " elle est pleine de délices pour nous jusqu'à la fin des siècles (Psal. XV, 12). " Seigneur, tendez-nous la main droite et cela nous suffit. " La gloire et les richesses sont dans sa demeure, dit le Psalmiste (Psal. CXI, 3), " sans doute dans la demeure de celui qui craint le Seigneur; mais dans la vôtre, Seigneur, qu'y a-t-il? Des actions de grâces et des paroles de louanges. " Bienheureux, en effet, sont ceux qui demeurent dans votre maison, etc. (Psal. LXXXIII, 5). " Car l'œil n'a point vu l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment (I Corinth. II, 9). " C'est une lumière inaccessible, une paix qui surpasse tout sentiment, une source qui, au lieu de jaillir en haut, jaillit en bas. L'oeil de l'homme n'a point vu la lumière inaccessible, et son oreille n'a point entendu la paix incompréhensible. Il est vrai, les pieds de ceux qui portent la bonne nouvelle de la paix sont beaux (Rom. X, 15), mais quoique leur, voix ait retenti dans le monde entier, cependant bien loin de faire entendre aux oreilles des hommes cette paix qui surpasse tout sentiment, ils n'ont pas pu l'entendre. En effet, saint Paul lui-même dit : "Mes frères, je ne crois pas l'avoir comprise (Philip. III, 13). La foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu, parce que la parole de Jésus-Christ a été prêchée (Rom, X, 17) ; " remarquez, la foi non la vue; la promesse non le don de la paix. Il y a bien une paix dès maintenant sur la terre pour les hommes de bonne volonté; mais qu'est-ce que cette paix-là comparée à la plénitude et à la surexcellence de cette autre paix? Voilà pourquoi le Seigneur a dit lui-même : " Je vous laisse, je vous donne ma paix (Joan. XIV, 27), " comme s'il avait dit Vous n'êtes pas encore capables dé goûter ma paix, cette paix qui surpasse tout sentiment et qui est une paix dans la paix même. Voilà pourquoi je vous donne la patrie de la paix et vous laisse, en attendant, le chemin de la paix.

9. Mais pourquoi ces paroles : " Le coeur de l'homme n'a point conçu? " Sans doute, c'est parce que c'est une source qui ne jaillit point en haut. Nous savons, en effet, qu'il est dans la nature des sources d'aimer le creux des vallées et de fuir les hauteurs escarpées ides montagnes, selon ce qui est écrit : "Vous conduisez les fontaines dans les vallées et vous faites couler les eaux entre les montagnes (Psal. CIII, 10). " Voilà pourquoi je rappelle si souvent à vos charités que " Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac. IV, 6). " Les sources ne remontent point, de quelque lieu qu'elles jaillissent. On pourrait croire à la première vue que, suivant cette règle, les voies de la grâce ne sont point fermées à l'orgueil, d'autant plus que le premier orgueilleux que l'Ecriture appelle le roi des enfants de l'orgueil n'a point dit, selon les Saintes Lettres : Je serai plus haut, mais " je serai semblable au Très-Haut (Is. XIV, 14). " Cependant l'Apôtre n'a point avancé un mensonge quand il a dit : " Il s'élève au-dessus de tout ce qui est cru et adoré comme Dieu (II Thess. II, 4). " L'homme ne peut entendre cette parole sans frémir d'horreur. Plaise à Dieu que son âme frémisse d'une égale horreur à ces pensées et à ces sentiments mauvais. Car je vous dis, moi aussi, que non-seulement le démon mais tout orgueilleux s'élève au-dessus de Dieu même. En effet, Dieu veut qu'on fasse sa volonté, et l'orgueilleux veut aussi qu'on fasse la sienne; il vous semble que jusque-là les choses sont égales, mais remarquez combien les rapports sont disproportionnés. Dieu, il est vrai, veut que sa volonté soit faite, mais seulement dans les choses que la raison approuve; l'orgueilleux, au contraire, veut que la sienne se fasse, qu'elle soit conforme ou non à la raison. Voyez-vous comme il se tient sur les hauteurs et comment les ruisseaux de la grâce ne peuvent remonter jusqu'à lui? " Si vous ne vous convertissez, dit le Sauveur, et si vous ne devenez comme un petit enfant. — Il voulait parler de lui en qui habite et d'où s'épanche la plénitude de toutes les grâces, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. XVIII, 3). " Creusez donc des canaux, aplanissez ces montagnes de pensées terrestres et orgueilleuses, devenez semblables au Fils de l'homme, non point au premier homme, attendu que la source de la grâce ne saurait remonter jusque dans le coeur de l'homme charnel et terrestre; purifiez aussi votre oeil, si vous voulez voir la plus pure des lumières; inclinez votre oreille à l'obéissance si vous voulez parvenir un jour au repos éternel et à la paix dans la paix. C'est une lumière à cause. de sa sérénité; c'est une paix pour sa tranquillité et une source pour son éternel épanchement. La source ce sera le Père, de qui naît le Fils et procède le Saint-Esprit; la lumière ce sera le Fils qui est la splendeur de la vie éternelle, la vraie lumière éclairant tout homme venant en ce monde: la paix ce sera le Saint-Esprit qui se repose sur les coeurs humbles et pacifiques. Mais si je parle ainsi ce n'est point pour dire que ces choses soient propres à chacune des trois personnes de la Trinité; car le Père est aussi lumière, puisque le Fils est lumière de lumière; le Fils est aussi paix, car il est notre paix celui qui a réuni les deux en un; le Saint-Esprit également est une source d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle.

10. Mais quand y arriverons-nous? Seigneur, quand me remplirez-vous de la joie de voir votre face? Nous nous réjouissons déjà en vous parce que vous nous avez visités comme un soleil levant qui nous vient du haut des cieux; nous nous réjouissons de nouveau dans la bienheureuse espérance de votre second avènement. Mais quand goûterons-nous la plénitude de la joie, non par un effet de notre souvenir, mais par suite de votre présence ? Non dans le bonheur de l'attente, mais dans le charme de la claire vue? " Que votre modestie, disait l'Apôtre, soit connue de tous les hommes, le Seigneur est proche (Philip. IV, 5). " N'est-il pas juste, en effet, que notre modestie soit connue comme celle du Seigneur l'est de tous les hommes? Est-il rien de plus inconvenant que de voir l'homme agir sans modestie, l'homme, dis-je, qui rie peut ignorer sa faiblesse, quand le Seigneur de majesté s'est montré modeste au milieu des hommes? " Apprenez de moi, dit-il, que je suis doux et humble de coeur (Matth. XI, 29), " afin que votre modestie puisse aussi être connue des autres. Par ces paroles qui suivent, " le Seigneur est proche, " il faut entendre sa main droite, attendu que lorsqu'il parle de sa gauche il dit lui-même : " Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (Matth. XXVIII, 20). " Oui,mes frères, le Seigneur est proche, ne vous mettez plus en peine de rien; il est là tout prêt et ne peut tarder à paraître. Ne vous laissez aller ni à la fatigue ni à la défaillance; cherchez-le pendant qu'on peut encore le trouver, invoquez-le tandis qu'il n'est pas loin. " Le Seigneur est tout près des coeurs qui sont dans les épreuves et la tribulation (Psal. XXXII, 19). " Il est tout proche de ceux qui l'attendent, mais de ceux qui l'attendent en vérité. D'ailleurs, voulez-vous savoir combien il est proche, écoutez les chants de l'Épouse quand elle parle de l'Époux : "Le voici, dit-elle,, qui se tient derrière la muraille (Cant. II, 9). " Or, par cette muraille c'est votre corps qu'il faut entendre, car il n'y a que lui qui vous empêche de le voir, quoiqu'il soit près de vous. Aussi saint Paul s'écriait-il : "Je voudrais être débarrassé des liens de ce corps et me trouver avec le Christ (Philip. I, 23). " Ailleurs il disait en gémissant " Malheureux homme que je suis, qui donc me délivrera de ce corps de mort (Rom. VII, 24)." Tel aussi le Psalmiste s'écriait : " Tirez mon âme de sa poison. afin que je bénisse votre nom (Psal.. CXLI, 8). "

CINQUIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL

Sur ces paroles : " Sanctifiez-vous, aujourd'hui et tenez-vous prêts; car demain vous verrez la majesté de Dieu en vous.

1. Sur le point de célébrer l'ineffable mystère de la naissance de Notre-Seigneur, c'est avec raison que nous sommes avertis, mes frères, de nous sanctifier et de nous tenir tout prêts. Car c'est le Saint des saints qui approche, c'est celui qui a dit : " Soyez saints parce que je suis saint, moi qui suis le Seigneur votre Dieu (Levit. XIX, 1). " Autrement comment le saint pourrait-il être, donné aux chiens et les perles jetées aux pourceaux, s'ils ne commencent point à se purifier les uns de leurs iniquités et les autres de leurs criminelles voluptés, pour fuir ensuite, avec toute la sollicitude possible, les premiers leur vomissement, et les seconds leur bauge fangeuse? Jadis les Israélites charnels, pour participer aux choses saintes, commençaient par se purifier selon la chair, par diverses ablutions, par des offrandes et par des sacrifices qui n'avaient point la vertu de, purifier la conscience, esclave du péché. Mais toutes ces purifications ont fait leur temps, car elles ne devaient durer que jusqu'aux jours de la délivrance qui sont arrivés maintenant. C'est donc bien à propos qu'on nous fait un devoir d'une justification parfaite, d'une purification intérieure, d'une pureté toute spirituelle, selon ces paroles du Seigneur ; " Bienheureux sont ceux qui ont le eceur pur parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8). " C'est dans ce but que nous vivons, mes frères,, c'est pour cela que nous sommes nés, pour cela que nous avons été appelés, pour cela enfin que le jour d'aujourd'hui a lui sur nos têtes. Il n'y avait que nuit et ténèbres dans le monde entier avant le lever de la lumière véritable, avant la naissance du Christ. Bien plus, chacun de nous était aussi dans les ténèbres de la nuit avant sa conversion et sa régénération intérieure.

2. N'est-il pas vrai que la face de la terre était plongée dans la nuit la plus sombre et dans les plus épaisses ténèbres, alors que nos pères adoraient des dieux fabriqués de leurs mains, et, par une sacrilège folie, décernaient les honneurs divins à des divinités de pierre ou de bois? Et nous-mêmes n'étions-nous point dans les plus profondes ténèbres quand nous vivions dans le siècle, comme si nous n'avions point eu de Dieu, quand nous étions traînés à la remorque de toutes nos passions, attirés par tous les appâts de la chair et soumis en esclaves à tous les désirs du siècle; quand nos membres donnaient des armes au péché, et que l'iniquité passée était pour nous un pas vers une iniquité nouvelle; quand enfin nous étions adonnés aux oeuvres de ténèbres dont nous rougissons à présent? Or, l'Apôtre a dit : " Ceux qui dorment, dorment pendant la nuit, et ceux qui s'enivrent le font aussi la nuit (Thes. V, 7). " Vous avez été tels autrefois, mais vous avez secoué votre sommeil, mais vous vous êtes sanctifiés, si toutefois vous êtes des enfants de lumière, des fils du jour, non de la nuit ni des ténèbres. En effet, le héraut du jour a dit : " Soyez sobres et vigilants (Pet. V, 8) : " et, en parlant aux Juifs des autres apôtres, le jour de la Pentecôte, il leur demandait: "Comment ceux-ci pouvaient être ivres puisqu'on n'était encore qu'à la troisième heure du jour (Act. II, 15). " Au langage de Pierre se rapporte ce que disait son collègue en apostolat: "La nuit est avancée et le jour approche. Quittons donc les oeuvres de ténèbres et revêtons-nous des armes de lumière, puis marchons avec bienséance et honnêteté, comme on doit marcher durant le jour (Rom. XIII, 12). " Renonçons, dit-il, aux oeuvres des ténèbres, c'est-à-dire au sommeil et à l'ivresse, car, ainsi que je l'ai dit plus haut, ceux qui dorment, dorment pendant la nuit et ceux qui s'enivrent le font aussi durant la nuit, cessons de dormir puisque le jour est levé, et marchons comme on doit marcher dans le jour, c'est-à-dire avec honnêteté, non point comme des gens que l'ivresse fait chanceler. Apercevez-vous un homme dont l'âme, engourdie pour le bien, sommeille? Il est encore plongé dans les ténèbres. En apercevez-vous un autre enivré d'absinthe s'élever au-dessus de ce qu'il doit dans les sentiments qu'il a de lui-même, dont l'oeil n'est jamais rassasié de ce qu'il a vu, ni l'oreille satisfaite de ce qu'elle a entendu, qui éprouve pour l'argent, et pour ce qui y ressemble, une faim insatiable et une soif aussi longue que celle de l'hydropique? C'est un enfant de ténèbres, un fils de la nuit. D'ailleurs, ces deux vices vont rarement l'un sans l'autre, car l'Ecriture a dit : " L'homme oisif est rempli de désirs, c'est-à-dire, tout homme qui sommeille est plongé dans l'ivresse. Sanctifions-nous donc aujourd'hui et tenons-nous prêts, mais aujourd'hui même, en secouant le sommeil de la nuit; dissipons aussi, car le jour a lui, l'ivresse de la nuit, pour nous sanctifier, et mettons un frein à la fureur des mauvais désirs. Toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ces deux mots : Nous éloigner du mal et faire le bien.

3. Mais il faut que ce soit aujourd'hui, car le jour de demain ne se passera ni en sanctification ni en préparation, mais sera pris tout entier par la vision de la majesté de Dieu. " Demain, est-il dit, vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous. " C'est ce que dit aussi le patriarche Jacob quand il s'écrie: " Demain mon innocence me rendra témoignage devant vous (Gen. XXX, 33). " Aujourd'hui on pratique le justice, mais demain elle doit rendre témoignage pour nous; aujourd'hui on la cultive trais demain elle doit porter des fruits. Comment d'ailleurs pourrait-on moissonner là où on n'a point semé? Aussi celui qui maintenant méprise la sainteté, ne verra point alors la majesté; celui pour qui le soleil de justice ne se sera point levé, ne verra point non plus le soleil de gloire se lever à ses yeux, et le joui de demain ne luira pas pour lui, si le jour d'aujourd'hui a été pour lui sans lumière, car celui qui aujourd'hui a été fait notre justice, par Dieu le Père, est le même qui demain apparaîtra comme notre vie, afin que nous soyons avec lui dans la gloire. S'il naît aujourd'hui tout petit enfant, c'est afin que nul n'ose s'enorgueillir, mais que nous nous convertissions et devenions aussi nous-mêmes comme de petits enfants. Demain donc se montrera le grand Dieu, le Seigneur digne de toutes louanges, afin que nous recevions aussi louanges et grandeur le jour où chacun recevra de Dieu la gloire qu'il mérite. Ainsi le jour de demain glorifiera ceux que le jour d'aujourd'hui aura justifiés, et la vision de la majesté divine succédera à la consommation de la sainteté. Or, ce n'est pas d'une vaine vision qu'il est ici question, puisqu'elle consiste dans la similitude; en effet, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est; voilà pourquoi il est dit non pas seulement, " vous verrez la majesté de Dieu, " mais, " vous la verrez en vous. " C'est qu'en effet si aujourd'hui nous ne nous voyons en lui que comme dans un miroir, parce que maintenant c'est lui qui reçoit de nous, demain nous le verrons en nous, parce que c'est nous qui recevrons de lui, quand il se montrera à nous et nous attirera: à lui. C'est là ce qu'il a promis de nous servir en passant (Luc. XII, 37); mais en attendant nous recevons de sa plénitude non pas gloire pour gloire, j'en conviens, mais grâce pour grâce, selon ces paroles du Psalmiste : " Le Seigneur nous donnera la grâce et la. gloire (Psal. LXXXIII, 13). " Gardez-vous donc bien de faire peu de cas du premier de ces dons, si vous désirez recevoir le second, de dédaigner les. premiers morceaux, si vous voulez goûter aux suivants, et de refuser de prendre ce qu'on vous sert, pour le plateau sur lequel on vous le sert. Car notre pacifique Sauveur s'est fait plateau incorruptible en se donnant un corps inaccessible à la corruption, dans lequel il nous servît les mets du salut. Il est dit, en effet : " Vous ne souffrirez point que votre Saint éprouve la corruption (Psal. XV, 11). " Or il est certainement question en cet endroit de celui dont parlait Gabriel quand il disait à Marie : " Le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu (Luc, I, 35). "

4. Soyons donc sanctifiés aujourd'hui par ce Saint-là, afin que nous voyions sa majesté lorsque le jour aura lui; car il n'y a encore que le jour de la sanctification, le jour du salut qui a lui pour nous, non point le jour de gloire et de félicité. D'ailleurs, tant qu'il n'est encore question que de la passion du Saint des saints qui souffrit le jour du Parasceve, c'est-à-dire le jour de la préparation, il est juste qu'on nous dise à tous : " Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts. " Oui, sanctifiez-vous en marchant tous les jours de vertu en vertu, et tenez-vous prêts à persévérer. Mais en quoi nous sanctifierons-nous? J'ai lu de quelqu'un, dans l'Ecriture, que le Seigneur " l'a sanctifié dans sa foi et dans sa douceur (Eccli. XLV, 4). " Il est, en effet, aussi impossible de plaire aux hommes sans la douceur que d'être agréable à Dieu sans la foi. Il est donc bien à propos que nous soyons avertis de nous tenir prêts dans les choses par lesquelles nous plairons à Dieu dont nous devons voir la majesté et mutuellement à nous autres hommes aussi, afin que nous la voyions en nous tous également. Nous devons donc faire provision de vertus, non-seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes pour être agréables en même temps à notre Roi et à nos concitoyens qui sont aussi nos compagnons d'exil.

5. Mais ce qu'il faut chercher avant tout, c'est la foi dont il est dit " Il a purifié leur coeur par la foi (Act. XV, 9). " En effet, bienheureux ceux qui ont le cœur pur parce qu'ils verront Dieu (Matth. V, 8). Abandonnez-vous donc à Dieu, confiez-vous à lui, jetez en lui toutes vos pensées, il vous nourrira et vous pourrez vous écrier : "Le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXIX, 18). " Voilà ce que ne goûtent point ceux qui aiment leur propre personne, ces demi-savants toujours inquiets pour eux-mêmes, qui accomplissent tous les désirs de la chair, et sont sourds à la voix de celui quia dit: " Jetez dans son sein toutes vos inquiétudes et vos peines parce qu'il a soin de vous (I. Petr. V, 7). " Car mettre la confiance en soi, ce n'est pas de la confiance, c'est de la trahison, avoir foi en soi, c'est se défier, non se confier. Le vrai fidèle est celui qui ne croit point en soi, n'espère point en soi, est à ses yeux comme un vase fêlé, et perd son âme; mais de manière à la garder pour l'éternité. Or, il n'y a qu'un cœur plein d'humilité qui puisse faire cela, qui empêche l'âme fidèle de compter sur soi, et la force à se quitter elle-même pour s'élever enfin comme du désert, appuyée sur son bien-aimé et par conséquent inondée de délices.

6. Mais pour que notre sanctification soit parfaite, il faut encore que nous apprenions du Saint des saints la mansuétude et la grâce de la vie en commun, selon ces propres paroles du maître : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Matth. XI, 29). " Qu'est-ce qui nous empêche de dire que celui qui est doux, plein de mansuétude et de miséricorde, qui s'est fait enfin tout à tous, qui répand sur tous ses semblables l'huile de sa douceur et de sa mansuétude, dont il est lui-même si pénétré, si arrosé et si ruisselant, qu'il semble la laisser couler de tout son être, est effectivement inondé de délices? Heureux celui qui s'est préparé par cette double sanctification, et peut dire : " Mon cœur est tout prêt, Seigneur, mon cœur est tout prêt (Psal. LVI, 8). " Il a en effet produit aujourd'hui son fruit dans la sanctification, et demain il aura pour fin la vie éternelle, car il verra la majesté de Dieu, ce qui n'est autre chose que posséder la vie éternelle, selon ce mot de la vérité même : " La vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que vous avez envoyé (Joan. XVII, 3). " Le juste juge lui donnera ce jour-là une couronne de justice que nulle antre ne remplacera plus jamais. Il verra alors et nagera dans la joie, il sera dans l'admiration et son coeur se dilatera de bonheur. Mais jusqu'où se dilatera-t-il ?Jusques au point de voir la majesté de Dieu: en soi. Ne pensez pas, mes frères, qu'il me soit possible de vous expliquer cette promesse par des paroles.

7. Sanctifiez-vous donc aujourd'hui et tenez-vous prêts, demain vous verrez et vous serez dans la joie, mais ans une joie qui remplira tout votre coeur. En effet que ne pourrait remplir une pareille majesté? Elle le remplira donc par dessus les bords au point de le faire déborder lorsque " on versera dans votre sein une bonne mesure, bien pressée et bien entassée, qui se répandra par-dessus les bords Luc. VI, 36). " La mesure sera tellement comble qu'elle surpassera en hauteur, non-seulement vos mérites, mais nos veaux mêmes, car Dieu peut faire bien plus que nous ne saurions comprendre et espérer. En effet, tous nos veaux semblent se rapporter à ces trois choses : l'honnête, l'utile et l'agréable; oui, là se bornent tous nos désirs; voilà ce que nous souhaitons tous avoir, avec cette seule différence que les .uns désirent plus une chose et les autres une autre. Ainsi, tel homme est tellement adonné au plaisir qu'il ne songe même plus ni à ce qui est honnête, ni à ce qui est utile; tel autre, au contraire, est si avide de biens qu'il ne voit ni ce qui est honnête, ni même ce qui est agréable; et ce troisième, se mettant aussi peu en peine de l'utile que de l'agréable, ne songe avant tout qu'à ce qui lui fait honneur. Tous ces veaux n'ont rien de répréhensible, et si nous recherchions l'objet de ces désirs en Dieu, nous l'y trouverions certainement, attendu que là où ils sont en effet, ils ne font qu'un; car le souverain bien n'est autre chose que ce qui est souverainement honnête, utile et agréable. Or, c'est là précisément, autant toutefois que notre esprit peut le comprendre, l'objet de notre attente et la promesse qui nous est faite de voir la majesté de Dieu en nous, en sorte que Dieu sera tout en tous, c'est-à-dire sera tout à la fois pour nous, l'agréable, l'utile et l'honnête.

SIXIÈME SERMON POUR LA VEILLE DE NOËL
L'Annonciation de Jésus-Christ.

1. Nous avons entendu un mot plein de grâce,une parole vraiment digne d'être bien reçue : "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda. n Mon âme s'est fondue d'aise en l'entendant, mon coeur est embrasé dans ma poitrine, il a hâte de vous faire part de son bonheur et de son allégresse, et de répondre ainsi à vos désirs habituels. Jésus signifie Sauveur: Est-il rien de plus nécessaire qu'un Sauveur à des hommes qui sont perdus, de plus désirable à des gens dans le malheur et de plus utile à quiconque est dans un état désespéré. En effet, sans lui d'où attendre le salut, ou plutôt comment en concevoir même la plus faible espérance sous la loi du péché, dans ce corps de mort, dans ces jours mauvais et dans ce séjour d'affliction, si elle ne renaît inopinément pour nous ? Ainsi peut-être désirez-vous faire votre salut, mais, pénétrés de la gravité du mal qui vous ronge et de votre délicatesse, vous avez peur que le remède soit trop pénible à supporter. Ne craignez plus, le Christ est on ne peut plus doux et aimable, il est plein de miséricorde, et Dieu l'a sacré d'une huile de joie en une manière plus excellente que tous ceux qui participeront à sa gloire, c'est-à-dire que ceux qui recevront au moins une partie de sa plénitude, sinon la plénitude même de l'huile de son sacre. Mais en m'entendant dire qu'il est doux, n'allez pas croire qu'il est inefficace, car le Sauveur est en même temps le Fils de Dieu. Or, tel Père tel Fils, il n'a qu'à vouloir pour pouvoir. Ou bien peut-être encore à ce mot d'un Sauveur aussi utile qu'aimable, murmurez-vous je ne sais quoi et parlez-vous de condescendance. Pour ce qui vous regarde, vous êtes heureux d'avoir un Sauveur, parce que vous êtes cloués par la paralysie sur votre grabat, ou même étendus à demi-mort au milieu de la route qui va de Jérusalem à Jéricho; vous vous sentez même d'autant plus heureux que ce médecin est doux, ne fait point usage de médecines difficiles à prendre ; autrement, peut-être auriez-vous mieux aimé demeurer toujours malades que de vous voir guérir en peu de temps, mais à condition de suivre un traitement bien pénible. Car il y en a beaucoup de nos jours qui périssent parce qu'ils fuient le médecin; ils ne le connaissent que sous le nom de Jésus, mais ne savent point qu'il est le Christ et ne jugent de la difficulté du remède qui leur est préparé que par le sentiment qu'ils ont du nombre et de la malignité des maladies dont ils sont atteints.

2. Mais si vous êtes sûr d'avoir un Sauveur et si vous savez en même temps qu'il est Christ, et ne se sert point de caustique, mais de baume, non du feu, mais de l'huile; je crois qu'il peut encore y avoir une préoccupation dans l'esprit d'une créature de noble origine, c'est que peut-être, ce qu'à Dieu ne plaise, la personne de ce Sauveur ne soit pas digne d'elle. Mais je ne puis croire que vous soyez assez ambitieux, assez vaniteux, ni assez soucieux du point d'honneur pour ne vouloir point au besoin être guéri, même par un de vos compagnons d'esclavage s'il pouvait vous rendre la santé. Si c'était un ange, un archange ou quelqu'un des esprits célestes d'un, rang plus élevé encore, peut-être votre vanité ne trouverait-elle plus rien à dire. Recevez donc ce Sauveur avec d'autant plus d'empressement que Jésus-Christ, le Fils de Dieu, a reçu un nom plus grand que tous les autres noms. Voyez, en effet, si ce ne sont pas là les trois choses que l'ange qui parla aux bergers de Bethléem, leur recommande clairement, quand, en leur annonçant la bonne et grande nouvelle, il leur dit : "Il vous est né aujourd'hui un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur (Luc. II, 11)." Réjouissons-nous donc, mes frères, félicitons-nous vivement de cette naissance, que signalent d'une manière si éclatante à nos yeux, l'utilité que nous en tirons pour notre salut, la douceur du remède qui consiste en une onction et la majesté du Fils même de Dieu, et qui nous donne tout ce que nous pouvons souhaiter le plus ardemment, l'utile, l'agréable et l'honnête. Oui, réjouissons-nous, vous dis-je, repassons en nous-mêmes et redisons-nous mutuellement cette suave parole, ce mot plein de' douceur : "Jésus-Christ, le Fils de Dieu, naît à Bethléem de Juda.

3. Et que personne ne me dise avec aussi peu de piété que de reconnaissance et de religion : cela n'est pas nouveau; c'est jadis que cette parole s'est fait entendre, il y a bien longtemps qu'on l'a dite pour la première fois, et que le Christ est né. Je suis de votre avis; il y a longtemps qu'on l'a prononcée, elle l'a été bien avant nous, ne vous étonnez pas de m'entendre dire qu'il y a bien1ongtemps, et qu'elle a été prononcée bien avant nous, car je me rappelle ces paroles du Prophète : " Elle est de toute éternité et depuis plus longtemps encore (Exod. XX, 18). " Oui, le Christ est né, non pas seulement avant ce siècle où nous vivons, mais avant tous les temps, sa naissance se perd dais la nuit des temps, ou plutôt dans la lumière inaccessible, dans le sein du Père, sur une montagne couverte d'ombre et de ténèbres épaisses. Or, c'est pour se faire connaître qu'il est né, mais qu'il est né dans le temps, de la chair et dans la chair, que le Verbe s'est fait chair. Faut-il s'étonner après cela qu'aujourd'hui encore l'Eglise, en parlant de celui dont il était dit si longtemps avant sa naissance . " Un enfant nous est né ( Isa. IX, 6), " dise aussi il est né? Cette parole a retenti autrefois à l'oreille des saints qui ne se sont -jamais lassés de l'entendre. D'ailleurs il s'agit de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, hier, aujourd'hui et toujours. C'était sans doute pour exprimer ce grand mystère que l'Apôtre nous a plus tard. si clairement montré dans le Christ et son Eglise, que le premier homme, notre père à tous, a dit : " L'homme abandonnera son père et sa mère, pour s'attacher à sa femme, et de deux qu'ils étaient ils deviendront une seule chair (Ephes. V, 31 et Gen. II, 24)."

4. Mais voilà aussi pourquoi Abraham, le père des croyants, a vivement désiré voir ce jour et l'a vu en effet (Joan. VIII, 56). Et quand il ordonna à son serviteur de placer sa main sous sa cuisse et de lui faire serment au nom du Dieu du ciel, certainement il prévoyait que ce Dieu du ciel devait naître de lui un jour. Ce même Dieu qui, en disant à l'homme selon son coeur. " J'établirai sur votre trône le fruit de votre ventre (Psal. CXXXI, 11), " faisant avec serment une promesse pleine de vérité, dont il ne devait point être frustré, avait initié David au secret de ses desseins, et c'est évidemment pour l'accomplissement des promesses faites à nos pères que, selon ce que l'ange annonce, il est né à Bethléem de Juda, la cité de David. Il avait été annoncé autrefois à nos pères et aux prophètes, en diverses occasions et de diverses manières, qu'il en serait ainsi. Loin de nous la pensée que ces oracles aient été froidement entendus par les amis de Dieu. Certainement, celui qui s'écriait: "Envoyez, Seigneur, celui que vous devez nous envoyer (Exod. IV, 13), " ne les avait point entendus d'une oreille distraite; et celui, qui disait: " O Seigneur, si vous vouliez ouvrir les cieux et eu descendre (Is. LXIV, 1), " ne les avait point non plus entendus avec indifférence. Je pourrais en dire autant de beaucoup d'autres encore. Vinrent ensuite les apôtres qui virent de leurs yeux, entendirent de leurs oreilles, et touchèrent de leurs mains le Verbe de vie, qui leur disait avec raison: Bienheureux les yeux qui voient ce qu'il vous est donné de voir (Matth. XIII, 16). " Enfin, les mêmes merveilles nous ont été réservées à nous autres chrétiens, mais dans les trésors de la foi, et c'est pour nous qu'il a dit encore. " Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru (Joan. XX, 29). " Voilà notre part dans la parole de vie. N'allez point la trouver méprisable, car c'est de la foi qu'on vit, et c'est par elle qu'on vainc le monde; il est dit en effet, le juste vit de la foi (Abac. II, 4), et la victoire par laquelle le monde est vaincu, n'est le fait que de notre foi (I. Joan. V, 4). Oui, semblable à l'éternité, elle renferme dans les vastes replis de son sein, le passé, le présent et l'avenir, en sorte que pour elle, rien n'est passé, rien ne passe, rien ne la dépasse.

5. C'est donc avec raison qu'en témoignage de votre foi, dès que cette nouvelle retentit à vos oreilles, vous avez tressailli d'allégresse, vous vous êtes répandus en actions de grâce, vous vous êtes prosternés jusqu'à terre tous ensemble, comme pour vous réfugier, pleins d'espérance, à l'ombre de ses ailes, et vous cacher jusque dans ses plumes. En apprenant que le Sauveur est né, ne vous êtes-vous point écriés tous au fond de vos coeurs : "Pour moi, mon bonheur est de demeurer attaché a Dieu (Psal. LXXII, 28) ? " Ou plutôt, n'avez-vous point dit avec le prophète : " O mon âme, soyez soumise à votre Dieu (Psal. LXI, 6) ? " O que je plaindrais ceux qui ne se prosternant qu'en apparence, ont abaissé leur corps eu conservant leur coeur toujours orgueilleusement levé, car " Il y en a qui s'humilient malicieusement et qui ont le fond du coeur plein de tromperie (Eccli. XIX, 23). " Je les plaindrais, parce que ceux qui n'ont point suffisamment arrêté leurs regards sur leur misère, sentent moins vivement leurs maux, redoutent moins le danger qui les menace, ont recours avec moins de piété, aux remèdes que leur assure le Sauveur en naissant, se soumettent avec moins d'amour à Dieu et chantent avec une foi moins vive: " Seigneur, vous êtes notre refuge (Psal. LXXXIX, 1), " leurs hommages sont moins agréables, leurs prosternements moins sincères, leurs humiliations moins humbles, leurs victoires moins complètes et leur foi beaucoup moins vive. Mais pourquoi dit-il : " Bienheureux ceux qui n'ont point vu et ont cru (Joan. XX, 29). " Est-ce que croire n'est pas une manière de voir? Remarquez bien à quiet dans quelle circonstance il parlait ainsi; c'était à l'Apôtre qui n'avait cru que parce qu'il avait vu. Il est évident qu'il y a une différence, entre croire parce qu'on a vu, et voir en croyant. D'ailleurs, de quelle manière faut-il penser que votre père Abraham a vu le jour du Seigneur, si ce n'est par la foi ? Mais comment faut-il aussi entendre ces paroles que vous chantiez cette nuit: "Sanctifiez-vous aujourd'hui et tenez-vous prêts, car demain vous verrez la majesté de Dieu au milieu de vous, " si ce n'est pas synonyme de voir en esprit, de se représenter par la piété et la dévotion, d'honorer, par une foi non feinte, ce grand mystère de charité de Jésus-Christ, qui s'est manifesté dans la chair, a été justifié dans l'esprit, a apparu aux anges, a été prêché aux nations, a été cru de l'univers et s'est élevé au ciel plein de gloire.

6. Ce qui renouvelle sans cesse nos pensées est toujours nouveau, et ce qui ne cesse de porter ses fruits sans jamais se faner, n'est jamais vieux. Or, tel est le saint auquel il est donné de ne point connaître la corruption, tel est l'homme nouveau qui, bien loin d'être capable de vieillir, rend une vraie jeunesse pleine de vie, à ceux-mêmes, qui ont vieilli jusque dans la moëlle de leurs os. Voilà pourquoi, dans la joyeuse nouvelle qui nous est annoncée aujourd'hui, il est dit, si vous l'avez remarqué, non pas il est né, mais il naît : " Jésus-Christ, le fils de Dieu, naît à Bethléem, de Juda. " De même que tous les jours, il s'immole encore d'une certaine manière, tant que nous annoncions sa mort, ainsi semble-t-il naître tant que nous représentons, parla foi, sa naissance. Demain donc, nous verrons la majesté de Dieu, mais en nous, non pas en lui: c'est-à-dire, sa majesté dans l'humilité, sa force dans la faiblesse, Dieu dans l'homme; car il est l'Emmanuel; en d'autres termes, le Dieu en nous. Mais écoutez encore, les mots sont plus clairs : " Le Verbe, est-il dit, s'est fait chair, et il a habité parmi nous (Joan. I, 14). " Aussi, depuis lors et toujours, nous avons vu sa gloire, mais une gloire telle qu'il convient au Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Ce n'est pas la gloire de la puissance ou de la splendeur du Père. Mais la gloire de la bonté du Père, la gloire de la grâce que nous avons vue, cette gloire dont l'Apôtre a dit: " Afin que la louange en soit donnée à la gloire de sa grâce (Ephes.1,6). ".

7. Ainsi donc il naît; mais où pensez-vous que ce soit? " A Bethléem de Juda (Luc. II,15), " il ne faut pas en effet chercher ailleurs, car les bergers ne disent point: allons au-delà de Bethléem, mais "passons à Bethléem. " Eh quoi, n'est-ce point une pauvre petite bourgade ? N'est-ce point la moindre des villes de Juda 2 Oui, mais il n'y a rien là d'indigne de celui qui de riche s'est fait pauvre pour nous, de Seigneur plein de grandeurs et de gloire est devenu pour nous un tout petit enfant ; de celui enfin qui disait : "Bienheureux les pauvres d'esprit parce que le royaume des cieux est à eux (Matth. V, 3), " et " si vous ne vous convertissez et ne devenez comme ce petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. XVIII, 8)." Aussi fit-il choix d'une étable et d'une crèche, d'une maison de terre, d'un abri construit pour des animaux, afin que nous sachions bien qu'il est celui qui élève le pauvre de dessus son fumier, et qui sauve les hommes et les bêtes.

8. Plaise à Dieu que nous soyons la Bethléem de Juda et que le Seigneur nous fasse la grâce de naître en nous et de nous dire : " Puisque vous craignez le Seigneur, le Soleil de justice naîtra au milieu de vous (Malach. IV, 2) ! " Peut-être les paroles que nous citions plus haut signifient-elles que pour voir la majesté de Dieu en nous, nous avons besoin en même temps de nous sanctifier et de nous tenir prêts. En effet, selon le prophète " la Judée devint sa sanctification (Psal. CXIII, 2), " attendu que la confession purifie tout. Quant au nom de Bethléem, qui veut dire la maison du pain, il me semble qu'il est mis là pour signifier la préparation. En effet, comment celui, qui dit " Je n'ai pas de pain à la maison (Is. XXXI, 7), " serait-il prêt pour recevoir un ami? N'est-ce point parce qu'il n'était pas prêt que l'homme de l'Évangile fut contraint d'aller au milieu de la nuit frapper à la porte de son ami en disant : " Un de mes amis qui est en voyage vient de m'arriver et je n'ai rien à lui donner (Luc. XI, 6) . " C'était sans doute du juste que parlait le Prophète, quand il disait : " Il a toujours le coeur prêt à espérer dans le Seigneur; et comme il est fortement affermi dans cette espérance, il ne sera point ébranlé (Psal. CXI, 8). " On ne peut donc pas regarder comme étant prêt, un coeur qui a oublié de manger son pain, il n'a même plus de sang; au contraire, celui qui oublie le passé pour ne plus songer qu'à ce qui est placé devant ses yeux et au but auquel il tend, est vraiment tout prêt, il n'est point troublé et peut garder les commandements qui donnent la vie. Vous voyez qu'il y a deux oublis, l'un qu'on doit fuir, et l'autre qu'on doit désirer, de même que s'il y eut une partie de la tribu de Manassé qui passa le Jourdain, il y en eut une aussi qui resta sur la rive opposée. Il y en a qui oublient le Seigneur qui les a créés, et il y en a qui l'ont sans cesse présent aux yeux de leur pensée, oubliant leur peuple et la maison même de leur père; les premiers oublient le ciel, les seconds, la terre; ceux-là, le présent, ceux-ci, l'avenir; les uns ce qui se voit, les autres les choses invisibles; enfin, les premiers s'oublient eux-mêmes, les seconds oublient Jésus-Christ. Ce sont les deux demi-tribus de Manassé, ayant l'une et l'autre chacune son oubli, mais fane oublie Jérusalem, l'autre, Babylone; l'une oublie ce qui peut la retenir, elle est prête; l'autre au contraire oublie ce qui peut lui être utile et dont elle ne devrait jamais perdre le souvenir; celle-là n'est pas prête pour voir la majesté de Dieu en soi. Car ce n'est point la maison du pain où le Sauveur doit naître, et ce n'est pas le Manassé à qui doit apparaître celui qui est le chef d'Israël, et qui s'assied sur les Chérubins (Psal. LXXIX, 2), selon ces paroles du Prophète : " Apparaissez, Seigneur, devant Ephraïm, Benjamin et Manassé (Ezech. XIV. 14). " Je pense que ces trois tribus représentent ceux qui sont sauvés, les mêmes qu'un autre prophète désigne sous les noms de Noé, Daniel et Job, et que rappellent ces trois bergers à qui l'ange annonça la grande et bonne nouvelle de la naissance de l'Ange du grand conseil.

9. Peut-être aussi les trois mages signifient-ils aussi ceux qui viennent non plus seulement de l'Orient, mais aussi de l'Occident, pour s'asseoir avec Abraham, Isaac et Jacob. En effet, ce n'est peut-être point s'éloigner du sens des mots que de rapporter Ephraïm, qui signifie fructification, à l'offrande de l'encens, attendu que c'est à ceux que Dieu a établis pour aller et pour produire des fruits, c'est-à-dire aux pasteurs de l'Eglise, d'offrir de l'encens pour être un holocauste d'agréable odeur. Quant au mot Benjamin, le fils de la droite, il doit offrir l'or, c'est-à-dire la substance de ce monde, en sorte que le peuple fidèle, placé à la droite du juste juge, s'entende dire de sa bouche : " J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, etc. (Matth. XXV, 35). " Pour ce qui est de, Manassé, si toutefois il veut être celui à qui Dieu apparaît, il offrira la myrrhe de la mortification, qui, selon moi, est particulièrement le fruit de notre profession. Ce que je dis, afin que nous n'appartenions point à cette demi-tribu de Manassé, qui s'est fixée au-delà du Jourdain, et qu'oubliant ce qui est derrière nous, nous dirigions toutes nos pensées et tous nos efforts vers le but qui est placé devant nous.

10. Mais revenons à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Comme je vous l'ai déjà dit, Bethléem signifie la maison du pain, il est donc bon pour nous de nous y trouver. Là où est le Verbe de Dieu, ne peut manquer de se trouver en même temps le pain qui fortifie le coeur, selon ces paroles du Prophète: " Fortifiez-moi par vos paroles (Psal. CXVIII, 28). " Après tout, l'homme vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, il vit en Jésus-Christ et Jésus-Christ vit en lui. C'est là qu'il vit, là qu'il se manifeste ; or il n'aime point les coeurs inconstant et peu fermes, il n'aime que les coeurs solides et stables. Quiconque murmure, hésite, chancelle, songe à retourner à sa bauge et à son vomissement, quiconque nourrit la pensée de renoncer à ses voeux et à ses engagements, celui-là n'est pas une Bethléem, n'est pas la maison du pain; car il n'y a que la famine la plus intense qui puisse ainsi pousser un homme à descendre en Egypte, à faire paître les pourceaux et à envier les cosses dont on les nourrit, parce qu'il est loin de la maison de son père, loin de la maison du pain, de la maison où les mercenaires mêmes reçoivent du pain à discrétion. Le Christ ne naît donc point dans ces coeurs-là; ils manquent d'une foi forte qui est le vrai pain de vie, selon ces paroles de la sainte Ecriture : " Le juste vit de la foi (Abac. II, 4), " attendu que la vraie vie, qui n'est autre que Jésus même, n'habite que par la foi dans nos coeurs. D'ailleurs, comment Jésus peut-il naître en eux, comment le salut se lèverait-il pour eux, s'il est incontestablement vrai que celui-là seul qui " persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (Matth. X, 32) ? " Evidemment, on ne saurait trouver le Christ en eux et ce n'est pas d'eux qu'il a été dit : " Pour vous, vous avez reçu l'onction du Saint-Esprit (Joan. LXVI, 2). " On le voit bien à ce que leur coeur s'est desséché depuis le moment où ils ont oublié de manger leur pain. Mais ils ne con viennent pas davantage au Fils de Dieu qui est tel que son esprit n'a les yeux que sur les gens humbles, pacifiques et craignant ses paroles; il ne peut y avoir d'alliance possible entre l'éternité et une pareille inconstance, en celui qui est par excellence et celui qui n'est pas deux instants de suite dans le même état. Mais d'ailleurs quelque fermes et quelque forts que nous soyons dans la foi, quelque bien disposés et quelque pourvus de pains que nous nous trouvions, grâce à celui à qui nous disons tous les jours . " Donnez-nous aujourd'hui :notre pain de chaque jour (Matth. VI, 14), " nous devons encore ajouter à notre prière, " pardonnez-nous nos offenses " car si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (I. Joan. I, 8). " Or la vérité c'est précisément celui-là même qui naît non pas simplement à Bethléem mais à Bethléem de Juda, c'est-à-dire Jésus-Christ, le Fils de Dieu.

11. Hâtons-nous donc de nous présenter devant le Seigneur pour confesser ses louanges, de nous sanctifier et de nous tenir prêts, afin d'être trouvés des Bethléems de Juda et de mériter de voir naître le Seigneur en nous. Mais s'il se trouve une âme, ce qui nous intéresse beaucoup, une âme, dis-je, qui en soit venue au point d'être une vierge féconde, une étoile de la nuit; une âme pleine de grâce, sur laquelle le Saint-Esprit descende, je pense que le Christ daignera naître non-seulement en elle mais d'elle. Sans doute nulle âme ne peut penser cela de soi, à moins qu'il ne l'ait comme désignée lui-même du doigt, en disant. " voici quelle est ma mère, et quels sont mes frères (Matt. XII, 49). " Mais écoutez pourtant un de ceux que le Sauveur désignait en parlant ainsi; " Mes petits enfants, dit-il, vous pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Gal. IV, 19). " Si le Christ semblait naître en eux, quand le Christ était formé en eux, comment pourrait-on dire qu'il ne naît pas de même de celui qui, en un certain sens, sentait de nouveau les douleurs de l'enfantement en eux? Mais toi-même, Synagogue impie, c'est toi qui nous as mis cet enfant au jour, sinon avec les sentiments du moins avec la fécondité d'une mère. Tu l'as rejeté de ton sein, tu l'as fait sortir de tes murs, et, l'élevant entre le ciel et la terre, il semble que tu as dit à l'Eglise des nations et à l'Eglise des premiers nés qui sont dans le ciel : ni vous, ni moi ne l'aurons, qu'on le coupe par la moitié, ou plutôt qu'on le partage non pas pour que- nous en ayons chacun notre part, mais pour que nous en soyons également privées. En effet, après l'avoir chassé de ton sein, tu l'as ensuite pris en tes mains et élevé en l'air; mais tu ne l'as éloigné et élevé que dans la mesure nécessaire pour qu'il ne fût plus dans ton enceinte, et qu'il ne touchât plus à la terre; puis tu l'as environné de fer, pour l'empêcher de s'écarter d'un côté ou de l'autre. Tu voulus que, séparé de toi, il n'appartint ni à l'une ni à l'autre Eglise. O mère cruelle, tu as voulu qu'il fût comme un enfant né avant le terme, en empêchant que personne le reçût à sa naissance. Eh bien, vois maintenant à quoi tu as réussi, ou plutôt vois que tu n'as réussi à rien. Toutes les filles de Sion sortent de leur demeure pour voir leur roi Salomon couronné du diadème que tu lui as mis sur la tête. Et lui, quittant sa mère, il s'est attaché à son épouse, pour ne plus faire qu'un avec elle en une seule chair. Chassé de ton enceinte et élevé de terre, il attire tout à lui, car il est le Dieu béni par dessus tout dans les siècles des siècles, ainsi soit-il.

Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/

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