PREMIER SERMON.
" Celui qui a établi sa demeure dans l'assistance du Très-Haut,
reposera en sûreté sous la protection du Dieu du ciel (Psal. XC, 1)."
1. Il sera, plus facile de connaître ce qu'il faut
entendre par ceux qui demeurent dans l'assistance de Dieu, en considérant quels
sont ceux qui ne s'y trouvent point établis. Or, il y a trois espèces d'hommes
qui sont dans ce dernier cas : ce sont ceux qui n'espèrent pas, ceux qui
désespèrent, et enfin ceux qui espèrent, mais en vain. En effet, on ne saurait
avoir établi sa demeure dans l'assistance de Dieu, quand off ne voit point en
Dieu son appui, et qu'on le place au contraire dans ses propres forces et dans
la multitude de ses richesses. En effet, on m'entend point alors la voix du
Prophète qui dit : et Recherchez le Seigneur pendant qu'on peut le trouver, et
invoquez-le pendant qu'il est proche (Isa. LV, 6). " Celui qui ne cherche que
les choses temporelles envie le!, bonheur des méchants, en voyant la paix dont
ils jouissent, et s'éloigne de l'assistance du Très-Haut, attendu qu'il ne croit
pas en avoir besoin pour se la procurer. Mais pourquoi entreprendrai-je de
juger, ici ceux qui ne sont point des nôtres (I Cor. V, 12) ! Ce que je crains,
c'est qu'il s'en trouve parmi nous qui n'aient point établi leur demeure dans
l'assistance du Très-Haut, parce qu'ils se reposent sur leur propre force et sur
la multitude de leurs richesses. Peut-être ont-ils une certaine ferveur,
peut-être sont-ils fortement adonnés à la pratique des veilles, des jeûnes, du
travail et d'autres observances du même genre, et pensent-ils s'être acquis
depuis longtemps de grands trésors de mérites, et, pleins de confiance en ces
richesses, se montrent moins retenus pas la crainte de Dieu, plus faciles à se
laisser aller, avec une dangereuse sécurité, à l'oisiveté et à la curiosité, aux
murmures, aux détractions et aux critiques. Assurément, si ceux-là avaient
établi leur demeure dans l'assistance du Très-Haut, ils veilleraient davantage
sur eux, et craindraient d'offenser celui dont ils sentiraient qu'ils ont tant
besoin. En effet, ils devraient d'autant plus appréhender de déplaire à Dieu et
le craindre, qu'ils auraient reçu de lui plus de grâces. Car nous ne saurions
conserver sans lui ce que nous ne pouvons tenir que de lui. Au contraire, et je
ne puis le voir et le dire sans douleur, il y en a, beaucoup qui, après s'être
montrés assez timorés et assez soucieux de leur âme, dans les premiers temps de
leur conversion, jusqu'au jour de leur profession religieuse, commencent alors à
se conduire comme s'ils se disaient : Pourquoi nous astreindrions-nous à un plus
long service, puisque nous avons reçu maintenant tout ce qu'il doit nous donner,
au lieu de se sentir embrasés d'une plus grande ardeur, selon ce qui est dit
"Ceux qui me mangent auront encore faim de moi (Eccl. XXIV, 29)? " O si vous
saviez combien peu de chose est ce que vous avez, et combien vite vous pouvez le
perdre, si celui qui vous l'a donné ne se charge point de vous le conserver! Ces
deux pensées doivent nous rendre bien inquiets en même temps que bien soumis à
Dieu, si nous ne voulons pas être du nombre de ceux qui n'ont point établi leur
demeure dans l'assistance du Très-Haut, parce qu'ils ne croient pas que cela
leur soit nécessaire. Tels sont ceux dont je dis : ils n'espèrent point dans le
Seigneur.
2. Il y en a aussi qui désespèrent; ce sont ceux
qui, considérant leur propre faiblesse, manquent de courage, et succombent sous
le poids de la faiblesse de l'esprit; ayant établi leur demeure dans leur chair
et tout entiers à leur propre infirmité, ils sont en état de vous raconter, sans
s'arrêter, tout ce qu'ils souffrent, car l'esprit constamment fixé sur un objet
l'expose sans hésiter. Ainsi on n'a point établi sa demeure dans l'assistance du
Très-Haut, et on ne tonnait point cette assistance, quand' on ne saurait
s'élever assez haut même pour y songer. Il y en a bien qui espèrent en Dieu,
mais dont l'espérance est vaine, attendu qu'ils se flattent de cette espérance
en sa miséricorde infinie, pour ne point se corriger de leurs défauts. Cette
espérance est tout à fait vaine, et ne peut que les confondre, attendu qu'elle
n'est point accompagnée de la charité. C'est à eux que le Prophète (a) s'adresse
quand il dit: " Maudit soit celui qui pèche dans l'espérance du pardon, et qu'un
autre Prophète (Psal. CXCVI, 11) pensait lorsqu'il s'exprimait en ces termes : "
Le Seigneur se complaît dans ceux qui le. craignent, et dans ceux qui espèrent
en sa miséricorde. " Avant de dire " et dans ceux qui espèrent en sa
miséricorde, " il a soin de nous parler " de ceux qui le craignent. " C'est
qu'en, effet on, espère en vain, on rend, dis-je, sa foi complètement nulle
quand on rejette la grâce par le mépris qu'on en fait.
3. Des trois sortes d'hommes dont je viens de
parler,, il n'y en a donc point qui aient établi leur demeure dans l'assistance
du Très-Haut. Les premiers l'ont établie dans leurs propres mérites, les seconds
dans leurs peines et les troisièmes dans leurs vices. Cette dernière demeure est
pleine d'immondices, la seconde, de,trouble, et la première de périls et de
folie. En effet, qu'y a-t-il de plus insensé que de fixer sa demeure dans une
maison; à peine commencée? Vous croyez peut-être l'avoir achevée? mais n'est-il
point dit : quand l'homme est arrivé à la fin, il ne fait que commencer (Eccl.
XVIII, 6) ? D'ailleurs, une telle habitation menace ruine à chaque instant , et
ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce n'est pas de l'habiter, mais de la
nettoyer et de la consolider. La vie présente n'est-elle point incertaine et
fragile? Tout ce qui se fonde sur elle est donc nécessairement semblable à elle
: car personne ne saurait penser qu'on peut construire solidement sur un
fondement sans solidité. Or, si la demeure de ceux qui mettent leur confiance en
leurs propres mérites est ruineuse, il s'ensuit nécessairement qu'elle est
pleine de dangers. Quant à ceux qui s'abandonnent au désespoir à la vue,de leurs
propres, faiblesses, ils ont établi leur demeure dans une maison pleine de
trouble, ils habitent au milieu même des tourments. En effet, en même temps
qu'ils sont en proie à des peines qui les rongent, le jour et la nuit, ils sont
bien plus tourmentés encore par les maux qu'ils ne voient point, en sorte qu'on
ne saurait dire que, pour eux, à chaque jour suffit sa peine; ils sont accablés
par des maux qui ne leur arriveront même peut-être jamais. Est-il tourments plus
insupportables? Peut-on imaginer un enfer plus intolérable ? Surtout si ou
songe, qu'au sein de tant de maux ils ne sont pas même soutenus par la
manducation du pain du ciel. Ces derniers-là n'ont donc point établi leur
assistance dans la demeure du Très-Haut, parce qu'ils sont tombés dans le
désespoir. Quant aux premiers, ils ne cherchent point cette assistance, parce
qu'ils n'en, sentent point la nécessité pour eux. Mais les derniers ne sont loin
de Dieu que parce qu'ils ne recherchent son assistance que d'une manière qui ne
la leur fera jamais trouver. Ceux-là seuls ont établi leur demeure dans
l'assistance divine, qui n'ont qu'un désir, obtenir cette assistance, qu'une
crainte, venir à la perdre. Toutes leurs pensées, tous leurs
soins, toute leur sollicitude est là,
c'est, pour eux, toute la piété, tout le culte de Dieu. Ah! bienheureux
certainement celui qui a établi ainsi sa demeure dans l'assistance du Très-Haut,
attendu qu'il restera dans la protection du Dieu du ciel. Qu'y a-t-il parmi
toutes les choses qui sont sous le Ciel, qui puisse nuire à celui que le Dieu du
ciel a résolu de protéger et de conserver? Or, il n'y a que sous le ciel que se
trouve ce qui peut nous nuire. En effet, c'est là que sont les jouissances
invisibles de l'air, le siècle présent avec sa corruption, et la , chair qui est
en révolte contre l'esprit.
4. C'est donc avec infiniment de raison, que le
Prophète a dit : " Ceux-là resteront dans 1a protection du Dieu du Ciel, " soit
parce qu il n'est rien sous le ciel que puisse craindre celui qui a le bonheur
d'être sous cette protection, soit aussi parce que, comme continue le Psalmiste
dans le verset suivant : " Celui qui a établi sa demeure dans l'assistance du
très-Haut, reposera en sûreté sous la protection du Dieu du ciel, et dira au
Seigneur : Vous êtes mon asile (Psal. CX, 1, 2)." En sorte que ces mots "il
reposera en sûreté sous la protection du Dieu du Ciel, " sont la conséquence et
l'explication de ceux qui précèdent : " Celui qui a établi sa demeure dans
l'assistance du Très-Haut. " Peut-être faut-il voir encore dans les deux parties
de ce verset, un avis qui nous est donné, de ne pas seulement rechercher le
secours qui nous est nécessaire pour faire le bien, mais aussi la protection
dont nous avons besoin pour être délivrés du mal. Il faut encore remarquer que
le Prophète dit : " Il reposera sous la protection, " non point en la présence
de Dieu. Les anges sont plongés par cette présence dans des transports de
bonheur ; plaise à Dieu que je puisse me reposer sous sa protection. Pour eux,
ils sont heureux en sa présence, poissé-je être en sûreté sous sa protection ! "
Sous la protection du Dieu du ciel, " dit le Prophète. C'est que si personne ne
doute qu'il soit partout, cependant il est au ciel d'une telle manière que, en
comparaison, il semble n'être point sur la terre. Voilà pourquoi encore nous
disons dans: la prière : " Notre Père qui ôtes aux cieux. " Il en est de même de
notre âme , bien qu'elle soit présente dans le corps tout entier, cependant elle
semble l'être d'une manière plus excellente et plus spéciale dans la` tète, où
tous les sens de l'homme se trouvent réunis, tandis que dans le reste du corps,
il n'y a qu'nnseu1 organe, celui du toucher, attendu qu'elle s'y trouve d'une
telle façon, qu'il semble qu'elle gouverne plutôt qu'elle n'habite le reste du
corps. De même, en comparaison de la présence de Dieu, dont les anges ont le
bonheur de jouir dans le ciel, il semble à peine que la protection de Dieu dont
nous jouissons, mérite ce nom. Heureuse pourtant l'âme qui a le bonheur d'être
soue cette protection, car elle peut, dire au Seigneur : " Vous êtes mon asile."
Mais réservons l'explication de ce verset pour un autre sermon.
SECOND SERMON
" Il dira au Seigneur, vous êtes mon soutien, mon asile et mon refuge (Psal. XC,
2). "
1. Le Prophète dit donc : " Celui qui a établi sa
demeure dans l'assistance du Très-Haut,, dira au Seigneur, vous ôtes mon soutien
et mon refuge : il est mon Dieu et j'espérerai en lui. " C'est en témoignage de
sa reconnaissance qu'il s'exprimera ainsi, qu'il chantera les louanges du
Seigneur, et exaltera sa miséricorde, à cause de la double assistance qu'il
reçoit. En effet, celui dont la demeure est encore dans l'assistance de Dieu,
non dans son royaume, se trouve souvent dans la nécessité de fuir et fait
quelques chutes. Oui, dis-je, il se trouve clans la nécessité de fuir à la vue
de la tentation, tant qu'il n'a pas cessé d'habiter dans ce corps mortel; et
s'il lui arrive alors de retarder un peu le pas dans sa fuite, souvent il est
atteint et renversé, mais Dieu le reçoit. Il est donc notre refuge, lorsque
l'ennemi veut lapider notre paresse avec la fiente des boeufs, au pas lent et
paresseux, et il nous soustrait à la honte de cette- lapidation : il est notre
soutien, et place sa main au dessous de nous, dans nos chutes, de peur que nous
ne nous heurtions. Dès que la tentation assaille notre esprit, réfugions-nous
sans retard vers lui, et implorons humblement son secours. S'il arrive par
hasard, ainsi que cela a lieu quelquefois qu'elle nous saisisse, parce que notre
fuite n'a point été assez rapide, ne nous donnons de repos que lorsque le
Seigneur nous aura pris dans ses mains. Il est impossible, en effet , que les
hommes ne tombent point quelquefois tant qu'ils demeurent en ce monde, mais les
uns se brisent en tombant, et les autres ne se brisent point, parce que Dieu a
étendu sa main pour les recevoir dans leur chute. Mais comment pouvons-nous
discerner les premiers des seconds, afin de séparer les brebis des boucs et les
justes des pécheurs, à l'exemple du Seigneur (Matt. XXV, 32?) " Le juste, en
effet, tombe sept fois le jour (Prov. XXIV, 16)."
2. Or, il y a cette différence entre les chutes du
juste et celles du pécheur, que l'un, quand il tombe, est reçu par le Seigneur,
et se relève plus fort qu'auparavant, tandis que l'autre ne tombe que pour ne
plus se relever. Que dis-je, il tombe dans une mauvaise honte ou dans
l'impudence; ou bien il trouve le moyen d'excuser ce qu'il a fait, et le
sentiment de honte, qui lui fait trouver des excuses à son péché, est lui-même
une source de péché; ou bien il se fait un front de prostituée et, bien loin de
craindre Dieu ou les hommes, il publie son péché comme le faisait Sodome. Le
juste, au contraire, s'il tombe, est reçu dans les mains mêmes du Seigneur, et
c'est merveille de voir comme son, péché devient pour lui une source de justice.
" Nous savons, dit l'Apôtre, que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu
(Rom. VIII, 28). " En effet, ne tourne-t-elle point à notre avantage cette chute
qui nous rend plus humbles et plus vigilants ? Et n'est-ce point tomber sur les
mains de Dieu, que de tomber dans celles de l'humilité ? " J'ai été poussé, on a
fait effort pour me renverser (Psal. CXVII, 13), " dit le Prophète, mais celui
qui m'a poussé n'a rien gagné à me faire tomber, " car le Seigneur m'a reçu dans
ses mains. " L'univers peut dire à Dieu : vous êtes mon créateur; les animaux
peuvent ajouter : vous êtes notre pasteur, et tous les hommes peuvent s'écrier :
vous êtes notre rédempteur. Mais il n'y a que celui qui a établi sa demeure dans
. l'assistance du Très-Haut qui puisse lui dire : Vous êtes mon soutien. Aussi
ajoute-t-il " et vous êtes aussi mon Dieu. " Pourquoi ne dit-il point notre
Dieu? C'est parce que s'il est notre Dieu à tous, dans la création, dans la
rédemption et dans tous les autres bienfaits dont il comble sans distinction
tous les êtres, il n'y a pourtant que les élus qui aient chacun, en lui, comme
un Dieu particulier, au milieu de la tentation. En effet, il est si bien disposé
à les recevoir s'ils tombent, et,à leur servir de refuge s'ils fuient, qu'il,
semble oublier tous les autres, pour ne plus s'occuper que d'eux.
3. Toute âme doit donc songer que Dieu
non-seulement est à elle en particulier, mais de plus qu'il ne cesse d'avoir les
yeux ouverts sur elle. Qui pourra se négliger si nous ne cessons de penser que
Dieu nous regarde ? Et comment ne pas être porté à croire que Dieu est
particulièrement notre Dieu, si on le voit toujours tellement attentif à nous,
qu'il ne perde pas un seul instant de vue, non-seulement ce qui parait de nous
au dehors, mais encore ce qui se passe au fond de notre coeur, et qu'il voit et
juge non-seulement toutes nos actions extérieures, mais même les plus
imperceptibles mouvements de notre âme! Quiconque en est là peut s'écrier : " Il
est mon Dieu, et je mettrai mon espérance en lui. " Remarquez bien qu'il ne dit
point : j'ai mis ou je mets, mais " je mettrai mon espérance en lui. " C'est là
mon voeu, dit-il, c'est à ma résolution bien arrêtée, c'est l'intention de mon
coeur. Cette espérance est déposée au fond de mon âme et je demeurerai en elle.
"Je mettrai mon espérance en lui. " Je ne désespérerai donc point, je
n'espérerai pas non plus en vain, attendu que la malédiction est le partage de
celui qui pèche par défaut d'espérance, et de celui qui tombe dans le péché du
désespoir : Or, je ne veux point être du nombre de ceux qui n'espèrent point
dans le Seigneur. "J'espérerai en lui," dit le Prophète. Mais quel fruit
recueillerez-vous de cette espérance, quelle récompense en retirerez-vous, quel
profit vous en reviendra-t-il ? " C'est qu'il me délivrera du piège des
chasseurs et de la parole mordante de rues ennemis. " Mais, si vous le voulez
bien; nous réserverons l'explication de ces paroles pour un autre jour et pour
un autre sermon.
TROISIÈME SERMON
" Il est mon Dieu, je mettrai mon espérance en lui, parce qu'il m'a délivré du
piège des chasseurs,
et de la parole mordante de mes ennemis (Psal. XC, 3).
1. J'avoue, mes frères, que ces paroles : " Il m'a
délivré des filets des chasseurs, " me donnent une grande compassion de
moi-même, et me font avoir pitié de mon âme. Sommes-nous des bêtes? Oui, sans
doute, nous le sommes; car, " l'homme, dit le Prophète, étant élevé dans un état
glorieux, n'a point eu d'intelligence : il est devenu semblable aux animaux qui
sont privés de raison. " (Psalm. XLIII, 13)."
Certainement les hommes ne sont que des bêtes, des
brebis égarées qui n'ont point de pasteur. O homme, pourquoi t'enorgueillis-tu ?
Pourquoi tires-tu vanité d'un peu de connaissance que tu as? Considère donc que
tu es devenu semblable à ces animaux auxquels les chasseurs tendent des filets.
Mais, selon vous, quels sont ces chasseurs qui nous poursuivent ? Ils sont
infiniment méchants et injustes, infiniment habiles et cruels. Ils ne sonnent
pas du cor, comme les chasseurs ordinaires; mais ils s'abstiennent de faire du
bruit, afin de nous surprendre, et ils décochent leurs flèches en cachette
contre les simples et les innocents. Ils sont les maîtres des ténèbres de ce
siècle, et leur méchanceté est accompagnée de tant de subtilité, de tant
d'adresse et de tant d'artifices, que les plus habiles et les plus prudents des
hommes ne sont, en comparaison de ces dangereux ennemis, que comme les bêtes à
l'égard des hommes qui les poursuivent à la chasse; j'en excepte seulement le
petit nombre de ceux qui, avec l'Apôtre, connaissent et, sont capables de
prévoir leurs pensées et leur malice, et à qui la sagesse divine a donné la
puissance de découvrir les pièges des méchants. O vous qui ressemblez encore à
des plantes nouvelles et tendres, et qui n'êtes pas encore exercés et accoutumés
à faire le discernement du bien et du mal, je vous conjure de ne pas suivre le
jugement de votre coeur, et de ne point abonder en votre sens, de crainte que ce
chasseur si rusé et si artificieux' ne vous surprenne et ne vous trompe, parce
que vous n'avez pas encore toute l'expérience nécessaire pour vous tenir en
garde. Car, s'il tend assez ouvertement des filets et des piéges aux hommes du
siècle qui sont tout à fait animaux et charnels, parce qu'il est sûr de les
prendre très-facilement; pour vous, vous êtes prudents et semblables aux cerfs
qui tuent les serpents, et vous désirez vous désaltérer à la source de la vie;
ce redoutable chasseur n'emploie que les filets les plus subtils et les plus
imperceptibles, et il met en usage les plus artificieuses et les plus adroites
tromperies. C'est pourquoi je vous prie instamment. de, vous humilier sous la
main puissante du Dieu dont vous êtes les ouailles. Suivez avec soumission les,
conseils de ceux qui connaissent mieux que vous les artifices incroyables de ce
chasseur dont vous êtes poursuivis. Ils se sont éclairés et instruits far
l'exercice dans lequel ils vivent depuis longtemps, et par les fréquentes
expériences qu'ils ont faites en eux-mêmes et en beaucoup d'autres personnes.
2. Nous connaissons maintenant les chasseurs et la
proie dont le Prophète a voulu parler en ce verset, voyons à présent quels 'sont
les filets dont il parle. Je rie veux rien inventer de moi-même, ni vous
proposer quoique ce soit de douteux. Que l'Apôtre; nous montre lui-même quels
sont ces filets ; car il n'ignore pas quelles sont les pensées des chasseurs de
nos âmes. Dites-nous donc, grand Apôtre, quels sont les filets du diable, dont
l'âme fidèle se réjouit d'avoir été délivrée? " Ceux, dit-il, qui veulent
devenir riches en ce siècle, tombent dans les tentations et dans les filets du
démon (I Tim. VI, 9). " Les richesses de ce siècle sont-elles donc les piéges
que nous tendent les démons ? Hélas ! combien peu d'hommes peuvent se réjouir
d'en être entièrement délivrés, combien même au contraire s'affligent de ne s'y
pas voir assez engagés, et font tout ce qu'ils peuvent pour s'en envelopper, et
s'en embarrasser davantage ! Vous qui avez quitté toutes choses, et qui vous
êtes attachés à suivre le fils de l'Homme qui n'a pas ou reposer sa tète (Luc.
IX, 58), réjouissez-vous et écriez-vous : " Il m’a délivré du filet (les
chasseurs. " Rendez-lui de tout votre esprit, de toute votre âme, de toutes vos
forces, et du plus profond de votre coeur, les louanges et les actions de grâces
que vous lui devez, en répétant dans les transports de votre reconnaissance : "
Il m'a délivré du filet des chasseurs. " Et pour apprendre combien grand est ce
bienfait., et quels dons vous avez reçus de Dieu, écoutez ce qui suit : " Et il
m'a encore délivré de la parole mordante de mes ennemis. " O homme indigne de ce
nom, et qui mérites plutôt le nom de bêta, tu ne craignais donc point les filets
qu'on avait tendus pour te perdre. Crains au moins le coup qui te menace : " il
m'a délivré de paroles mordantes, " dit le Psalmiste: Quelles sont ces paroles
menaçantes et formidables, sinon celles de l'insatiable enfer criant : apportez,
apportez, frappez, déchirez, tirez au plus vite, hâtez-vous de les dépouiller ?
Quelle est cette parole terrible, sinon celle-ci : " Exterminons l'homme
méchant, afin qu'il ne puisse voir la gloire de Dieu (Isa. IX, 15). " Ces
paroles ne sont-elles pas semblables au cri que font entendre les chasseurs dans
leur joie d'avoir pris la bête qu'ils poursuivent? Enlevez-la, enlevez-la,
disent-ils; mettez-la à la broche, approchez-là du feu, plongez-la dans des
chaudières bouillantes. Ce fut par ces paroles mordantes que les Juifs cruels,
poursuivirent Notre-Seigneur , lorsqu'ils s'écrièrent : " Enlevez-le ,
enlevez-le,crucifiez-le (Joan, XIX, 15), O parole horrible ! impitoyable !
cruelle ! Leurs dents étaient véritablement alors des armes et des flèches, et
leur langue un glaive tranchant. Seigneur, vous avez entendu cette parole
mordante : pourquoi cela, Seigneur, sinon pour nous délivrer nous-mêmes de
paroles plus redoutables et plus accablantes encore ? Il était dans votre
excessive bonté que nous ne fussions pas dans la nécessité de souffrir ce que
vous avez daigné souffrir vous-même pour nous.
3. Les hommes du siècle, lorsque nous tâchons de
leur persuader de faire pénitence, nous répondent comme dans l’Évangile : "
Cette parole est bien dure (Joan. VI, 6). " Jésus-Christ parlait alors de
pénitence, mais en figure, ne voulant pas s'expliquer ouverte devant des hommes
à qui il n'était pas donné de connaître le mystère du royaume de Dieu. Lorsqu'il
leur dit : " Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez
son sang, vous n'aurez point la vie en vous (Joan. XIX,15)," ils lui
répondirent: "cette parole est dure, et aussitôt ils s'éloignèrent de lui."
Qu'est-ce que manger sa chair et boire son sang, sinon participer à ses
souffrances et imiter la vie qu'il amenée en sa chair? De sorte que l'adorable
sacrement de l'Autel dans lequel nous recevons le corps de Jésus-Christ, nous
apprend que comme les espèces et les apparences du pain entrent visiblement dans
notre corps , ainsi Notre-Seigneur entre visiblement en nous, par les sentiments
qui l'ont animé pendant qu'il vivait sur la terre, afin d'habiter et de vivre
par la foi dans nos coeurs. Car lorsque la justice entre dans nos âmes, c'est
celui qui a été fait notre justice, par le Père Eternel, qui entre véritablement
en nous : or, celui qui demeure en la charité, demeure en Dieu, et Dieu demeure
en lui (I Joan. IV, 16). Mais il y a bien des personnes qui nous disent, comme
les Juifs autrefois : cette parole est bien dure ! Est-il donc possible que l'on
trouve pénibles des peines qui; sont si légères, et qui, pour un moment de
souffrance,. nous l'ont mériter une gloire dont on ne saurait concevoir le prix,
et dont nous devons jouir éternellement (I Cor)? Est-ce une chose dure et
fâcheuse de racheter, par un travail extrêmement. court et léger, des supplices
et des tourments qui ne doivent jamais finir, et que nul esprit n'est capable de
comprendre? Vous trouvez ces paroles : " Faites pénitence, " insupportables.
Vous êtes dans une grande erreur : vous en entendrez un jour de vraiment
terribles, affreuses, effroyables. " Allez, maudits, dans le feu éternel (Matth.
XXV, 41). " Voilà les paroles que vous devez craindre et estimer insupportables.
Alors vous trouverez que le joug du Seigneur est doux, et que son fardeau est
léger. Si vous n'êtes pas encore capables de croire que ce joug est doux en
lui-même, au moins vous ne pouvez ignorer qu'il ne le soit extrêmement en
comparaison de ces terribles paroles.
4. Mais vous, mes frères, qui êtes libres comme
l'oiseau dans l'air et devant qui on jette des filets sans les pouvoir prendre ;
vous qui avez entièrement abandonné les richesses de ce siècle, pourquoi
craindriez-vous ces paroles formidables, puisque vous avez le bonheur d'être
sortis de ces peines? Vous êtes heureux, Idithum, ô vous pour qui le Psalmiste a
écrit quelques-uns de ses psaumes, vous êtes heureux d'avoir passé par dessus
ces filets sans y avoir été pris, et de n'être plus du nombre de ceux à qui on
doit adresser ces terribles paroles. Car à qui dira-t-on : " Allez maudits dans
le feu éternel, j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger (Matth. XXV,
41 )? " A qui, dis-je, 132 adressera-t-on ces paroles, sinon à ceux qui auront
possédé les richesses de ce monde? Vos coeurs, mes frères, ne sont-ils pas dans
une extrême allégresse en m'entendant parler ainsi? Ne sont-ils pas remplis
d'une joie toute sainte et toute spirituelle? Votre pauvreté ne vous est-elle
pas plus précieuse que tous les trésors du monde? Cette pauvreté, dis-je, qui
vous délivre de ces paroles de malédiction? Car comment Dieu peut-il exiger que
nous lui donnions des biens que nous avons abandonnés pour son amour? Et
néanmoins, vous ne laissez pas de les lui donner en effet, de nourrir et de
revêtir Jésus-Christ du fruit du travail de vos mains, en sorte qu'il ne manque
de rien. Rendez donc grâces à Dieu. Que chacun de vous soit dans des transports
de joie et s'écrie " Il m'a délivré du filet des chasseurs et de la parole
mordante de mes ennemis." Oui, réjouissez-vous, mais cependant que ce soit
encore avec tremblement. Je veux que vous soyez dans la joie, mais non pas que
vous pensiez être en sûreté. Ayez cette sainte joie que le Saint-Esprit répand
dans les âmes, mais soyez toujours dans la défiance et sur vos gardes, afin de
ne point retomber dans vos premières fautes.
5. Que pensez-vous avoir à craindre pour l'avenir?
Une chose seulement, mais une chose horrible, le péché dé Judas, le péché
d'apostasie. Vous avez eu le bonheur de prendre les ailes de la colombe, et de
vous envoler jusqu'à ce que vous ayez trouvé le repos; car, au lieu de repos, il
n'y avait pour vous sur la terre que travail, douleur, affliction d'esprit.
Qu'avons-nous donc à craindre pour ceux dont le vol est si élevé ? C'est qu'ils
s'arrêtent à regarder sur la terre quelque corps mort, on quelque autre pâture
semblable, dont les chasseurs se servent pour les attirer dans leurs filets , si
non qu'étant charmés par les objets (lue leur présentent les démons, ils ne se
jettent dans les piéges que leur ont dressés ces impitoyables chasseurs, et
qu'ils ne tombent dans un état bien plus déplorable que celui où ils étaient
avant leur conversion? Je vous assure, mes frères, que ce qu'il y a de plus à
craindre, c'est que ceux qui sont maintenant à Dieu ne retournent à leurs
vomissement, ou seulement par leurs désirs, ou môme parleurs actions. Nous
voyons dans l'Écriture-Sainte (Num. XIV, 3), que les enfants d'Israël, ne
pouvant retourner de corps en Egypte, parce que la mer Rouge, qui s'était
refermée derrière eux, leur barrait le passage, y retournèrent par le désir de
leur coeur. Chacun de nous, doit vivement appréhender d'en venir là et de
mériter, par ses fautes, que Dieu le rejette, et le vomisse ostensiblement de sa
bouche : ou si la honte l'empêche de tomber dans une apostasie extérieure et
manifeste, au moins, il doit craindre que la tiédeur ne le fasse tomber peu à
peu dans une apostasie intérieure et secrète, et que, sous l'habit religieux, il
n'ait un coeur mondain et n'embrasse les consolations du siècle autant qu'elles
se peuvent présenter dans notre condition; car nous ne sommes pas plus saints
que l'Apôtre qui craignait que, après avoir prêché aux autres, il ne fût
réprouvé lui-même (I Cor. IX, 27). Et nous devons demeurer dans cette crainte
jusqu'à ce que les filets de notre ennemi soient entièrement rompus, jusqu'à ce
que notre âme soit délivrée de ce corps. C'est pourquoi nous voyons clans
l'Écriture que les yeux prennent quelquefois les âmes comme une proie (Thren.
III, 51). Il n'est donc pas raisonnable que l'homme en cette vie, se croie en
sûreté, puisqu'il porte toujours avec lui le piège dont l'ennemi se sert pour le
perdre; mais il est bien préférable pour lui qu'il établisse sa demeure dans le
secours du Très-Haut, afin de se garantir par ce moyen de toutes les embûches
que l'ennemi lui prépare.
QUATRIÈME SERMON
"Il vous couvrira de ses ailes : et vous espérerez étant à couvert sous sel,
plumes (Psal. XC, 4). "
1. C'est avec raison que Dieu promet, dans ces
paroles, des bienfaits encore plus grands que les premiers, à celui qui le loue
avec humilité, et le remercié avec ferveur des grâces qu'il en a déjà reçues.
Car "celui qui sera trouvé,fidèle dans l'usage des moindres biens, méritera
qu'on lui en confie de beaucoup plus considérables (Matt. XXV, 33 ), " de même
que, celui qui n'est pas reconnaissant des biens qu'il a déjà, reçus, est
indigne d'en recevoir d'autres. C'est pourquoi l'Esprit de Dieu; répond si
favorablement à cette fervente reconnaissance, en disant Dieu, non content de
vous délivrer des périls qui vous menaçaient, aura encore la bonté "de vous
couvrir de ses ailes. " Je crois que nous devons entendre par ces ailes deux
promesses de Dieu, l'une de secours pour la vie présente, et l'autre de biens
que nous recevrons dans la vie éternelle. Car si Dieu se contentait de nous
promettre son royaume, et nous laissait manquer des secours dont nous avons
besoin pour y parvenir, nous aurions sujet de nous plaindre et de lui dire : Il
est vrai que le bonheur que vous nous promettez est grand; mais vous ne nous
donnez pas les moyens qui nous. sont nécessaires pour l'obtenir. C'est pourquoi
Dieu, qui nous a promis de nous donner la vie éternelle après que nous serons
sortis de ce siècle, a voulu pareillement, par une bonté pleine de prévoyance et
d'amour, nous promettre de nous donner dès cette vie le centuple de ce que nous
aurons abandonné pour le servir (Marc. X, 30 ). O homme, quelle peut être ton
excuse à présent ? Certainement Dieu ferme la bouche aux plaintes injustes car
que peut alléguer le tentateur ? Que la vie est longue et pénible? Mais, s'il
vous reste encore beaucoup de chemin à faire (III Reg. XIX, 5), pourquoi
craignez-vous la longueur du voyage, puisque Dieu vous, donne une nourriture qui
doit soutenir vos forces en route? L'Ange apporta au prophète Elie une
nourriture, la plus commune de toutes, du pain et de l'eau, et néanmoins il fut
tellement fortifié par cette nourriture, qu'en marchant quarante jours, il ne,
sentit ni faim ni fatigue. Ne désirez-vous; pas que; Dieu vous donne par le
ministère : de ses anges, une nourriture si propre, à vous soutenir ? Il serait
bien; étrange que vous n'eussiez pas ce désir .
2. Si vous désirez véritablement cette nourriture
céleste, et si vous demandez , non par ambition et par vanité, mais avec
humilité, que les anges vous la donnent, écoutez ce que fit Notre-Seigneur que
le démon tentait, et engageait à changer des pierres en pain (Matt. IV, 3 ), il
lui résista, et lui dit : " L'homme n'entretient pas sa vie seulement par le
pain, mais par toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Deut. II, 3) : " et
après qu'il eut surmonté les tentations et chassé le tentateur, les anges
s'approchèrent et le servirent. Si donc vous voulez être secourus par le
ministère des anges, fuyez les consolations du siècle, et résister aux
tentations du diable. Que votre âme refuse de se consoler, d'une autre manière,
si vous voulez trouver vos délices à vous entre tenir de Dieu. Lorsque vous
sentez l'aiguillon de la faim qui vous presse, l'ennemi tâche de vous persuader
de courir au pain de la terre mais écoutez plutôt le Seigneur, qui vous dit : "
Ce n'est pas seulement par le pain que l'homme peut entretenir sa vie. " En
effet, pourquoi tous ces soins qui vous absorbent? Pourquoi vous mettre en peine
du boire et du manger, du vêtir et du coucher, sinon pour la conservation de
votre corps? Vous pouvez trouver toutes ces choses en une seule dans la parole
de Dieu. Cette parole est une manne qui contient tous les goûts et toutes les
odeurs les plus délicieuses; elle établit les hommes dans un vrai repos : elle
n'a rien que de vrai , elle est pleine de douceur : et sa douceur est toute
salutaire elle apporte bonheur et sainteté à ceux qui en font leur nourriture.
3. Voilà les avantages et les grâces que Dieu nous
promet pour la vie présente. Mais qui pourrait expliquer les biens qu'il nous
promet pour l'avenir? Si la seule attente et la seule espérance des justes est
pleine de joie, et d'une joie si grande que la possession de tout ce qu'on peut
désirer en ce siècle ne saurait; jamais mériter de lui être comparée, qui
pourrait concevoir quel sera le bonheur qu'ils attendent? Non jamais, grand
Dieu, l'oeil n'a vu les biens que vous avez préparés à ceux qui vous aiment
(Prov. X, 2), si vous lie le lui avez montré vous-même. Nous recevons donc de
Dieu quatre sortes de bienfaits, lorsqu'il nous couvre de ses ailes. Il nous
cache et nous protège ainsi comme des poussins contre la serre des vautours et
le bec des milans, c'est-à-dire contre les puissances de l'air. Il nous procure
un ombrage salutaire, repousse loin de nous les rayons trop ardents du soleil,
enfin il nous nourrit et nous échauffe sous ses divines ailes. Aussi le Prophète
dit-il ailleurs: " Il m'a caché dans son tabernacle durant les mauvais jours (
Psal. XXVI, 5). " Ces mauvais jours signifient le temps que nous demeurons sur
cette terre étrangère qui a été mise en la puissance des méchants, sur cette.
terre d'où la paix est bannie, et où le Dieu de paix ne règne point : car s'il y
régnait, pourquoi dirions-nous dans la prière que nous faisons tous les jours :
"Que votre règne arrive (Matt. VI, 20) ? " C'est pour cela que nous nous
cachons, même selon le corps, dans les monastères et. dans les bois. Et si vous
désirez savoir combien nous gagnons à nous cacher ainsi, il est aisé de vous le
montrer. Je crois qu'il n'y a personne parmi vous qui ne fût honoré comme un
saint, et qui ne fût regardé comme un ange, s'il faisait dans le monde le quart
de ce qu'il fait ici, tandis qu'il trouve tous les jours assez de sujet de
s'accuser de négligence, et de se reprocher bien des fautes. Pensez-vous que ce
soit un médiocre avantage de n'être pas estimés saints avant de l'être ? Et ne
craignez-vous point , en recevant la récompense méprisable que donne le monde,
de vous voir privés de celle que nous attendons dans l'autre? Il est donc
nécessaire de nous tenir cachés et inconnus, non-seulement aux yeux des autres,
mais encore plus à nous-mêmes. Car c'est ce que Notre-Seigneur nous ordonne par
ces paroles : " Quand vous aurez fait toutes les choses qui vous seront
commandées, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que
nous étions obligés de faire (Luc. XVII, 10). " Nous serions bien malheureux si
nous ne l'avions pas fait. Notre plus grande vertu et notre souveraine sécurité
consistent à vivre dans une solide et sincère .piété, à considérer beaucoup plus
les grâces qui nous manquent que celles que nous pensons avoir obtenues, et à
oublier ce qui est fait, pour ne nous occuper que des choses qui nous restent à
faire. Voilà donc comme nous avons le bonheur d'être cachés, ainsi que j'ai dit,
sous les ailes du Seigneur. Peut-être, est-ce en ce sens qu'il faut entendre
l'ombre dont Marie fut recouverte par le Saint-Esprit, quand elle tenait caché
aux yeux des hommes l'incompréhensible mystère de sa maternité.
4. Le Prophète dit encore dans un antre endroit :
" Vous avez mis ma tête à couvert le jour du combat (Psal. CXXXIX, 1). " Car, de
même que la poule, voyant venir un oiseau de proie, étend ses ailes afin que ses
poussins viennent se cacher dessous, et y trouvent un refuge assuré , ainsi la
bonté souveraine, et l'ineffable charité de Notre-Seigneur se tient préparée
pour nous secourir, et s'étend sur nous en nous ouvrant et nous présentant on
sein. C'est pourquoi l'âme fidèle lui dit, comme nous lavons vu plus haut : "
Vous êtes mon refuge. "
Vous voyez donc comme nous trouvons une ombre
salutaire, et la protection dont nous avons besoin, sous les ailes dit Seigneur
; car, de même que l'astre du jour, tout excellent et nécessaire qu'il soit,
fait mal, par l'excès de sa chaleur, si elle n'est tempérée, à la tête des
personnes qui l'ont délicate et faible, et, par sou éclat, blesse les yeux
malades, ce qui ne vient pas de ce que le soleil est mauvais, mais de ce que
nous sommes malades, ainsi en est-il du Soleil de justice. Et c'est pour cette
raison que le Sage nous donne cet important avis: " Ne soyez point juste à
l'excès (Eccl. VII, 17). " Ce n'est pas que la justice ne soit bonne, mais c'est
que tant que nous sommes faibles, il est nécessaire que la grâce que nous
recevons, toute bonne qu'elle est, soit modérée, de peur que nous ne tombions
dans l'indiscrétion ou dans la vanité. D'où vient qu'en priant avec ferveur et
avec assiduité, nous ne pouvons pas arriver à cette abondance de grâces que nous
désirons ? Pensez-vous que cela vienne de ce que Dieu soit devenu pour nous
avare ou pauvre, impuissant ou inexorable? Non, non, tant s'en faut. Mais il
connaît ce que nous sommes, et il a la bonté de nous tenir à l'ombre, de ses
ailes.
Il ne faut pas néanmoins, pour cela, que nous
cessions de le prier: parce que s'il ne nous accorde pas ce qui pourrait
satisfaire: pleinement; notre désir, du moins il nous donne de quoi le
sustenter; et s'il ne veut pas répandre sur nous une ardeur extrême, au moins il
a soin de nous échauffer, comme la mère échauffe ses petits, par une chaleur
tempérée. Car c'est le quatrième avantage que nous retirons, de la protection de
Dieu, qui nous conserve sous ses ailes, comme la poule abrite et réchauffe ses
petits, et nous empêche de nous éloigner de lui, de peur que nous ne perdions la
vie, par le refroidissement de la, charité, qui n'est répandue et entretenue en
nous, que par l'esprit qu'il nous communique. Ce sera donc sous ses ailes, que
vous espérerez en toute assurance, et que vous trouverez, dans, les biens de la
vie présente un motif certain d'espérer fermement ceux qu'il vous prépare pour
l'avenir.
CINQUIÈME SERMON
" La vérité vous couvrira d'un bouclier : vous ne craindrez,
point de frayeurs qui surprennent durant la nuit (Psal. CX, 5). "
1. "Veillez et priez, afin de ne point entrer en
tentation (Marc. XIV, 38)." Vous savez de qui vient cet avertissement, et en
quel temps il a été donné. Car ce sont des paroles que Notre-Seigneur a dites à
ses apôtres, quand l'heure de sa Passion approchait. Or, considérez que c'était
lui qui devait souffrir, non pas ses disciples : néanmoins ce n'était pas poux
lui qu'il disait qu'il fallait prier, mais seulement pour eux. Aussi avait-il
dit à Pierre : " Je vous déclare que Satan a demandé de vous cribler comme le
froment : mais j'ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point; et un
jour, lorsque vous serez converti, vous confirmerez vos frères (Luc. XXII, 31 et
32). " Si les Apôtres avaient tant à craindre pendant la passion de
Notre-Seigneur, combien, mes frères, avons-nous plus de sujet de craindre
lorsque nous sommes nous-mêmes au milieu des épreuves ? Veillez donc et priez
pour ne point entrer dans la tentation : car de tous côtés vous êtes environnés
de tentations. Voilà pourquoi nous lisons dans l'Écriture-Sainte : " Que la vie
de l'homme sur la terre est un combat (Job. III, 1). " Si donc notre vie est
pleine d'un si grand nombre de tentations, qu'on a sujet de l'appeler elle-même
une tentation, il est clair que nous devons nous tenir sur nos gardes, et vaquer
à la prière, avec assiduité, pour ne point succomber à la tentation. Voilà
pourquoi, nous disons dans la prière que Notre-Seigneur nous a apprise : " Ne
nous induisez pas en tentation. " Puisque vous êtes ainsi de toutes parts
environnés et pressés, parla tentation, sa vérité vous couvrira d'un bouclier,
afin que, si les y ennemis vous attaquent de tous côtés, vous trouviez aussi de
tous côtés une défense. Or, il est manifeste que le bouclier qui peut nous
couvrir n'est autre qu'une protection spirituelle. C'est sa vérité qui nous
environne, parce que celui qui nous a promis ! de nous soutenir est véritable et
fidèle, et fait tout comme il le promet. " Dieu est fidèle, dit l'Apôtre, il ne
souffrira point que vous soyez tentés au dessus de vos forces (I. Corinth. X,
13). "
2. La grâce de la protection divine est comparée à
un bouclier, avec beaucoup de raison. Le bouclier est large et étendu par en
haut, afin de couvrir la tête et les épaules, et étroit par' 'en bas, afin
d'être moins pesant, et principalement parce que les jambes, qu'on doit garder,
offrent peu de largeur, et ne sont pas si facilement, blessées, et que
d'ailleurs les blessures qu'on y 'peut recevoir ne sont pas si dangereuses. De
même Jésus-Christ ne donne -à ses soldats le secours des choses temporelles,
qu'avec beaucoup de mesure et de parcimonie, et seulement autant qu'ils en ont
besoin pour la conservation de ce corps, qui est comme les parties inférieures
de l'âme : il ne veut point leur donner une abondance de biens temporels qui
leur deviendraient un fardeau trop pesant. Il veut qu'ils se contentent, selon
la parole de l'Apôtre (I Tim. VI, 8), d'avoir le vivre et le vêtement. Mais
quant à l'âme, qui est la partie supérieure de notre être, il lui donne des
biens spirituels en beaucoup plus grande étendue, et lui communique une
abondance de grâces spirituelles. Et c'est pour cela que Notre-Seigneur dit dans
l'Évangile : " Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tons
les autres biens dont vous pouvez avoir besoin seront ajoutés à ceux-là (Matt.
II, 33)." Il est certain qu'il entendait par là, le vivre et le vêtement, dont
il venait de dire que nous ne devions point nous inquiéter.
Or, si Notre Père céleste nous donne l'un et
l'autre avec une bonté toute paternelle; c'est pour deux raisons; c'est de peur
que nous ne pensions qu'il est fâché contre nous, s'il nous les refuse, et
qu'ainsi nous ne tombions dans le désespoir : en second lieu, c'est de crainte
que les inquiétudes excessives avec lesquelles nous rechercherons ces biens ne
nuisent beaucoup aux exercices spirituels : car si nous manquons, de ces biens,
nous ne pouvons ni vivre ni servir Dieu. Mais plus ils sont réduits, mieux nous
nous en trouvons.
3. " La vérité divine vous servira donc de défense
et de bouclier. Vous n'aurez point de ces terreurs qui arrivent durant la nuit;
vous ne craindrez point la flèche qui vole durant le jour; ni les entreprises
qui se font dans les ténèbres, non plus que les attaques ouvertes et les démons
du midi. " Ces paroles marquent quatre sortes de tentations, dont nous sommes
assaillis encontre lesquelles, nous avons besoin d'être couverts et environnés
du bouclier du Seigneur, à droite et à gauche; devant, et derrière. Car il faut
que vous sachiez que jamais personne ne vivra sur la terre sans éprouver quelque
tentation quand l'une cesse, on doit en attendre une autre avec assurance : que,
dis-je avec assurance ? c'est bien plutôt avec crainte que je dois dire : et si
nous demandons d'en être délivrés, ne nous promettons jamais, dans ce corps de
mort, un repos entier et une parfaite liberté. Et il faut que nous considérions
sur ce sujet que la bonté avec laquelle Dieu nous traite est si grande, que
lorsqu'il souffre que nous soyons longtemps occupés par certaines tentations,
c'est afin que nous échappions à d'autres plus périlleuses , et que lorsqu'il
nous délivre promptement de certaines épreuves, c'est pour nous exercer par
d'autres qu'il prévoit plus utiles pour nous.
Il faut que nous considérions quelles sont ces
quatre tentations mais ce sera dans un autre discours. Je crois que ces
tentations s'élèvent contre ceux qui se convertissent à Dieu dans le même ordre
qu’ elles sont ici, et que, dans le combat spirituel, elles sont comme les chefs
de toutes les autres tentations qui nous attaquent.
SIXIÈME SERMON
" Vous ne craindrez point les frayeurs qui surprennent durant la nuit;
ni la flèche qui vole le jour; ni les entreprises qui se font dans les ténèbres
ni les attaques ouvertes et les démons du midi (Psal. XC, 5 et 6). "
1. Dans l'Écriture-Sainte, la nuit signifie
ordinairement l'adversité : et nous savons que la première épreuve de ceux qui
se convertissent à Dieu, vient du corps. Car la chair, qu'on n'avait pas encore
pris soin de dompter, ne souffre pas facilement qu'on la châtie, et qu'on la
réduise sous la servitude ; mais, se souvenant de la liberté qu'elle vient de
perdre, elle s'élève dans ses concupiscences avec plus d'ardeur contre l'esprit,
principalement quand on lui fait sentir ces mortifications quotidiennes par
lesquelles vous mourez tous les jours, vous êtes même comme morts : ces
exercices de mortification sont si pénibles; si fort au dessus de la nature et
si contraires à vos premières habitudes ! Il n'y a donc pas de quoi s'étonner si
on trouve en soi-même ces contradictions et ces résistances, principalement
lorsque l'on commence à se convertir sérieusement à Dieu, et qu'on n'est pas
encore assez exercé ni assez prompt à recourir à la prière,, et à se relever de
ses tristesses et de ses abattements par de saintes méditations .
Le bouclier du Seigneur nous est donc bien
nécessaire, surtout au commencement de notre conversion, pour nous protéger
contre les frayeurs qui surprennent pendant la nuit : en effet, ce ne sont pas
les afflictions et les contradictions qui sont proprement une tentation : mais
c'est plutôt la crainte qu'on a qu'elles n'arrivent. Car si nous sommes tous
dans les travaux et les peines, nous ne sommes pas tous, pour cela, dans la
tentation. Quant à ceux qui sont tentés, il est certain qu'ils souffrent
beaucoup plus par la crainte des peines à venir que par suite des douleurs
présentes.
2. Ainsi donc, la crainte même étant une
tentation, c'est avec raison qu'il a été dit que celui qui est à couvert par le
bouclier du Seigneur ne la craindrait point. Peut-être sera-t-il attaqué,
peut-être sera-t-il tenté, peut-être craindra-t-il la nuit , mais cette crainte
ne lui sera point nuisible. Au contraire, il en deviendra plus innocent, pourvu
que cette crainte n'ait point prévalu sur son esprit ; et l'exercice qu'elle lui
aura donné le corrigera et le rendra pur, selon cette parole de Job Ceux qui
passeront par l'épreuve de la crainte seront purifiés (Job. XLI, 15). Cette
crainte est une fournaise ardente ; mais la vérité divine fait qu'elle ne
consume pas, et qu'elle éprouve seulement. Cette crainte est bien celle de la
nuit et des ténèbres ;liais les rayons de la vérité la dissipent aisément. Car
tantôt cette vérité met sous les yeux du coeur la vue des péchés que l'on a
commis, afin, comme dit le Prophète en parlant de lui, que nous soyons préparés
aux afflictions, en confessant nos iniquités, et en faisant réflexion sur nos
péchés ; tantôt cette vérité nous rappelle les supplices éternels que nous avons
mérités, afin que nous regardions comme des délices les maux que nous souffrons,
en comparaison de ceux dont nous nous voyons préservés ; tantôt elle éveille
notre attention sur les récompenses éternelles, auxquelles nous aspirons, en
nous rappelant fréquemment à la pensée, que toutes les afflictions de cette vie
ne sont pas dignes d'être comparées à la gloire que Dieu fera éclater un jour en
nous (Rom. VII, 18). Tantôt, enfin, elle nous remet en mémoire toutes les
douleurs que Jésus-Christ a endurées pour nous, qui ne sommes que des serviteurs
inutiles, afin que nous rougissions de ne vouloir pas ; souffrir pour nous les
peines mêmes les plus légères.
3. Mais peut-être la vérité, a déjà prévalu,dans
le coeur de, ceux qui m'écoutent, d'autant plus qu'elle est si abondante et si
forte, qu'elle donne à ceux qu'elle couvre, et qu'elle défend, la puissance,
non-seulement de repousser cette crainte, mais aussi de la chasser tout-à-fait.
La nuit est passée. Craignez donc maintenant la flèche qui vole durant le jour,
et marchez avec toute sorte de modestie, comme doivent le faire les enfants du
jour et de la lumière. Cette flèche a le vol rapide, elle pénètre à peine dans
les chairs, mais les blessures qu'elle fait ne sont pas légères, elles causent
promptement la mort ; c'est la flèche de la vaine gloire; elle n'attaque donc
point les âmes faibles et timides, qui vivent dans le relâchement et dans la
langueur. Mais ceux qui paraissent les plus fervents ont sujet de craindre.
Qu'ils prennent donc garde à eux, et ne se laissent point surprendre par cette
tentation, et qu'ils aient un soin extrême de ne quitter jamais le bouclier
invincible de la vérité ; car qu'y a-t-il de plus contraire à la vanité ? Et ce
ne sont pas ces vérités mystérieuses, si relevées et si difficiles à comprendre,
qu'il faut opposer à cette flèche ; il suffit que l'âme se connaisse
véritablement elle-même, et qu'elle sache bien la vérité pour ce qui 1a
concerne. Certainement, il est très-difficile, si je ne me trompe, de
s'enorgueillir aux paroles de ceux, qui se plaisent à louer les hommes durant
leur vie, si on s'examine intérieurement, et si on se considère sérieusement à
la lumière de la vérité. Car tout homme qui pense à sa propre condition ne se
dira-t-il pas à lui-même : " Pourquoi t'enorgueillir, cendre et poussière (Eccle.
X, 9) ? " Et s'il regarde la corruption de sa nature, ne sera-t-il pas contraint
d'avouer qu'il n'y a rien dé bon en lui ? Ou bien s'il trouve en lui quelque
bien, du moins il ne trouvera pas de quoi répondre à l'Apôtre, qui lui dit : "
Qu'avez-vous: que vous n'ayez pas reçu (I. Corinth. IV, 7) ? " Et encore : " Que
celui. qui est debout, prenne garde de ne pas tomber (I. Corinth. X, 13).",
Enfin; s'il examine et observe toute chose avec fidélité, il lui sera facile. de
reconnaître qu'il n'a pas la puissance d'aller avec dix mille combattants au
devant de celui qui vient à lui avec vingt mille, et que c'est avec sujet que
toutes ses justices ne sont considérées que comme un linge souillé d'un sang
impur.
4. Nous avons encore besoin d'opposer cette vérité
à d'autres tentations qui suivent celles dont je viens de vous parler. Car notre
ancien ennemi, après avoir été vaincu, n'abandonne pas pour cela son entreprise;
mais il essaie de nous attaquer par des moyens plus subtiles que ceux qu'il a
mis en usage jusqu'alors. Il a éprouvé que la tour qu'il a attaquée était fermé
et inébranlable de tous côtés. Il ne peut plus riens entreprendre ni à gauche,
en se servant de la crainte pour nous faire. perdre le courage, ni à droite, en
s'efforçant de nous ébranler par les louanges des hommes, et il voit qu'il nous
a attaqués de ces deux côtés, sans aucun succès. Mais il dit en lui-même : Si je
ne puis me rendre maître de cette place par la force, je le pourrai peut-être
par quelque trahison. Or, quels seront les traîtres auxquels il aura recours ?
Ce sera la cupidité, qui est la racine de toutes sortes de péchés. Ce sera
l'ambition, qui est un mal subtil, un venin secret, une peste cachée, une source
de tromperies, la mère de l'hypocrisie; l'ambition, dis-je, qui produit l'envie,
donne naissance aux vices, nourrit le crime, détruit la vertu, ruine la sainteté
, aveugle les coeurs; qui se sert des remèdes mêmes pour faire naître des
maladies , et fait tomber les hommes dans la langueur parles choses mêmes qui
devraient les guérir et les fortifier.
Il a méprisé la vaine gloire, dit l'ennemi, parce
qu'elle est vaine. Il se porterait, peut-être, à aimer quelque chose de plus
solide ; il rechercherait peut-être plus volontiers les honneurs et les
richesses. Combien ces entreprises de notre ennemi qui se font dans les ténèbres
de cette vie en ont-elles fait tomber dans les ténèbres extérieures, en les
dépouillant de la robe nuptiale, et rendant les vertus qu'ils ont exercées
entièrement vides du véritable esprit de la piété. Combien d'âmes ce dangereux
ennemi a-t-il fait tomber honteusement par sa malice artificieuse? Combien leur
chute a-t-elle donné sujet de craindre une soudaine ruine à ceux qui ne
s'apercevaient pas des mines secrètes de l'ennemi ? Mais qu'est-ce qui
entretient dans le coeur ce ver qui le ronge, sinon l'égarement de notre âme, et
l'oubli de la vérité? Et qu'est-ce qui nous peut faire découvrir ce traître
ennemi, et nous montrer ses desseins ténébreux, sinon la lumière de la vérité
qui nous dit : " Que sert à l'homme de gagner tout le monde, s'il se ruine et se
perd soi-même entièrement (Matth. XVI, 26), " et qui nous déclare, que " les
puissants seront puissamment tourmentés (Sap. VI, 7)? " C'est elle aussi qui
nous remet fréquemment dans l'esprit combien les joies de l'ambition sont vaines
et frivoles, combien le jugement que Dieu fera des ambitieux sera terrible,
combien les jouissances qu'ils se proposent seront courtes ; combien la fin que
doit avoir leur grandeur est incertaine.
5. Les tentations dont je viens de parler sont
celles par lesquelles Satan osa éprouver le Fils de Dieu même; mais il n'a pas
eu la hardiesse de le soumettre à la quatrième (a) tentation dont il me reste à
vous parler, c'est celle qui naît de l'ignorance. Cet ennemi ne pouvait pas
douter qu'il. n'y eût une sagesse et une connaissance parfaite dans celui qui
lui fit de si. prudentes et de si sages réponses, qu'il ne lui donna jamais le
moyen de découvrir ce qu'il désirait tant savoir. Il s'efforça, par la première
tentation, de persuader à Notre-Seigneur qui souffrait la faim, de changer en
pain les pierres du désert; mais lui, sans dire s'il pouvait ou s'il ne pouvait
point faire ce miracle, lui fit connaître qu'il y a une autre nourriture que
celle qu'il lui proposait, en lui répondant : " L'homme ne se nourrit pas
seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (Matth.
IV, 4). " Dans la seconde tentation, Satan conseille à Notre-Seigneur de se
précipiter, en lui assurant qu'il ne se ferait point dot mal, s'il était le Fils
de Dieu, et que toute la ville eu le voyant en l'air, lui donnerait des louanges
et des acclamations ; et il répondit à cette proposition de telle sorte, qu'il
ne déclara point s'il était le Fils, de Dieu, ou s'il ne l'était pas. La
troisième tentation à laquelle Satan soumit Notre-Seigneur fut l'ambition, quand
il lui promit de lui donner tous les royaumes du monde, s'il se prosternait
devant lui pour l'adorer. Voyez-vous comme l’ambition conduit les hommes à
l'adoration du diable, parce qu'il promet à ses adorateurs qu'ils arriveront aux
honneurs et à la gloire du monde ? Mais pour la quatrième tentation il
s'abstient , comme j'ai dit, d'en user- à l'égard de Notre-Seigneur, ayant
éprouvé par ses réponses qu'il, avait trop de sagesse pour y succomber.
6. Que fait donc cet ennemi contre les autres
hommes, quand il voit qu'ils aiment la justice et haïssent l'iniquité ? Que
fait-il autre chose en ces rencontres, sinon de déguiser le vice sous les
apparences de la vertu ? Car il s'efforce de persuader le mal sous les
apparences d'un bien non pas médiocre, mais le plus parfait, à ceux qu'il sait
être de parfaits amateurs de ce bien, et se sert ainsi de leur ardeur même au
bien pour les faire consentir plus promptement à ce qu'il désire , et pour les
faire tomber plus facilement dans les piéges qu'il leur tend: C'est là le démon
non seulement du jour, mais du plein midi, et peut-être est-ce lui que
craignait,la sainte Vierge, lorsqu'elle fut saisie d'une
soudaine frayeur à la vue de l'Ange qui la
vint saluer (Luc. I, 29). N'était-ce pas de lui aussi que voulait parler
l'Apôtre, quand il disait " Nous n'ignorons pas les pensées de cet ennemi (II
Cor. II, 14) ; " car cet ange de Satan se transforme en ange de lumière ?
N'était-ce pas lui encore que craignaient les disciples de Notre-Seigneur,
lorsqu'ils poussèrent un cri en voyant Jésus marcher sur les eaux de la mer,
pensant que c'était un fantôme (Matth. XIV, 26) ? Remarquez, je vous prie, avec
moi, l'heureuse coïncidence qui fait dire à l'Évangile que ce fut en la
quatrième veille de la nuit que cela se passait ; ne vous semble-t-il pas que
c'est pour nous montrer que c'était contre cette quatrième tentation que les
apôtres se tenaient éveillés. Je ne crois pas nécessaire de m'étendre beaucoup
pour vous montrer qu'il n'y a que la vérité qui puisse nous faire découvrir les
faussetés cachées sous des apparences avantageuses, car il n'y a rien de plus
manifeste.
7. Quiconque voudra considérer les choses avec
attention, n'aura pas de peine à trouver ces quatre sortes de tentations dans
l'état général de l'Église. En effet, n'étaient-ce pas les frayeurs nocturnes
qui exerçaient l'Église à sa naissance; quand tous ceux qui faisaient mourir les
serviteurs de Dieu, s'imaginaient faire une couvre agréable à ses yeux ? Ensuite
les ténèbres de la persécution étant dissipées, et la paix ayant comme répandu
un nouveau jour sur toute la face de l'Église, la flèche rapide dans son vol lui
causa des troubles plus violents, et lui fit de plus fâcheuses blessures,
lorsque des chrétiens, entés par l'esprit de la chair, et désireux d'une gloire
vaine et frivole, se séparèrent de l'Église, et inventèrent des doctrines
pernicieuses pour se faire un nom illustre, en se faisant valoir eux-mêmes. Mais
si maintenant les païens et les hérétiques nous laissent en repos, l'Église est
troublée par des enfants indignes de ce nom. Sauveur Jésus, vous avez multiplié
le nombre de ses enfants; mais vous n'avez pas augmenté sa joie, car s'il y en a
beaucoup d'appelés, il y en a peu d'élus. Tous les hommes sont chrétiens
maintenant. Et cependant tous cherchent leurs propres intérêts; non ceux de
Jésus-Christ. Il n'est pas jusqu'aux dignités mêmes de l'Église, qui ne soient
l'objet d'une cupidité sordide et honteuse, et d'un trafic de ténèbres ; on ne
cherche plus dans ces dignités le salut des âmes, mais le luxe et l'abondance.
Ce n'est que pour cela que la plupart se font couper les cheveux, fréquentent
les églises, célèbrent le saint sacrifice de la messe, et chantent les louanges
de Dieu. On fait impudemment tous les efforts imaginables pour obtenir des
évêchés, des archidiaconnés, afin de dissiper et de consumer les revenus des
Églises en superfluités et en vaines dépenses. Il ne nous reste plus, après
cela, qu'à voir l'homme de péché, le fils de perdition, le démon non-seulement
du jour, mais du midi, qui non content de se transfigurer
en ange de lumière, s'élèvera aussi au
dessus de tout ce qui est considéré et honoré comme Dieu (II Thess. II, 4).
C'est le serpent qui s'efforce de piquer au talon l'Eglise notre mère, pour se
venger de ce qu'elle lui a brisé la tête. Sans doute, ce sera alors que ses
entreprises et ses attaques seront plus dangereuses et plus violentes, mais la
vérité ne laissera pas encore d'en délivrer l'Église des élus, et ce sera pour
eux qu'elle viendra abréger les jours, et qu'elle détruira les démons du midi
par la clarté de son second avènement.
Voilà ce que j'avais à vous dire sur ces quatre
tentations, et je me souviens de vous en avoir déjà entretenus dans un des
sermons (a) que je vous ai faits sur le Cantique des cantiques, lorsque j'eus
l'occasion de vous parler de ce démon du midi, au sujet du repos due prend
l'époux durant le milieu du jour, quand, l'épouse demande en quel lieu il
repose.
SEPTIÈME SERMON
Il en tombera mille à votre gauche, et dix mille à votre droite;
mais leurs coups n'approcheront point de vous (Psal. XC, 7). "
1. Nous vivons dans l'espérance, mes frères, et
nous ne manquons point de courage dans les afflictions présentes, parce que nous
sommes dans l'attente de joies qui ne doivent jamais finir. Cette attente ne
peut pas être vaine, et notre espérance ne doit pas nous paraître douteuse,
puisqu'elle est appuyée sur les promesses de l'éternelle vérité. Les biens que
nous recevons de Dieu dans la présente nous donnent sujet d'attendre avec
confiance, les biens qu'il nous a promis dans l'autre. La puissance et la vertu
de sa grâce nous est un témoignage assuré qu'elle sera suivie de la félicité et
de la noire qu'il nous a promises. Le Seigneur des vertus est en même temps le
roi de gloire, et dans une de nos hymnes, nous l'appelons le Père de la gloire
éternelle, et le Père de la grâce toute puissante, et c'est de lui que nous
chantons dans un psaume . " Dieu aime la miséricorde et la vérité. Le Seigneur
nous donnera, la grâce et la gloire (Psal. LXXXIII, 12). " Que la piété nous
fasse donc soutenir courageusement la lutte en cette vie, et nous fasse souffrir
avec une âme égale et tranquille , toutes sortes de persécutions. Pourquoi cette
piété n'aurait-elle pas la force de nous faire supporter les choses les plus
difficiles, elle est utile à tout et c'est à elle que, les biens de la vie
présente, ainsi que ceux de la vie future ont été promis ( I Tim. IV, 8) ? Que
notre âme résiste courageusement à l'ennemi, elle a un défenseur qui ne se
lassera pas de la secourir, et qui lui donnera des récompenses dignes de sa
libéralité, lorsqu'elle aura triomphé de la tentation. " Sa vérité, est-il dit,
nous couvrira comme un bouclier. "
2. L'invincible protection de la vérité est, sans
doute, absolument nécessaire, non-seulement tant que notre âme demeure eu cette
chair, mais encore lorsqu'elle est sur le point d'en sortir. Elle en a besoin
maintenant, à cause des attaques périlleuses qu'elle a à soutenir; et dans cette
dernière heure elle en aura encore un extrême besoin, à cause, des esprits
malins qui se présenteront à elle d'une manière épouvantable et monstrueuse.
L'ennemi fit les derniers efforts contre l'âme toute sainte du glorieux saint
Martin, et cette bête cruelle sachant qu'il ne lui restait plus guère de temps
(quoiqu'il n'y eût rien en ce serviteur de Dieu qui lui appartint), ne craignit
point néanmoins de se présenter à lui, et de l'attaquer avec toute la fureur de
sa malice infatigable. Que dis-je, n'a-t-il pas eu l'imprudente audace
d'attaquer le Roi même de gloire, comme il le témoigne dans ces paroles : " Le
prince de ce monde est venu contre moi, et il n'y a rien trouvé qui lui
appartint (Joan. XIV, 30). " Heureuse l'âme qui durant le cours de cette vie
aura repoussé les traits des tentations avec le bouclier de la vérité; et qui,
ne souffrant pas que rien de mortel et d'empoisonné pénètre en elle, ne craint
point d'être confondue, lorsqu'elle dira à ses ennemis, en sortant du monde:
Ennemi pervers, tu ne trouveras rien en moi qui t'appartienne. Heureux le fidèle
que le bouclier de la vérité environne et couvre de telle sorte, qu'il le
protégé à son entrée et à sa sortie, j'entends à sa sortie de ce monde, et à son
entrée dans l'autre. Oui, il est bien heureux que l'ennemi ne puisse rien
entreprendre contre lui par derrière, ni l'attaquer ouvertement. Certainement
alors l'âme n'aura pas moins besoin d'un conducteur fidèle, d'un consolateur
puissant contre les visions horribles qui se présenteront à elle, qu'elle n'a
besoin maintenant d'un aide et d'un défenseur contre les tentations invisibles
dont elle est attaquée.
3. Il faut donc, mes très-chers frères, que vous
glorifiiez Jésus-Christ, et. que vous le portiez en votre corps. Ce fardeau est
agréable , ce poids est doux à porter, cette charge est salutaire. S'il semble
qu'on en soit quelquefois accablé, si Jésus-Christ nous flagelle quelquefois et
se fait rudement sentir à ceux qui regimbent contre l’aiguillon, s'il nous
traite quelquefois comme on traite ces chevaux que l'on dompte avec le mords et
la bride, c'est toujours un bonheur pour nous, soyez donc entre ses mains comme
lin animal qui n'est fait que pour le porter, ou plutôt ne soyez point tout à
fait comme la bête de somme. " L'homme, dit le Prophète, étant en honneur, n'a
pas compris la dignité de sa condition, il a été comparé à des animaux
incapables de raisonner, et il leur est devenu semblable (Psal. XLVIII, 13). "
Pourquoi pensez-vous que le Prophète, dans ce verset, plaint si fort l'homme, ou
lui fait un si grand reproche de ce qu'il est semblable à des bêtes de service ;
puisque l'on voit dans un autre endroit, qu'il dit à Dieu, avec un témoignage
particulier de reconnaissance et de joie : " Je suis devenu comme une bête de
somme entre vos mains, et je suis toujours en votre présence (Psal. LXXII, 23).
" Je pense, ou plutôt je crois, je suis sûr même qu'il y a une certaine
ressemblance avec les bêtes, que l'homme doit ambitionner. Mais ce n'est pas
celle qui consiste à n'avoir ni intelligence ni sagesse ; c'est celle qui
consiste seulement à souffrir; à l'exemple de ces bêtes. Car le prophète
n'aurait point parlé aux hommes, en les reprenant, ou en les plaignant de leur
condition, s'il avait dit : l'homme étant sous le fardeau dont Dieu l'a chargé,
ne lui a point fait de résistance. Il a été sous sa main comme un animal doux et
soumis. Qui est celui d'entre noirs qui n'aurait pas porté beaucoup d'envie à
cet animal sur lequel notre Sauveur daigna monter, pour rendre. plus
recommandable aux hommes son , ineffable douceur, si cet animal avait eu
l'intelligence de l'homme, et avait connu l'honneur qu'il avait de porter une
charge si précieuse ? Soyez donc, mes frères, sous la main de Dieu comme des
animaux, mais sans leur ressembler en tout point, soutenez avec patience le
fardeau que l'on vous impose, mais reconnaissez l'honneur qui vous est fait.
Considérez, avec sagesse et avec bonheur, quelle est la charge que vous portez,
et quel avantage vous en devez tirer.
4. Le grand Ignace, notre martyr qui a eu le
bonheur d'être instruit par le disciple que Jésus aimait, et dont les précieuses
reliques enrichissent notre pauvreté, se plait à donner à une certaine (a)
Marie, dans plusieurs des lettres qu'il lui a écrites, le nom de Christophore.
Ce fut sans doute pour elle, une merveilleuse dignité et un honneur immense,
d'avoir porté le Sauveur du monde ; car si c'est régner que de le servir, ce
n'est pas avoir une charge pesante que de le porter, mais c'est être comblé de
gloire. Y avait-il sujet de craindre que l’animal sur lequel était monté le
Sauveur, vînt à défaillir, sous son fardeau, qu'il ne fût dévoré par les loups,
ou ne tombât entre les mains des voleurs ou dans les précipices, ou quelque
autre péril pendant qu'elle était conduite parle Sauveur du monde? Heureux
l'homme qui porte Jésus-Christ, de telle sorte qu'il se rend digne d'être
conduit par ce Saint des saints, dans la cité sainte et glorieuse du ciel ! Non,
non, il n'a pas à craindre de rencontrer d'obstacles dans la voie où il marche,
ni d'être arrêté à la porte de la cité céleste, car, de même que les peuples
préparent le chemin à cet animal, ainsi les saints anges préparent la voie du
salut à chacun des élus, selon cette parole du Prophète : " Il a commandé à ses
anges de vous garder dans toutes vos voies, de crainte que vous ne heurtiez les
pieds contre quelque pierre. " Mais il ne faut pas encore expliquer ce verset,
il faut plutôt suivre l'ordre de l’Ecriture dans notre explication.
5. " Il en tombera mille à votre gauche et dix
mille à votre droite et l’ennemi n'approchera point de vous. " Vous savez que
c'est de ce verset que je dois vous entretenir aujourd'hui. Dans le verset
précédent, que je vous ai expliqué la dernière fois, je vous ai montré, si vous
vous en souvenez, comment la protection de la vérité nous délivre des quatre
plus grandes et plus fâcheuses tentations, c'est-à-dire, des frayeurs qui
surprennent durant la nuit, de la flèche qui vole durant le jour, des
entreprises qui se font dans les ténèbres, et des attaques du démon du midi. Ce
qui suit : " Il en tombera mille à votre gauche, et dix mille à votre droite, "
semble plutôt regarder l'autre vie que celle-ci. C'est pourquoi je vous ai
rappelé au commencement de ce discours (comme je pense que vous vous en
souvenez), ce que nous dit l'Apôtre, que la piété est utile à tout, et due c'est
à elle que les biens, de la vie future ont été promis ( I Tim. IV, 5 ). Ecoutez
donc maintenant, mais écoutez dans la joie de votre cœur, les promesses qui
regardent la vie, éternelle, et qui doivent être l'objet de votre attente et de
vos désirs. Il faut que votre coeur soit où est votre trésor. Je me souviens
bien que vous avez écouté avec une attention particulière, ce que je vous ai dit
de la vie présente. Mais vous devez m'écouter avec plus d'attention encore,
quand je vous parle des choses qui regardent l’autre vie. Profitez de la
connaissance que vous avez de l'histoire Sainte, et n'ayez pas moins de zèle et
d'amour pour les biens de l'éternité, qu'en avait le faux-prophète Balaam, qui
désirait, quoiqu'il fût méchant, mourir de la mort des justes, et qui demandait
que les dernières heures de sa vie fussent semblables à celles des serviteurs de
Dieu, (Num. XXIII, 10). Les fruits de la piété sont si grands, la récompense des
justes si abondante, que ceux mêmes qui vivent dans l'injustice et l'impiété, ne
peuvent s'empêcher de les désirer. Il est vrai que les cantiques de Sion leur
plaisent beaucoup moins que les saules de Babylone. C'est pourquoi avec eux, il
faut suspendre les instruments de musique et répandre dus larmes sur le rivage
des fleuves de Babylone, et tâcher de leur persuader de pleurer et de gémir avec
nous. Si nous chantons en cette vie, il faut que ce soit seulement dans les
lieux où nous sommes sûrs de trouver des personnes dont les joies seront toutes
spirituelles, et qui ressentent des transports d'allégresse, au son du
psaltérion et au chant des cantiques de Sion. Il faut que ce soit dans la
compagnie de ceux que les saints désirs remplissent d'ardeur, qui soupirent vers
cette cité sainte et qui s'écrient . " Qui me donnera des ailes comme à la
colombe, afin que je vole au lieu de mon repos ( Psal. LIV, 7 ). " Qu'est-ce, en
effet, que tressaillir d'allégresse, sinon sortir hors de soi? Il faut avouer
que la peinture, la plus agréable de la tranquillité et de la beauté d'un rivage
touche bien plus au milieu des périls de la mer, ceux qui sont encore au sein de
la tempête et ballottés par les flots, loin du port, presque sans espoir ,d'y
aborder. Ainsi serons-nous moins touchés des promesses qui sont contenues clans
le verset que je vous explique, parce qu'il n'y a personne encore à qui l'on
puisse dire : " Mille de vos ennemis vont tomber à votre gauche, et dit mille à
votre droite. " Mais rappelez-vous, à qui cette promesse est faite. C'est à
celui qui a établi sa demeure dans l'assistance du Très-Haut, et qui demeurera
constamment dans la protection du Dieu du ciel.
6. Que celui donc qui s'approche tous les jours du
port du salut par ses pensées et par ses ardents désirs : que celui qui
s'attache avec l'ancre inébranlable de l'espérance à cette terre, objet de tous
ses voeux, se rende attentif à cette promesse, tout le temps qu'elle doit
combattre sur la terre, en attendant que Dieu change l'état où elle est. Le
genre de vie que vous menez est le moyen lé plus sûr, le principal moyen de vous
rapprocher de ce port oit vous voulez atteindre. En demeurant fidèle à votre
vocation, et en vous sanctifiant par le secours des grâces que Dieu vous fait,
vous vous préparez tous les jours à sortir de cette vie pour entrer dans ce
port. Ces deux choses, la vocation de Dieu, et la sanctification de nos âmes par
la grâce, ont une sorte de liaison et de rapport qui ne sauraient nous tromper
avec l'éternelle félicité que nous attendons. L'éternité de ses décrets est liée
à l'éternité de notre bonheur. Ces deux éternités sont inséparables et
dépendantes l'une de l'autre; et comme notre prédestination n'a point eu de
commencement en Dieu, ainsi la gloire à laquelle nous serons élevés n'aura
jamais de fin. Mais ne pensez pas que cette union et cette dépendance
réciproques de ces deux éternités dont je viens de vous parler, soient une
invention de mon esprit. Ecoutez ce qu'en dit l'Apôtre, et voyez comme il nous
enseigne la même chose en termes extrêmement clairs : " Ceux qu'il a connus et
aimés, dit-il, avant tous les temps, il les a prédestinés pour les rendre
conformes et semblables à son Fils (Rom. VIII, 10). " Comment et dans quel ordre
pensez-vous qu'il les doit élever à la gloire ? Car il fait toutes choses avec
ordre. Pensez-vous pouvoir arriver d'un bond de la prédestination à la gloire?
Assurez-vous un passage de l'une à l'autre, ou plutôt, puisque Dieu vous l'a
préparé, mettez-le à profit. " Il a appelé, dit l'Apôtre, ceux qu'il a
prédestinés : il a justifié ceux qu'il a appelés, et il a donné sa gloire à ceux
qu'il a justifiés."
7. Il y a certainement des hommes qui trouvent
cette voie bonne ils ont raison; car elle l'est, et nous ne devons pas craindre
sur l'issue où elle aboutit. Le terme de cette voie ne vous doit jamais être
suspect. Vous devez la suivre avec assurance, et avec d'autant plus d'ardeur,
que vous êtes plus certains que chaque pas vous approche du repos qui doit
heureusement terminer votre travail. " Faites pénitence, dit Notre-Seigneur, car
le royaume des cieux approche (Matt. III, 2 )." Mais vous me direz peut-être : "
le royaume des cieux demande qu'on lui fasse violence, et il n'y a que les
violents qui l'emportent. " Je n'y saurais arriver qu'en passant à travers des
troupes d'ennemis. Il y a des géants au milieu du chemin : ils sont répandus
dans l'air même : ils assiègent tous les passages; ils dressent des embûches à
tous ceux qui passent. Mais allez toujours avec confiance. Ne vous laissez pas
surmonter par la crainte. Vos ennemis sont forts. Ils sont nombreux. Mais il en
tombera mille à votre gauche, et. dix mille à votre droite. " Ils tomberont de
tous côtés, pour être éternellement hors d'état de vous nuire, ce n'est pas
assez pour être hors d'état même de jamais approcher de vous. A la vérité,
l'auteur du péché, en voyant cela, redoublera de fureur et vous prendra en
flanc, mais la miséricorde infinie, de Dieu aura soin de le prévenir, de vous
accompagner en vous gardant, comme j'ai déjà dit, au moment où vous sortirez de
cette vie. Sans cette protection divine, comment les forces humaines
pourraient-elles résister au choc de ces esprits malins, et comment les hommes
ne seraient-ils pas renversés par l'excès de leur frayeur?
8. En quelle consternation pensez-vous, rues
frères, que vous tomberiez, s'il était permis à un seul de ces esprits de
ténèbres, d'exercer, toute sa fureur parmi vous, et de vous épouvanter, on vous
apparaissant sous des figures monstrueuses? Qui d'entre nous aurait assez de
résolution pour le regarder, sas que ses sens et. son imagination n'en fussent
troublés ? Vous vous rappelez que, il n'y a pas longtemps, un religieux parmi
nous, qui s'était réveillé pendant la nuit, lut tellement troublé par la vue
d'un fantôme, qu'il pût à peine recouvrer l'usage de la raison, et qu'on eut
bien du mal à le rassurer. Vous fûtes vous-mêmes tout épouvantés par le cri
terrible qu'il poussa dans sa frayeur. Véritablement vous devez être confus de
ce que, en cette rencontre, la foi parut endormie en vous jusqu'à ce poila,
quoiqu'à la vérité cela soit arrivé pendant le temps de votre sommeil. Mais sans
doute, Dieu permit que cet accident arrivât pour nous avertir de considérer,
avec tout le soin possible, quels ennemis nous avons à combattre, de peur que
nous ne perdions de vue la haine qui les anima, ou que nous lie manquions de
reconnaissance pour la protection divine. Il est certain que c'est la violente
jalousie durit ces ennemis sont arrimés, qui les fait entrer dans une telle
fureur contre nous. Leur malice invétérée redouble, surtout pendant ces saints
jours, et témoigne assez combien votre serveur est pour eux un supplice
insupportable. Ils exercent de même leur jalousie furieuse contre les saints,
mais avec plus d'efforts que jamais, lorsqu'ils sont sur le point de sortir du
monde. Toutefois, ce n'est que de flanc, pour ainsi dire, qu'ils les attaquent,
car Dieu ne leur permet pas de le faire ni de les surprendre par derrière, .
9. Mais du reste, bien loin de semer les obstacles
sur votre chemin, ils n'approcheront même pas de vous. Non-seulement ils
n'oseront pas vous joindre pour vous blesser, mais ils ne pourront pas seulement
se tenir près de vous pour vous effrayer: Peut-être craignez-vous d'être tout à
coup saisis de frayeurs extrêmes, à la vue des formes monstrueuses, et des
hideuses figures sous. lesquelles ils peuvent se présenter à vous. Mais soyez
certains que vous serez toujours assistés par ce consolateur excellent dont il
est écrit. : " Les peuples. d'Éthiopie se prosterneront devant lui, et ses
ennemis mordront la poussière (Psal. LXXI, 9). " Certainement l'esprit malin
sera réduit,à rien en sa présence, et ceux qui le craignent seront dans la
gloire.
Sauveur Jésus, tant que vous serez présent, quel
que soit le nombre des ennemis qui viennent nous attaquer, que non-seulement ils
nous attaquent; mais qu'ils fondent sur nous avec furie : qu'ils nous assaillent
de toutes parts : ils s'écouleront et s'évanouiront en la présence du Seigneur,
comme la cire se fond à l'approche du feu (Psal. XXII, 4). Quelle crainte
aurai-je donc d'ennemis qui tomberont en défaillance? Quelle frayeur pourront
m'inspirer des adversaires qui trembleront eux-mêmes ? Quelle appréhension
pourront-ils faire naître eu moi, quand je les verrai tomber à mes pieds ?
Seigneur mon Dieu, je marcherais au milieu des ombres de la nuit, sans craindre
aucun accident si vous étiez toujours avec moi ! car le jour commencera bientôt
à paraître, les ombres vont bientôt se dissiper et les princes des ténèbres vont
tomber de côté et d'autre. Si maintenant que nous marchons dans l'obscurité de
la foi, et parmi, les suggestions malignes et cachées de nos ennemis, si
maintenant que nous sommes éloignés de toute lumière, notre foi ne laisse pas
d'être victorieuse, avec quelle facilité pensez-vous que la connaissance
parfaite de la vérité qui nous sera totalement découverte, ferai disparaître ces
images affreuses qui lie peuvent subsister que dans les ténèbres.
Et ne vous mettez pas en peine du nombre de vos
ennemis. N'ayez pas peur de leur multitude. Souvenez-vous qu'au premier
commandement du Sauveur (Matth. VIII, 32), une légion tout entière de démons se
retira du corps d'un homme qui en était possédé depuis longtemps déjà, et n'osa
point, sans son ordre, entrer dans le corps même de vils pourceaux où elle
voulait se réfugier. A combien plus forte raison, sous la conduite de ce même
Sauveur, tous nos ennemis seront-ils renversés de quelque côté qu'ils viennent,
et forcés de s'écrier avec un étonnement et une confusion extrême : " Quelle est
cette âme qui monte comme l'Aurore à son lever, belle comme la lune; pure comme
le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 9) ? " Dans
cet état glorieux, vous serez intrépides et tout à fait dégagés de craintes, et
vous ne serez occupés qu'à rendre grâces à Dieu, et qu'à lui donner des
louanges, en regardant avec tranquillité la confusion et la ruine de vos
ennemis. Il est certain que vous n'aurez plus alors aucune attaque à soutenir.
Vous ne craindrez plus la fureur de ces auteurs du péché; mais vous pourrez voir
quelle est leur punition.
10. Toutes les choses que je viens de vous dire
sembleraient pouvoir suffire pour aujourd'hui. Mais je crois que plusieurs
d'entre vous attendent quelque chose de plus : si je ne me trompe, ceux qui sont
plus désireux de s'instruire. ont envie de savoir ce que veut dire le Prophète
par ces paroles : " Il en tombera dix mille à votre droite et raille à votre
gauche, " ( car je ne pense pas qu'on doive entendre autre chose que le côté
gauche, par ce mot de côté, qui est mis sans addition, puisque, le droit est
nommé après). Sans doute aussi, ce n'est que par la raison de quelque mystère
particulier qu'il est dit, qu'il tombera plusieurs ennemis à la main gauche ;
mais qu'il en tombera bien davantage à la main droite. Mais ce serait tout à
fait manquer de lumière et, d'esprit que de s'imaginer que ces deux nombres
mille et dix mille ont été mis en ce lieu, sans aucun dessein de comparer le
plus grand avec le plus petit. Ce n'est pas ainsi que nous avons accoutumé de
prendre les paroles de l'Ecriture-Sainte, ni que l'Eglise les entend. Ces
paroles donc: Il en tombera mille à votre gauche, et dix mille à votre droite;:
signifient que les ennemis du salut ont coutume d'attaquer l'aile droite, et de
faire des entreprises et des efforts de ce côté, avec une plus grande et plus
violente méchanceté, et comme avec de plus fortes et plus nombreuses troupes. Et
si nous considérons le grand corps de l'Eglise, nous reconnaîtrons aisément que
les hommes spirituels sont: attaqués avec bien plus de violence que les
charnels. Et je pense que ce sont ces deux sortes de gens que distinguent le
côté droit et le côté; gauche. Evidemment la malice superbe, jalouse de notre
ennemi, le porte à faire de plus violents efforts contre les plus parfaits que
contre les autres, selon cette parole de l'Ecriture : " Il veut se nourrir de
viandes exquises (Habac. III, 16). " Et selon cette autre parole de Job : " Il
absorbera les fleuves, et ne s'étonnera point: et il a la confiance, que les
eaux du Jourdain couleront dans sa bouche (Job. XL, 8). " Voilà comment cet
ennemi fait la guerre aux élus. Mais ce n'est pas sans une disposition
particulière de la Providence , qui ne permet pas qu'il tente les plus
imparfaits au delà de ce qu'ils peuvent supporter, et leur fait même tirer
beaucoup de fruit des tentations; et qui prépare, par, ce moyen, aux plus
parfaits, de plus glorieux et de plus nombreux triomphes. Tous les élus seront
donc également couronnés, puisqu'ils auront légitimement combattu aux deux
ailes, et renversé les ennemis, et qu'on aura vu renverser chaque jour mille
ennemis à gauche et dix mille à droite. Ce fut en figure de ces heureux succès
de l'Eglise militante, que les femmes d'Israël, après que David eut signalé son
courage et sa force, et avant que la réprobation de Saül eut été déclarée en
Israël, chantaient en choeur : " Saül en a tué mille, et David dix mille (Reg.
XVIII, 7). "
11. Mais si vous aimez mieux rapporter cette
victoire des enfants de Dieu à chacun en particulier plutôt qu'à l'Eglise en
général, vous pouvez lui donner encore en ce sens une. interprétation
spirituelle, en consultant votre propre expérience. Nos ennemis s'appliquent
avec beaucoup plus de vigilance et de soin, et mettent en usage beaucoup plus
d'adresse et de tromperie, contre notre droite , que contre notre gauche, et se
proposent bien plus ardemment de nous faire souffrir des pertes du côté de l'âme
que du côté du corps. A la vérité, ces esprits méchants envient aux hommes aussi
bien les prospérités corporelles que les spirituelles, et travaillent à les
priver non-seulement du bonheur éternel, mais même du simple bonheur temporel.
Mais il est hors de doute, qu'ils s'attachent avec beaucoup plus d'ardeur à les
priver de la rosée du ciel, que de la graisse de la terre.
Je laisse à votre jugement de décider, si cette
comparaison des deux parties dont l'homme se compose au côté droit et au côté
gauche, est juste? Toutefois, je ne crains pas d'être repris si j'attribue les
biens spirituels à la droite, et les charnels à la gauche, par vous surtout, qui
avez toujours eu un si grand soin de ne pas confondre cette main droite avec la
gauche, ni la main gauche avec la droite. D'ailleurs la sagesse divine autorise
assez ma pensée, en plaçant dans sa main gauche les richesses et la gloire, et
dans sa droite l'éternité de la vie (Pror. III, 16). Il vous serait sans doute
extrêmement préjudiciable d'ignorer par quel endroit la multitude opiniâtre de
vos ennemis veut vous assaillir avec plus d'ardeur et de violence. Car il faut
résister avec plus de vigueur et de courage du côté où la nécessité de se
défendre se fait sentir davantage, où se porte tout l'effort de la guerre, où
doit se décider la lutte, où les vaincus doivent trouver une servitude pleine de
honte et d'ignominie, et les vainqueurs recevoir la gloire du triomphe.
12. Enfin, c'est pour cela, et non point par une
sorte de folie de votre part, qu'il semble que vous exposiez plus volontiers le
côté gauche aux coups de l'ennemi, afin' de concentrer tous vos soins à la
défense du côté droit. Car c'est en cette manière que tous les chrétiens doivent
imiter cette prudence du serpent, que Jésus-Christ a recommandée à ses,
disciples, en exposant tout;le corps, s'il en est besoin, pour mettre la tête en
sûreté. C'est en cela que consiste la véritable philosophie du christianisme.
C'est observer le conseil du sage, qui nous exhorte à mettre toute notre
vigilance et tous nos soins à garder notre coeur, parce qu'il est le principe de
la vie (Prov. IV, 23). C'est enfin imiter la miséricorde et la bonté de Dieu
envers ses serviteurs, et sa conduite envers ses élus; car il a coutume de
protéger et de défendre leur droite avec un soin particulier, et de délaisser la
gauche en quelque sorte comme s'il feignait d'ignorer qu'elle existe. C'est ce
qui fait dire au Prophète, en parlant de lui : " Je m'appliquais à considérer
que le Seigneur m'est toujours présent et me regarde toujours, parce qu'il ne
cesse point d'être à mit droite, afin que je ne sois pas ébranlé (Is. XV, 3). "
Ne vous semble-t-il pas qu'il ne tenait que la main droite du saint homme Job,
et qu'il ne grenait garde qu'à elle, puisqu'il avait permis à l'ennemi d'exercer
librement sa fureur, non-seulement sur ses possessions, mais aussi sur son
propre corps. " Respecte seulement son âme, avait dit le Seigneur à Satan (Job.
II, 6). " O bon Jésus, tout mon désir est que vous soyez toujours à ma droite.
Je vous demande instamment- de tenir toujours cette droite dans votre main. Car
je sais et je suis certain que nulle adversité ne pourra me nuire, tant que
'nulle iniquité ne dominera en moi. Qu'on dépouille en attendant, qu'on
meurtrisse mon côté gauche, qu'on l'accable d'outrages et qu'on le charge
d'opprobres, je l'expose volontiers aux coups, pourvu, Seigneur, que vous ayez
la bonté de conserver mon âme, et que vous daigniez être ma protection et ma
défense pour ce qui est de ma droite.
13. On pourrait aussi, avec beaucoup de raison;
par ces mille ennemis qui tombent à gauche; entendre plutôt les hommes que les
démons : parce que la plupart ne nous sont opposés et ne nous font la guerre
qu'à cause de biens temporels et passagers, en voyant avec un eeil d'envie que
nous les possédons, ou plutôt en s'affligeant, par une cupidité injuste, de ne
les posséder pas eux-mêmes. Car il y en a qui s'efforcent de dépouiller les
serviteurs de Dieu, des biens de ce monder; ou de leur ravir la faveur et la
bienveillance des hommes; ou mérite de leur ôter la vie du corps. La persécution
des hommes peut aller jusque là, mais ils ne sauraient nuire aux âmes. On voit
au contraire que c'est plutôt à l'occasion des biens célestes et éternels que
les démons ressentent de la jalousie à notre égard. Ce n'est pas toutefois dans
le désir d'acquérir pour eux ces biens dont ils nous veulent priver (car ils
savent que la perte qu'ils en ont faite est irréparable) : c'est seulement afin
que le pauvre qui est tiré de la poussière, ne puisse arriver à ce bonheur, dont
ces malheureux esprits que Dieu avait créés dans un état de gloire, sont déchus
sans retour. Ces esprits malins et opiniâtres: sont affligés de voir que la
fragilité des hommes obtienne une gloire, dans laquelle ils n'ont pu se
maintenir. S'il arrive quelquefois qu'ils s'efforcent de causer à quelqu'un
quelque dommage temporel, ou s'ils se réjouissent de lui en voir arriver, tout
leur dessein et toute leur pensée, c'est que ces pertes extérieures soient pour
ceux qui les souffrent ou pour tout autre, l'occasion d'une perte intérieure et
spirituelle ; comme au contraire, toutes les fois que les hommes entreprennent
de nous persuader quelque chose de funeste à notre droite, ce n'est pas ce
dommage spirituel qu'ils se proposent principalement, mais ils veulent, par là,
procurer quelque profit temporel soit à eux, soit à nous, soit à eux et à nous
en même temps. Ils n'ont en vue que le bien ou le mal qui peut en résulter, et
qu'ils ont l'intention de s'assurer ou de repousser loin d'eux, à moins qu'ils
ne soient assez méchants pour se changer en démons, et pour désirer que les
personnes qu'ils haïssent tombent dans la damnation éternelle.
14. pourquoi sommes-nous si languissants et si
endormis à l'égard des biens spirituels, puisque nous sommes l'objet d'attaques
si nombreuses de la part de nos ennemis spirituels ? J'ai honte d'en convenir;
mais ma douleur est trop violente pour me permettre de me taire. Combien, mes
frères, n'en trouve-t-on pas même parmi ceux qui ont embrassé la vie religieuse,
et qui font profession de vivre dans un état de perfection, qui semblent avoir
mérité cet oubli de Dieu, dont parle le prophète quand il s'écrie : " Jérusalem,
si je vous oublie, que ma droite même soit mise en oubli (Ps. CXXXVI, 5). " Car,
mettant tout leur soin à garder leur main gauche, ils font preuve d'une grande
sagesse, il, est vrai, mais d'une sagesse toute mondaine; à laquelle ils
devraient renoncer, que la chair et le sang inspirent aux hommes, quoiqu'ils
paraissent avoir résolu de ne s'y accommoder jamais,: pour se conformer à
l'Apôtre (Gal. I, 16). On les voit recevoir les biens de la vie présente avec
tant d'ardeur, éprouver une joie si mondaine des avantages passagers du siècle,
se troubler tant et manquer tellement de courage à la moindre perte des biens de
la terre, défendre leurs intérêts avec une disposition si charnelle, si prompts
et si hardis à courir de tous côtés et s'engager dans les affaires du siècle
avec un esprit si peu religieux, qu'il semblerait que ces choses temporelles
sont tout leur partage, l'unique héritage qu'ils ambitionnent. J'avoue qu'il y a
des laboureurs qui cultivent le peu de terre qu'ils ont avec plus d'application
et de soin encore, mais c'est parce qu'ils ne possèdent rien de plus grand et de
plus précieux. Un pauvre mendiant cache soigneusement un morceau de pain, parce
qu'il n'a point d'autre richesse à conserver que celle-là. Mais vous, pourquoi
vous abaisser à des soins semblables, et prodiguer misérablement ainsi vos
labeurs et. vos peines? Ne savez-vous pas que vous avez une autre possession et
une autre richesse à conserver? Et si vous pensez qu'elle soit encore éloignée,
vous êtes dans l'erreur. Il n'y a rien qui soit si proche de nous, que ce qui
est en nous. Peut-être me direz-vous, que si cette possession n'est pas loin de
vous, du moins elle nous est inutile, et que vous avez besoin, d'en chercher une
autre en cette vie, qui vous satisfasse davantage. Vous vous abusez étrangement.
Car vous trouverez la satisfaction et le repos que vous cherchez dans ce trésor
inestimable que vous avez au milieu de vous, vous ne le trouverez même que là.
Pensez-vous qu'il ne réclame pas tous vos soins, ou qu'il ne réponde pas assez,
à votre attente, ou bien vous imaginez-vous que cette possession est en sûreté,
et qu'il n'est pas besoin que vous vous mettiez en peine de la conserver? Sachez
que tous ces sentiments sont étrangement contraires à la raison : car c'est
principalement là qu'il est vrai de dire : Que l'homme ne pourra recueillir que
ce qu'il aura semé (Gal. VI, 8). Celui qui aura semé avec épargne ne pourra
faire une abondante récolte : et celui qui aura semé libéralement et avec
bénédiction, sera assuré de recueillir avec la même bénédiction ; en sorte qu'un
grain lui en rendra trente, un autre soixante, un autre cent. Mais vous n'avez
ce trésor dont je vous parle, que dans des vaisseaux de terre, si toutefois vous
l'avez encore ; car je crains bien que vous ne l'ayez perdu; qu'on vous l'ait
déjà ravi, que des étrangers aient déjà consumé toutes vos ressources, sans que
vous vous en soyez même aperçus. Et ce qui fait que vous ne pouvez pas
maintenant. appliquer votre coeur à votre trésor, c'est que vous l'avez
peut-être perdu. S'il en est autrement, je vous conjure, si vous êtes si
intéressés que vous ne veuillez pas perdre les choses même de la plus mince
valeur, et que vous croyiez devoir apporter tant de prudence à conserver de la
paille même, de ne pas négliger de conserver le bon grain qui est dans vos
greniers. Puisque vous tenez tant à un vil fumier, rie vous exposez point à
perdre un véritable trésor. Il y en a peut-être mille qui vous envient, la
possession,des biens temporels: mais il y en a dix mille qui s'efforcent de vous
ravir les biens spirituels et ceux-ci ne surpassent pas moins les premiers par
leurs artifices et leur cruauté; que par leur nombre. " Il en tombera, dit le
Prophète; mille à votre gauche et dix mille à votre droite. " Tournez de ce côté
les yeux de la foi afin d'observer vos ennemis. Ils se sont peut-être déjà
emparés de tous les passages. Peut-être font-ils déjà du dégât, et emportent-ils
leur butin en toute liberté. Peut-être se partagent-ils déjà les dépouilles
qu'ils ont faites. Pourquoi vous attachez-vous à défendre votre gauche avec tant
de soin? on ne croirait pas à vous voir que ces biens sont à gauche pour vous,
mais en face, car vous les avez toujours devant les yeux, et ils vous sont
tellement chers, que vous, ne pensez pas vous attaquer à la main gauche, mais
que c'est vous blesser à la prunelle des yeux que de toucher à ces sortes de
biens.
15. Mais prenez garde, qui que vous soyez qui
négligez ces biens qui sont à votre main droite, et qui faites tant de cas de
ceux qui sont à votre gauche, que Dieu ne vous place pas avec les boucs à cette
gauche que vous avez choisie (Matth. XXV, 32). Cette parole, mes chers frères,
est terrible, et ce n'est pas sans sujet que vous en êtes épouvantés. Mais il
n'est pas moins nécessaire de prendre garde à. ne pas mériter cette
condamnation, qu'il est juste de la craindre. Notre Seigneur Jésus-Christ, au
temps de sa Passion, après tous les effets inestimables de sa bonté pour nous,
voulut encore qu'on lui perçât le côté droit, pour nous signifier que c'était
seulement de ce côté-là, qu'il voulait épancher sur nous ses bénédictions et ses
grâces; et que c'était seulement en ce côté là qu'il voulait nous préparer un
lieu de refuge. Que je m'estimerais heureux d'être une de ces colombes qui se
retirent dans les trous de la pierre, dans les ouvertures du côté droit de
Jésus-Christ! Observez, avec moi, que notre Seigneur ne sentit pas cette
blessure qu'on lui fit au côté droit, attendu qu'il ne voulut la recevoir
qu'après s'être endormi dans la mort : pour nous apprendre, par cette
circonstance si mystérieuse, que tandis que nous vivons, nous devons toujours
veiller à la défense de ce côté, et qu'il faut tenir une âme pour morte,
lorsqu'elle reçoit quelque blessure de ce côté-là, sans en témoigner quelque
douleur, et avec une insensibilité pernicieuse. C'est avec beaucoup de raison
aussi que le coeur de l'homme est situé à gauche, puisque ses affections
penchent toujours, et sont toujours portés du côté de la terre. Le prophète qui
gémissait dans un profond sentiment des misères de cette vie (Eccli. X),
n'ignorait pas cette vérité, lorsqu'il s'écriait : " Mon âme s'est attachée à la
terre : Faites-moi vivre selon votre parole (Psal. CXVIII, 25) : " et un autre
prophète cri disant : " Elevons nos coeurs et nos mains vers Dieu (Thren III,
41), " voulait 'nous empêcher de demeurer où il voyait que la disposition
terrestre de note nature, et le poids de nos inclinations nous font toujours
descendre. Il est manifeste qu'il avait dessein !de nous porter, par ces
paroles, à détacher nos coeurs des choses dé la terre représentées par la main
gauche, et de les élever aux choses du ciel figurées par la droite. Les soldats
de la terre ne portent de boucliers que, du côté gauche: il ne faut pas que nous
les imitions si nous ne voulons pas être confondus avec ceux qui combattent
visiblement pour ce siècle , et non pour Jésus-Christ. " Quiconque , dit
l'Apôtre , combat pour Dieu, ne s'engage pas dans les affaires du siècle (II
Thren. II, 4); " c'est-à-dire porte son bouclier à droite, au lieu de le porter
à gauche.
16. Cependant, mes frères, si vous vous souvenez
des instructions que vous avez reçues, vous remarquerez que nous ne laissons pas
d'avoir besoin de nous couvrir et de nous défendre des deus côtés, selon cette
parole du prophète : " Sa vérité vous couvrira et vous environnera de tous côtés
comme un bouclier. " Et l'apôtre dit que nous devons combattre " par les armes
de la justice, à droite et à gauche (Corinth, VI, 7). " Mais écoutons celui qui
est la justice même, pour apprendre les différentes manières dont nous devons,
combattre selon le côté. Or tantôt il nous dit par son apôtre : " Ne vous
défendez pas, mes frères, mais cédez à la colère. (Rom. XII, 19) : " et ailleurs
: " C'est par la patience que vous posséderez vos âmes (Luc. XI, 19), " et
encore : " Ne donnez pas lieu au démon de prendre quelque avantage sur vous (Ephes.
IV, 27) : " et enfin : " Résistez au démon, et il s'éloignera de vous (Jac. IV,
7). " Ecoutez maintenant comment l'Apôtre nous enseigne à défendre l'un et
l'autre côté en même temps : "Ayez soin, dit-il, des choses qui sont bonnes, non
seulement devant Dieu, mais aussi devant les hommes (Corinth. VIII, 21) : car
c'est la volonté de Dieu qu'en faisant toujours bien, non seulement vous rendiez
inutiles l'envie et la haine des esprits malins, " mais que vous confondiez
encore l'ignorance des hommes imprudents (I Petr. II, 15). " Mais cette
protection nous sera-t-elle éternellement nécessaire, et nos ennemis nous
attaqueront-ils toujours de tous côtés à la fois? Non sans doute : car il
arrivera un temps, où non seulement ils n'auront plus la force de rien
entreprendre sur nous, mais encore où ils ne pourront pas même tenir en notre
présence, selon cette promesse : " Il en tombera mille à votre gauche, et dix
mille à votre droite : " car alors la malice des hommes n'aura plus de prise sur
nous : et pour ce qui est des démons,, nous n'en craindrons pas plus les légions
entières que des troupes de vers ou de mouches. Nous ne les regarderons plus que
comme les enfants d'Israël, après avoir passé 1a mer Rouge, regardaient les
Egyptiens étendus de tous côtés sur le sable, et considéraient leurs chariots
qui se perdaient au fond de l'eau. Nous chanterons comme eux au Seigneur des
cantiques de louanges, mais avec beaucoup plus de sécurité et de joie que ne le
faisaient les israélites, de ce qu'il se sera glorifié lui-même, en précipitant
nos ennemis avec toutes leurs forces et toutes leurs armes au fond même de
l'abîme.
HUITIÈME SERMON
" Vous contemplerez seulement de vos yeux, et vous serez spectateur
de la punition des méchants (Psal. XC, 8). "
1. Mes très chers frères, je ne vous ferais pas
toujours des discours si longs, si j'avais la liberté de vous entretenir plus
souvent; et je pense que vous, avez pu reconnaître quelquefois que la longueur
de mes entretiens ne venait que de là. Et quand mes occupations m’ont réduit à
cette fâcheuse nécessité, d'être plusieurs jours sans pouvoir vous faire
d'exhortation, et sans pouvoir vous consoler par mes discours, je pense que
personne de vous n'a dû s'étonner que, désirant ensuite réparer le temps perdu,
j'aie fait mes instructions plus longues, en raison de ce qu'elles étaient plus
rares, je commence, mes frères, par cette espèce de petite préface, afin que
vous excusiez la longueur du sermon d'hier et que vous ne trouviez rien à redire
si je suis plus court aujourd'hui; car j'ai sujet de craindre que cette longueur
d'hier n'ait déplu à quelques-uns, et que la brièveté d'aujourd'hui, ne déplaise
aux autres. Je crois même que l'on eût peut-être mieux aimé que ces deux
discours fussent également courts, que de les voir ainsi inégaux.
" Sa vérité vous couvrira d'un bouclier, dit le
Prophète: Vous ne craindrez point les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole
durant le jour, ni les entreprises que l'on fait dans les ténèbres, ni les
attaques et le démon du midi : Il en tombera mille à votre gauche et dix mille à
votre droite; mais aucun d'eux n'approchera de vous. " Je vous ai parlé dans mes
sermons précédents, selon que la vérité même a daigné me suggérer de le faire.
Je vous ai montré comment Dieu protège l'âme fidèle, tantôt contre les
tentations, et tantôt contre les difficultés de cette vie. Le même Prophète les
a marquées dans un autre psaume en moins de paroles qu'en celui-ci, lorsqu'il a
dit : " Je serai délivré par vous, de la tentation, et je dépasserai les
murailles par le secours de mon Dieu (Ps. XVII, 30). " Ce qui signifie que le
fidèle qui marché sous la conduite du Seigneur, ne rencontre rien dans la voie
du salut qui le blesse ou qui l'arrête. Le premier psaume nous montre comment
Dieu retire souvent notre âme des mains de ses ennemis; et le second, combien
notre délivrance est sûre et entière. Car dans les paroles qui suivent: " Vous
les verrez de vos yeux , " je crois qu'il est question de la promesse d'une
félicité immense : " Il en tombera, dit le Prophète, mille à votre gauche, et
dix mille à votre droite ; mais aucun d'eux n'approchera de vous, vous le verrez
de vos yeux. " Ainsi soit-il, Seigneur, ainsi soit-il; que mes ennemis tombent,
et que je ne tombe pas; qu'ils soient épouvantés et que je demeure intrépide;
qu'ils soient confondus et que je n'éprouve aucune confusion.
2. Le Prophète, par ces paroles, nous marque assez
évidemment : l'immortalité de l'âme : et même établit le dogme de la
résurrection des corps. Car elles signifient, que lorsque mes ennemis périront,
je subsisterai et serai en état de voir, de mes propres yeux, leur dernière
punition ; car il ne dit pas simplement : " Vous les verrez ; " mais il ajoute:
" de vos yeux : " c'est-à-dire de ces mêmes yeux qui languissent maintenant et
se fatiguent à force de regarder le Dieu de nos espérances qui arrive. En effet,
mes frères, les yeux nous manquent pour voir ce que nous espérons; car on ne
voit pas, dit l'Apôtre, ce que l'on espère; l'objet qui est présent à la vue, ne
pouvant pas être un objet d'espérance (Rom. VIII, 25 et 25). " Vous contemplerez
donc alors ce que vous ne pouvez voir maintenant, et ce sera de ces mêmes yeux
que vous n'osez pas seulement lever au ciel; oui, de ces yeux si souvent inondés
de larmes et abattus par la pénitence. Car, ne pensez pas que Dieu vous donne de
nouveaux yeux ; il renouvellera seulement les vôtres. Mais qu'ai-je besoin de
vous parler de nos yeux, qui sont ce qu'il y a de plus excellent dans le corps
de l'homme, malgré leur petitesse? Ne nourrissons-nous point dans notre cœur
cette, heureuse espérance, par la promesse de la Vérité qu'il ne périra pas même
un seul cheveu de notre tête ?
3. Si Dieu nous promet formellement que nous les
verrons de nos propres yeux, c'est peut-être parce qu'il semble que c'est le
souverain désir de l'âme, de voir les biens qu'elle attend. " Je crois, dit le
Prophète, que je verrai lesbiens du Seigneur en la terre des vivants (Ps. XXVI,
13). " L'âme qui ne voit en cette . vie que par la foi, désire avec ardeur
contempler de ses propres yeux la suprême vérité. L'oeil n'a nulle, part à la
foi, et elle est donnée et entretenue seulement par le ministère de l'ouïe. "
Cette foi fait subsister dans notre esprit les choses que nous espérons, elle
est un abrégé des vérités qui ne paraissent pas aux sens ( Heb. XI, 1). " De,
sorte que nos yeux font défaut à l'égard des objets de la foi, aussi bien que de
l'espérance; aussi un prophète a-t-il dit : " Le Seigneur m'a ouvert l'oreille (
Isa. 4, 5). " Mais quelque jour il nous ouvrira aussi les yeux. Il arrivera un
temps, où il ne se contentera pas de dire à l'âme fidèle : " Écoutez ma fille,
considérez, et que votre oreille soit attentive (Psal. XLIV, 12) : " mais il lui
dira, levez les yeux et contemplez. Contemplez quoi ? le souverain bien qui doit
nous combler de joie et de bonheur et que Dieu nous conserve. Quels sont ces
biens? ce ne sont pas seulement des biens infinis dont nous pouvons être
instruits par le ministère de l'ouïe et dont nous pouvons croire ce qui nous en
est enseigné; mais ce sont encore des biens dont l'oreille n'a jamais entendu
parler, qui ne sont jamais entrés dans la pensée de l'homme, et que son oeil n'a
jamais vus les biens que Dieu a préparés à ceux qui l'aiment (Isa. LXIV, 4 et 1.
Cor. II, 9). En sorte que notre oeil, par la vertu de la résurrection, sera
capable de voir ce que notre oreille n'a jamais entendu, et ce que notre esprit
même n'est pas capable de comprendre dans l'état où nous sommes. Et je pense que
c'est à cause de cet ardent désir qu'a notre âme de voir, même par les yeux du
corps, les vérités qu'elle apprend par l'oreille, et qui sont l'objet de sa foi,
que l'Écriture-Sainte parle de ces yeux corporels en des termes qui nous
promettent et qui nous annoncent évidemment que nous devons ressusciter. " Je
crois, dit le saint homme Job, que mon âme sera de nouveau rétablie dans ce
corps et que je verrai Dieu, mon Sauveur, eu ma propre chair; je le verrai,
dis-je, moi-même; ce ne sera pas un autre qui le verra à ma place : et je le
contemplerai de mes propres yeux. Cette espérance, continue-t-il, a été mise
dans mon sein comme un précieux dépôt (Job. XIX, 26 et 27). "
4. Nous avons, peut-être, sujet de faire une
attention particulière à ces paroles : " Je contemplerai de mes propres yeux, "
qui rappellent celles que je vous explique. Vous les contemplerez de vos propres
yeux (Psal. XC, 3). " Pensez-vous que mes yeux soient maintenant véritablement à
moi? Assurément non. Ils étaient autrefois à moi, et faisaient partie de ces
richesses dont Dieu m'avait confié l'usage, comme un père qui fait part de ses
biens à ses enfants. Mais j'ai mal conservé cette portion d'héritage; je l'ai
promptement perdue; je l'ai dissipée en peu de temps. La loi du péché s'était
emparée de tous mes membres, et s'en était rendue la maîtresse. La mort entrait
librement par mes yeux, et au lieu que j'en devais être exempt, j'en suis devenu
le captif. J'étais tombé dans une misérable et honteuse servitude, étant
assujetti non pas à des hommes, mais à une foule de passions des plus sales et
des plus impures. Je n'étais même pas simplement un mercenaire, mais un esclave,
et si éloigné de recevoir un salaire, que même on me refusait ma nourriture.
D'ailleurs cette nourriture, si je l'avais reçue, m'aurait été encore plus
funeste que la faim dont j'étais dévoré. Personne même ne voulait me donner ce
qu'on donne aux pourceaux, et dont je me serais contenté. En sorte que vivant
parmi ces animaux, il ne m'était pas même permis de vivre,, avec eux. Enfin mes
yeux étaient-ils à moi, lorsqu'au lieu de m'être utiles, ils faisaient leur
proie de mon âme elle-même ? Réduit à cette extrémité, j'ai été contraint de
remettre entre les mains de notre souverain dominateur tous les biens qu'il
m'avait donnés, afin qu'il les défendit de la tyrannie de mon ennemi, ce que je
ne pouvais faire moi-même.
5. Considérez attentivement, mes chers frères,
quelle puissance vous a délivrés du joug insupportable de Pharaon , afin de
prendre garde de ne faire plus de vos membres, des armes d'iniquité, pour vous
assujettir au péché, et le faire régner dans vos corps mortels. Ce n'est pas le
fait de votre puissance; mais c'est l'oeuvre de la droite du Seigneur. Il n'y a
que celui qui peut tout, qui puisse produire de si merveilleux changements. Ne
dites donc pas : " C'est notre main puissante qui nous a délivrés. " Mais
reconnaissez, et cette confession sera aussi salutaire que véritable, que c'est
le Seigneur qui fait en vous toutes ces choses. Enfin, que chacun de nous soit
convaincu qu'il a besoin de se tenir sur ses gardes en toutes sortes de
rencontres, de peur qu'il n'arrive que, pendant ces jours mauvais, comme dit l'Ecriture,
et tandis que nul homme n'est en sûreté nulle part, nous n'ayons la présomption
de reprendre l'héritage que nous avons entre les mains d'un gardien si bon et si
vigilant, et la volonté d'en user de nouveau, avec une liberté pleine de périls
et tout à fait pernicieuse. Il est jaloux des biens qu'il nous avait donnés;
mais c'est par une bonté paternelle qu'il en est jaloux. Ce n'est pas par envie;
mais dans une pensée de prévoyance, qu'il nous commande de lui laisser
entièrement entre les mains tout ce que nous possédons afin que, rien de ce
qu'il nous avait donné ne périsse.
Et lorsque vous serez arrivés à cette grande et
sainte Cité, dais l'enceinte de laquelle il fait régner la paix, et où l'on n'a
plus, à craindre les attaques des ennemis, non-seulement il vous rendra
entièrement à vous-mêmes, mais il se donnera lui-même à vous. En attendant,
éloignez-vous courageusement de votre propre volonté, et n'ayez jamais la
témérité d'usurper et de vous approprier l'usage des membres que vous avez
consacrés à Dieu, vous rappelant qu'ils sont destinés à des usages saints, et ne
les faites jamais servir à la vanité, à la curiosité, à la volupté ou à quelque
autre oeuvre mondaine de ce genre; car vous ne le pourriez faire sans un
très-grand sacrilège. " Ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont le
temple du Saint-Esprit que vous avez reçu de Dieu . et que vous ne vous
appartenez plus à vous-mêmes (I Cor. VI, 19)? " Votre corps, dit-il encore
ailleurs, n'appartient point à la fornication ( I, Cor. VI, 13). " Mais, à qui
appartient-il? Est-ce à vous? Je ne trouverais pas étrange due vous en
voulussiez disposer à votre gré, si vous pouviez le délivrez par vos propres
forces, de ses passions ou du moins si vous pouviez le défendre une fois qu'il
en serait délivré. Mais si vous ne le pouvez pas, ou plutôt puisque vous ne le
pouvez pas , laissez ce, corps, sous la domination du Seigneur, au lieu de le
laisser au pouvoir dei ses passions : qu'il serve à la sainteté pour qu'il ne
recommence à être encore, mais d'une manière plus fâcheuse, l'esclave des
passions. " Je ne vous propose qu'une sainteté humaine, dit l'Apôtre, à cause de
l'infirmité de votre chair, et de même que vous avez abandonné vos membres à la
servitude du péché, pour en commettre les oeuvres, ainsi consacrez maintenant
vos membres à la servitude de la justice, pour ne faire que des oeuvres de
sainteté (Rom. VI, 19). ",C'est donc à cause de la faiblesse de notre nature
qu'il se contente de parler de cette sorte, comme il le dit lui-même. Mais
lorsque ce qui était faible dans son origine sera établi dans une force
nouvelle, par la vertu de la résurrection, nous ne serons plus réduits à la
nécessité de nous soumettre à aucun genre, de servitude. Quand nous jouirons
d'une sécurité pleine de liberté, et d'une liberté pleine de sécurité,
pouvons-nous douter que Dieu ne nous rende pleinement à nous-mêmes ? Serait-il
possible que ce divin père de famille ne voulût pas établir dans une parfaite
liberté de fidèles serviteurs qu'il établira sur tous ses biens?
6. Vous contemplerez donc alors de vos propres
yeux, les objets qui feront votre bonheur, pourvu que en attendant vous soyez
fidèles à reconnaître que ces yeux appartiennent à Dieu, non à vous. Car, lors
même que vous n'auriez point d'égard aux voeux que vous avez faits, par
lesquels, en renonçant à votre propre volonté, vous avez consacré au service de
Dieu ces membres que vous ne sauriez défendre par vous-mêmes de la tyrannie du
péché, serait-il possible que vous eussiez envie de regarder comme étant à vous,
des membres dans lesquels une loi contraire à celle de Dieu habite toujours; si
elle n'y règne pas; des membres, dis-je dans lesquels la peine du péché, qui est
votre second ennemi, non-seulement demeure, mais- prévaut et domine sans
obstacles? Voulez-vous nommer votre corps, un corps qui est soumis à la mort à
cause du péché, ou bien, direz-vous. que votre chair appartienne à votre âme,
quand elle ne cesse de. l'accabler? Certainement si nous voulons donner à ce
corps le nom qui lui convient, nous ne. devons pas l'appeler notre corps, mais
notre fardeau et notre prison. De même comment pouvons-nous dire, par exemple,
que nos yeux sont à nous, lorsque la plupart du temps, soit que nous le
voulions, soit que nous ne le voulions pas, ils sont accablés par le sommeil et
incommodés par la fumée ? Un peu de poussière les blesser: une humeur maligne
qui s'y répand leur cache la lumière tout d'un coup : ils ressentent quelquefois
des douleurs excessives; et enfui ils s'éteignent entièrement à la mort.
Vos yeux ne commenceront à être pleinement à vous,
que lorsqu'ils ne seront plus sujets à tous ces accidents, et que vous aurez la
liberté entière de vous en servir, pour contempler toutes choses à votre gré,
sans craindre aucun empêchement. Nous ne serons plus occupés alors à détourner
nos yeux de la vanité, parce qu'ils seront toujours occupés à contempler la
vérité dans toute sa pureté. La mort n'entrera plus dans notre âme par
l'ouverture de nos yeux, car cette dernière ennemie aura péri elle-même.
Pourriez-vous craindre que, dans le ciel, où tous le saints brilleront comme
autant de soleils, vos yeux ne fussent éblouis? J'avoue que cela serait à
craindre, si la résurrection ne devait pas mettre nos yeux, comme toutes les
autres parties de notre corps, dans un état de gloire.
7. " Et vous serez spectateur de la punition des
méchants. " Ce sera pour eux un insupportable supplice, et le comble de tous
leurs maux d'être ainsi exposés à la vue des saints. Car il semble que ce leur
serait une sorte de soulagement dans leurs tourments, de pouvoir se faire
oublier de ceux qu'ils ont persécutés avec tant de méchanceté, ou du moins de
pouvoir s'éloigner de leur vue. Mais si ce doit être pour eux un surcroît de
misère et d'affliction que nous les voyons dans leurs supplices, quel besoin
aurons-nous pour nous-mêmes d'avoir cet objet devant les yeux? Quelle utilité,
quelle satisfaction en pourrons-nous tirer? Car, en l'état où nous sommes, que
peut-on se figurer de plus contraire à la charité, de plus inhumain, de plus
cruel, que de repaître ses yeux de la vue du sang même de ses plus cruels
ennemis, quelque méchants qu'ils fussent? Il est néanmoins certain que comme les
pécheurs, voyant que Dieu appellera les justes à la participation de sa gloire,
en sécheront d'envie, et en frémiront de dépit et de rage; ainsi les justes,
voyant les maux dont ils seront garantis, en seront comblés de joie. Car Dieu
appellera les élus à son royaume, avant de précipiter les réprouvés dans les
flammes éternelles, afin que ces malheureux sentent une plus vive douleur en
regardant ce qu'ils auront perdu. Et comme la vue de cette terrible séparation
des boucs d'avec les agneaux sera, aux réprouvés, l'occasion d'une violente
jalousie, ainsi la considération de l'état déplorable des réprouvés sera, aux
élus, un sujet infini d'actions de grâces et de louanges. Car, où les justes
pourraient-ils trouver une plus ample matière à rendre grâce à Dieu au sein de
leur inénarrable félicité, que dans la vue de la punition des méchants à
laquelle ils n'ont échappé que par la miséricorde du Rédempteur qui les a
distingués de ces misérables? D'où viendraient également aux méchants leurs
sentiments de fureur et de désespoir, sinon de ce qu'ils verront que d'autres
qu'eux seront élevés, en leur présence, dans le règne de l'éternelle félicité,
tandis qu'ils seront réduits à gémir éternellement dans les puanteurs de
l'enfer; dans ces horreurs et ces tourments d'un feu éternel, et dans les
misères d'une mort immortelle.
" Il n'y aura dans ce lieu de leur supplice, comme
dit Notre Seigneur, que des pleurs et des grincements de dents (Matth. XIII,
50)." Le feu qui ne s'éteindra jamais, les fera toujours pleurer, et les remords
de leur conscience, qui. les rongeront comme un ver immortel, exciteront sans
cesse leur horrible grincement de dents. Car la douleur leur fera répandre des
larmes, et, dans leur fureur, ils grinceront les dents. Ainsi les tourments
extrêmes que souffriront les damnés, les forceront de pleurer, et la véhémence
de leur jalousie, jointe à leur malice obstinée, les remplissant de rage, les
contraindra sans cesse de grincer des dents. Vous serez donc spectateurs de
cette punition des méchants, afin que, en connaissant par eux de quel péril vous
aurez été délivrés, vous ne! puissiez jamais devenir ingrats envers votre
souverain libérateur.
8. Ce n'est pas, seulement pour cette raison que
Dieu veut que ses élus contemplent, de leurs propres yeux, les châtiments de ses
ennemis, mais c'est encore afin de les tenir dans une parfaite assurance; et
dans un plein repos. Car ils verront qu’ils n'auront plus à craindre la malice
des hommes ni celle des démons : en effet, ils en auront vu mille à droite et
dix mille à gauche précipités pour l'éternité dans l'enfer. Pensez-vous que les
bienheureux , sans cette assurance, ne pourraient pas tomber encore dans quelque
crainte, et se défier de ce serpent, dont les ruses surpassent tout ce qu'on
peut imaginer de plus artificieux dans toutes les autres créatures? Pensez-vous
que se souvenant que la première des femmes étant pleine de forces et de
lumières, ne laissa pas d'être séduite dans le paradis par ce dangereux ennemi,
ils se puissent croire tout à fait à l'abri de ses embûches, s'ils ne voyaient
ce chef des réprouvés, avec tous ses membres, précipité dans les flammes
éternelles, et un abîme infini se creuser entre eux et lui?
9. Quand vous considérerez la punition des
pécheurs, vous aurez encore ce troisième avantage que l'éclat de votre gloire
vous paraîtra plus grand, par la comparaison que vous en ferez avec leur
horrible misère : car lorsqu'on compare entre elles des choses contraires, leur
opposition ressort plus vivement. Ainsi le blanc parait davantage quand on le
compare avec le noir; et le noir, plus noir quand il est opposé au blanc. Le
Prophète d'ailleurs s'en explique bien clairement : " Le juste, dit-il, se
réjouira, quand il verra la vengeance, pourquoi cela ? parce qu'il lavera ses
mains dans le sang du pécheur (Psal. LVII, 11). " Il ne souillera pas, mais il
lavera ses mains dans ce sang en sorte que ce sang qui souille le pécheur fera
paraître le saint plus pur, et la honte de l'un donnera un nouveau lustre à
l'autre.
10. Ces trois raisons montrent assez que dans
l'état où seront les élus, ils seront bien éloignés d'avoir pour ce spectacle
aucun des sentiments de répugnance que nous éprouverions maintenant. Mais ce
n'est pas encore pour ces raisons que la Sagesse divine rira de la perte des
réprouvés. Il est hors de doute qu'elle en fera sa joie , puisqu'elle même le
prédit, et qu'elle est incapable de mentir. " C'est, dit-elle, parce que je vous
ai appelés et que vous n'avez pas répondu à ma voix, parce que je vous ai tendu
les mains et que vous n'avez point voulu me regarder, c'est pour cette raison,
ajoute-t-elle un peu plus loin, que je rirai de votre perte, et me moquerai de
vous, lorsque les maux que vous craigniez le plus vous seront arrivés; lorsque
vous serez accablés par une soudaine calamité, et que la ruine fondra sur vous,
comme une tempête (Prov. I, 24). " Qu'est-ce donc, à notre avis, qui doit plaire
à la Sagesse éternelle dans la perte des insensés, sinon la juste disposition,
et l'ordre irrépréhensible des choses qui se feront remarquer dans cette perte ?
Certainement ce qui sera agréable à la Sagesse éternelle plaira pareillement aux
sages. Ne pensez donc pas qu'il sera dur et pénible, pour vous, de contempler,
de vos yeux, les supplices des méchants, selon la promesse qui vous en est faite
; puisque vous rirez même de leur perte, non point par un barbare sentiment de
cruauté, mais parce qu'il est impossible que la vue de l'ordre parfait établi
par la divine Providence, ne donne pas un extrême plaisir à tous les hommes qui
auront du zèle pour la justice et pour l'équité. Quand vous connaîtrez
pleinement et parfaitement, par la lumière de la vérité dont vous serez remplis,
que toutes choses sont parfaitement ordonnées, et que à chacun est échue la
place qui lui convient, ou plutôt que chacun a le sort qu'il mérite. Comment ne
pas donner des louanges au dispensateur souverain de toutes choses? Saint Pierre
parlant de la perte du fils de perdition, dit avec raison : " qu'il était allé à
sa place (Act. 1, 25). " Il était convenable, eu effet, que le compagnon des
puissances de l'air mourût aussi en l'air, par l'épanchement de ses entrailles,
et que celui qui avait trahi le Sauveur vrai Dieu et vrai homme, descendu du
ciel pour opérer notre salut sur la terre, mourût ainsi entre le ciel qui ne le
recevait point et la terre qui ne pouvait plus le souffrir.
11. Voilà donc pourquoi vous contemplerez de vos
propres yeux, et serez spectateurs de la punition des méchants. " Premièrement,
pour que vous voyiez la damnation ài laquelle vous avez échappé, secondement,
pour que vous reconnaissiez mieux combien grande est votre sécurité ; en
troisième lieu, pour que vous puissiez comparer votre état à la misère des
méchants ; et quatrièmement, pour la satisfaction de votre zèle de la justice.
Et nous ne devons pas penser que là où il n'y aura plus aucun espoir de
correction pour les méchants ; il n'y ait plus encore place pour eux à quelque
sentiment de compassion. Alors nous serons étrangers à cette sympathie naturelle
qui est propre à l'infirmité de la nature humaine. La charité sait en faire
usage pour le salol durant cette vie, en recevant dans son sein les différents
mouvements de l'âme, tant ceux qui portent à la joie, que ceux qui portent à la
tristesse, de même que le pêcheur sur mer prend indifféremment dans ses filets
tous les poissons bons et mauvais qui se présentent, et ne les sépare que sur le
rivage, en sait user maintenant. Mais un jour elle portera tellement les saints
à se réjouir avec ceux qui seront clans la joie, qu'elle les rendra incapables
de s'affliger avec ceux qui seront dans la tristesse et les larmes. Et comment
pourrions-nous condamner les coupables si cela n'était pas, si nous n'étions
entièrement dégagés de cette sensibilité qui mous fait compatir aux peines des
autres, et. si nous n'étions établis dans les celliers enivrants du Seigneur
dont le Prophète a voulu parler quand il a dit : " J'entrerai dans les
puissances du Seigneur, ô mon Dieu, je ne veux me souvenir que de votre justice
(Psal: LXX, 16) ? " Et même en ce monde, il ne nous est pas permis de considérer
la personne du pauvre, ou d'avoir pitié de lui, quand il s'agit de le juger;
mais nous sommes obligés, dans ces rencontres, de retenir les sentiments de
compassion, quelque peine que cela nous fasse, et nous devons penser seulement à
rendre nos jugements équitables. A combien plus forte raison lorsque nous ne
sentirons plus aucun combat en nous-mêmes, et que nous ne serons plus capables
d'aucune impression de tristesse et de douleur, faudra-t-il que cette prophétie
s'accomplisse : " Les juges seront absorbés et joints à la pierre (Psal. CXL, 6)
; " c'est-à-dire : Ils seront entièrement absorbés dans l'amour de la justice,
et imiteront la solidité de la pierre à laquelle ils seront unis ? De cette
Pierre, dis-je, pour laquelle ils ont tout abandonné. C'est là ce que le Sauveur
a promis en ces termes, pour récompense, à saint Pierre qui lui avait demandé ce
qu'ils recevraient un jour : " Lorsque le fils de l'homme sera assis sur le
siège de sa majesté, vous aussi, vous serez sur douze sièges, et jugerez les
douze tribus d'Israël (Matth. XX, 28). " C'est ce qui faisait dire au Prophète :
" Le Seigneur viendra pour juger avec les plus anciens de son peuple (Isa. III,
14). " Pensez-vous qu'on puisse trouver quelque chose de flexible dans des juges
qui sont unis et incorporés à cette pierre de l’Ecriture? " Celui qui est
attaché à Dieu, dit l'Apôtre, ne fait avec lui qu'un esprit (I. Cor, VI, 17) ; "
et celui qui est uni à la pierre rie fait qu'un avec elle. Sans doute c'est
après cet heureux état que soupirait le Prophète quand, il disait : " Il m'est
bon de m'attacher à Dieu (Psal. LXXII, 28)." Les juges des rations seront donc
absorbés dans la justice, parce qu'ils seront entièrement unis à celui qui nous
est figuré par cette pierre. Quel témoignage d'amour ! quel comble d'honneur !
quels privilèges pour ceux qui mettent en Dieu tout leur espoir ! quelle
sécurité parfaite !
12. Que pouvons-nous maintenant nous figurer de
plus à craindre, de plus capable de nous remplir d'inquiétudes, et de nous
donner des appréhensions, que d'avoir à paraître devant le tribunal de Dieu pour
être jugés, et d'attendre la sentence d'un juge si exact et si rigoureux, sans
pouvoir être surs qu'elle sera favorable? " C'est une chose horrible, dit
l'Apôtre, que de lomber entre les mains du Dieu vivant (Hebr. X, 30). " Dies
frères, préparons-nous à ce jugement formidable, en commençant par nous juger
nous-mêmes, dès cette vie. Dieu ne jugera pas une seconde fois ceux qui auront
déjà été jugés. il est certain que s'il y a des hommes manifestement condamnés
pour leurs péchés avant qu'on les juge , il y en a aussi qui préviennent leur
juge en leur faveur par leur bonnes couvres. Les premiers, sans attendre la
sentence de leur souverain juge, tomberont soudainement dans les supplices
éternels par le propre poids de leurs crimes ; et les autres, au contraire,
monteront, avec toute la liberté que l'esprit de Dieu leur donnera, et sans
aucun retard, sur les trônes qui leur auront été préparés. Sauveur Jésus, que la
pauvreté volontaire de ceux qui quittent toutes choses pour vous suivre est
heureuse ! Qu'elle est heureuse et désirable cette pauvreté volontaire,
puisqu'elle établira dans une si grande sécurité et qu'elle fera monter à une si
haute gloire, les personnes qui l'auront embrassée, alors qu'il arrivera tant de
bouleversements dans la nature, que 1a justice divine examinera nos mérites avec
une rigueur capable de faire trembler les justes, et que les hommes seront dans
l'attente du jugement ! Considérons, maintenant, ce que l'âme pieuse répond aux
promesses de Dieu, pour lui témoigner que, si elle est éloignée de la défiance,
elle n'a pourtant que la confiance qu'elle doit avoir. " Seigneur, dit-elle,
vous êtes toute mon espérance, " Que pourrait-elle dire qui montrât davantage
son humilité et sa piété? ruais aussi il semble que cette protestation ne
pouvait recevoir une réponse plus convenable que celle qui suit : " Vous avez
placé votre refuge extrêmement haut. " Mais pardon, mes frères, il me semble que
j'ai encore un peu dépassé aujourd'hui les bornes de la brièveté que je vous
avais promise.
NEUVIÈME SERMON
" Ce bonheur m'arrivera, parce que vous êtes mon, espérance.
Vous avez placé votre refuge extrêmement haut (Psal. XC, 9). "
1. Entretenons-nous aujourd'hui, mes frères, de la
promesse du Père, de l'espérance des enfants, de la fin de notre pèlerinage; de
la récompense de notre travail, du fruit de notre captivité. Il est hors dé
douté que nous sommes maintenant dans une dure captivité, je ne parle pas
seulement de cette captivité commune, qui est la conséquence de la condition où
sont maintenant réduits tous les hommes; mais j'entends cette captivité
particulière, par laquelle, en nous appliquant avec zèle et ardeur, à mortifier
notre propre volonté, et nous préparant à perdre même la vie que nous possédons
en ce monde, nous nous sommes jetés dans les liens de la rigoureuse discipline
de notre institut, et dans les exercices de cette austère pénitence qui nous est
comme une prison. Quelle servitude affreuse si elle était forcée, au lieu d'être
volontaire! Mais puisque vous faites votre sacrifice à Dieu volontairement, et.
que vous ne faites aucune violence à votre volonté que par votre volonté même,
il faut qu'il y ait là quelque chose qui vous pousse, et ce quelque chose est si
grand, que rien ne saurait être plus grand. A-t-on sujet de se plaindre, quelque
difficile et quelque pénible que soit une chose , quand on ne l'entreprend que
pour Dieu? Si quelquefois la grandeur de nos peines porte ceux qui mous voient à
quelque sentiment de compassion, la pensée de la cause pour laquelle nous
souffrons doit les obliger au contraire à se réjouir avec nous; ajoutez à cela
que toutes nos bonnes couvres, non- seulement se font pour Dieu, mais ne se font
que par, lui? Car c'est lui qui opère en nous le vouloir, et le parfaire, selon
son bon plaisir, (Phil. II, 13). Il est donc l'auteur de tout le bien que nous
faisons; c'est lui aussi qui le récompense, et la récompense, c'est lui. De
manière que ce Dieu, qui est le souverain bien, et dont l'unité est si parfaite
en lui-même, se multiplie en quelque sorte en nous, car il est doublement cause
de toutes nos, bonnes actions, cause effective et cause finale. Ce vous est donc
un grand bonheur, mes très-chers frères, que non-seulement vous subsistiez et
persévériez dans toutes les épreuves où vous vous trouvez, mais que vous en
triomphiez encore par la' grâce de celui qui vous a aimés. En effet, n'est-ce
pas aussi par lui que vous êtes victorieux,? Ont, sans doute ; et c'est ce que
l'Apôtre nous enseigne manifestement en ces termes : " Comme nos afflictions
sont abondantes pour Jésus-Christ, ainsi nos consolations sont abondantes par
lui (Cor. 1, 5). "
2. Cette parole, "pour Dieu, " est fort en usage.
C'est une façon de parler extrêmement commune. Mais en même, temps, c'est une
parole d'une très-grande profondeur. Elle se trouve souvent en la bouche des
hommes, même de ceux qui montrent assez qu'elle est loin de leur coeur. Tous les
hommes demandent qu'on leur accorde, pour Dieu, ce qu'ils désirent obtenir. ils
demandent avec instance que, pour Dieu, on les assiste dans leurs besoins; et
quelquefois on demande facilement; pour Dieu, ce qui n'est pas toujours selon
Dieu, et qui est plutôt contre Dieu. On sollicite souvent pour soi, au nom de
Dieu, des choses qu'on est loin de désirer par amour de Dieu, et qu'on souhaite
au contraire en dépit, de Dieu. Néanmoins cette parole est vive et efficace,
lorsqu'on ne la dit point négligemment, par manière de parler, par habitude, ou
par artifice, afin de mieux persuader ce qu'on désire, mais lorsqu'elle ne
procède; comme cela doit être, que de l'onction, de l'abondance de la piété, et
de la pureté d'intention. Le monde passe et périt avec toutes ses convoitises;
et ceux qui agissent pour ce monde si :passager et si périssable, connaîtront,
lorsqu'ils le verront périr, que les choses qu'ils ont faites pour lui n'ont pas
eu ne fin. utile, ni un fondement solide: Quand la cause pour laquelle on avait
agi viendra à manquer, comment se pourra-t-il faire que les choses, qui
n'étaient appuyées que sur elle ne tombent point avec elle ? Voilà pourquoi,
comme dit l'Apôtre, ceux qui sèment en la chair, ne recueilleront que la
corruption, attendu que ce qu'elle est, n'est que comme l'herbe des champs,
toute sa gloire, comme les fleurs des prairies (Isa. XL, 6). Sitôt que l'herbe
se fane, ses fleurs perdent leur éclat et leur beauté. Il n'y a que celui qui
est la cause souveraine de toutes choses qui ne puisse finir; et ce n'est point
la fleur des champs, mais sa parole qui demeure éternellement. "Le ciel, dit-il,
et la terre passeront, mais ma parole ne passera point (Matth. XXIV, 35). "
3. C'est donc, mes très-chers frères, avec
prudence et à propos, que vous avez choisi de marcher, par des voies dures et
difficiles, à cause des paroles de Notre-Seigneur,et que vous semez là où vous
ne sauriez perdre le moindre grain de votre semence. Il est certain que celui
qui sème peu, ne laissera pas de moissonner, mais la moisson ne sera pas
abondante (II. Cor. IX, 6). Moissonner, c'est recevoir la récompense, et nous
savons quel est celui qui a promis que quiconque aura donné pour son nom, même
un seul verre d'eau fraîche, ne sera point frustré de la récompense qu'il aura
méritée (Matth., X, 42). Mais ne savons-nous pas qu'il nous rendra la même
mesure que nous aurons donnée pour lui, et qu'il donnera une récompense
proportionnée à leur mérite, à ceux qui ne se seront pas contentés de présenter
un verre d'eau à leurs frères, mais qui auront répandu leur propre sang, et bu
le calice du Sauveur qui leur aura été offert. Ce calice n'est point rempli
d'eau fraîche seulement; il est plein d'une liqueur enivrante.,C'est un calice
de vin pur, ou plutôt de vin mélangé. Il n'y a que Jésus-Christ qui ait eu, dans
ses souffrances, un vin d'une entière pureté, parce qu'il n'y a que lui qui soit
parfaitement pur, et qui, par son infinie pureté, peut rendre purs ceux qui ont
une origine impure. Il n'y a que lui qui ait bu un vin pur, parce que, en tant
que Dieu, il est cette sagesse qui est présente et qui agit partout, sans que
rien puisse diminuer sa pureté, et que, en tant qu'homme, il n'a point commis le
péché, et n'a pas laissé sortir de sa bouche une parole qui n'ait été véritable.
Il n'y a que lui seul qui n'ait point goûté la mort par la nécessité de sa
condition, mais par le seul bon plaisir et le choix de sa volonté , et sans vue
d'intérêt, car il ne saurait avoir besoin de quoi que ce soit qui dépende de
nous. Car ce n'a point été pour reconnaître notre affection par une affection
réciproque, qu'il a voulu se soumettre à la mort, puisqu'il ne l'a pas soufferte
pour des amis qu'il eût déjà acquis, mais pour des amis qu'il devait acquérir,
en se faisant des amis de ses propres ennemis. Car, comme dit l'Apôtre, c'est
lorsque nous étions encore ennemis que nous avons été réconciliés à Dieu par le
sang de son Fils, ou plutôt, c'est en effet pour ses amis qu'il est mort, sinon
pour des amis qui l'aimassent déjà, du moins pour des amis que lui-même aimait
beaucoup. Il est certain que la grâce de Dieu a consisté principalement, non pas
en ce que nous avons commencé par aimer Dieu, mais en ce qu'il nous a aimés le
premier. Voulez-vous apprendre combien il nous a aimés longtemps avant que nous
l'aimassions? Ecoutez l'Apôtre : "Bénissons Dieu, dit-il, le Père de Notre
Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés de toutes bénédictions spirituelles
par les biens célestes en Jésus-Christ; car il a fait choix de nous en lui avant
la création du monde; " et un peu plus loin : " il nous a comblés de ses
bienfaits en son fils bien-aimé ( Ephes. I, 3). " Comment donc n'aurions-nous
pas été dès ce moment aimés en ce Fils, lorsque nous étions déjà choisis en lui?
Et comment n'aurions-nous pas été agréables à celui en qui nous avons reçu la
grâce qui nous a sanctifiés? Si donc, selon l'ordre des temps, Jésus-Christ est
mort pour des impies, selon l'ordre de la prédestination, il est mort pour des
frères et pour des amis.
4. Il paraît donc par toutes ces circonstances,
qu'il n'y a qu'en lui qu'on trouve le vin exempt de tout: mélange, et nul, parmi
les saints, n'oserait prétendre qu'on n'a point sujet de lui appliquer cette
parole d'un prophète . " Votre vin est mêlé d'eau (Isa. I, 22). " D'abord parce
qu'il n'y a personne en cette vie qui soit exempt de toute souillure, et que
personne ne peut se donner la gloire d'avoir le coeur entièrement pur. En second
lieu, parce qu'il faut qu'un jour nous acquittions la dette de la mort. En
troisième lieu, parce que ceux qui exposent leur y vie pour Jésus-Christ,
achètent et gagnent la vie éternelle. Mais qu'ils seraient malheureux s'ils
rougissaient de lui rendre témoignage jusqu'à la mort! Il y a encore une
quatrième raison pour laquelle le désir que peuvent avoir les hommes de mourir
pour Jésus-Christ est toujours mêlé de quelque défaut, c'est que-ce témoignage
est toujours fort disproportionné et fort inégal en comparaison de cet amour si
grand qu'il a eu pour eux. Néanmoins celui qui, dans toute sa personne, est si
exempt de tout mélange d'imperfection, ne dédaigne pas le bien qu'il voit en ses
serviteurs, quoiqu'il soit mêlé de beaucoup de défauts. Et c'est ce qui a fait
dire à l'Apôtre, qu'il accomplissait en son corps les choses qui manquent à la
passion de Jésus-Christ (Coloss. I, 24). Il doit donc donner à tous ses élus le
salaire de l'éternelle vie. Mais comme une étoile diffère en sa clarté d'une
autre étoile, et que la lumière du soleil, celle de la lune et celle des étoiles
sont des lumières diverses et inégales ; ainsi en sera-t-il des saints après la
résurrection. Il n'y aura, selon le langage de l'Evangile, qu'une maison dans le
ciel; mais il y aura plusieurs demeures en cette maison. De telle sorte qu'en ce
qui regarde l'éternité et l'abondance de la récompense, le saint qui aura peu,
en comparaison d'un autre, ne souffrira pourtant aucune diminution. Et celui qui
aura davantage, n'aura rien au delà de la mesure; Dieu fera recevoir à chacun
selon son travail, afin que le moindre grain que l'on a semé porte son fruit en
Jésus-Christ.
5. Je suis entré dans ce détail, mes frères, afin
de vous faire estimer la réponse si spirituelle et si excellente que nous avons
à considérer aujourd'hui : " Seigneur, vous êtes mon espérance." Quelque chose
donc que j'entreprenne, de quelque chose que je me détourne, quoi que je souffre
ou que je désire, Seigneur, vous êtes toute mon espérance. C'est par cette seule
espérance que je tiens compte de toutes vos promesses, elle est le fondement de
mon attente. Que les uns fassent valoir leurs mérites, que les autres se vantent
de supporter le poids du jour et de la chaleur; que d'autres enfin allèguent
leurs jeûnes, et se glorifient de n'être pas comme le reste des hommes ; pour
moi je trouve tout mon bien à m'attacher à Dieu et à mettre en lui toute mon
espérance. Qu'il y en ait qui: espèrent en d'autres secours, que l'un se confie
en sa science, l'autre en la sagesse du siècle; celui-ci en sa noblesse,
celui-là en sa dignité et en sa puissance, et ce dernier en quelque autre vanité
; pour moi je regarde toutes ces choses comme un vil fumier, parce que,
Seigneur, vous êtes mon unique espérance. Mette qui veut son espérance dans les
richesses incertaines, pour moi, je ne demanderai, que de vous le pain de chaque
jour, plein de confiance en ces paroles que vous avez dites, et sur lesquelles
je me suis fondé en renonçant à toutes choses : " Cherchez premièrement le
royaume de Dieu et, la justice, et toutes les autres choses vous seront
accordées comme par surcroît (Matt. VI, 33); " car " le pauvre est abandonné à
vos soins, et vous donnerez secours à l'orphelin (Psal. IX, III). " Si on me
parle: de récompenses, c'est par vous que j'espérerai. les obtenir. Si on me
faite la guerre, si le monde exerce contre moi sa fureur, si l'ennemi, qui est
la méchanceté même, frémit de rage contre moi, si ma chair me tourmente par des
désirs contraires à l'esprit, je mettrai mon espérance en vous.
6. Voilà, mes frères, quels doivent être vos
sentiments. Les avoir,c'est vivre de la foi ; et personne ne saurait dire du
fond de son coeur a Vous êtes mon espérance (Psal LIV, 23) ; " sinon celui à qui
l'esprit de Dieu a fortement persuadé (selon le mot du Prophète), d'abandonner.
tous ses soins et toutes ses pensées à Notre-Seigneur, en se tenant assuré qu'il
ne manquera pas de pourvoir à sa nourriture, selon cette parole de l'apôtre
saint Pierre : " Renoncez à toutes vos inquiétudes, et remettez-les entre les
mains de Notre-Seigneur, car il a soin de vous, (Petr. V. 1). " Si nous avons
ces sentiments dans le coeur, pourquoi différons-nous de rejeter entièrement
les, espérances qui n'ont rien; que de vain, d'inutile, de trompeur et de
misérable, pour nous,attacher de toute notre âme, et avec toute- la ferveur de
notre esprit, à cette espérance si solide, si parfaite, si heureuse ? Si quelque
chose est impossible à notre Dieu, si quelque chose lui est difficile, cherchez
un autre fondement de vos espérances que lui. Mais il peut tout par sa seule
parole, or qu'y a-t-il; de plus facile que de dire un mot? Mais il faut entendre
ce que c'est que ce mot. S'il a résolu de nous sauver, nous serons sauvés, s'il
veut nous donner des récompenses éternelles, i1 lui est permis de faire ce qu'il
lui plaît. Mais serait-il possible que ne doutant pas de la facilité que Dieu a,
de faire ce qu'il veut, vous eussiez quelque défiance de sa volonté ? Les
témoignages qu'il a rendus de cette, volonté sont dignes de notre confiance au
delà de tout ce qu'on en peut dire. ", Personne, dit-il, ne saurait avoir un
plus grand amour que celui par lequel on expose sa vie pour ses amis (Joan. XV,
13). " Quand est-ce que cette grandeur de notre Dieu, qui nous avertit si
instamment d'espérer en lui, a manqué à ceux qui ont mis en lui leur espérance?
Il n'abandonne jamais ceux qui espèrent en lui. " Il leur donnera son secours,
dit le Prophète, il les délivrera des pécheurs, et les sauvera (Psal. XXXVI,
10). "Pour quels mérites de leur part? Ecoutez ce qui suit : " Parce qu’ils ont
espéré en lui, " Cette raison est bien douce; elle est efficace et péremptoire.
C'est en cette espérance que consiste la justice, non pas la justice qui vient
de la loi, mais celle qui vient de la foi. " Du, sein de quelque affliction et
de,quelque accablement qu'ils poussent un cri vers moi, dit-il, je les
exaucerai. " Représentez-vous toutes les afflictions imaginables, les
consolations qu'il vous promet donneront toujours, à votre âme, une joie
proportionnée à ce que vous souffrirez, pourvu que vous n'ayez point de recours
à d'autres qu'à lui ; que vous ne manquiez point de crier vers lui, et que vous
espériez en lui, et que vous ne preniez point des choses basses et terrestres,
mais le Dieu Tout-Puissant pour votre refuge. Qui a espéré en lui et a été
confondu ? Il est plus facile que le ciel et la terre passent que sa parole soit
sans effet.
7. " Vous avez placé votre refuge bien haut, dit
le Psalmiste. " Le, tentateur ne s'en approchera point, le calomniateur n'y
montera pas, et le perfide accusateur de ses frères n'y pourra; jamais
atteindre. Cette parole du; Prophète, est adressée à celui qui, demeure en la
protection du Très-Haut, et qui va s'y réfugier contre sa propre .faiblesse et
la timidité de, son âme, et contres les tempêtes qu'il redoute. Nous sommes
certainement doublement forcés de fuir vers cet asile ; des combats nous
menacent au dehors, et des craintes nous agitent au dedans. Sans, doute nous,
aurions bien moins besoin de fuir si nous avions au-dedans une magnanimité, qui
nous fit courageusement braver les attaques du dehors, ou si notre faiblesse
intérieure se trouvait rassurée par l'éloignement des ennemis du dehors. Le
Prophète dit donc. "Vous avez placé votre refuge, extrêmement haut." Fuyons
souvent, mes frères, en cet asile. C'est une forteresse bien défendue; on n'y
craint nul ennemi. Que nous serions heureux s'il nous était permis d'y demeurer
toujours! Mais un tel bonheur n'est pas de ce monde. Ce qui n'est pour nous
maintenant qu'un refuge, sera un jour notre demeure, et pour l'éternité. Mais,
en attendant, si nous n'avons pas maintenant la liberté de nous y établir pour
toujours, mus devons néanmoins nous y réfugier en maintes occasions. C'est une
ville de refuge qui nous est ouverte dans toutes les tentations, dans toutes les
peines qui nous arrivent, et dans toutes nos nécessités de quelque nature
qu'elles: soient. C'est le sein d'une mère qui est toujours prêt à nous
recevoir, ce sont les fentes de la pierre préparées pour nous recevoir et nous
cacher, les entrailles de la miséricorde, de Dieu ouvertes devant nous; ne mous
étonnons plus après cela si celui qui s'éloigne; de ce refuge, n'a plus la
puissance d’échapper à ses ennemis.
8. Ce que je viens de vous dire semblerait pouvoir
suffire pour l'explication de ce verset, si le Prophète avait dit simplement,
comme en d'autres psaumes: " J'ai espéré en vous. Mais cette expression : " vous
êtes mon espérance, ô mon Dieu, " parait signifier quelque chose de plus grand
et de plus élevé; savoir que l'âme fidèle non-seulement espère en Dieu, mais que
c'est Dieu même qu'elle espère. Car il est plus juste d'appeler notre espérance,
celui que nous espérons, que celui en qui nous espérons. Il peut se trouver des
personnes qui désirent recevoir de Dieu des biens soit temporels, soit même
spirituels. Mais la charité parfaite ne désire que le souverain bien, et s'écrie
de toute l'ardeur de son désir : " Quel bien m'est réservé dans le ciel ? Et
qu'est-ce que je vous demande de toutes les choses qui sont sur la terre? Vous
êtes le Dieu de mon coeur et mon éternel partage (Psal. LXXII, 25). " Le texte
du prophète Jérémie que nous avons lu aujourd'hui, nous marque très-bien ces
deux espérances, en peu de paroles : " Seigneur vous êtes bon à ceux qui
espèrent en vous, à l'âme qui vous cherche (Thren. III, 25). " Votre
discernement vous a fait remarquer dans ces paroles la différence des nombres.
Le Prophète parle au pluriel de ceux qui espèrent en Dieu, parce que cela est
commun à plusieurs ; mais il emploie le singulier lorsqu'il désigne l'âme qui
cherche Dieu même, parce que c'est le propre d'une pureté, d'une grâce, d'une
perfection uniques non-seulement de ne rien espérer que de Dieu, mais de ne rien
espérer que Dieu même. Que s'il est bon à ceux qui espèrent seulement en lui,
combien plus l'est-il à celui qui n'espère que lui.
9. C'est donc avec raison que Dieu répond à l'âme
qui le cherche "Vous avez placé votre refuge extrêmement haut. " Car l'âme qui
est ainsi altérée de son Dieu, ne lui demande point avec saint Pierre de lui
faire un tabernacle sur une montagne (Matth. XVII, 14), ni avec Madeleine, de le
toucher sur la terre (Joan. XX, 17), mais elle lui crie : " Fuyez, mon
bien-aimé; imitez dans votre course la vitesse des chevreuils et des faons de
biches qui courent sur les montagnes de Béthel. (Cant. VIII, 14). " Cette âme
sait que le Sauveur a dit : " Si vous m'aimiez, vous auriez de la joie de ce que
je m'en vais à mon Père, parce que mon Père est plus' grand que moi (Joan. XX,
17). " Elle sait qu'il a dit à Madeleine: " Ne me touchez point, car je ne suis
pas encore monté vers mon Père. " Et; n'ignorant pas les desseins de Dieu, elle
s'écrie avec l'Apôtre : " Si nous avons connu Jésus-Christ, selon la chair,
maintenant nous ne le connaissons plus de cette manière (II Cor. V, 16). " Fuyez
sur les montagnes de Béthel, c'est-à-dire: Montez au dessus des puissances et
des principautés, au dessus des anges et des archanges, au dessus des chérubins
et des séraphins , car les montagnes de la maison de Dieu qui, selon l'Hébreu,
est signifiée par le mot Béthel, ne sont autre chose que ces esprits
bienheureux. Il s'est mis au dessus d'eux, lorsqu'il a voulu prendre, à la
droite de son Père, le rang infiniment élevé qui lui appartenait, afin de lui
être égal en toutes choses. Elle sait que la vie éternelle, c'est connaître le
Père éternel qui est le vrai Dieu, et Jésus-Christ son Fils, qu'il a envoyé ;qui
lui est égal et qui est le vrai Dieu avec lui, digne pardessus tout de nos
bénédictions dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
DIXIÈME SERMON
" Il ne vous arrivera point de mal ; et le fléau n'approchera point de votre
tabernacle
(Psal. XC, 10 ) . "
1. C'est une maxime qui ne vient pas de moi, et
qui n'est pas nouvelle pour vous, mais que vous connaissez très-bien, que, pour
ce qui regarde les;principaux objets de la foi, il est plus facile de connaître
et plus périlleux d'ignorer ce qu'ils ne sont pas, que ce qu'ils sont. On peut
en dire autant de l'expérience; car l'esprit de l'homme, par l'espérance qu'il a
des peines de la vie, comprend plus facilement les maux dont il doit être
exempt, que les biens dont il doit jouir. L'espérance et la foi ont entre elles
un si grand rapport de parenté, que les objets de notre espérance sont les'
mêmes que ceux de notre foi. C'est pourquoi l'Apôtre a dit, avec grande raison,
que la foi était la substance des choses que nous devons espérer (Heb. XI, l);
parcequ'on ne saurait espérer ce qu'on ne croit point, de même qu'on ne saurait
peindre sans un corps qui reçoive la peinture. La foi nous dit que Dieu prépare
aux fidèles des biens inestimables et incompréhensibles. Et l'espérance nous dit
:C'est à moi que ces biens sont réservés. Et la charité ajoute ensuite Pour moi,
je cours à la recherche et à la possession de ces biens. Mais, comme je viens de
le dire, il est extrêmement difficile, ou même impossible de connaître le prix
et; la qualité de ces biens, si ce n'est pour ceux à qui Dieu l'a voulu révéler
par son esprit, puisque, selon l'Apôtre, " l'œil n'a point vu, ni l'oreille
entendu, ni l'esprit de l'homme n'a pu concevoir quels sont les biens que Dieu a
préparés pour ceux qui l'aiment (I. Cor. II, 9). " Si nous n'étions en cette vie
capables de quelque perfection, si imparfaite qu'elle soit, si on peut ainsi
parler, l'Apôtre ne dirait pas : " Nous tous, tant que nous sommes de parfaits,
ayons le même sentiment (Phil. III, 15). " La perfection dont il parle ici est
sans doute celle dont il avait parlé ailleurs, en disant : " Ce n'est pas que
j'aie tout reçu, et que je sois encore parfait. " Car saint Paul est contraint
d'avouer lui-même, " qu'il ne connaît qu'en partie les choses de Dieu, car nous
ne voyons maintenant, que comme dans un miroir et en énigme, ce n'est que plus
tard que nous verrons Dieu face à face (I. Cor. XIII, 12). " Dieu donc
représente à, l'homme, dans l'Ecriture sainte, par une providence et une bonté
toute paternelles, les choses qu'il est plus capable de discerner, dans sa
condition présente. C'est le propre des affligés de regarder, comme une
souveraine félicité, d'être délivrés de leurs afflictions, et de tenir pour un
suprême bonheur de se trouver exempts de misères. C'est pourquoi le Prophète,
dans un psaume, parle à son âme en ces termes : " Tournez-vous, mon âme, vers
votre repos, parce que le Seigneur vous a honorée, de ses bienfaits. " Et
cependant, au lieu de citer des bienfaits nouveaux qu'il aurait reçus, il dit
seulement : " Il a délivré mon âme de la mort,: mes yeux des larmes, et mes
pieds de la chute (Psal. CXIV, 7) ; " ce qui montre bien qu'il regarde comme un
grand repos et un grand bienfait, de la part du Seigneur, d'être délivré des
périls et des tribulations qui l'assiégeaient.
2. Le verset, dont,j'ai maintenant à vous
entretenir, se rapporte parfaitement à ce sentiment : " Il ne vous arrivera
point de mal, et le fléau n'approchera point de votre tabernacle. " Ces paroles,
autant que je puis le concevoir, sont faciles à entendre, et, peut-être;
plusieurs d'entre vous en ont-ils déjà prévenu l'explication. Car vous n'êtes
pas si peu instruits, et si dépourvus de toute connaissance spirituelle, que
vous ne sachiez quelle différence vous devez faire entre-vous et vos
tabernacles; de même que celle qu'on doit mettre entre, ce que le Prophète
appelle le mal, et ce qu'il , appelle le fléau. Vous avez en effet entendu
l'Apôtre dire qu'après avoir combattu un bon combat, il quittera bien vite son
tabernacle. Mais qu'ai-je besoin de rapporter les paroles de l'Apôtre (Tim. IV,
6) ? Le soldat ignore-t-il ce que c'est que sa tente, et a-t-il besoin qu'on
l'instruise là dessus, par l'exemple des autres? Nous voyons dans l'Eglise des
combattants qui ont fait de leur' tente la demeure d'une honteuse servitude.
Bien plus, il y en a, c'est une chose bien ridicule, qui sont tombés dans une
telle erreur, dans un si grand oubli de leur condition et dans une si étrange
folie, qu'ils semblent regarder cette tente extérieure comme ne faisant qu'un
avec eux. Ne faut-il pas que non-seulement ils ignorent Dieu, mais qu'ils
s'ignorent eux-mêmes, puisqu'étant comme morts dans le coeur, ils donnent tous
leurs soins et toutes leurs peines à leur corps, et s'appliquent autant à
conserver leur chair, que si elle ne devait jamais périr? Or il est certain
qu'elle ne pourra éviter de périr, et même dans peu de temps. Ceux qui sont
dévoués à la chair et au sang, comme s'ils s'imaginaient n'être autre chose que
chair et que sang, ne semblent-ils pas s'ignorer eux-mêmes, et avoir reçu leurs
âmes aussi inutilement, que s'ils ignoraient qu'ils, en ont une? " Si vous
séparez ce qui est précieux de ce qui est vil, dit le Seigneur, vous serez comme
un oracle de ma bouche (Jer. XV, 19), " c'est-à-dire, si vous êtes exact et
fidèle à mettre la, différence qui doit exister entre les biens extérieurs et
lesbiens intérieurs, en sorte que vous ne craigniez pas plus le fléau, pour
votre demeure passagère, que le mal pour vous-mêmes, vous serez comme un oracle,
de ma bouche.
Le mal dont il est parlé ici, est celui dont il
est dit ailleurs : " Eloignez-vous du mal, et faites le bien (Psal. XXXVI, 27).
" C'est le mal qui prive notre âme de sa vie, et qui est une funeste séparation
entre Dieu: et nous. Pendant que ce mal, règne dans nous, notre âme éloignée de
Dieu, est comme un corps sans âme. Dans cet état elle est véritablement morte,
et semblable à ceux que l'Apôtre nous représente comme étant sans Dieu en ce
monde.
3. Ce n'est pas que je vous exhorte, mes frères, à
haïr votre chair. Vous devez l'aimer comme l'asile de votre âme, que Dieu
destine à participer avec elle à l'éternelle félicité. Mais il faut que l'âme
aime sa chair de telle sorte, qu'elle ne paraisse pas être changée en cette
chair, et qu'elle ne donne pas sujet au Seigneur de dire de nous : " Mon esprit
ne demeurera point en l'homme, parce qu'il n'est que chair (Gen. VI, 3). " Que
notre âme, dis-je, aime sa chair; mais qu'elle ait encore bien plus d'amour pour
elle-même, pour son âme à elle. Il faut qu'Adam aime Eve son épouse, mais il ne
doit pas l'aimer au point d'obéir plutôt à sa voix qu'à celle de Dieu. Enfin il
ne doit point l'aimer de telle sorte qu'en voulant le mettre à couvert des
corrections d'un père, elle amasse sur sa tête des trésors de colère et
d'éternelle damnation.
"Race de vipères, dit saint Jean-Baptiste, qui
vous a appris à fuir la colère dont vous êtes menacés ? Faites de dignes fruits
de pénitence (Matth., III 7 et 8)." C'est comme s'il avait dit en des termes
plus clairs : prenez la discipline, de crainte que le Seigneur ne s'irrite
contre vous. Souffrez la verge qui vous corrige, si vous ne voulez sentir le
marteau qui voue brise. Pourquoi les hommes charnels nous disent-ils : votre
genre -de vie est cruel, vous ne ménagez pas votre chair? Il est vrai, niais ne
point l'épargner, c'est semer à pleines mains la semence de l'éternité. En quoi
pourrions-nous raisonnablement épargner cette semence? N'est-il pas bien plus
avantageux de la renouveler et de la multiplier dans le champ, que de la laisser
pourrir dans nos greniers? Hélas ! dit un Prophète, les bêtes de somme ont
pourri dans leur ordure (Job, X, 17) ! Est-ce ainsi, hommes sensuels, que vous
épargnez votre chair ? Si nous lui sommes cruels pour un temps en la traitant
avec rigueur, vous lui êtes bien plus cruels, en lui épargnant toute peine. Car
maintenant même notre âme jouit du repos. Mais considérez à quelles ignominies
votre chair est condamnée, et quelle misère la justice divine lui prépare pour
l'avenir.
" Il ne vous arrivera point de mal, et le fléau
n'approchera point de votre tente. " Ces paroles, marquent deux sortes de
bonheur, et signifient une double immortalité; car d'où la mort procède-t-elle,
sinon de la séparation de l'âme et du corps ? Aussi dit-on du corps quand il est
mort, qu'il est inanimé. Or d'où vient cette séparation, sinon des maux de la
vie, des douleurs violentes, de la corruption même du corps, de la peine du
péché enfin? Notre chair craint, avec raison, les maux que lui fera souffrir la
séparation amère de l'âme avec laquelle elle se trouve dans une union si chère
et si glorieuse. Mais qu'elle le veuille ou non, il faut qu'elle souffre d'être
séparée d'elle , jusqu’à ce que le temps soit venu de se réunir de nouveau à
elle. Et il est important à notre corps et à notre âme, de souffrir les peines
de la séparation, de manière à ne plus craindre que les fléaux approchent jamais
de notre tente.
4. Dieu est la véritable vie de l'âme (comme je
l'ai déjà marqué), et il nous est avantageux d'avoir toujours cette vérité
présente à la pensée. Or il y a un mal qui sépare l'âme de Dieu. Mais c'est le
mal de l'âme, le péché. Hélas! mes frères, comment pouvons-nous nous laisser
aller à des bagatelles en cette vie, et nous plaire dans l'oisiveté, quand nous
avons prèsde nous deux serpents cruels tout prêts l'un, à nous ôter la vie du
corps, l'autre à nous ravir la vie de l'âme ? Pouvons-nous dormir
tranquillement? Notre négligence, dans de si grands périls , ne serait-elle pas
une marque de désespoir plutôt que de sécurité ? En vérité, nous avons sujet de
souhaiter d'être délivrés de ces deux genres de mort, qui nous menacent
incessamment. Mais il faut fuir le péché bien plus que la peine du péché, et
nous devons d'autant plus nous éloigner du mal de l'âme que du fléau du corps,
que c'est un malheur et une désolation infiniment plus grande pour l'âme d'être
séparée de son Dieu que de l'être de sons corps. Sans doute, quand le péché sera
aboli, la cause cessant de subsister, l'effet disparaîtra aussi, et, de même que
le mal de l'âme ne pourra plus approcher de notre tente, parce que les peines,
de quelque nature qu'elles soient, seront aussi éloignées de l'homme extérieur
que le péché le sera de l'homme intérieur, ainsi le Prophète ne dit pas
seulement : Il n'y aura point de mal en vous, ou bien : il n'y aura point de
fléau dans votre tente, main " le mal n'arrivera point jusques à vous, et le
fléau n'approchera point de votre tente. "
5. Il faut considérer ici, qu'il .y a des hommes
dans lesquels non-seulement le péché habite, mais dans lesquels il règne. En cet
état il ne semble pas que le péché puisse leur être plus intimement uni qu'il
l'est, sinon lorsqu'il dominera en eux de telle sorte qu'il ne pourra plus se
faire qu'il n'y domine pas. Il s'en trouve d'autres en qui le péché demeure
encore, mais sans y dominer. Il y est, mais abattu sinon expulsé, jeté à terre,
sinon tout à fait dehors. Il est certain que dans le principe il n'en fut point
ainsi, et que le péché non-seulement n'a point régné, mais n'a point même habité
dans nos premiers parents, avant leur première désobéissance. Il semble
néanmoins que ce péché était déjà en quelque sorte à leur porte, puisqu'il leur
fut persuadé si facilement, et qu'il entra si promptement dans leur âme., Et
quel avertissement Dieu leur donnait-il, en leur disant : " Dès que vous: aurez!
mangé du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez
infailliblement ! (Gen. II,17); ", sinon que ce qui devait être la peine du
péché si elle n'était pas encore dans les corps, du moins en était bien, proche
? Nous donc, qui recevrons en ressuscitant, une vie infiniment plus glorieuse
que n'a été notre première condition, nous vivons dans une bien douce attente et
dans une heureuse espérance, puisque, ni le fléau, ni la peine du péché, aucun
mal, ni aucun fléau, non-seulement ne régnera et n'habitera plus, soit dans nos
corps, soit dans nos âmes, mais ne pourra plus même y régner, ni y habiter
jamais, selon. la parole du Prophète : " Le mal n'arrivera point jusques à vous,
et le fléau n'approchera point de votre tente. " En effet il n'y a rien de si
éloigné que ce qui ne peut même plus être jamais.
6. Mais je ne sais à quoi je pense, mes frères, de
vous retenir maintenant ici par mon discours. Je crains d'être repris. Car si
chacun sait que notre grand et commun Abbé a marqué cette heure, non pour nous
livrer à la prédication, mais pour vaquer au travail des mains (Rey. St-Bened.
C. 48). Je pense néanmoins qu'il me pardonnera ma faute facilement, en se
souvenant de cette tromperie si pieuse et si charitable, par laquelle ce saint
religieux appelé Romain lui porta à manger durant trois années; lorsqu'il était
caché dans une caverne. Cet homme (comme, nous lisons dans l'histoire (a) de
notre ordre) se dérobait, durant quelques heures, aux. yeux de son supérieur, et
portait à saint Benoit, en de certains jours, le pain qu'il se pouvait ôter à
lui-même, quand il faisait ses repas. Je ne doute point, mes frères, que
plusieurs d'entre vous n'aient une plus grande abondance de richesses
spirituelles que celles. que je puis leur communiquer, mais je ne me prive pas
du bien que je vous communique ! Au contraire, je prends avec plus de sécurité
et plus ;de douceur ce que Notre-Seigneur me donne, en le prenant avec vous. Car
non-seulement cette nourriture de l'âme ne diminue point quand on la partage à
d'autres, mais plutôt elle s'augmente par cette distribution même. Néanmoins si
je vous entretiens en de certains temps, contre la coutume de notre ordre, je ne
prends point cette hardiesse de moi-même, mais j'agis par la volonté de nos
vénérables frères les autres abbés qui, dans ces rencontres, m'engagent à un
emploi auquel ils ne voudraient pas eux-mêmes avoir la permission de s'appliquer
à tout moment. Ils savent qu'il y a pour moi une raison particulière et une
nécessité personnelle de m'occuper de la sorte. Je ne vous prêcherais point, si
je pouvais travailler avec vous. Si je pouvais partager vos travaux, mes
prédications seraient peut-être plus efficaces ; en tout cas, cela serait plus,
conforme au voeu de mon coeur. Mais puisque je n'ai pas le, pouvoir de
travailler comme vous, tant à cause de mes péchés, qu'à cause des infirmités de
ce corps qui, comme vous le,savez, m'est si à charge, et du peu de temps dont je
dispose. Plaise à Dieu , qu'étant de ceux qui disent et qui ne font pas, je
puisse obtenir d'être au moins le dernier de son royaume. Ainsi soit-il.
ONZIÈME SERMON
" Parce qu'il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies. (Psal.
XC, 11). "
1. Il est écrit, et il n'y a rien de plus vrai, il
est écrit " que c'est un effet de la miséricorde et de la bonté infinie du
Seigneur que nous ne soyons ni consumés ni abandonnés entre les mains de gros
ennemis (Chr. III, 22). " L'oeil infatigable et vigilant de la clémence, divine
veille sur nous. Celui qui garde Israël ne dort et ne sommeille jamais; parce
que celui qui combat Israël ne dort et ne sommeille point non plus; et, de même
que l'un veille sur nous et a soin de nous, ainsi l'autre veille et travaille
toujours à nous perdre et à nous faire mourir : son unique application est
d'empêcher que celui qui est éloigné de Dieu, ne retourne jamais à lui. Et nous,
nous ne faisons aucune attention, ou nous ne faisons qu'une attention
insuffisante à la présence de celui qui préside à nos travaux et à nos combats;
à la vigilance de celui qui nous protège, aux biens que nous recevons de ce
bienfaiteur généreux. Nous sommes ingrats pour sa grâce, que dis-je? pourtant de
grâces, par lesquelles il nous prévient et nous soutient dans nos besoins.
Tantôt il remplit lui-même nos âmes de lumières ou il nous visite par ses anges
tantôt il nous instruit par les hommes, nous console nous instruit par les
Ecritures Saintes. " Car toutes les choses qui sont écrites, ont été écrites
pour notre instruction, afin que notre espérance soit entretenue par la patience
et la consolation que cette divine parole nous donne (Rom. XV, 4). C'est une
excellente doctrine que celle qui nous établit dans l'espérance par da patience
: car comme il est dit ailleurs : ",On connaît la doctrine d'un homme à sa
patienté (Prov. XIX. 41). " Et, " la patience fait que nous sommes éprouvés; et
l'épreuve produit l'espérance (Rom. V, 4). " Pourquoi n'y a-t-il que nous qui ne
soyons pas présents à nous-mêmes?, Pourquoi nous négligeons-nous nous-mêmes ?
Faut-il que nous fermions les yeux sur les périls où nous sommes, parce que Dieu
pourvoit de tous côtés à nos besoins? Au contraire, c'est pour cela que nous
devons veiller plus soigneusement sur nous. Car Dieu n'aurait pas tous les soins
qu'il a pour nous dans le ciel et sur la terre, s'il ne voyait pas quel besoin
immense nous avons de son secours. Il ne nous garderait pas, en tant de
manières, si nous n'avions à nous garantir de beaucoup de piéges.
2. Mes frères qui sont établis d'une manière toute
particulière dans l'espérance, se trouvent exempts de toute crainte et sont
bienheureux d'être ainsi délivrés du filet des chasseurs, et d'avoir passé des
tentes de ceux qui combattent encore, dans le séjour de ceux qui jouissent du
repos. C'est à l'un d'eux, ou plutôt c'est à eux tous que Dieu fait cette
promesse : " Le mal n'arrivera point jusqu'à vous : et le fléau n'approchera
point de votre tente, "; Considérez que ce n'est pas aux hommes qui vivent selon
la chair que cette promesse a été faite, mais à ceux qui, vivant en la chair, se
conduisent selon l'esprit. En effet, dans un homme charnel on ne saurait faire
de distinction entre lui et sa tente, tout est confus en lui, parce que c'est un
enfant de Babylone, c'est un homme qui n'est que chair, et l'esprit de Dieu ne
demeure point en lui. Or comment le mal ne s'approcherait-il point de celui en
qui le Saint-Esprit n'a point établi sa demeure? Mais là où est le mal, là aussi
est le fléau, c'est-à-dire la peine du mal; car la peine accompagne toujours le
péché. Il est donc dit: " Le mal n'arrivera point jusqu'à vous : et le fléau
n'approchera point de votre tente. " Voilà une grande promesse mais qui me fait
espérer que j'en verrai l'effet ? Comment pourrai-je échapper en même temps au
mal et au fléau dont je me trouve menacé? Où trouver un refuge qui m'en
garantisse. Comment m'éloigner si bien qu'ils n'approchent point de moi? Par
quel mérite; par quelle vertu y réussirai-je? " Il a commandé à ses anges de
vous garder dans toutes nos voies. " Quelles sont toutes ces voies? Ce sont
celles par lesquelles vous vous éloignez du mal et de la colère à venir. Il y a
beaucoup de voies différentes : d'où il arrive qu'il y a bien des périls pour le
voyageur. Combien est-il facile de s'égarer lorsqu'il se rencontre plusieurs
chemins différents, si on n'a point la science de les discerner? Car Dieu ne
commande pas aux anges de nous garder dans toutes sortes de voies, niais
seulement dans toutes nos voies.,il y a donc des voies où nous devons nous
donner bien garde d'entrer, et il y en a d'autres où nous avons besoin que l'on
nous soutienne et que l'on nous guide.
3. Examinons donc mes frères, quelles sont nos
voies, et quelles sont celles des démons, voyons aussi quelles sont les voies
des esprits bienheureux, et quelles sont celles du Seigneur. J'entreprends, je
le confesse, quelque chose qui est au dessus de mes forces; mais vous m'aiderez
par vos,prières, à obtenir de Dieu, qu'il daigne m'ouvrir le trésor de son
indulgence, et qu'il fasse que le discours que je me propose de vous faire sur
un si important sujet lui soit entièrement agréable. Considérons donc,
premièrement, quelles sont les voies des enfants d'Adam. Elles sont toutes dans
la nécessité ou dans la cupidité. C'est par ces deux choses, en effet, que nous
sommes conduits, comme emportés, avec cette différence pourtant que la nécessité
semble plutôt nous pousser, tandis que la cupidité nous attire et nous emporte.
La première tient plus particulièrement au corps; sa voie n'est pas unique; elle
a comme plusieurs sentiers ut plusieurs détours qui nous conduisent diversement
à de nombreux malheurs; mais bien rarement à quelques avantages, si toutefois
elle est capable de nous en procurer. Quel homme ignore combien nombreuses sont
les nécessités de cette vie ?Qui pourrait les énumérer ? Mais notre expérience
nous en instruit assez, et les peines qui en résultent pour nous, nous le font
assez comprendre. Chacun apprend par lui-même combien il a souvent besoin de
crier à Dieu : " Seigneur, délivrez-moi, non pas de la nécessité , niais de
toutes mes nécessités (Psal. XXIV, 17). " Mais tout homme qui prête une oreille
attentive aux avertissements du sage ne se contente pas de désirer et de
demander d'être délivré de toutes ces différentes nécessités ; mais il demande
encore que Dieu le retire de la voie de ses cupidités. En effet, que dit le sage
? " Détournez-vous de vos propres désirs, et ne suivez point vos convoitises (Eccle.
XVIII, 30). " Il est évident que de ces deux maux, le préférable est de vivre
clans la nécessité plutôt que clans la cupidité. A la vérité, nous avons un
grand nombre de nécessités; mais le nombre de nos cupidités est encore plus
grand, en toutes manières, il dépasse même toute mesure et toute borne. Elles
viennent toutes du coeur, aussi sont-elles d'autant plus considérables que l'âme
est plus grande que le corps. Enfin ces deux voies de la nécessité et de la
cupidité sont celles qui paraissent bonnes aux hommes; irais qui ne finissent et
n'arrivent à leur terme que lorsqu'elles les précipitent dans l'abîme des
enfers. En vous représentant ces voies, soyez persuadés que c'est d'elles sans
doute qu'il a été dit : " Il n'y a que de l'affliction et du malheur dans leurs
voies (Psal. XIII, 7); " et rapportez l'affliction à la nécessité, et le malheur
à la cupidité. Comment le malheur se rencontre-t-il dans la cupidité, ou comment
les hommes n'y trouvent-ils pas le bonheur qu'ils s'imaginent? Qu'arrive-t-il
donc lorsqu'un homme pense avoir trouvé, dans l'abondance des biens et des
délices de la terre, la félicité qu'il a désirée ? II est d'autant plus
misérable qu'il embrasse, avec plus d'ardeur, la misère même, comme si c'était
une véritable félicité, , et qu'il s'y plonge davantage en pensant avoir trouvé
le bonheur parfait. Que les enfants des hommes sont à plaindre, de se laisser
prendre à cette fausse et trompeuse félicité ! Malheur à celui qui dit : Je suis
dans l'abondance, et je n'ai besoin de quoi que ce soit; tandis qu'il est pauvre
et dénué de tout, malheureux et tout à fait misérable. Les nécessités procèdent
des infirmités de l'a chair, et les cupidités de!fa disette et de l'oubli de
l'âme. Elle ne mendie en effet, que parce qu'elle a oublié de manger le pain qui
lui est propre et elle ne désire si ardemment les choses de la terre, que parce
qu'elle ne s'entretient jamais de celles du Ciel.
4. Voyons maintenant quelles sont les voies des
démons. Observons-les pour nous en garantir. Considérons-les, afin de nous en
éloigner. Or, les voies des démons ne sont autre chose que la présomption et
l'obstination. Voulez-vous savoir où j'ai appris cela ? Considérez quel est leur
chef, tel maître, tels serviteurs. Considérez les commencements de ses voies, et
vous verrez manifestement qu'il s'est jeté d'abord dans une présomption
exorbitante en disant : " Je serai assis sur la montagne du testament, aux
flancs de l'Aquilon : je serai semblable au Très-Haut (Isa. XIV , 13). " Que
cette présomption est téméraire; qu'elle est horrible! Aussi, tous ces esprits,
qui sont des ouvriers d'iniquité, sont-ils tombés, ont-ils été renversés, se
sont-ils vus honteusement, chassés! Leur présomption les a empêchés de se
maintenir dans l'état où Dieu les avait créés, et leur obstination de se relever
de leur chute. Leur orgueil les a éloignés et leur obstination les a empêchés de
revenir. La présomption des démons est, bien étonnante; mais leur obstination
l'est au moins autant. Leur orgueil en effet, croit et monte toujours, aussi n'y
a-t-il point de changement possible pour eux. N'ayant point voulu quitter la
voie de la présomption, ils sont tombés dans celle de l'obstination. Que le cœur
des enfants des hommes est perverti de suivre les dénions, de marcher sur leurs
pas, et d'entrer dans leurs voies ! Tous les efforts de ces esprits d'iniquité
ne tendent qu'à nous séduire; à nous engager dans leurs voies, à nous faire
toujours marcher en avant, afin de nous conduire avec eux au but. qui les attend
de toute éternité. Fuyez la présomption si vous voulez que votre ennemi ne
triomphe de vous; car c'est principalement dans ces vices, qu'il se plait de
nous faire tomber, ayant éprouvé, par lui-même, combien il doit vous être
difficile de vous retirer d'un si profond abîme.
5. Mais je ne veux pas vous laisser i'norer, mes
fières, comment on descend, ou plutôt, comment on tombe dans ces deux vices. Le
premier degré de cette descente, qui se présente à ma pensée, c'est de se
dissimuler à soi-même, sa propre faiblesse, sa propre méchanceté, et sa propre
inutilité. Quand l'homme s'excuse, quand il se flatte, quand il se persuade être
quelque chose, quoiqu'il ne soit rien, alors il se fait son propre séducteur. Le
second degré, c'est de s'ignorer soi-même. Car, lorsque arrivé au premier degré
de sa chute, l'homme vent se cacher à lui-même sa honte et sa nudité, avec
d'inutiles feuilles de figuier, il ne lui reste plus que de ne voir pas les
blessures qu'il tient cachées, et qu'il n'a cachées qu'à desseih de ne les pas
voir. D'où il suit que, si on lui montre ses blessures, il soutient que ce ne
sont pas des blessures, et recourt à des paroles pleines d'injustice et
d'iniquité pour excuser ses péchés;,or' ces excuses mêmes font le troisième
degré dé' la descente, qui approche fort de la présomption. Car de quel mal
peut-on rougir, quand on a la hardiesse d'entreprendre de justifier celui que
ton a commis ? Mais d'ailleurs,le'pêcheur qui en est arrivé là, ne saurait
demeurer dans ces ténèbres et sur cette pente; car l'ange mauvais, ministre de
la justice de Dieu, ne manque pas alors de poursuivre et de pousser l'homme,
pour le faire tomber encore plus bas. Il y a donc encore un quatrième degré,
(lisons, mieux, un quatrième abîme, c'est le mépris, dont parle' le Sage en ces
ternies : " Lorsque l'impie est tombé dans l'abîme du péché, il méprise tout
(Prov. XVIII, 3). " Ensuite le puits de l'abîme se ferme sur lui de plus en
plus, car ce mépris jette l'âme dans l'impénitence, et l'impénitence s'affermit,
dans le coeur, par l'obstination. Voilà 1e péché qui ne doit être remis ni dans
ce siècle, ni dans l'autre, parce que le cœur endurci, n'a plus la crainte de
Dieu, ni aucun respect pour les hommes. Celui qui s'attache ainsi au démon dans
toutes les voies, est évidemment devenu un même esprit avec lui. Les voies des
hommes que nous avons expliquées plus haut, sont celles dont il est dit : " Je
souhaite due vous ne soyez éprouvés que par des tentations humaines (I. Cor. X,
13). " Or, il est certain que pécher est bien le fait de l'homme, mais qui ne
sait que les voies des démons sont fort, éloignées de la nature de l'homme, si
ce n'est qu'en quelques-uns, les mauvaises habitudes semblent leur avoir fait
prendre la nature de ces esprits diaboliques? liais enfin, si on voit persévérer
quelques hommes dans le péché, cette persévérance n'est pourtant pas une chose
humaine, c'en est une diabolique.
6. Voyons maintenant quelles sont les voies des
anges. Evidemment ce sont celles dont le fils unique du Père a voulu parler
quand il a dit : " Vous verrez les anges monter et descendre sur le Fils de
l'homme (Jean. I, 51). " Leurs voies c'est donc. de monter et de descendre. Ils
montent pour eux : ils descendent pour nous, ou plutôt ils descendent avec nous.
Ces bienheureux esprits, montent donc par la contemplation de Dieu, et ils
descendent pour avoir soin de nous et pour nous garder dans toutes nos voies.
Ils montent vers Dieu, pour jouir de sa présence; ils descendent vers nous, pour
obéir à ses ordres, car il leur a commandé de prendre soin de nous. Toutefois en
descendant vers nous, ils ne sont point privés de la gloire qui les rend
heureux, ils voient toujours le visage du Père éternel.
7. Vous désirez maintenant je pense, que je vous
entretienne des voies du Seigneur. II me semble que c'est beaucoup présumer de
moi-même que de me promettre de vous les montrer; en effet, l'Ecriture-Sainte,
nous dit qu'il nous les enseignera lui-même (Psal. XXIV, 9). Car, à qui
pourrait-on s'en rapporter avec confiance sur ce sujet, sinon à lui? Il nous a
donc enseigné ses voies, lorsqu'il a fait dire à son prophète : "Toutes les
voies du Seigneur sont miséricorde et vérité (Psal. XXIV, 10). " C'est par la
miséricorde et- par la vérité qu'il vient à chacun de nous en particulier, et
qu'il vient à tous les hommes en général. Lorsque nous présumons beaucoup de sas
miséricorde, et que nous oublions la vérité, Dieu n'est pas encore en nous. Et
il n'y est pas davantage, lorsque la considération de sa vérité nous remplit de
crainte, et que le souvenir de sa miséricorde, ne nous apporte aucune
consolation. Car, celui qui ne reconnaît pas la miséricorde où elle est
véritablement, s'éloigne de la vérité, et la miséricorde ne saurait être
véritable sacs la vérité. Aussi, ceux en qui la miséricorde et la vérité se
rencontrent, voient la justice et la paix se donner en eux le baiser d'alliance,
et par conséquent Dieu, qui, selon le Prophète, a établi su demeure dans la
paix, ne saurait être absent de leur coeur. Combien l'Écriture-Sainte nous
donne-t-elle de lumières et de connaissances, sur cette heureuse union de la
miséricorde et de la vérité ? " Votre miséricorde et votre vérité ont été tiroir
asile; " dit le Prophète ( Psal. XXXIX, 12). Et d'ailleurs : " Votre miséricorde
est toujours devant mes yeux et je nie plais à contempler votre vérité (Ps. XXV,
3). " Or, Dieu a voulu donner lui-même ce témoignage de ce Prophète : " Ma
vérité et ma miséricorde sont avec lui (Psal., XXXVIII, 15). "
8. Considérons aussi les voies que Notre-Seigneur
Jésus-Christ a suivies pour venir à irons, elles sont manifestes, et nous
trouverons que si nous possédons maintenant, en sa personne, un Sauveur plein de
miséricorde, nous aurons en lui, à la fin du monde, un juge plein de justice et
de vérité, selon ce que dit l'Écriture-Sainte : ".Dieu aime la miséricorde et la
vérité , le Seigneur donnera la grâce et la gloire (Psal. LXXXIII, 12)." Si
donc, Notre-Seigneur, dans son premier avènement, s'est souvenu de sa
miséricorde et de sa vérité, en faveur de la nation d'Israël, dans son dernier
avènement, quoiqu'il doive juger la terre dans son équité, et tous les peuples
dans sa vérité, néanmoins, son jugement ne sera point sans miséricorde, si ce
n'est à l'égard de celui qui n'aura point fait de miséricorde. Car telles sont
ses voies éternelles, dont un prophète a dit : "Les collines du monde se sont
abaissées sous ses voies éternelles (Abac. III, 6). " Il m'est facile de le
prouver, puisque l'Écriture-Sainte. nous assure " que la miséricorde du Seigneur
est de toute éternité, et doit s'étendre jusques dans l'éternité (Psal. CII, 17)
: et que la vérité du Seigneur, doit aussi durer éternellement (Psal. CXXVI, 2).
" Les collines du monde, c'est-à-dire les démons superbes qui sont les princes
des ténèbres de ce, siècle, se sont abaissées sous ces voies; mais ils ont
ignoré ses voies, ils ne se sont point souvenus de ses sentiers. Quel rap port
peut-il y avoir entre la vérité et celui qui est par excellence, le menteur et
le père du mensonge? Aussi Notre-Seigneur rend-il ce témoignage de lui : " Il
n'est point demeuré dans la vérité (Jean. VIII, 23). " Et pour ce qui est de la
miséricorde, la malice cruelle avec laquelle il nous a fait tomber dans la
misère où nous sommes, témoigne assez combien il s'en est éloigné. Quand a-t-on
pu le voir exercer un acte de miséricorde; lui, qui a été homicide dès lé
commencement du monde ? Celui qui n'est pas bon pour lui-même, peut-il avoir de
la compassion pour les autres ? Or, combien n'est-il pas méchant et injuste pour
lui-même, celui qui ne s'afflige jamais de ses propres iniquités, et à qui sa
propre damnation ne donne jamais aucun sentiment de pénitence! Sa présomption en
le trompant, l'a tenu éloigné de la voie de la vérité, et sort obstination
cruelle lui a fermé la voire de la miséricorde; en sorte, qu'il ne peut jamais
trouver en soi la miséricorde, et ne peut jamais l'obtenir de Dieu. Voici donc
de quelle manière ces collines si élevées ont été contraintes de s'abaisser,
sous les voies éternelles du Seigneur. Ces esprits superbes se sont éloignés des
voies droites du Seigneur par des détours et des chemins obliques et tortueux,
qui ont été des précipices dans lesquels ils sont tombés, plutôt que des
chemins. Mais combien les autres collines se sont-elles abaissées et humiliées
pour leur salut; avec plus de prudence et d'avantages, sous les voies de
Notre-Seigneur ? Car elles n'ont point été abaissées par force; et comme si
elles se fussent trouvées opposées à ces voies saintes et divines. Mais elles se
sont pliées à ces voies de l'éternité. Ne voit-on pas maintenant les collines du
monde abaissées, puisque les grands et les puissances du siècle s'abaissent
devant Notre-Seigneur, par une pieuse soumission, en adorant la trace de ses pas
? Ne sont-elles pas abaissées et aplanies, lorsque ces grands abandonnent les
pernicieuses hauteurs de leur vanité et de leur cruauté, pour suivre les humbles
sentier de la vérité ?
9. Non seulement les saints anges , mais aussi les
hommes prédestinés confirment et règlent toutes leurs voies sur ces voies de
Notre-Seigneur. Le premier degré par lequel l'homme misérable sort de l'abîme
des vices est cette miséricorde par laquelle il a compassion du fils de sa mère,
compassion de son âme, et travaille à plaire à Dieu. Car, il imite alors le
grand ouvrage de la divine miséricorde. Il est brisé de componction avec celui
qui l'a été de douleur pour lui, et meurt aussi en quelque sorte pour son salut,
et ne l'épargne pas par cette compassion qu'il a de lui-même lorsqu'il retourne
à son coeur, comme parle l'Écriture-Sainte, et qu'il rentre dans le plus intime
de son âme. Il ne lui reste plus qu'à s'engager dans la voie royale qui mène à
la vérité, et à joindre la confession de la bouche à la contrition du coeur,
comme je vous ai souvent recommandé de le faire; ;car nous croyons du cœur pour
la justice, et nous confessons de la bouche pour le salut. Il est nécessaire,
que celui qui retourne à son coeur en se convertissant, devienne petit à ses
yeux, selon cette parole de la Vérité même : " Si vous ne vous convertissez, et
ne devenez comme un petit enfant, vous n'entrerez point dans le royaume des
cieux (Matth. XVIII; 3). " Il faut qu'il n'essaie pas de dissimuler ce qu'il ne
peut ignorer; mais qu'il reconnaisse que son péché a fait de lui un néant. Il
nec faut pas qu'il ait' honte de produire au dehors, dans la lumière de la
vérité, les défauts,qu'il voit, avec des sentiments de compassion, clans le
fond: de son coeur. Par ce moyen, l'homme entre dans les voies de la miséricorde
et de la vérité, qui sont les voies du Seigneur, les voies de la vie. Or, le
terme assuré où elles aboutissent, est le salut de ceux qui les suivent jusqu'au
bout.
10. Ce n'est pas tout; mais il est évident que les
anges aussi tendent aux mêmes voies; car, lorsqu'ils montent à la contemplation
de Dieu, ils cherchent la vérité dont ils se remplissent incessamment en la
désirant, et qu'ils désirent toujours en la possédant. Lorsqu'ils descendent,
ils exercent envers nous la miséricorde, puisqu'ils nous gardent dans toutes nos
voies. Car ces bienheureux esprits sont les ministres de Dieu qui nous sont
envoyés pour nous venir en, aide (Hebr. (, 14); et, dans cette fonction, ce
n'est pas à Dieu qu'ils rendent service, mais à nous. Or ils imitent en cela,
l'humilité du Fils de Dieu, qui n'est point venu pour être servi, mais pour
servir, et qui a vécu parmi ses disciples, comme s'il avait été leur serviteur
(Matt. XX, 28). L'utilité que les anges retirent pour eux en suivant ces voies,
c'est leur propre bonheur et la perfection de l'obéissance dans la charité ; et
celle que nous en recueillons nous-mêmes, c'est la communication qui nous est
faite des grâces de Dieu; et l'avantage d'être gardés par eux dans nos voies,
puisque Dieu a commandé à ses anges de nous garder dans tous nos besoins, et
dans tous nos désirs. Si nous manquions de, ce secours, nous, pourrions entrer
facilement dans la voie de 1a mort, et passer de la nécessité dans
l'obstination, et de la cupidité dans la présomption, qui sont les voies non des
hommes, ,mais des démons. Car en quoi les hommes sont-ils ordinairement le plus
opiniâtres, sinon dans les choses qu'ils feignent ou s'imaginent appartenir à la
nécessité ? Si on les avertit, ils vous répondent, je puis ce que je puis, et
rien au-delà (Térence). Mais vous, si vous en êtes là, montrez d'autres
sentiments. Quant à la, présomption, nous n'y tombons que lorsque nous y sommes
poussés par l'ardeur et la violence de nos désirs.
11. Les anges ont donc reçu l'ordre de Dieu, non
pas de nous retirer de nos voies, mais de nous y garder soigneusement, et de
nous conduire dans les voies de Dieu, par celles qu'ils suivent eux-mêmes. Or,
comment pouvons-nous les suivre dans leurs voies? Car les anges agissent par la
seule charité, et d'une manière beaucoup plus pure et plus parfaite que nous ne
faisons. Mais au moins étant excités et pressés par la nécessité de l'état où
nous sommes, de nous secourir les uns les autres, pour imiter l'exemple des
esprits bienheureux, autant qu'il nous est possible, descendons vers notre
prochain, et condescendons à ses besoins, en exerçant envers lui la miséricorde
et la charité. Puis d'un autre côté, élevant nos désirs vers Dieu,, à
l'imitation de ses anges, efforçons-nous de toute notre âme de monter jusqu'à la
souveraine et éternelle vérité. Voilà pourquoi Dieu nous exhorte par un de ses
prophètes à élever nos coeurs avec, nos mains, pourquoi nous entendons dire tous
les jours: "Élevons nos coeurs, " (Thren. III, 41) pourquoi Dieu nous reproche
notre négligence; et nous dit : "Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous
le cœur appesanti, aimerez-vous la vanité, et chercherez-vous, le mensonge (Psal.
III, 4)? " Quand notre coeur est déchargé dit poids qui le retient sur la terre,
nous l'élevons plus facilement à la recherche et à l'amour de la vérité. Il ne
faut pas nous étonner que ces esprits si élevés daignent nous garder dans nos
voies, que dis-je? ne dédaignent même point de nous admettra et de nous faire
entrer avec eux dans les voies du Seigneur. Combien toutefois y marchent-ils
plus heureusement, et avec plus de sécurité que nous mais aussi combien la
manière dont ils suivent les sentiers de la miséricorde et de la vérité est-elle
inférieure à celle dont la vérité et la miséricorde même suit, en toute
occasion, les voies de la miséricorde et de la vérité?
12. Combien Dieu a-t-il placé tous les êtres au
degré qui leur convient! Ainsi Lui, qui est l’Être souverain, au, dessus et au
delà de qui il n'y a rien, il occupe le premier rang. S'il n'a pas établi ses
anges à cette suprême élévation, il les a placés dans un degré plein de
sécurité; car, se trouvant tout près de cet être souverain, qui tient le plus
haut degré, ils sont affermis dans leur état par la vertu de celui qui est au
dessus d'eux. Quant aux hommes ils ne sont ni au plus haut degré ni dans, un
état sur, mais dans un état où ils sont obligés de veiller sur eux, mis ils sont
en lieu stable et solide, sur la terre, veux-je dire et s'ils sont placés bien
bas, du moins ne sont-ils point au fond de l'abîme, aussi peuvent-ils et
doivent-ils être contraints de se tenir sur leurs gardes. Quant aux démons, ils
habitent la région de l'air, d'où ils vont de tous côtés, sans avoir de repos,
comme s'ils étaient agités parle vent. Ils sont indignes de Monter dans le ciel,
et ils dédaignent de descendre sur la terre! Mais il suffit pour aujourd'hui. Et
je prie, de tout mon cœur celui de qui vient tout ce qui nous suffit, et tout ce
que nous pouvons de nous donner de quoi lui rendre grâce suffisamment car nous
ne saurions avoir de nous-mêmes seulement une bonne pensée.
Mais il faut qu'elle nous vienne de celui qui
donne à tous abondamment, de Dieu qui est béni dans tous les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
DOUZIÈME SERMON
" Parce qu'il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies.
Ils vous porteront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre
quelque pierre
(Psal. XC, 11 et 12). "
1. Je vous ai dit hier, si vous vous en souvenez,
que les voies des. démons étaient la présomption et l'obstination; et je vous ai
expliqué pourquoi je parlais ainsi. Je puis néanmoins encore, si vous le jugez
nécessaire, vous faire connaître par une autre voie les sentiers de ces esprits,
de ténèbres. Car, bien qu'ils tâchent de nous les cacher par tous les moyens
qu'il leur est possible, le Saint-Esprit nous montre en beaucoup de manières, en
divers endroits de l'Écriture sainte, quels sont les sentiers des méchants. Nous
y lisons que " les méchants ; marchent autour de nous (Psal., XI, 9)." Nous y
voyons que leur:, prince " tourne de tous côtés cherchant quelqu'un qu'il dévore
( I Petr., V, 8) : " et nous trouvons dans le livre de Job, due Satan,
paraissant devant la majesté divine avec les enfants de Dieu, et étant interrogé
d'où il venait, fut contraint de répondre : " J'ai fait le tour de la terre, et
je l'ai parcourue en tous sens (Job I et XVII). " Disons donc que les voies du
démon sont cette activité par laquelle il est comme dans un mouvement
circulaire, dans une vraie circonvagation. C'est par haine contre nous qu'il
erre autour de nous, et c'est par la malignité de son coeur qu'il est réduit à
cette espèce de mouvement circulaire. Il s'élève toujours, et retombe toujours.
Son orgueil monte toujours, et Dieu l'humilie toujours. Ne fait-il pas là
véritablement un mouvement circulaire? Celui qui marche ainsi en tournant sur
lui-même, marche à la vérité, mais il n'avance pas, et ne fait aucun progrès.
Malheur à l'homme qui imite ce mouvement circulaire, et ne renonce jamais à sa
propre volonté. Si vous faites quelques efforts pour l'arracher à cette volonté
propre, il vous semblera d'abord qu'il vous fuit; mais ce ne sera de sa part que
déguisement et que tromperie, et il tendra toujours à retourner au point d'où il
est parti. Il tient toujours à cette propre volonté, il fait comme s'il fuyait
le vice, et cependant il demeure toujours attaché à sa propre volonté.
2. Si ce mouvement circulaire,qui les caractérise
est mauvais, l'autre est bien pire encore. Car si le! premier mouvement est
principalement ce qui fait qu'ils sont démons, dans, quelles dispositions
pensez-vous, mes frères, que ces ennemis superbes descendent vers les misérables
hommes et rôdent autour d'eux? Considérez de quelle manière ces auteurs de toute
impiété tournent autour de nous. Leurs regards orgueilleux se portent sur tout
ce qui est élevé. Néanmoins leur curiosité! maligne va chercher aussi les choses
les plus basses, mais ce n'est qu'afin de s'élever davantage, ce n'est que pour
contenter leur orgueil et s'élever en avilissant les hommes, et en les tenant
comme sous leurs pieds par le péché, selon ce qui est écrit: " Pendant que
l'impie s'enorgueillit, le pauvre tombe dans la désolation (Psal. IX, 2). " Avec
quelle émulation détestable et pernicieuse, les mauvais anges imitent-ils donc
les voies des bons anges qui montent et qui descendent aussi? Ils montent pour
contenter leur horrible vanité : ils descendent pour satisfaire leur ardente
jalousie. Ils ne descendent vers nous que par une insatiable cruauté, et ils ne
s'élèvent au-dessus de nous que par une vanité mensongère, parce qu’ils sont
incapables de miséricorde et de vérité, comme je vous l'ai dit hier. Mais si
d'un côté nous devons craindre ces esprits malins qui descendent vers nous pour
nous perdre, de l'autre côté nous avons un grand sujet de rendre grâces à Dieu,
de ce que, par son ordre, les bons anges descendent aussi vers nous pour nous
secourir et pour nous garder dans toutes nos voies. C'est peu, non seulement
pour nous garder et nous, secourir, mais encore, comme dit le Prophète, " pour
nous porter entre leurs mains, de peur que nous ne heurtions nos pieds contre
quelque pierre. "
3. Combien, mes frères, Dieu nous donne-t-il
d'instructions, d'avertissements, de consolations dans ces quelques mots de
l'Écriture? Quelles autres paroles pouvons-nous trouver, dans tous les psaumes,
qui consolent mieux ceux que l'affliction abat, avertissent plus fortement ceux
qui se négligent , instruisent davantage les ignorants? C'est pour cela que la
divine providence a voulu que les fidèles répétassent les versets de ce psaume,
principalement dans ce saint temps de carême. Et la raison qui a porté l'église
à nous faire ainsi redire ce psaume, semble n'être venue que de ce que Satan a
eu l'audace d'en employer les paroles pour tenter Notre Seigneur. Ainsi cet
esprit méchant se trouve être utile aux enfants de Dieu,. contre son intention.
Car qu'y a-t-il qui lui puisse déplaire davantage, et nous donner plus de joie
que de voir sa propre malice tourner à notre bien. " Dieu a commandé à ses anges
de vous garder en toutes vos voies. " Que les miséricordes infinies de Dieu nous
obligent à chanter ses louanges et à annoncer ses merveilles aux enfants des
hommes! Que l'on dise dans toutes les nations que le Seigneur a fait de grandes
choses pour témoigner son amour à ses serviteurs. Seigneur, qu'est-ce que
l'homme, pour que vous vous soyez fait connaître à lui : et comment daignez-vous
en faire l'objet de votre amour? Vous ouvrez votre coeur, vous songez en père à
tous ses besoins, et vous avez soin de lui. Et pour comble de bienfaits, vous
lui envoyez votre Fils unique, vous lui envoyez votre esprit et vous lui
promettez de lui faire voir votre face. Et afin de ne rien omettre dans les
cieux de tout ce qui peut nous intéresser, vous envoyez pour nous, sur la terre,
les esprits bienheureux pour, nous servir en toutes rencontres, pour nous garder
de votre part, pour nous conduire et nous éclairer dans toutes nos voies. De
sorte que vous ne vous êtes pas contenté que ces esprits fussent vos anges, vous
avez encore voulu qu'ils fussent les anges même des plus petits d'entre les
hommes. En effet, il est dit : " leurs anges contemplent toujours le visage de
mon Père ( Matth. XVIII, 10). " Ainsi ces créatures excellentes et heureuses
font l'office de médiateurs entre vous et nous, en sorte que, comme ils nous
sont envoyés de votre part, nous pouvons aussi dire qu'ils vous sont envoyés de
la nôtre.
4. " Il a commandé à ses anges de vous garder. "
C'est véritablement un merveilleux effet de sa bonté, et un des plus grands
témoignages de sou amour que nous puissions recevoir. Considérez, en effet,
attentivement avec moi quel est celui qui donne cet ordre, à qui et pour qui;il
le donne, et ce qu'il ordonne. Représentons-nous l'importance de ce commandement
que reçoivent les anges de Dieu. Ayons soin de ne l'oublier jamais. Qui est donc
celui qui l'a fait? A qui les anges appartiennent-ils ? A qui, obéissent-ils ?
De qui exécutent-ils la volonté? le Prophète nous l'apprend : c’est à celui qui
a commandé à ses anges de nous garder dans toutes nos voies. Ils sont si prompts
à obéir à ce commandement, que! même ils nous portent entre leurs mains. C'est
donc la souveraine Majesté de Dieu qui commande aux anges et à ses anges; à ces
esprits si élevés, si heureux, si proches de lui, si unis à lui, si attachés à
lui, ses vrais amis et ses familiers : et cependant c'est pour nous qu'il leur
commande de descendre sur la terre. Ah! qui sommes-nous? Seigneur, qu'est-ce que
l'homme pour que vous vous souveniez de lui? Qu'est-ce que le Fils de l'homme,
pour que vous en teniez quelque compte? Comme si l'homme depuis le péché était
autre chose que corruption et que pourriture, comme s'il n'était pas semblable à
un ver de terre.
Mais quel est le commandement que Dieu a fait pour
nous à ses anges? Leur a-t-il ordonné contre nous des choses fâcheuses? Leur
a-t-il commandé de montrer leur puissance contre une feuille que le vent
emporte, et de poursuivre une feuille desséchée? d'empêcher les méchants de voir
la gloire de Dieu? Cela doit être infailliblement commandé quelque jour, mais ce
ne l'est point encore. Ne vous éloignez point du secours du Très-Haut. Demeurez
dans la protection du Dieu du ciel, pour ne donner jamais sujet à sa justice de
faire ce terrible commandement contre vous. Il est hors de douté que le Dieu, du
ciel ne fera point de commandements à ses anges qui soient à craindre, et qui ne
soient plutôt favorables à ceux qu'il aura protégés. Et s'il est quelque chose
dont l'exécution ne serait pas avantageuse à ses élus, il diffère de l'ordonner,
afin que tout leur soit favorable. Et nous voyons dans l'Evangile, gùé,comme les
serviteurs du père de famille étaient prêts à aller arracher le mauvais grain
qui avait été semé sur le bon, cet homme plein de prévoyance, leur dit :
"Laissez croître les mauvaises plantes avec les bonnes jusqu'au temps de la
moisson, de crainte qu'en arrachant les mauvaises herbes, vous n'arrachiez aussi
le froment. (Matth. XIII, 30). " Mais,comment le bon grain pourra-t-il se
conserver jusqu'à la récolte? C'est précisément l'objet. du commandement que
Dieu fait à ses anges pour le temps où nous sommes.
5. "Il a donc commandé à ses anges de vous garder.
" O vous qui êtes véritablement le froment qui croit au milieu de l'ivraie, le
bon grain mêle avec la paille, et le lis entre les épines. Rendons grâces, mes
chers frères, rendons grâces de tout coeur à la bonté de Dieu, et pour vous et
pour moi. Il nous a mis entre les mains un dépôt infiniment précieux, le fruit
de sa croix, le prix de son sang. Voilà pourquoi, peu content de cette garde si
peu utile, si faible, si insuffisante dont seulement nous étions capables, il a
voulu établir sur les murailles de Jérusalem des sentinelles plus sûres que
nous. Ceux-là mêmes qui semblent être comme des murailles, ou même comme des
colonnes et des piliers au milieu des murailles, sont ceux qui ; ont le plus
besoin que Dieu prenne soin de les faire garder par ses anges.
6. " Il a commandé à ses anges de vous garder en
toutes vos voies. " Combien cette parole doit-elle vous porter au respect, vous
donner de dévotion; vous inspirer de confiance? vous porter au respect pour la
présence de votre bon ange : donner de la dévotion à cause de sa bienveillance
pour vous;!et volis inspirer de la confiance, puisqu'il prend soin de vous
garder. Faites une attention particulière à toutes vos actions, puisque les
anges, comme il leur a été commandé, vous sont présents dans toutes vos voies.
En quelque lieu que vous alliez, en quelque recoin
que vous soyez, ayez toujours un grand respect pour votre bon ange. N'ayez pas
la hardiesse de faire en sa présence ce que vous ne voudriez pas faire, si je
vous voyais. Doutez-vous que cet esprit que vous ne voyez pas soit présent à ce
que, vous faites? Combien auriez-vous de retenue si vous l'entendiez, si vous
dei touchiez) si vous le sentiez autour de vous? Or, remarquez que ce n'est pas
seulement par les yeux qu'on est assuré de la présence des choses. Toutes choses
ne, peuvent pas être vues quoique présentes et corporelles. Combien donc les
choses spirituelles sont-elles plus éloignées de la portée de nos sens, et
combien est-il plus nécessaire d'employer les moi cils spirituels pour les
chercher et pour les trouver? Si vous consultez la foi, ne vous prouve-t-elle
pas que vos bons anges vous sont toujours présents? Oui, je le soutiens, la foi
vous le prouve, puisque l'Apôtre nous enseigne que cette foi est une preuve et
une conviction des choses qui ne nous paraissent pas. (Hebr. XI, 1) Il est donc
indubitable que nos bons anges nous sont toujours présents; et que non-seulement
ils sont avec nous, mais qu'ils n'y sont que pour nous. Ils sont prés de nous,
pour nous protéger et pour nous rendre service. Que rendrez-vous au Seigneur,
pour toutes les choses qu'il vous a données? Car à lui: seul nous devons
rapporter la gloire de notre conservation, attendu que c'est lui qui a commandé
à ses anges de nous garder. C'est lui qui nous les a donnés. Tout don parfait ne
peut venir que de lui. (Jac. 1, 17.)
7. Mais s'il a commandé à ses anges de nous
garder, nous n'en sommes pas moins obligés de leur témoigner notre
reconnaissance pour l'empressement avec lequel ils obéissent à l'ordre qu'ils
ont reçu, et prennent soin de nous, dans le besoin si grand et si continuel que
nous avons de leur assistance. Ayons donc une dévotion et une reconnaissance
particulière envers de pareils gardiens . ne manquons pas à les aimer, à les
honorer, autant que nous le pouvons; autant que nous le devons. Rapportons
néanmoins et témoignons toujours tout l'amour devons. tout le respect que nous
leur portons, à celui dont ils tiennent tout ce qui peut nous donner sujet de
les aimer et de les honorer, et de qui nous tenons nous-mêmes tout ce qui peut
nous faire mériter quelque amour et quelque estime. Sans doute lorsque l'Apôtre
a écrit, qu'il faut rendre à Dieu seul l'honneur et la gloire (I Tim. 17), "
nous ne devons pas croire qu'il ait voulu contredire le Prophète qui nous ;dit
qu'on doit honorer tout particulièrement les amis de Dieu.. Il s'est exprimé en
cette circonstance; comme il l'a fait quand il, nous a dit : " Ne soyez
redevables de rien à personne sinon de l'amour que nous nous devons toujours les
uns aux autres (Rom. III, 8). " Il n'a pas eu l'intention de nous porter par ces
paroles à renier nos autres devoirs envers le prochain, puisqu'il dit ailleurs :
" Il,1faut rendre l'honneur à qui l'honneur appartient (Rom. III, 8). " Ainsi
pour les autres devoirs de la vie. Servons-nous d'une comparaison pour entendre
plus parfaitement quel a été le sentiment de cet Apôtre; et quel avertissement
il a voulu nous donner. Par exemple, voyez les étoiles, elles disparaissent au
milieu des rayons du soleil. Pensons-nous que, pour cela; ces astres aient
disparu, et que leur lumière soit éteinte? Nullement. Mais nous savons qu'elles
sont comme cachées par une plus grande lumière que la leur. Ainsi l'amour que
nous devons à Dieu, surmontant tous nos, autres devoirs, doit régner en nous,
comme s'il était seul, en sorte que tout ce que nous devons aux créatures soit
tout à fait dépendant de cet amour souverain, et que nous fassions toutes choses
par cet amour.
Il faut pareillement que l'honneur que nous devons
à Dieu prévale sur tous les autres honneurs, en sorte que Dieu seul, soit honoré
non seulement par dessus, mais encore dans toutes les créatures qui sont l'objet
de notre vénération. Il en est de même de l'amour que nous devons à Dieu; quelle
place en effet a-t-il laissée aux autres amours, puisqu'il veut que nous
l'aimions de tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces? Il
faut donc, mes frères, que ce soit en Dieu que nous aimions ses anges, avec une
dévotion particulière, comme devant être un jour nos cohéritiers et se trouvant,
des maintenant, placés auprès de nous par le Père éternel, en qualité de guides
et de gardiens; car dès maintenant nous sommes les enfants de Dieu, bien qu'on
ne puisse pas juger encore de ce que nous serons un jour, avec lui dans la
gloire, attendu que nous sommes à présent comme des mineurs qui sont sorts la
conduite de leurs tuteurs et de leurs gouverneurs, et que, en cet état, comme
dit l'Apôtre, nous ne différions point des serviteurs.
8. Cependant, quoique nous soyons encore faibles
:comme des enfants à l'âge de leur minorité, nous avons un chemin très grand,
non seulement très grand, mais très difficile et très périlleux, à faire.
Toutefois, que devons-nous craindre sous de tels gardiens? Ils ne peuvent être
ni vaincus ni trompés par nos ennemis, et ils peuvent encore moins nous tromper,
puisque leur ministère est de nous garder de toutes surprises dans tontes nos
voies. Ils sont fidèles; ils sont prudents; ils sont puissants : que
craignons-nous ? Suivons-les seulement. Attachons-nous à eux, et nous
demeurerons sous la protection du Dieu du ciel. Considérez combien leur
protection, combien leur vigilance à nous garder dans toutes nos voies nous est
nécessaire: " Ils vous porteront, dit le Prophète, entre leurs mains, de peur
que vous ne blessiez votre pied contre quelque- pierre. " Si vous trouvez que ce
n'est pas encore beaucoup d'être protégés contre l'achoppement des pierres du
chemin, remarquez la suite: " Vous marcherez sur l'aspic et le basilic, et vous
foulerez aux pieds le lion et le dragon. " Combien est-il nécessaire à un enfant
qui marche parmi tant de périls d'être conduit , d'être soutenu et porté ? Aussi
le Prophète dit-il : " Ils vous porteront entre leurs mains." Ils vous garderont
donc dans toutes vos voies, et vous conduiront comme on conduit des enfants
lorsqu'ils sont dans un chemin où ils peuvent marcher ; pour le reste, ils ne
souffriront pas que vous soyez tentés au delà de vos forces; dans les rencontres
trop difficiles et trop dangereuses, ils vous prendront dans leurs mains pour
vous faire franchir les difficultés. Avec quelle facilité celui qui a le bonheur
d'être porté par de telles mains, surmonte-t-il les obstacles ?Car, comme dit le
proverbe, il est facile de nager quand on nous soutient sur l'eau.
9. Toutes les fois donc, que vous vous sentez
pressés par quelque violente tentation, et menacés par quelque grande épreuve,
invoquez l'ange qui vous garde, qui vous conduit, qui vous assiste dans vos
besoins et dans vos peines. Ayez recours à lui, et dites-lui : Seigneur,
sauvez-nous, nous périssons. Il ne dort ni ne sommeille. Si quelquefois il
semble fermer les yeux, pour un temps, sur le danger où vous êtes, ce n'est
qu'afin que vous ne soyez pas en état de vous retirer de ses mains, et de tomber
plus dangereusement, en ignorant que c'est lui qui vous soutient. Lés mains des
anges sont spirituelles, et les secours qu'ils donnent le sont aussi, et chaque
élu reçoit différemment ces secours, selon les divers périls ou il se trouve ,
et les difficultés qui se présentent; périls et difficultés que je compare à des
monceaux de, pierre qui se rencontreraient sur le passage des voyageurs et qui
pourraient les accabler on les arrêter dans leur route. Je vais vous représenter
les tentations que j'estime les plus communes , et je pense qu'il n'y en a guère
parmi vous, qui ne les aient éprouvées. L'un est tourmenté, ou par une infirmité
corporelle, par quelque affliction temporelle, ou se voit tomber dans la
langueur, par la paresse et la lâcheté de son esprit, et par une sorte de
défaillance de l'âme. En cet état, il commence à être tenté au dessus de ses
forces et il ne tardera pas à se heurter et à se blesser contre la pierre (Isa.
VIII, 14), si personne ne le soutient. Quelle est cette pierre ? J'entends, par
cette pierre d'achoppement et de scandale, celle contre laquelle se blessent
tous ceux qui la heurtent du pied, et quai brise ceux sur lesquels elle tombe;
c'est-à-dire, contre la pierre angulaire, choisie et précieuse, qui n'est autre
que le Seigneur Jésus. Se heurter et se blesser à cette pierre, ce n'est autre
chose que de murmurer contre lui, et de se scandaliser faute de courage, au sein
des tempêtes et des agitations de cette vie. Celui donc qui a commencé de perdre
ainsi courage, et qui est sur le point de se heurter contre la pierre, a besoin
du secours, de la consolation et de la main protectrice des anges. Et celui qui
murmure et qui blasphème, vient, se heurter contre cette pierre, et se blesser
lui-même; mais ne blessé pas celui contre lequel il va se heurter avec furie.
10. Je me figure qu'il y a des hommes qui sont
quelquefois soutenus par les anges, comme s'ils étaient portés par eux dans
leurs deux mains : en sorte, qu'ils passent par les dangers et par les
tentations qu'ils craignaient le plus, sans presque s'en apercevoir, et
s'étonnent beaucoup ensuite de la facilité avec laquelle ils ont triomphé de ce
qui leur avait paru d'abord plein de difficulté. Voulez-vous savoir ce que
j'entends par ces deux mains des anges ? J'entends par-là, deux connaissances et
deux vues que ces esprits de lumière nous donnent pour nous fortifier, et nous
encourager dans les épreuves, c'est-à-dire, d'un. côté la connaissance et la vue
de la brièveté des afflictions de cette vie, et, de l'autre, la connaissance et
la vue de l'éternité des récompenses, qui nous font comprendre et sentir
profondément dans nos cœurs, que c'est un moment bien court et bien léger
d'épreuves en cette vie, qui produit en nous le poids incomparable d'une
éternité de gloire. Et qui serait assez incrédule pour douter que ces
impressions si avantageuses et si saintes, soient produites en nous par les bons
anges, puisqu'il est certain que les impressions malignes le sont par les
mauvais. Prenez donc l'habitude, mes frères, de vous entretenir avec vos; bons
anges dans une familiarité particulière. Pensez à eux; adressez-vous à eux, par
des prières ferventes et continuelles, puisqu'ils sont toujours près de vous
pour vous défendre et vous consoler.
TREIZIÈME SERMON
" Ils vous porteront entre leurs mains, de crainte que vous ne heurtiez le pied
contre quelque pierre
(Psal. XC, 12). "
1. Nous pouvons entendre le verset : " Ils vous
porteront dans leurs mains, " non-seulement des consolations et des assistances
présentes; mais aussi de celles de l'avenir. Il. est certain. que les saints
anges nous gardent dans nos voies durant le cours de cette vie; niais lorsque
notre voyage sera fini, c'est-à-dire, lorsque nous sortirons de cette vie, ils
nous porteront entre leurs mains. Et nous ne manquons pas de témoignages à
l'appui de ce que je vous dis. Il n'y a pas longtemps vous avez entendu lire que
notre bienheureux père saint Benoît, paraissant avoir les yeux attentifs à
regarder l'éclat d'une brillante lumière, vit l'âme de saint Germain (a) évêque
de Capoue portée au ciel par les anges dans un globe de feu. Mais qu'avons-nous
besoin de ce genre de témoignages ? celui qui est la vérité même n'a-t-il pas
dit, dans l'Évangile, que ce pauvre qui était couvert d'ulcères " fut porté par
les anges dans le sein d'Abraham (Luc. XVI, 22). " Nous ne pourrions de
nous-mêmes marcher dans une voie si nouvelle et si inconnue, d'autant plus qu'il
se trouve au milieu une si grande pierre d'achoppement à craindre. De quelle
pierre parlé-je ? C'est de celui qui était autrefois adoré dans des pierres, et
qui présenta des pierres à Notre-Seigneur, en lui disant : "Ordonnez que ces
pierres deviennent du pain (Matt. IV, 3). " Or, votre pied, ce sont vos
affections et vos passions. Voilà ce pied de l'âme que !les anges portent entre
leurs mains, de crainte que vous ne le heurtiez et ne le blessiez contre la
pierre. Car comment ne serait-elle pas extrêmement troublée si elle sortait
toute seule de cette vie pour entrer dans ces voies et marcher seule parmi les
pierres de scandale, et de ruine que l'ennemi lui présentera ?
2. Mais il faut que je vous explique encore plus
clairement combien il vous est nécessaire d'être portés par les mains des anges.
" Vous marcherez sur l'aspic et sur le basilic : et vous foulerez aux pieds le
lion et le dragon. " Quel serait le désordre et le trouble de votre âme au
milieu de ces monstres terribles ? Ce qu'il faut entendre par là, n'est autre
chose que les mauvais esprits parfaitement figurés par ces monstres horribles.
C'est de ces esprits cruels et méchants, vous ne l'avez pas oublié, je pense,
qu'il est dit plus haut : " Il en tombera mille à votre main droite." Mais qui
peut savoir si les oeuvres de malice et les ministères d'iniquité sont divisés
et partagés entre ces esprits, en sorte, que ces divers offices, par lesquels
ils exercent différemment leur méchanceté sur les hommes, doivent être signifiés
et représentés par les divers noms et par les différentes propriétés de ces
bêtes? L'un par l'aspic, l'autre par le basilic; celui-ci par le lion, celui-là
par le dragon, parce que chacun d'eux nuit à sa manière par des mesures
cruelles; l'autre par de simples regards, celui-ci en renaissant et en frappant,
celui-là, par son souffle de son haleine. Nous lisons dans l'Evangile, qu'il y a
un certain genre de démons, qu'on ne saurait chasser que par la prière et le
jeûne (Matt. XVI, 20). Les apôtres n'avaient aucune paissance, par leurs
paroles, sur ces sortes de démons. N'étaient-ce pas des aspics (Psal. LVII, 5);
car il y est dit dans un psaume que ce serpent est sourd, et qu'il bouche ses
oreilles pour ne pas
entendre la vois de l'enchanteur? Voulez-vous
marcher en sûreté, après votre mort sur les aspics ? Prenez garde, durant cette
vie, de ne point marcher après eux. Ne les imitez pas, vous n'aurez point sujet
de les craindre plus tard.
3. Il y a des vices particuliers sur lesquels, je
pense, dominent ces sortes de démons; je crois que ces vices sont ce mouvement
circulaire dont je vous ai parlé hier, en vous disant de vous en garder
soigneusement, et cette obstination contre laquelle je vous ai prémunis
avant-hier; je suis bien aise de vous en parler encore, et toutes les fois que
les occasions s'en présenteront, je ne négligerai point de vous suggérer: tous
les moyens en mon pouvoir de fuir cette peste pernicieuse de l’âme et de, vous
en garantir. On peut dire, en un mot, que cette obstination est la ruine de
toute religion : c'est véritablement comme parle Moïse, " un venin d'aspic
incurable (Deut. XXXII, 33). " On dit que l'aspic appuie une de ses oreilles le
plus fort qu'i! peut contre la terre, et bouche l'autre avec sa queue, afin de
ne point entendre les paroles de l'enchanteur. Que peut donc sur lui, la voix
des enchanteurs Évangéliques ? Que peut la parole de ceux qui lui annoncent les
vérités chrétiennes ? Que ferai-je donc pour gagner un aspic comme celui-là? Je
me mettrai en prière pour lui, pour lui, j'humilierai mon âme, par le jeûne. Je
me baptiserai pour ce mort, par l'épanchement abondant de rues larmes, quand je
verrai que les enchantements humains les plus sages, et les avis les plus
convenables auront échoué contre son obstination. Que l'homme indocile et
opiniâtre considère que ce n'est pas vers le ciel qu'il élève sa tète ; mais que
c'est. sur la terre qu'il la tient attachée, puisque la sagesse qui vient du
ciel non seulement est modeste, mais rie produit dans le coeur que paix , et
docilité; leur prudence est celle des aspics; elle est terrestre et animale.
Mais cet aspic ne serait pas sourd comme il l'est, s'il ne bouchait encore une
de ses oreilles avec sa queue. Or, que signifie cette queue ? C'est la fin à
laquelle on se propose d'arriver. La surdité d'un homme qui se tient comme serré
contre terre, c'est-à-dire qui s'attache à sa propre volonté; et qui comme
l'aspic replie sa queue pour se boucher une oreille, c'est-à-dire, forme dans
son esprit quelque dessein et met dans son coeur un objet qu'il désire
d'obtenir, est une surdité désespérée. Je vous en conjure donc, mes frères, ne
bouchez point vos oreilles, n'endurcissez jamais vos coeurs. Car c'est cet
endurcissement et cette surdité volontaire qui fait sortir de la bouche d'un
homme opiniâtre tant de paroles injurieuses et amères, parce que, en cet état,
il est inaccessible et impénétrable à tous les témoignages de bienveillance
qu'on lui peut donner, en l’avertissant de son devoir. C'est parce qu'il s'est
endurci avec tant de soin contre la voix du saint enchanteur de son âme, que sa
langue, semblable à un dard, demeure toujours pleine du venin de l'aspic.
4. Quant ait basilic, ou dit qu'il porte son venin
dans les yeux; c'est l'animal le plus méchant et le plus à craindre. Voulez-vous
savoir ce que c'est qu'un oeil envenimé, un oeil méchant, un oeil capable
d'empoisonner et de tuer par ses regards? Représentez-vous ce que c'est que
l'envie. Qu'est-ce qu'envier, sinon regarder avec un oeil mauvais? Si le démon
n'avait point été un basilic, jamais la mort ne serait entrée sur la terre par
l'envie de cet ennemi? Malheur à l'homme de n'avoir point prévu la méchanceté de
cet envieux! Garantissons- nous, pendant que nous sommes sur la terre; des
atteintes du vice odieux de l'envie, si nous voulons, après notre mort, n'avoir
pas à craindre qu'il exerce contre nous sa haine. détestable. Que personne de
nous ne regarde jamais le bien qui est dans son prochain avec des yeux d'envie;
car le regarder de cette sorte, c'est (autant qu'on en a le pouvoir) l'infecter
et le corrompre, et en quelque façon le détruire. La vérité même nous dit que
celui qui hait un homme est un homicide ( I Joan. III, 15). Que dirons-nous, de
celui qui hait le bien qui se rencontre dans son prochain? Ne peut-on point avec
plus de raison encore le traiter d'homicide? A la vérité, la personne qui est
l'objet de son envie est encore vivante, mais l'envieux ne laisse pas d'être
coupable de sa mort, par la mauvaise disposition de son coeur. Le feu que Notre
Seigneur Jésus-Christ est. venu apporter sur la terre est encore, allumé; et
l'homme qui est plein d'envie contre soit frère mérite autant d'être condamné,
que s'il éteignait ce feu de la charité du Sauveur du monde.
5. Redoutez aussi les atteintes du dragon. C'est
une bête cruelle. Son souffle brillant tue tout ce qu'il touche. Non-seulement
il fait mourir les bêtes de la terre, mais encore les oiseaux du ciel. Pour moi,
ce dragon n'est autre chose que la passion de la colère. Combien, au souffle de
ce monstre,, et brûlés misérablement par son haleine, sont tombés d'hommes dont
la vie semblait si élevée, et dont la chute a été honteuse. Combien auraient-ils
mieux fait de se fâcher contre eux-mêmes pour ne point pécher! A la vérité, la
colère est une passion naturelle aux hommes : mais ceux qui abusent des biens de
la nature seront sévèrement punis, et périront misérablement. Prévenons cette
passion, mes frères, dans les rencontres où il nous est important de la
prévenir, de crainte qu'elle ne nous emporte à des actions inutiles, et
défendons, comme on a coutume de réprimer, l'amour par l'amour et la crainte par
une autre crainte. " Ne craignez point ceux qui font mourir le corps, dit
Notre-Seigneur, et qui n'ont aucun pouvoir de nuire à vos âmes. " Et,
continue-t-il aussitôt : " Je vais vous indiquer qui vous devez craindre.
Craignez celui qui a la puissance de jeter vos âmes dans les tourments éternels.
Je voua le répète, c'est celui-là que vous devez craindre. (Luc. XII, 4). "
Comme si Notre Sauveur avait voulu dire par ces paroles : Craignez celui-là pour
ne point craindre les autres. Que l'esprit de la crainte du Seigneur vous
remplisse : et une crainte étrangère et illégitime n'aura point de place dans
vos coeurs. Je vous le dis donc, aussi, avec assurance, ou plutôt ce n'est pas
moi, c'est la vérité même, c'est le Seigneur qui vous le dit : Ne vous mettez
point en colère contre ceux qui vous ôtent les biens passagers; qui vous
couvrent d'outrages; qui, peut-être; vous font souffrir mille maux, et qui ne
peuvent plus, après cela, rien faire contre vous. Je vais vous montrer contre
qui vous devez exercer votre colère. Mettez-vous en colère contre une chose qui
seule est capable de vous nuire, et de faire que tout ce que vous souffrez ne
vous profite en aucune sorte. Voulez-vous savoir de quelle chose je parle? C'est
de votre propre iniquité ; car nulle adversité ne vous pourra nuire si nulle
iniquité ne domine en vous. Celui qui ressent une sainte colère contre cet
ennemi, embrasse les épreuves au lieu d'en être troublé. " Je suis préparé, dit
le Prophète, à tous les fléaux qui me peuvent arriver. (Psal. XXXVII, 18)."
Dommages, injures, blessures mêmes, je suis préparé à tout souffrir, je n'en
suis nullement troublé, parce que la douleur de mes péchés m'est constamment
présente. Pourquoi ne mépriserai-je pas toutes les affections extérieures, en
comparaison de cette douleur intérieure de mon âme? " Pendant que mon propre
fils me persécute, dit le roi Prophète, me fâcherai-je contre un serviteur qui
me dit des injures ( II Reg. XLI, 11)? " Quand je me vois abandonné par mon
propre coeur, privé de toute vertu et de la lumière qui éclairait mes yeux,
pleurerai-je quelques pertes temporelles et m'inquiéterai-je des incommodités
qui ne regardent que le corps?
6. Quand on est dans cette disposition, non
seulement on s'établit dans une patience et une douceur à laquelle le souffle du
dragon ne saurait nuire, mais il se forme encore dans le coeur une magnanimité
que les rugissements du lion ne sauraient épouvanter. Notre adversaire, dit
saint Pierre, est comme un lion rugissant. (I Petr. V, 8). Grâce au lion
victorieux et divin de la tribu de Juda, ce lion rugissant et furieux. ne nous
saurait dévorer. Il ne peut nous faire de mal quand il ne cesserait de rugir.
Qu'il rugisse donc tant qu'il voudra, les brebis de Jésus-Christ n'ont qu'à ne
point fuir, et à demeurer fermes. Que de menaces ne fait-il point? Que de périls
et de maux n'accumule-t-il point, afin de nous épouvanter? Mais n'imitons pas
les bêtes fauves, et que ce rugissement, qui n'est qu'un vain bruit, ne puisse
jamais nous abattre. Car ceux qui ont examiné ces choses avec beaucoup de soin
rapportent que nulle bête n'est assez hardie pour demeurer ferme quand elle
entend le rugissement du lion, pas même celles qui résistent avec le plus de
force et de courage contre ses attaques, et qu'il arrive souvent qu'une bête qui
ne peut résister au rugissement du lion ne laisserait pas de le :vaincre
lorsqu'elle en est attaquée. C'est ressembler à ces bêtes, c'est être privé de
raison que d'être assez privé de courage, et assez faible pour se laisser
vaincre par la seule crainte, et de se laisser tellement abattre par la seule
pensée d'une peine qui n'est pas encore arrivée, que d'être vaincu avant de
combattre, non par les coups de l'ennemi, mais par le seul bruit de la
trompette. "Vous n'avez pas encore résisté jusques au sang, disait ce chef si
généreux qui! connaissait combien était vain le rugissement de ce lion (Hebr.
XII, 4). " Et un autre apôtre nous dit : " Résistez au diable, et il s'enfuira
loin de vous. (Jacob. V, 7). "
QUATORZIÈME SERMON
" Ils vous porteront entre leurs mains, etc. vous marcherez sur l’aspic et sur
le basilic, etc
(Psal. XC, 22, 13). "
1. Rendons grâces,mes frères, à notre créateur, à
notre bienfaiteur, à notre rédempteur; à celui de qui nous devons attendre notre
récompense, ou plutôt à celui qui est lui-même toute notre attente et toute
notre espérance. Car il est lui-même tout à la fois, notre rémunérateur et notre
rémunération; et dès maintenant, nous n'attendons rien de lui, que lui-même.
D'ailleurs, considérons, premièrement, que nous tenons de lui tout ce que nous
sommes, puisqu'il est certain qu'il nous a faits, et que nous ne nous sommes pas
faits nous-mêmes. Vous semble-t-il que ce soit peu de chose que ..Dieu vous ait
faits tels que vous êtes ? D'abord, selon le corps, il,vous a faits la plus
noble et la plus parfaite de toute les créatures visibles; et, selon l'âme, il
vous a donné bien; mieux encore, car il vous a faits à son image, il vous a
communiqué la raison et l'intelligence, et vous a rendus capables d'une
éternelle félicité. L'homme mérite d'être admiré par dessus toutes les autres
créatures, à cause des deux parties qui le composent, et qui sont unies ensemble
par l'art incompréhensible et par la sagesse impénétrable du Créateur; en sorte
que l'homme est un des plus grands effets de la puissance, aussi bien que de la
bonté de Dieu. Mais combien gratuite ne fut pas cette bonté de Dieu? Il est
évident que l'homme n'a pu rien mériter avant sa création, puisqu'il n'était pas
encore. Et après qu'il eut reçu l'être, avait-il sujet d'espérer qu'il pût
reconnaître, par quelque bienfait, la grâce qu'il avait reçue de son Créateur? "
J'ai dit au Seigneur, dit le Prophète : Vous êtes mon Dieu, parce que vous
n'avez besoin d'aucun bien qui soit en ma puissance ( Psal. XV, 2 ). " L'homme
n'avait donc pas sujet de penser qu'il pourrait reconnaître les bienfaits de
Dieu , par quelque bienfait ou quelque service , puisqu'il se suffit pleinement
à lui-même. Mais c'était assez à cette créature si comblée de bienfaits, de se
promettre de les reconnaître, autant qu'elle le pouvait. Pourquoi, ne
donnerions-nous point des témoignages de notre reconnaissance? Si quelqu'un
avait en quelque: sorte contribué à nous faire recouvrer le sens de la vue, de
l'ouïe, de l'odorat que nous avions perdu; ou nous avait rendu l'usage de nos
pieds depuis longtemps paralysés; si, dis-je, quelqu'un nous avait rétablis dans
l'entier usage de la raison, après que nous, en aurions été privés; quel homme,
n'aurait pas une extrême indignation contre nous, s'il nous voyait oublier un
bienfait de cette nature, et la reconnaissance que nous devrions à celui qui.
nous aurait rendu de pareils, services? Que ne devons-nous donc point à Dieu qui
a formé tous ces membres de rien, pour nous les donner; que dis-je,
non-seulement il les a formés, mais, en les façonnant comme le chef-d'oeuvre de
tous ses ouvrages, il leur a donné, dans toutes leurs parties et dans toutes
leurs fonctions, tout l'ordre, toute la beauté et toute la perfection dont ils
étaient capables? Quelles actions de grâces ne lui devons-nous point pour cela?
2. Dieu ne s'étant pas contenté de nous avoir
donné l'être en nous créant, a encore voulu ajouter à ce don tout ce qui devait
en assurer la conservation, et en cela sa libéralité n'a pas été moins
recommandable que sa puissance digne d'admiration. " Faisons, dit-il, l'homme à
notre image, et à notre ressemblance (Gen. I, 26). " Et qu'ajoute-t-il après? "
Qu'il soit le maître des poissons qui nagent dans la mer, des bêtes qui marchent
sur la terre et des oiseaux qui volent dans l'air. Il venait de déclarer qu'il
avait formé les cieux et les éléments pour l'usage de l'homme; car il avait dit
qu'il avait créé les astres pour qu'ils fussent des signes et qu'ils marquassent
les temps, les jours et les années. Pour qui tout cela, sinon pour nous? Car les
autres créatures, on n'ont aucun besoin de ces signes, ou ne sont point capables
de les entendre. Quelle richesse, quelle libéralité dans le bienfait de notre
conservation! le second qui réclame notre reconnaissance! Combien de choses ne
nous a-t-il point données pour soutenir notre vie? Combien pour nous instruire
ou pour nous consoler? Combien aussi pour nous corriger et nous ramener à lui
lorsque nous nous égarons? Combien, enfin, en a-t-il faites qui ne sont
destinées qu'à notre plaisir? Mais s'il nous' a donné l'être et s'il nous le
conserve sans que nous ayons pû le mériter, c'est un double bienfait doublement
gratuit. Et que dis-je doublement gratuit? S'il nous a donné ces deux biens sans
mérite de notre part, il nous les a donnés aussi sans aucune peine, sans aucun
travail, et avec une merveilleuse facilité. "Il n'a fait que dire, et aussitôt
toutes choses ont été faites (Psal. XXXII, 9). " S'il les a faites de rien,
elles ne lui ont aussi rien coûté; faut-il pour cela que nous soyons moins
pieux, moins fervents, moins reconnaissants? Mais c'est le propre d'un coeur
pervers de chercher des occasions et des prétextes d'ingratitude? On ne peut en
user ainsi, qu'a n ne soit ingrat sans le moindre sujet. Le double bien que nous
avons reçu, nous est-il moins utile parce qu'il a peu coûté à celui qui nous;
l'a donné? Si quelqu'un de nous estimait que les biens qui coûteraient davantage
à Dieu nous seraient pour cela plus utiles, il raisonnerait d'après lui-même et
d'une manière qu'il aurait apprise dans son coeur, non ailleurs. Ainsi, il est
certain que, pour l’ordinaire, on serait plus prompt à donner un secours a son
prochain s'il coûtait peu à rendre, néanmoins personne ne voudrait que cette
circonstance, d'avoir fait plaisir, facilement, et sans s'être donné de peine,
fût. un motif pour celui qu'on a obligé de se croire dispensé de reconnaissance.
3. Cependant Dieu n'a pas borné là ses bienfaits,
il en est un troisième, celui de notre Rédemption, qui mérite que nous nous
arrêtions à le considérer. Nous ne saurions nous excuser de même d'en concevoir
de la reconnaissance, car il lui a coûté beaucoup à nous les procurer. En effet,
s'il nous a rachetés gratuitement, et sans que nous l'ayons mérité en aucune
sorte, ce n'a pas été sans qu'il lui en contât beaucoup. Il nous a sauvés sans
qu'il nous en ait rien coûté, mais ce n'a pas été pour rien. Comment l'amour que
nous lui devons est-il languissant et assoupi au fond de notre coeur? Que
dis-je, comment est-il mort? Car l'âme qui ne répond point à ce bienfait par des
actions de grâces et des cantiques de louange ne dort plus, elle est morte. Il
est évident que ce troisième bien nous rend les deux premiers beaucoup plus
recommandables, en nous montrant que ç'a été par un véritable amour, que Dieu
nous les a donnés, et que, s'il nous a créés, et s'il nous conserve avec; une
grande facilité et sans peine, ce n'est pas parce qu'il n'a point voulu le faire
autrement; mais c'est parce qu'il n'a pas fallu qu'il le fit d'une autre
manière. Notre Dieu nous a donc faits. Il a fait une infinité de choses poux,
nous. Et enfin il s'est fait homme lui-même pour nous. Le " Verbe s'est fait
chair et il a demeuré parmi nous (Joan. I, 14). " Que petit-il de plus? Il s'est
fait une même chair avec nous, et il fera que nous ne soyons qu'un même esprit
avec lui. Que ces quatre bienfaits ne sortent donc jamais de votre esprit ni de
votre bouche, de votre mémoire ni de votre coeur. Pensez-y toujours. Mettez vos
délices à les méditer. Excitez et pressez votre âme par la vive considération de
ces bienfaits. Tâchez de l'enflammer en l'y tenant attentive, afin qu'elle paie
d'un juste retour celui qui nous témoigne son amour de tant de manières.
Souvenons-nous surtout de ce qu'il nous dit lui-même : " Si vous m'aimez, gardez
mes commandements (Joan. XIV, 15). " Observez donc les commandements de votre
créateur de votre bienfaiteur, de votre rédempteur et de votre rémunérateur.
4. Si les bienfaits de Dieu sont au nombre de
quatre, quel, est le, nombre de ses commandements? Il n'est, personne qui ne
sache qu'il y en a dix, et si nous multiplions le nombre quatre par le nombre
dix nous aurons le nombre quarante, la vraie et spirituelle quadragésime.
Seulement il faut être dans la défiance et dans la crainte, et préparer nos âmes
à la tentation. Prenez garde à la finesse du serpent. Observez les embûches de
l'ennemi. Car il s'efforce d'empêcher par quatre sortes de tentations que nous
ne nous acquittions des quatre actions de grâces que nous devons rendre à Dieu,
à cause des quatre bienfaits dont je vous ai parlé. Jésus-Christ a éprouvé
toutes ces tentations, selon ces paroles pleines de vérité de l'Apôtre :
"Jésus-Christ a été tenté par toutes sortes de tentations, parce qu'il
ressemblait aux pécheurs par sa chair, quoiqu'il fût sans aucun péché. "
Quelqu'un, peut-être, s'étonnera :de ma pensée, et dira qu'il n'a pas lu, dans
l'Evangile, que Notre Seigneur eût souffert quatre sortes de tentations. Mais je
crois que cela ne saurait faire une difficulté pour personne, si on n'a pas
oublié que " la vie de l'homme est une tentation sur la terre (Job VII, 1). "
Car celui qui considérera bien cette vérité sera persuadé que Notre-Seigneur n'a
pas souffert seulement que les trois tentations marquées dans l'Evangile,
lorsqu'il est dit qu'il jeûna dans le désert, qu'il fut porté sur le plus haut
du temple, et sur le sommet d'une montagne. Dans ces trois occasions, la
tentation qu'il souffrit était certainement manifeste. Mais la tentation qu'il
souffrit depuis lors jusqu'à sa mort sur la croix fut plus véhémente que les
trois premières, quoique plus cachée : et ce genre de tentations secrètes se
rapporte assez aux pensées que j'ai émises touchant les bienfaits de Dieu. Car
les trois premiers bienfaits étant consommés dès cette vie, sont évidents, et
connus de tout le monde. Mais quant au dernier bienfait, qui appartient à
l'espérance de la vie éternelle, n'ayant pas encore son dernier,
accomplissement, il n'est pas encore manifeste à nos yeux. Aussi ne devons-nous
pas nous étonner si la tentation opposée à ce bienfait est cachée, puisque la
cause de cette tentation l'est pareille ment : mais elle est plus longue et plus
forte, attendu que l'ennemi met en usage, contre notre espérance, tout ce qu'il
a de méchanceté.
5. Afin donc premièrement de nous rendre ingrats
envers l'auteur; de la nature, il s'efforce de nous faire entrer; en ce qui
regarde cette nature, dans des soins beaucoup plus grands que nous n'en devons
avoir. Et c'est ce qu'il tâcha d'inspirer même à Notre-Seigneur, lorsqu'il osa
lui dire, pendant qu'il avait faim dans le désert : " Dites que ces pierres
deviennent du pain (Matth. IV, 3). " Comme si celui qui nous a faits, ignorait
les besoins de notre corps, ou comme si celui qui donne la nourriture aux
oiseaux du ciel n'avait pas soin des hommes. Celui qui ne craindrait point de se
prosterner devant Satan et de l'adorer, afin d'obtenir des biens temporels et
passagers, que sa cupidité lui fait désirer avec ardeur, serait bien ingrat
envers le Créateur, qui a fait tout le monde pour l'homme. " Je vous donnerai
toutes ces choses, dit cet esprit méchant, si vous vous prosternez pour
m'adorer. " Misérable, as-tu fait ces choses que tu promets de donner? Comment
pourras-tu donner ce que Dieu seul a créé? Ou comment peut-on espérer recevoir
de toi, et te demander, en t'adorant, les choses qui ne sont point en ta
puissance, mais seulement en celle de Dieu qui les a faites ? Quant à la
tentation par laquelle Satan sollicite Notre-Seigneur : de se précipiter du haut
du temple, c'est un avertissement donné à tous ceux qui sont élevés aussi au
plus, haut du temple par leur ministère, de se tenir soigneusement sur leurs
gardes. Pour vous donc qui êtes établis dans la maison de Dieu comme une
sentinelle en observation, veillez sur vous. Oui, vous tous qui, dans l'Eglise
de Jésus-Christ, occupez la plus haute place; prenez garde à vous. Combien
êtes-vous ingrats envers Dieu, et combien votre conduite est-elle injurieuse
pour les mystères dont il vous a faits les dispensateurs, si vous regardez la
religion et la piété comme un moyen de chercher vos intérêts, et de satisfaire à
vos passions ? Combien êtes-vous infidèles à celui qui a sanctifié par son
propre sang le ministère divin qu'il vous a confié, si vous cherchez par là
votre propre gloire qui n'est rien, et vos propres intérêts, au lieu de
rechercher les intérêts de Jésus-Christ ! Que vous répondez indignement à
l'honneur qu'a daigné vous faire celui qui, dans la dispensation des mystères de
sa chair, par lesquels il s'est humilié, vous a tant. élevés au dessus des
autres ; qui vous a commis l'administration de ses divins sacrements, qui vous a
donné une puissance toute céleste et peut-être plus grande que celle même qu'il
a donnée à ses anges, si, de l'élévation où vous êtes, vous vous précipitez en
bas, et si aux choses élevées et spirituelles vous préférez celles qui sont
basses et terrestres . de même on ne peut douter que tous ceux qui, du comble
des vertus où ils devaient être élevés par leur état, s'abaissent jusqu'à la
recherche de la vaine gloire, ne rendent l'injure au lieu de l'action de grâce à
ce Seigneur des vertus qui a souffert tant de peines parmi les hommes pour
imprimez en eux la forme de sa sainteté.
6. Examinons attentivement, mes, frères, si cette
première tentation qui tire notre âme de son repos à l'occasion et sous le
prétexte des nécessités corporelles, ne mérite point d'être comparée à l'aspic.
Cet animal, en effet, blesse les hommes par ses morsures, et se bouche les
oreilles pour ne point entendre la voix de l'enchanteur. N'est-ce pas ce que le
tentateur s'efforce de faire par ce genre de tentation, quand il essaie de
boucher, et de fermer les oreilles de notre coeur aux consolations de la foi?
Mais l'ennemi ne réussit point par cette première tentation à l'égard de celui à
qui il ne put boucher les oreilles du coeur et qui le confondit par cette
réponse : " L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui procède
de: la bouche de Dieu (Matth. IV, 4). " Mais dans ces paroles de Satan : " Je
vous donnerai toutes ces choses, si vous vous prosternez pour m'adorer," vous
pouvez reconnaître le sifflement du dragon qui se prépare à attaquer l'âme. On
dit que ce serpent, caché dans le sable, attire à lui, par un souffle envenimé,
même les oiseaux dans leur vol. Combien était envenimé le souffle du démon qui
disait : " Je vous donnerai toutes ces choses, si vous m'adorez en vous
prosternant! Mais Notre Seigneur n'est pas si facile à prendre, et le souffle de
ce dragon ne put rien sur lui.
7. Voyons ce que nous avons encore à dire du
basilic. Il est plus à craindre que tous les autres monstres; et l'on dit qu'il
infecte et tue les hommes par sa seule vue. Le poison mortel, figuré par le
venin de ce serpent, n'est autre chose que la vaine gloire, si je ne me trompe.
" Prenez garde, dit Notre Seigneur, de ne point faire vos bonnes oeuvres devant
les hommes dans le but d'être vus par eux (Matth. VI, 1). " Comme s'il disait :
Gardez-vous des yeux du basilic. Mais à qui pensez-vous que nuise cet animal?
C'est à ceux qui ne l'aperçoivent point. Car si on le découvre le premier, il ne
peut nuire, à ce qu'on dit, mais plutôt on lui cause la mort. Il en est ainsi,
mes frères, de la vaine gloire, elle fait mourir ceux qui ne l'aperçoivent pas,
ceux qui sont aveugles et négligents, ceux qui se présentent et qui s'exposent à
elle, au lieu de regarder ou elle est, d'observer ses approches et de la
discerner, ceux enfin qui ne savent point voir combien elle est frivole,
périssable, vaine et inutile. Quiconque regarde la-, vaine gloire de cette
manière donne la mort au basilic; et la vaine gloire, au lieu d'avoir la
puissance de lui ôter la vie de l'âme, meurt elle-même, tombe en poussière, et
se réduit à rien. Il n'est pas besoin d'examiner, je pense, comment se rapporte
à la vaine gloire la tentation que le démon fit éprouver à Notre Seigneur,
lorsqu'il lui, dit : " Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas (Matth.
IV, 6). " Car pourquoi lui parla-t-il de la sorte, sinon afin de l'engager à se
montrer au basilic, et à se faire louer par lui?
8. Considérez avec moi comme ce basilic se
cachait, pour empêcher Notre Seigneur de le découvrir le premier. " Il est
écrit, disait-ils que Dieu, a commandé à ses anges de vous garder, et ils vous
porteront entre leurs mains. " Esprit malin, dis-moi, oui, dis-moi ce qui est
écrit:: " Il a commandé à ses anges. " Que leur a-t-il commandé ? Remarquez avec
moi, je vous prie, que cet esprit, malin et trompeur omit: les paroles qui
pouvaient anéantir l'artifice que, sa, malice lui suggérait. Que leur a-t-il
donc commandé ? Ecoutez le Psalmiste : " Qu'ils vous gardent dans toutes vos
voies. " Est-ce dans des précipices, comme la distance du haut du temple jusques
en bas? Ce n'est pas, là une voie, mais une chute, et si c'est une voie, ce ne
petit être' que celle du démon, non de Jésus-Christ. Esprit superbe, c'est en
vain que tu emploies, pour, tenter le chef des élus, des paroles saintes qui
n'ont été écrites que pour consoler et fortifier ses membres. Il n'y a que ceux
qui ont à craindre de se blesser les pieds contre des pierres, qui ont besoin
d'être gardés en marchant; celui qui n'a rien à craindre n'a pas besoin qu'on le
garde. Pourquoi donc, esprit tentateur; ne continues-tu point avec le Psalmiste
: " Vous marcherez sur l'aspic et sur le basilic, et vous foulerez aux pieds le
lion et le dragon ? " C'est, sans doute, parce que ces paroles te regardent. Une
créature monstrueuse par sa méchanceté, et digne d'être foulée aux pieds, mérite
d'être désignée par des noms d'animaux monstrueux eux-mêmes, et de les recevoir
non-seulement de la bouche de celui qui est le chef de tous les fidèles, mais
aussi de tous ses membres. Cet impitoyable ennemi, après la triple confusion que
Notre Seigneur lui fit essuyer, n'eut plus recours; contre lui, à la ruse du
serpent; mais à la, cruauté du lion; en l'accablant de mille injures et de mille
outrages, en faisant pleuvoir sur lui les coups de la flagellation et les
soufflets, enfin en le traînant à la mort ignominieuse de la croix. Mais le lion
de la tribu de Judas t'a foulé aux pieds, lion rugissant et cruel. Il nous
traite, mes frères, comme il a traité Notre Sauveur. Se voyant déçu dans toutes
les entreprises qu'il a faites contre nous, ils nous suscite, dans sa fureur,
une persécution différente de celle que nous avons endurée au commencement, pour
tâcher de nous priver du royaume des cieux, par ta violence des afflictions.
heureuse l'âme qui foule aux pieds ce lion, avec force et courage, et se met en,
état d'emporter et d'acquérir le royaume des cieux, par une sainte et salutaire
violence.
9. Désormais donc, mes très-chers frères, marchons
avec toute la précaution et tout le soin; possible, comme si nous marchions sur
des aspics et sur des basilics. Arrachons de notre eoeur toute racine
d'amertume, afin que personne, parmi nous, ne soit mordant dans ses paroles,
audacieux inexorable et rebelle. Et gardons-nous bien de nous précipiter en bas,
mais élevons-nous et passons par dessus le regard mortel de la gloire
temporelle, sans la regarder : imitons les oiseaux, " devant lesquels on jette
inutilement le filet (Prov. 1, 47). " Foulons aux pieds le lion et le dragon,
afin que ni le rugissement de l'un, ni le sifflement de l'autre ne nous puissent
nuire. Les quatre monstres du verset de notre psaume répondent chacun à quatre
de nos passions. A quelle passion pensez-vous;que répondent les embûches du
dragon, c'est à Ia cupidité, parce qu`il sait qu'elle est la racine de toutes
sortes de maux, et que c'est elle principalement qui met le coeur en désordre.
De là vient, qu'il dit : " Je vous donnerai toutes ces choses (Matth. IV, 9). "
Quant au lion, il est manifeste qu'il ne fait entendre ses rugissements
épouvantables qu'à, la porte de ceux qui sont déjà dans la crainte. L'aspic
observe ceux qui sont dans la tristesse, parce que cette, passion lui donne la
facilité qu'il demande pour faire ses morsures. Aussi ne s'approcha-t-il de
Notre Seigneur que lorsqu'il le vit avoir faim. Enfin, il faut que ceux qui se
laissent aller à la joie craignent les regards du basilic, parce que c'est par
la joie que l'on donne entrée aux regards envenimés de ses yeux. Et la vaine
gloire ne nous blesse et n'entre dans notre coeur que lorsque nous nous laissons
aller à la vaine joie.
10. Considérons maintenant si nous pouvons opposer
quatre vertus à ces quatre tentations. Le lion rugit : qui est-ce qui ne
craindra pas? Ce sera l'homme fort et courageux. Mais après avoir échappé, au
lion, le dragon se cache, dans le sable pour attirer l’âme par son haleine
empoisonnée; en lui, inspirant comme par son souffle, le désir des choses de la
terre. Qui sera celui qui évitera, ses embûches ? Ce ne sera que l'homme
prudent. Mais peut-être, pendant que vous êtes sur vos gardes, pour ne pas
tomber dans les pièges de l'ennemi, vous vous trouvez en butte à quelque fâcheux
traitement de la part des hommes,aussitôt l'aspic se présente, s'imaginant avoir
trouvé le moment favorable. Qui est-ce qui ne se sent point blessé par cet
aspic? Ce sera seulement l'homme d'un esprit égal et modéré, qui sait être le
même dans l'abondance comme dans la disette. Quand vous aurez ainsi
heureusement, échappé à tous les périls, l'ennemi prendra encore occasion de vos
succès, pour vous flatter et vous entraîner dans la vanité par des regards
pervers. Qui se détournera des regards du basilic? Ce sera le juste, qui, par sa
justice et son. équité, non seulement ne voudra pas usurper la gloire qui
appartient à Dieu, mais ne voudra pas même recevoir celle qui lui sera offerte
par les autres hommes. Mais il, faut pour cela que ce juste,soit tel qu'il
accomplisse avec justice toutes les choses qui sont justes ; qu'il ne fasse
point ses bonnes oeuvres devant les hommes pour en recevoir des témoignages, et
qu'enfin il ne s'élève jamais par aucune présomption, quelque justice qu'il ait
en lui-même. Car cette vertu consiste principalement dans l'humilité. Elle rend
l'intention pure, et son mérite est d'autant plus véritable et plus efficace
qu'elle est plus éloignée de se l'attribuer.
QUINZIÈME SERMON
" Parce qu'il a espéré en moi, je le délivrerai : je le protégerai, parce qu'il
a connu mon nom
(Psal. XC, 15). "
1. "Venez à moi vous tous qui travaillez et qui
êtes chargés, et je vous, soulagerai, dit Notre Seigneur. Mettez mon joug sur
vous : et vouas trouverez le repos de vos âmes; parce que mon joug est doux; et
mon fardeau léger. (Math. XI, 28.) " Il invite ceux qui sont accablés de travail
à venir chercher du soulagement, et ceux qui:, sont chargés fa: venir prendre du
repos. Toutefois, il ne décharge pas pour cela ceux qui vont à lui, de toute
sorte de fardeau, et de travail. Il change plutôt leur fardeau et leur travail
en un autre, une charge pesante en une légère, un joug insupportable en un joug
infiniment doux, dans lesquels on ne trouve que rafraîchissement et repos? Et si
d'abord cela ne vous paraît pas, on reconnaît pourtant bientôt qu'il en est
ainsi. Sans doute l'iniquité est un fardeau plus, pesant que le plomb dont il
est parlé dans un prophète. C'était sous cette charge pesante que gémissait le
pécheur qui disait : " Mes iniquités s'élèvent au dessus de ma tête : (Zach. V,
7,) et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau pesant. (Psal. XXXVII,
5). "
Quel est donc ce fardeau de Jésus-Christ, si léger
et si doux? Selon moi, ce n'est autre chose que le fardeau de ses bienfaits et
de ses grâces? O qu'il est doux et aimable ! Mais pour ceux qui le sentent, pour
ceux qui l'éprouvent. Car si vous ne le trouvez pas tel; si vous ne vous
apercevez pas qu'il est ainsi, il vous est pesant alors et périlleux. L'homme,
pendant sa vie mortelle, est comme un animal destiné à porter toujours une
charge. S'il porte encore ses péchés, il est surchargé et s'il est soulagé, de
ce fardeau sa charge est moins lourde. Mais si cet homme est éclairé de la
véritable sagesse, et s'il sait estimer les choses comme elles sont; la grâce,
par, laquelle Notre Seigneur l'a déchargé de ses péchés, lui paraîtra une charge
aussi grande que l'autre. Dieu donc nous charge en diminuant notre fardeau. Il
nous charge de ses grâces, en nous déchargeant de nos péchés. Ecoutez le cri
d'un homme chargé des bienfaits de Dieu : " Que rendrai-je au Seigneur pour
toutes les choses qu'il m'ai. données. (Psal. CXV, 12)., " Ecoutez encore un
homme qui se voyait comblé de grâces : " Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce
que je suis un pécheur (Luc. V, 8). " Entendez enfin le langage d'un serviteur
de Dieu chargé de ses, dons : " J'ai toujours craint Dieu, et j'ai toujours,
appréhendé sa colère, comme on craindrait, d'être submergé par les flots de la
mer lorsqu'elle est agitée (Job XXXI, 23). " J'ai toujours craint, dit-il, j'ai
craint avant que d'avoir reçu le pardon de mes péchés ; j'ai continué de
craindre après l'avoir obtenu. Heureux l'homme qui est ainsi toujours dans la
crainte et n'est pas moins soucieux de ne se point laisser accabler par les
bienfaits de Dieu que par ses propres péchés.
2. Quand on nous représente la libéralité de Dieu
si continuelle et si abondante envers nous, c'est principalement pour nous
porter à la reconnaissance, et pour nous exciter à l’aimer. Il a commandé à ses
anges de vous garder en toutes vos voies. Qu'a-t-il pu faire de plus qu'il n'aie
pas fait? Mais je vois bien à quoi vous , pensez, âme généreuse, vous êtes
heureuse d'avoir les anges du Seigneur près de vous. Mais vous aspirez à
posséder le Seigneur même des anges. Vous demandez, et vous désirez de atout
votre coeur, que celui qui vous encourage par ces paroles ne se contente pas de
vous envoyer ses ministres, mais veuille lui-même, sans cesser d'être présent,
vous donner un baiser de sa bouche. Vous avez appris que vous' marcherez sur
l'aspic et sur le basilic, sur le lion et, sur le dragon, et vous êtes sûre de,
la victoire que l'archange Michel, et que tous les anges doivent remporter sur
le dragon, Cependant ce n'est pas vers cet archange, mais c'est vers le!
Seigneur même que vos désirs vous font soupirer encrier : "Délivrez-moi et
mettez-moi près de vous, et après cela que la main de qui que ce soit s'arme
contre moi (Job XVII, 3). " Se trouver dans ces dispositions, ce n'est pas
chercher un refuge plus, haut que les autres refuges ; mais c'est s'en assurer
un plus haut que les plus hauts, et mériter de pouvoir dire : " Seigneur, vous
êtes mon espérance" : et d'entendre au fond de sou coeur cette réponse : " Vous
avez pris un refuge extrêmement élevé. "
3. Le Seigneur plein de miséricorde et de
compassion ne dédaigne pas d'être lui-même l'espérance des misérables. Il ne
refuse pas de se faire lui-même le libérateur, et le protecteur de ceux qui
espèrent en lui. "Parce qu'il a espéré en moi, dit-il, je le délivrerai; je le
protégerai, lui. parce qu'il a connu mon nom (Psal. CXXVI, 3) " Il est certain
que si le Seigneur ne garde pas la forteresse, en vain celui qui la garde, qu'il
soit homme ou ange, se tient l'œil au guet. Il y a des montagnes autour de
Jérusalem; mais c'est peu de chose ; ce ne serait même rien, si le Seigneur
lui-même ne demeurait autour de son peuple. C'est pourquoi l'Épouse représentée
avec raison comme ayant trouvé les gardes qui veillaient à la défense de la
ville (Cant. III, 3), ou plutôt comme ayant été rencontrée elle-même par eux,
puisqu'elle ne les cherchait pas, n'est point, encore contente d'être ainsi
gardée : mais s'informe promptement de son Époux, et va le trouver avec une
vitesse incroyable. Son coeur n'était point à ces gardes, et toute sa confiance
était en son Seigneur : si on veut l’en détourner, elle répond : " Je me confie
en Dieu ; comment pouvez-vous dire à mon âme : Transportez-vous comme un oiseau
sur la. montagne (Psal. X, 2) ? " Les Corinthiens n'observèrent pas combien est
importante et nécessaire cette confiance qui n'a que Jésus-Christ pour objet,
lorsqu'ayant rencontré, comme l'Épouse du Cantique, des gardes et des
sentinelles établies pour le salut de leurs âmes, ils s'arrêtèrent à eux. " Je
suis à Céphas, je suis à Paul,. je suis à Apollo, disaient-ils (I Cor. I, 12). "
Mais que firent les ministres de Jésus-Christ, si modérés, si vigilants et si
circonspects ? Car, ils ne pouvaient pas garder pour eux l’Épouse pour laquelle
ils n'avaient entre eux quine émulation toute sainte, et qu'ils voulaient
conduire et présenter à Jésus-Christ, comme une vierge toute chaste et toute
pure, L'Épouse des Cantiques continue : " Ils m'ont frappée et m'ont fait des
blessures (Cant. X, 7). " Pourquoi la frappaient-ils? Sans doute pourra presser
de passer outre et d'aller chercher son époux plus loin. Ces gardes, dit-elle,
m'ont ôté mon manteau. C'était, sans doute; afin qu'elle courût plus vite vers
l’objet de son amour. Remarquez, avec moi, combien l'Apôtre frappe de même avec
force les chrétiens de Corinthe, de quelles flèches il les blesse, parce qu'ils
semblaient vouloir s'arrêter et se complaire avec les gardes: " Est-ce Paul,
dit-il qui a été crucifié pour vous, ou bien avez-vous été baptisés au nom de
Paul? Lorsque quelqu'un d'entre-vous dit : Je suis de Paul; l'autre : je suis
d'Apollo, n'êtes-vous pas des hommes? Que pensez-vous donc que soit Apollo ? que
soit Paul? Ce ne sont que les serviteurs de celui en qui vous croyez. Je le
délivrerai, dit le Seigneur, parce qu'il a espéré! en moi. Ce n'est point en
ceux qui veillaient sur son salut, ni en mi, homme, ni en un ange, mais en moi
seulement qu'il a espéré, dit le Seigneur, il n'attendait rien de bon que de
moi; non pas même du ministère de ceux qui me représentent. Car tout don
parfait, et tout bien excellent vient du ciel, et nous est donné par le Père des
lumières (Jac. I, 17). C'est par moi que toute la vigilance et tous les soins
des hommes sont utiles, et qu'ils peuvent tirer quelque fruit de leurs travaux.
Car c'est par moi qu'ils veillent comme ils doivent sur les âmes . C'est par moi
que les anges sont si vigilants dans leur ministère, ont l'oeil ouvert sur les
plus secrets mouvements des âmes qu'ils portent à de saints mouvements, et
qu'ils éloignent les suggestions malignes de l'ennemi. Mais il est toujours
nécessaire que je garde moi-même le coeur de l'homme, dont les yeux, ni même
ceux des anges ne sauraient pénétrer le secret.
4. Reconnaissons donc, mes frères, que nous avons
autour de nous trois sortes de gardiens et ayons son de nous acquitter de nos
différents devoirs à l'égard de chacun d'eux, et faisons le bien, en même temps,
sous les yeux des hommes, des anges et de Dieu. Appliquons-nous à les contenter
en toutes choses; mais mettons principalement tout notre coeur à plaire à celui
qui est plus que tout pour nous. Chantons ses louanges en présence des anges et
que cette parole du Prophète s'accomplisse en eux : " Ceux qui vous craignent me
regarderont, et seront dans la joie ; parce que j'ai mis toute mon espérance
dans votre parole (Psal. XVIII, 74). " Obéissons à nos supérieurs qui veillent
de tout leur pouvoir, parce qu'ils auront à rendre compte de nos âmes, afin
qu'ils ne s'acquittent pas, de, ce devoir avec mécontentement et tristesse (Hebr.
XIII, 17). Mais, grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de vous faire de grandes
recommandations, ni d'avoir de crainte pour vous au sujet des supérieurs. Votre
obéissance est prompts et fidèle comme votre vie est irrépréhensible; et c'est
ce qui fait ma joie et ma gloire. Et combien ces joies seraient-elles. encore
plus grandes ., si j'avais la certitude que les anges même ne peuvent voir en
vous rien d'indigne de votre état, rien d'échappé à l'anathème, de Jéricho, ni
personne parmi vous qui murmure et qui médise en secret; personne qui agisse
avec hypocrisie, ou avec relâchement; personne enfin qui entretienne , dans son
esprit de ces pensées honteuses et lamentables qui mettent, quelquefois le
trouble jusque dans les sens? Sans doute, cette certitude augmenterait beaucoup
ma joie, mais elle ne la rendrait, pas encore pleine et entière.
A la vérité, nous ne sommes pas tels que nous
puissions nous mettre peu en peine de ne pouvoir être repris par les hommes, et
de ne nous sentir coupables de rien. Mais si les plus grands serviteurs de Dieu
craignent ses jugements, combien avons-nous sujet de trembler eu songeant que
nous devons être examinés par ce juge ! Ah ! quelle serait ma joie si j'étais
entièrement assuré qu'il n'y a rien dans aucun de nous qui puisse offenser cet
oeil divin qui seul connaît parfaitement tout ce qu'il y a dans l'homme, et qui
voit en lui ce qu'il n'est pas capable d'y voir lui-même. Je vous en conjure,
mes frères, que, le souvenir des jugements de Dieu soit désormais toujours
présent à nos pensées; qu'il nous remplisse d'autant plus de. crainte et de
tremblement, que nous pouvons moins comprendre l'abîme impénétrable et
l'irrévocable portée de ses jugements. C'est avec cette crainte que notre
espérance acquiert des mérites, elle seule. lui fait produire tous ses fruits.
5. Et même si l'on observe, avec les lumières de
la sagesse chrétienne, quelle est la nature, de cette crainte, on trouvera
qu'elle est un motif très sûr et très efficace de notre espérance. Car cette
crainte est une des plus grandes grâces que nous recevons maintenant de sa
bonté, et le fondement assuré des promesses de l'avenir. Enfin, Dieu se plait,
comme dit le Prophète, en ceux qui le craignent, et notre vie est en sa volonté,
et, notre salut éternel dépend de son bon plaisir. " Parce qu'il a espéré en
moi, je le délivrerai. (Psal. CXLVI, 11). " Avec quelle douce libéralité, Dieu
ne manque jamais à ceux qui espèrent en. lui! Tout le mérite de l'homme consiste
principalement à mettre toute son espérance en celui qui sauve tout l'homme ;
"vos pères ont espéré en vous; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Ils
ont crié vers vous, et nous les avez sauvés. Ils ont espéré en vous, et ils
n'ont pas été confondus. ( Psal, XX, 5). " Car où est celui qui a espéré en lui,
et a été confondu? Espérez en lui, peuple fidèle : Vous posséderez tous les
lieux où vous poserez le pied. Oui, si loin que vous alliez dans votre
espérance, vous posséderez tout le bien qu'elle aura embrassé si votre espérance
est fondée solidement en Dieu, si elle est ferme et inébranlable. Pourquoi le
fidèle, en espérant en Dieu de cette manière, craindrait-il l'aspic ou le
basilic; pourquoi serait-il épouvanté par le rugissement du lion, ou par le
sifflement du dragon?
6. " Parce qu'il a espéré en moi, je le
délivrerai. " Et afin que celui qui a été délivré n'ait pas besoin d'être
délivré une seconde fois, je le protégerai et je le conserverai ! Si toute fois
il reconnaît mon nom et ma puissance, ne s'attribue point sa délivrance et en
rapporte toute la gloire à mon nom. " Je le protégerai, parce qu'il a connu mon
nom. (Hebr. XI, 1). " Quand nous verrons Dieu face à face, ce sera pour nous la
gloire : connaître maintenant son nom, est pour nous, en cette vie, la
protection dont nous avons besoin. En effet, on n'espère plus quand on voit et
quand on possède. La foi nous vient par l'ouïe, (Rom. vin, 24), elle fait
subsister dans notre esprit l'objet de notre espérance, ainsi que nous l’apprend
saint Paul. " Je le protégerai, parce qu'il a connu mon nom. " Or, ce n'est
point connaître véritablement le nom de Dieu que de le prendre en vain, que de
lui dire seulement, Seigneur, Seigneur, sans observer ce qu'il nous commande. Ce
n'est pas connaître le nom de Dieu, que de ne point l'honorer comme notre: Père
et comme notre Seigneur. Ce m'est point connaître le nom de Dieu que de tourner
nos affections vers les vanités et les folies du monde. Et il est dit : "
L'homme est heureux lorsque le nom du Seigneur est toute son espérance et toute
sa joie, et qu'il ne regarde point ces vanités et ces folies où il n'y a que de
la fausseté et que de l'illusion. (Psal. XXXIX, 5). " Mais celui qui disait : "
Il n'y a point d'autre nom donné: aux hommes par lequel ils puissent être
sauvés, (Rom. VIII, 24,) ", connaissait bien ce grand nom de Dieu. Et si nous
connaissons ce saint nom qui a été invoqué sur nous, nous devons désirer qu'il
soit: toujours sanctifié en nous. Nous devons toujours demander cette
sanctification dans nos prières, selon que Notre-Seigneur nous a appris à le
faire dans ces paroles " Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit
sanctifié. " Mais remarquez encore ces paroles du verset que je vous explique. "
Il a crié vers moi et je l'ai exaucé. (Matth. VI, 9). " Voilà quel est le fruit
de la connaissance du nom de Dieu, c'est le cri de la prière que nous poussons
vers lui. Or l'effet de cette clameur de l'âme qui prie, c'est d'être exaucée
par le Sauveur. Car comment pourrait-elle être exaucée si elle n'invoquait pas?
Ou ; comment pourrait-elle invoquer, le nom du Seigneur, si elle ne le
connaissait pas? Rendons grâce à celui qui a, manifesté aux hommes le nom du
Père éternel; et qui a établi le salut dans l'invocation de ce nom tout
puissant, selon cette,: parole d'un prophète : " Quiconque invoquera le nom du
Seigneur sera sauvé. (Joël, II, 32).
SEIZIÈME SERMON
" Il a crié vers moi, et je l'exaucerai. Je suis avec lui dans l'affliction (Psal.
XC, 15). "
1. " Il a crié vers moi et je l'exaucerai. " Voilà
des paroles de paix, une alliance digne de la bonté de Dieu; un vrai traité de
miséricorde et de compassion. " Il a espéré en moi et je le délivrerai. " Il a
connu mon nom et je le protégerai. Il m'a invoqué, et je l'exaucerai. Dieu ne
dit pas : a il était digne de ma grâce, il était juste et droit, ses mains
étaient innocentes et son coeur était pur, voilà pourquoi je le délivrerai, je
le protégerai et je l'exaucerai. S'il s'était exprimé ainsi, qui ne tomberait
dans le désespoir? Qui peut se flatter d'avoir le coeur pur? Mais, Seigneur,
puisque, vous avez tant de clémence et tant de miséricorde, je mets en vous
toute ma confiance; la loi que vous vous êtes donnée fait tout mon soutien en
votre présence. Quelle loi pleine de douceur que celle qui n'exige point d'autre
mérite, pour être exaucé, que le cri et l'ardent désir de celui qui demande. "
Il est bien juste que Dieu n'exauce pas celui qui ne crie point vers lui, ne lui
adresse aucune prière; ou ne le prie qu'avec tiédeur et négligence. Or pour
Dieu, le grand cri de l'âme qui se fait entendre de lui, c'est un ardent désir;
au contraire l'intention froide et languissante est, pour lui, comme une parole
si faible, qu'il ne saurait l'entendre. Comment pourra-t-elle pénétrer les nuées
et se faire écouter dans le ciel? L'homme est averti dès les premières paroles
de la prière qu'il fait tous les jours, que: le père auquel il adresse ses
demandes est dans le ciel, afin qu'il sache qu'il doit crier de toutes ses
forces pour faire monter sa prière vers le ciel par l'effort puissant de son
esprit, comme une flèche qu'il décoche. Dieu est un esprit, et il est nécessaire
que ceux qui désirent que leurs cris, parviennent jusqu'à lui, crient en esprit
et en vérité (a). Car, de même que Dieu ne regarde point le visage de l'homme,
comme font les hommes, mais considère seulement le coeur, ainsi il écoute plutôt
la voix intérieure du coeur que la voix sensible du corps. Voilà pourquoi le
Prophète lui dit: " Vous êtes le Dieu de mon coeur. (Psal. LXXII, 26). " C'est
après cela aussi que Moïse, sans prononcer aucune parole, est néanmoins
intérieurement entendu de Dieu, selon le témoignage qu'il lui en donne en lui
disant : " Pourquoi criez-vous vers moi. (Exod. XIV,15)? "
2. " Il a crié vers moi, et je l'exaucerai. " Ce
n'est pas sans sujets que le fidèle crie ainsi vers Dieu. Il pousse un grand cri
parce que
ses besoins sont grands. Mais en criant de toutes
les forces de son âme, que demande-t-il, sinon d'être consolé, délivré, établi
dans la gloire? C'est pour ses propres besoins qu'il crie; comment, en effet,
serait-il exaucé dans ces voeux-là, s'il en avait fait d'autres? " Je
l'exaucerai, dit le Seigneur. " De quelle manière, Seigneur, et en quoi
l'exaucerez-vous? " Je serai avec lui lorsqu'il sera dans l'affliction je l'en
tirerai et le remplirai de gloire. "
Il me semble que je puis avec raison rapporter ces
trois cris de la prière aux trois grands et saints jours que nous devons bientôt
célébrer, car il s'est soumis pour nous à l'affliction et à la douleur,
lorsqu'il a souffert le supplice de la croix, malgré son ignominie, en vue de la
joie éternelle qui lui était proposée (Luc. XXII). Ce fut alors que les choses
qu'il devait accomplir sur la terre furent terminées, comme il l'avait prédit
avant sa mort. Et lorsqu'il eût dit en mourant : Tout est consommé, il entra
dans son repos; mais la gloire de la résurrection ne se fit point attendre; le
troisième jour, le Soleil de justice se leva pour nous dès le matin, et sortit
du tombeau. En sorte que le fruit de l'affliction qu'il avait soufferte, et la
vérité de sa délivrance parurent dans la gloire de sa résurrection. Ces trois
choses qui sont arrivées en Jésus-Christ dans l'espace de trois jours doivent
aussi nous arriver. " Je suis avec lui dans la tribulation, " dit le Seigneur.
Quand se trouve-t-il ainsi avec nous! sinon le jour de nos tribulations? le jour
où nous portons notre croix? alors que s'accomplit cette parole du Seigneur à
ses disciples : " Vous aurez des traverses et des angoisses dans le monde (Joan.
XVI, 33). : " et celle de son Apôtre; " tous ceux qui veulent vivre avec piété
en Jésus-Christ souffriront des persécutions. (II Tim. III, 12). " Car notre
délivrance pleine et parfaite ne pourra pas arriver avant le jour de notre mort,
parce que les enfants d'Adam sont réduits à porter un joug pesant et fâcheux
depuis le jour qu'ils sortent du ventre de leur mère, jusqu'au jour où ils
rentreront dans le sein de la terre, la mère commune de tous les hommes. C'est
alors seulement, dit le Seigneur, que je le délivrerai, et le monde ne pourra
plus faire souffrir quoi que ce soit à son corps ni à son âme. Pour ce qui est
de la gloire qui l'attend encore, elle ne lui sera donnée qu'à la fan des temps,
le jour de la résurrection, alors que ce corps, maintenant dans l'ignominie,
comme un grain qui se pourrit dans la terre, renaîtra dans la gloire.
3. Comment savons-nous que Dieu est avec lions
dans l'affliction? C'est précisément parce que nous y sommes maintenant. Car qui
pourrait soutenir les maux de ;cette vie ; qui pourrait durer et subsister avec
eux sans son assistance particulière? Nous devons estimer, mes chers frères, que
nous avons toute sorte de sujet de nous réjouir, lorsque nous éprouvons des
calamités nombreuses : non seulement, parce que nous ne devons entrer, dans le
royaume de Dieu que par beaucoup de souffrances, mais, encore parce que le
Seigneur est
proche de ceux dont le coeur est dans
l'affliction. (Act. XXII, 4). " Si je marche au milieu des ombres de la mort,
dit le Prophète (Psal. XXXIII, 19), je ne craindrai point les maux qui
m'arriveront, parce que vous êtes avec moi. (Psal. XXII, 4). " Voilà donc
comment il est avec nous tous, les jours de notre vie jusques à la consommation
des siècles. Mais quand serons-nous avec lui? Ce sera quand nous serons
transportés en l'air pour aller, comme dit l'Apôtre, au devant de Jésus-Christ,
et que nous demeurerons toujours avec lui. Quand sera-ce que nous nous verrons
dans la gloire avec ce Sauveur? Ce sera lorsqu'il viendra se montrer, lui qui
est notre vie. Mais en attendant il faut que nous demeurions cachés, que
l'affliction précède notre délivrance, et que notre délivrance précède notre
glorification. Ecoutez le langage de celui qui est délivré : " Mon âme,
tournez-vous vers votre repos, puisque le Seigneur vous a comblée de ses
bienfaits : il a retiré mon âme de la mort, mes yeux des larmes et mes pieds de
la chute. Je l'arracherai et le glorifierai. (Psal. CXIV, 7). " Seigneur,
heureux l'homme que vous daignez consoler et soutenir en cette vie, vous qui
êtes son soutien dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Mais combien
est-il plus heureux lorsque vous l'avez effectivement délivré et que vous l'avez
exempté de tant de maux auxquels il s'est exposé. Combien est-il plus heureux
lorsque vous l'avez dégagé du filet des . chasseurs; lorsque vous l'avez retiré
du monde, afin que la malice ne changeât pas son esprit, et que les déguisements
et les artifices ne pussent surprendre et tromper son âme ? Il sera néanmoins
encore infiniment plus heureux lorsque vous l'aurez tout à fait élevé et uni à
vous; rempli des biens de votre sainte maison, et mis dans un état conforme et
semblable à celui de votre gloire.
4. Et maintenant, mes chers enfants, élevons vers
le ciel le cri de nos coeurs, et notre Dieu aura pitié de nous. C'est vers le
ciel que nous devons faire monter nos cris, puisque c'est sous le ciel, comme
observe le sage, qu'on ne trouvera que douleur et travail, vanité et affliction
d'esprit. (Jerem. XVII, 9). D'ailleurs le coeur de l'homme est méchant et
impénétrable : ses sens ne se portent qu'au mal. Il n'y a nul bien en moi,
c'est-à-dire en ma chair. La loi du péché habite en elle, elle a toujours des
désirs contraires à l'esprit. Enfin mon propre coeur me manque, et mon corps est
dans la nécessité de mourir à cause du péché. Les peines qui se succèdent les
unes aux autres suffisent à remplir chaque jour. Le monde n'est que méchanceté
et corruption. Combien le siècle présent est-il injuste? Combien voyous-nous que
l'âme est combattue par les désirs de la terre? Nous sommes attaqués de tous les
côtés par les princes de ce monde qui règnent dans les ténèbres, par les esprits
mauvais, les puissances de l'air et surtout par le serpent le plus rusé de tous
nos ennemis. Voilà tous les finaux que nous avons à craindre sous le soleil.
Voilà toutes les misères qui sont sous le ciel. Où trouvez-vous un refuge contre
tous ces maux et contre toutes ces misères? Où espérez-vous du soulagement? Où
prétendez-vous trouver du secours? Si vous le cherchez en vous, vous ne trouvez
qu'un cœur détaché, et vous-même, vous vous trouvez livré à l'oubli, comme si
votre cœur était mort. Si vous le cherchez plus bas que vous, vous ne trouverez
que le corps qui est susceptible de se corrompre et qui appesantit votre âme.
Enfin, si vous le cherchez dans toutes les choses de la terre qui vous
environnent,, vous trouverez aussi qu'elles ne sont capables que d'accabler ceux
qui s'occupent des soins multipliés de cette vie (Sag. IX, 15). Cherchez donc un
refuge au dessus de vous. Mais prenez garde, en vous élevant, de passer au delà
de la troupe des esprits vaniteux. Ils savent que tout; ce que nous avons de
parfait et de bon, ne saurait venir que d'en haut : voilà pourquoi ils se
tiennent entre le ciel et la terre comme des voleurs en embuscade. Faites donc
en sorte de passer au delà dei ces esprits méchants qui travaillent, avec une
malice infatigable, pour nous empêcher de nous élever jusque dans la sainte
cité. S'ils vous blessent, s'ils vous outragent, imitez Joseph qui laissa son
manteau, entre les mains de l'adultère Égyptienne (Gen. XXXIX, 15). Abandonnez
même votre dernier vêtement, comme le jeune homme dont il est parlé dans l’Evangile
(Marc. XIV, 52), qui s'échappa nu des mains de ceux qui le tenaient. Dieu
n'abandonna-t-il pas au démon le dernier, vêtement de Job, et après cela ne lui
donna-t-il point le pouvoir de lui nuire dans ses biens et même de l'affliger en
son corps, en se cou tentant de lui dire : conserve seulement sa vie? Élevez
donc votre cœur vers Dieu; poussez vers lui, que vos cris et vos désirs ne
tendent qu'à lui; que votre vie, que toutes vos espérances soient dans le ciel;
criez vers le ciel pour être exaucé, et que votre père, qui est dans le ciel,
vous envoie, de son sanctuaire, le secours dont vous avez besoin, et que vous
receviez de la céleste Sion, aide et protection; que Dieu vous soutienne dans
l'affliction ; vous arrache aux épreuves et vous, glorifie, enfin, dans la
nouvelle vie de la résurrection. Ces choses sont grandes à la vérité ; mais vous
êtes grand aussi, vous qui nous les avez promises. Nous les espérons de vos
promesses, et nous osons dire, avec l'Église : Si nous crions vers vous avec un
coeur plein de confiance, vous nous devez ce que nous vous demandons à cause de
vos promesses. Ainsi soit-il.
DIX-SEPTIÈME SERMON
" Je le comblerai de jours et d'années; et je lui ferai part du salut que je
destine à mes saints
(Psal. XC, 17)."
1. Ce verset, mes frères; convient parfaitement au
saint temps où nous sommes. Sur le point de célébrer la fête de la résurrection
de, Notre-Seigneur, nous attendons là promesse qui nous est faite de participer
à cette résurrection si glorieuse : il nous invite en qualité de. membres de
Jésus-Christ, à célébrer avec solennité, la mémoire de ce qui est arrivé à notre
chef, en considérant que nous devons un jour avoir part à la même gloire. Que ce
psaume finit bien, puisqu'il promet à ceux qui le chantent une fin si heureuse !
Ce verset termine le psaume d'une manière qui doit nous remplir de joie,
puisqu'il nous promet de nous combler de tous les biens. " Je le comblerai de
jours et d'années : et je lui ferai part du salut que je destine à mes saints (I
Tim. IV, 8). " Je vous ai dit bien souvent, nies frères, que la piété, selon la
doctrine de Saint-Paul, a les promesses de la vie présente aussi bien que de la
vie future. C'est pourquoi cet apôtre dit encore : " Vous verrez dès maintenant
le fruit de votre fidélité, en obtenant la sanctification de vos âmes : et, pour
l'avenir, vous obtiendrez la vie éternelle. " Voilà ce que signifient cette
plénitude et cette longueur de jours et d'années qui nous sont promises dans ce
verset. Qu'y a-t-il, en effet, de plus long que, ce qui est éternel? Qu'y a-t-il
de plus long que ce qui ne doit jamais finir? C'est une heureuse fin que la vie
éternelle? C'est une heureuse fin que celle qui ne doit jamais avoir de fin? Il
n'y a que ce qui est bien qui soit une bonne fin. Travaillons donc de tout notre
coeur à notre sanctification, puisque c'est en elle seulement que consiste le
bien, et qu'elle doit être couronnée par une vie qui ne doit jamais finir. Ne
pensons qu'à obtenir cette paix du cœur et cette sainteté, sans laquelle
personne ne verra Dieu. Le Seigneur dit donc : " Je le comblerai de jours et
d'années ; et je lui ferai part du salut que je destine à mes saints (Hebr. XII,
14). " C'est une promesse de la droite de Dieu. C'est un don de cette droite
qu'un saint souhaitait jadis que Dieu lui tendit, quand il disait : " Vous
tendrez, Seigneur, votre droite à l'oeuvre de vos mains (Job XIV, 15). " C'est
cette droite qui nous doit combler d'éternelles délices. Voilà ce qu’il a désiré
et obtenu celui dont le Psalmiste a dit : " Il vous a demandé la vie, et vous
lui avez accordé une longueur de jours pour un siècle et pour les siècles des
siècles (Psal. XX, 5). " Le Sage s'explique encore plus clairement lorsqu'il dit
: " Les richesses et la gloire sont dans sa main gauche, et la longueur des
jours est dans sa main adroite (Prov. III, 16). " Qui est l'homme qui veut
véritablement la vie et qui souhaite de voir d'heureux jours? Or, la vie
présente est plutôt une mort qu'une vie, ou du moins ce n'est pas une vie
simplement, mais une vie mortelle qu'on doit l'appeler. Lorsque nous voyons
qu'un homme est sur le point de mourir, nous disons avec raison: Cet homme se
meurt. Ne faisons-nous autre chose dès que nous commençons de vivre, que de nous
approcher à chaque moment de la mort, et de mourir? Les jours de cette vie sont
courts et mauvais, dit le Patriarche (Gen. XLVII)." On ne vit véritablement que
lorsqu'on a une vie vivante et vitale. Les jours dont on jouit ne sont heureux
que lorsqu'on est assuré que leur durée est sans fin. Rendons grâces de tout
notre cœur à celui dont la puissance et la bonté ont disposé toutes choses : les
jours où nous n'avons que des peines à souffrir doivent finir en fort peu de
temps; au lieu que les jours où nous ne devons trouver que du repos et de la
félicité, doivent durer éternellement.
2. " Je le comblerai de jours et d'années. " Le
Seigneur explique dans ce verset la promesse qu'il a faite dans le précédent en
disant: " Je le glorifierai. " Qui est-ce qui ne se contentera pas d'être
glorifié, par celui dont les oeuvres sont parfaites? Celui dont la grandeur est;
sans limites, peut-il glorifier autrement que sans limites. La gloire qui
procède de la gloire immense de Dieu, a quelque chose de la: grandeur et de
l'immensité de son principe. Aussi est-ce avec raison que saint-Pierre dit due "
la glorification de Notre-Seigneur sur le Thabor, procédait d'une gloire
magnifique. (II Petr. I, 17). " Elle est magnifique, en effet, et se communique
à nous d'une manière magnifique, avec une durée éternelle, une variété infinie,
et une plénitude sans mesure. La gloire de cette vie est trompeuse. Son éclat
est vain, et les jours de l'homme sur la terre n'ont qu'une durée extrêmement
courte ; aussi cette vie ne sera-t-elle jamais l'objet des désirs du sage, qui
dira toujours du fond de son coeur à celui qui en sonde les replis "Seigneur,
vous savez que je n'ai jamais désiré les jours de l'homme (Jérem. XVIII, 16). "
C'est peu ; non seulement je ne désire pas ce que l'homme désire, mais je ne
veux même point le recevoir; car je sais qui est celui qui a dit : " Je ne
reçois point ma gloire des hommes (Joan. V,. 41). " Combien donc sommes-nous
misérables de chercher la gloire que, les hommes se donnent les uns aux autres,
et de ne point chercher celle,, qui ne vient que de Dieu? Car il n'y a que
celle-ci qui soit longue et abondante. Les jours de l'homme sont courts ; et ces
jours fleuriront et passeront ainsi que la fleur des champs, comme dit l'Ecriture
: " La tige s'est séchée, et la fleur qu'elle soutenait s'est aussi fanée mais
la parole du Seigneur demeure. éternellement (Isa. XI., 7). " C'est le vrai jour
que celui qui lie doit point finir. C'est dans ce jour seulement que se
rencontre l'éternelle vérité, l'éternité véritable; l'éternité,éternelle, qui
seule est vraiment capable de remplir tous nos désirs. Comment, en effet, la
gloire qui est trompeuse et vaine pourrait-elle y réussir? Elle est si
complètement vide que nous sommes obligés de reconnaître qu'elle nous met dans
l'indigence et nous vide plutôt; qu'elle ne nous remplit. Aussi en attendant,
mieux vaut pour nous être abaissés que d'être élevés; d'être dans la peine
plutôt que dans les plaisirs, puisque peines et plaisirs doivent bientôt passer,
avec cette différence pourtant, que les unes ne doivent nous produire que des
supplices, et les autres que des couronnes.
3. Certainement l'affliction est bonne puisque
c'est par elle que Dieu nous conduit a la gloire, selon ces paroles : " Je suis
avec lui dans l'affliction : je le délivrerai et le remplirai de gloire. "
Rendons grâces au Père des miséricordes, qui est avec nous dans l'affliction, et
nous console dans toutes les peines, qui nous arrivent. Car il nous est
nécessaire, comme j'ai dit, d'être dans les souffrances qui se changent en
gloire, et dans la tristesse qui se change en joie, mais en une joie qui ne doit
jamais finir, et ne peut jamais nous être ravie par qui que ce soit, en une
joie, dis-je, abondante, pleine et parfaite. Il est bon d'être dans la peine,
puisque c'est par elle que nous devons accueillir la couronne de la gloire. Ne
méprisons pas les souffrances, mes frères, c'est une semence bien modeste, mais
il doit en sortir beaucoup de fruit. C'est une semence peut-être peu agréable au
goût, à cause de soi amertume, c'est peut-être le grain de sénevé; mais ne
considérons pas le dehors et l'apparence; voyons en les vertus cachées.
Souvenons-nous que les choses qui se voient sont temporelles, et que celles
qu'on lie voit point sont éternelles. (II Cor. IV, 18.) Goûtons, dans ces maux,
que nous avons à souffrir, les prémices de la gloire qui s'y trouvent comme en
germe. Faisons consister notre gloire clans l'espérance de participer à la
gloire de notre grand Dieu : ce n'est pas encore assez ; mettons-la dans toutes
les afflictions de cette vie, puisqu'elles sont pour nous une raison d'espérer
que Dieu nous donnera de glorieuses couronnes: Peut-être est-ce que l'Apôtre a
voulu nous apprendre, lorsqu'après avoir dit : " Nous mettons notre gloire dans
les afflictions : il ajoute aussitôt : Parce que l'affliction produit la
patience , et que la patience est une épreuve qui produit l'espérance (Rom. V,
14). ", Il est manifeste par ces paroles, que l'Apôtre, après avoir dit que nous
devons mettre notre gloire dans l'espérance, a ajouté que " nous devons aussi
mettre notre gloire dans les afflictions, " non pour dire quelque chose de
différent, mais pour s'expliquer davantage, et nous faire mieux entrer dans sa
pensée. Car il ne propose qu'une même gloire dans ces deux expressions : et il
joint seulement les afflictions à l'espérance, pour montrer sur quoi l'espérance
de la gloire doit être fondée. C'est, en effet, dans l'affliction qu'on doit
trouver l'espérance de la gloire; que dis-je ? c'est dans l'affliction même que
la gloire se trouve. Et de même que l'espérance du fruit est dans la semence, le
fruit de même y est aussi contenu. C'est en ce sens qu'il est dit que dès
maintenant le royaume de Dieu est en nous; que nous possédons un trésor d'un
prix inestimable dans des vaisseaux de terre, dans un champ de très petite
valeur. C'est qu'en effet ce royaume et ce trésor sont véritablement en nous :
mais ils y sont cachés. Heureux celui qui les trouve! Or, quel est celui-là?
Sinon celui qui considère plutôt la récolte que la semence? L'oeil de la foi
trouve ce trésor parce qu'il ne juge pas des choses selon les apparences, mais
qu'il voit les choses qui ne peuvent paraître à nos sens, et regarde ce qui lie
saurait se voir des yeux du corps, comme il est évident que l'Apôtre avait
trouvé ce trésor puisqu'il souhaitait de le faire trouver à tous les autres,
quand il disait : " Les peines si courtes et si légères que nous souffrons
maintenant, produisent en nous le poids d'une gloire éternelle qui surpasse
toute mesure (II Cor. IV, 17 :) " Il ne dit pas : Les afflictions seront
couronnées, mais il dit : elles produisent en nous, dès maintenant, le poids
d'une gloire éternelle. Cette gloire, mes frères, ne parait point. Elle est
cachée en nous dans l'affliction, et ce qu'elle a d'éternel, est dérobé à nos
yeux par ce voile d'un moment; ce poids, cette valeur sans mesure, est contenue
Mans une chose de peu d'importance, et de mince valeur. Aussi hâtons-nous,
pendant que nous sommes sur la terre, d'acheter ce champ, et le trésor qui y est
caché. Estimons-nous bienheureux lorsque nous sommes dans les afflictions, et
disons du fond du coeur : " Il vaut mieux aller dans une maison de deuil qu'en
une maison de festin (Eccli. VIII, 3). "
4. " Je suis avec lui dans l'affliction, dit le
Seigneur. " Je ne chercherai donc pas autre chose que l'affliction. Il m'est bon
de m'attacher à, Dieu : et de m'y attacher de telle sorte, que je mette en lui
toute mon espérance , puisqu'il a dit . " Je le délivrerai de ses peines et le
glorifierai (Psal. LXXII, 28). " Je suis avec lui dans l'affliction, et mes
délices sont d'être avec les enfants des hommes (Cor. VIII, 31). " Voilà bien
l'Emmanuel, le Dieu avec nous. " Je vous salue, pleine de grâce, dit l'Ange à
Marie : le Seigneur est avec vous (Luc. I , 28). " Il est avec nous dans la
plénitude de la grâce, et nous serons avec lui dans la plénitude de la gloire.
Il est descendu sur la terre pour être près de ceux dont le coeur est affligé,
et pour être avec nous dans les épreuves de cette vie. Mais viendra un temps,
comme, dit l'Apôtre, où nous! serons transportés par les nuées, pour aller au
devant de Jésus-Christ : et alors nous serons pour toujours avec Notre Seigneur,
si toutefois nous travaillons à l'avoir toujours avec nous, afin que celui qui
doit nous établir dans notre éternelle patrie, soit notre compagnon, ou plutôt,
que celui qui doit être lui-même notre patrie, soit aussi lui-même notre voie.
Seigneur, il m'est donc beaucoup plus avantageux de souffrir, pourvu que vous
soyez toujours avec moi, que de régner sans vous, que d'être dans les plus
grandes réjouissances sans vous, que de jouir même de la gloire, séparé de vous.
Oui, Seigneur, il est bien meilleur pour moi de vous embrasser dans
l'affliction; de vous avoir présent dans le creuset de l'épreuve, que d'être
sans vous dans le, ciel. Car qu'est-ce que je souhaite dans le ciel, et que
désiré-je de vous, sur la terre, sinon vous-même? Si la fournaise éprouve l'or,
la tentation éprouve les justes. C'est dans ces rencontres, oui c'est là,
Seigneur, que vous êtes avec eux (Eccli. XXVII, 6), que vous demeurez au milieu
d'eux, c'est lorsqu'ils sont assemblés en votre nom, comme vous avez autrefois
daigné assister les trois enfants qui furent jetés dans la fournaise de
Babylone, d'une présence si visible, que vous contraignîtes un roi infidèle de
s'écrier, " qu'il voyait dans les flammes une quatrième personne qui était
semblable à un fils de Dieu (Dan. III, 92). " Pourquoi tremblons-nous : pourquoi
nous arrêtons-nous pourquoi fuyons-nous à la vue de la fournaise des
afflictions? Il est vrai que le feu redouble son ardeur; mais le Seigneur est
avec nous dans nos souffrances, et, si Dieu est avec, nous, qui sera contre
nous? Si, Dieu nous arrache des mains de nos ennemis, qui est-ce qui pourra nous
ravir de ses mains toutes puissantes ! Qui est-ce qui peut nous arracher d'entre
ses mains? Enfin, si c'est lui qui nous glorifie, qui est-ce qui pourra nous
jeter dans l’ignominie? S'il nous établit dans la gloire, qui pourra nous
humilier?
5. Mais écoutez quelle gloire Dieu doit nous
donner. "Je le comblerai, dit-il, de jours et d'années. " Et d'abord s'il parle
de jours au pluriel, c'est pour nous marquer non pas une vicissitude, mais un
grand nombre de jours. Il ne faut pas se figurer l'éternité comme une succession
de jours, c'est ce qui fait dire au Prophète : un seul jour dans vos
tabernacles, Seigneur, vaut mieux que mille autres jours (Psal. LXXXIII, 11).
Nous lisons que des saints et des hommes parfaits sont sortis de cette vie
pleins de jours, c'est-à-dire, je pense, remplis de vertus, et de grâces, car
les saints reçoivent de jour en jour, non de leur propre esprit, mais de
l'esprit de Dieu même cet accroissement et cette plénitude île vertu et de
grâces qui les transforme, et qui les rend semblables à lui, et les fait monter
de clarté en clarté. Si donc la grâce est appelée un jour et une lumière, si
même l'éclat qui vient de l'homme, et si cette gloire sans fondement et sans
solidité que nous cherchons à recevoir les uns des autres, est, comme j'ai dit
ailleurs, le jour de l'homme, combien la plénitude de la véritable gloire
mérite-t-elle plutôt d'être appelée un vrai jour et un plein midi? Et si nous
pouvons regarder comme plusieurs jours de la vie de l'âme, les diverses grâces
qu'elle reçoit, comment ne pourrions-nous pas aussi regarder, comme un grand
nombre de jours la gloire dans laquelle il jouit de tant de biens? Mais écoutez
comment le Prophète a voulu parler d'un grand nombre de jours sans vicissitude,
par ces paroles, il dit en effet : "La lumière de la lune sera comme la lumière
du soleil : et la lumière du soleil sera elle-même comme la lumière de sept
jours (Is. XXX, 16)." Je pense que c'était pendant les jours de cette éternelle
vie, que le Roi fidèle souhaitait de chanter ses cantiques dans la maison du
Seigneur. Car ce sera comme un chant de cantiques à la louange de Dieu que
d'être pleins de reconnaissance pour le bonheur de posséder une gloire si
abondante, et que d'être toujours occupés à rendre des actions de grâces à sa
divine Majesté.
6. " Je le remplirai d'une longueur de jours. "
C'est comme s'il disait : je sais ce qu'il désire : je sais ce dont il a soif,
et ce qu'il goùte le plus, ce n'est ni l'or, ni l'argent, ni la volupté, ni la
curiosité ni aucune dignité du siècle. Il méprise. tout cela et n'en fait pas
plus de cas que du plus vil fumier. Il a vidé son coeur de toutes ces choses, et
il nec peut souffrir qu'aucune d'elle l'occupe, parce qu'il sait qu'aucune ne
saurait le remplir. Il n'ignore pas à l'image de qui il a été fait, et de quelle
grandeur il est capable; et il ne veut point s'accroître un peu d'un côté pour
diminuer beaucoup de l'autre. C'est pourquoi " je comblerai de jours celui qui
ne saurait être satisfait et rempli que par la véritable et l'éternelle
lumière., Et la longueur de ces jours sera sans fin, l'éclat de leur lumière
sans défaillance, et l'abondance, dont je le remplirai, n'engendrera jamais pour
lui aucun dégoût. Car son bonheur sera parfaitement assuré, sa gloire puisera sa
source dans la possession de la vérité, et l'abondance sera toujours pour lui
une source de joie et de délices. " Je lui ferai part du salut que je destine à
mes saints. " Cela signifie que le fidèle méritera de voir ce qu'il a désiré,
lorsque le roide gloire rendra l'Eglise, son épouse, toute glorieuse et la
montrera sans tache, sans rides et sans défauts, à cause de la splendeur
permanente du jour dans lequel elle sera établie. Les âmes qui ne sont pas
entièrement pures, ni les âmes qui sont dans quelque sorte d'agitation et de
trouble, ne sont point encore capables de recevoir cette lumière de gloire que
Jésus-Christ prépare aux élus. C'est pourquoi Notre-Seigneur nous commande par
son Apôtre, ainsi que je l'ai dit, de nous établir dans la sainteté et dans la
paix (Heb. XII, 14), parce que sans ces deux choses personne ne pourra voir
Dieu. Quand donc il aura rempli vos désirs par les biens dont il vous donnera la
possession,en sorte que vous n'aurez plus rien à désirer, votre esprit, devenant
tout à fait tranquille par cette plénitude même, vous pourrez alors contempler
la sérénité et la majesté de Dieu ; et vous lui serez semblable parce que vous
le verrez comme il est. Peut-être bien aussi, peut-on dire que les saints, ayant
en eux-mêmes toute la plénitude de la gloire qui leur sera propre, du sein des
délices éternelles, considéreront de tous côtés les choses que Dieu a faites
pour le salut et la félicité des hommes, et verront reluire sa Majesté sur toute
la terre. On pourrait rapporter à cela ces paroles "Je lui montrerai le salut
que je destine à mes saints. "
7. Nous pouvons encore entendre ce verset, de la
jouissance de ces jours où Dieu promet qu'il montrera le salut aux saints : " Je
le remplirai, dit-il, d'une longueur de jours. " Et comme pour répondre à cette
objection, d'où viendra cette longueur de jours dans la céleste cité, où le
soleil n'aura pas à luire pour faire le jour, puisqu'il n'y aura pas de nuit, il
ajoute : "je lui montrerai le salut que je destine à mes saints : " ce salut
n'étant autre chose que le Sauveur dont la splendeur éclairera toujours les
saints, selon cette parole de l'Écriture : " l'Agneau est la lumière (Apoc. XXI,
23). " " Je lui montrerai l'auteur du salut, " c'est-à-dire: je ne l'instruirai
plus par la foi ; je ne l'exercerai plus par l'espérance; mais je le remplirai
par la contemplation même du Sauveur, je le lui montrerai : " je lui montrerai
Jésus-Christ, afin qu'il contemple éternellement ce Rédempteur en qui il a cru;
qu'il a aimé; qu'il a toujours désiré. Seigneur, montrez-nous votre miséricorde
(Psal. LXXXIV, 8), et donnez-nous ce Sauveur, qui ne peut venir que de vous, et
cela nous suffit; car celui qui le voit, vous voit aussi, parce qu'il est en
vous, et que vous êtes en lui. Or, toute la vie éternelle, consiste à vous
connaître, parce que vous êtes le vrai Dieu, et à connaître Jésus-Christ que
vous nous avez envoyé (Joan. XVII, 3). Et alors vous laisserez aller votre
serviteur en paix, selon votre parole, parce que mes yeux verront le Sauveur que
vous avez donné au monde, voie Jésus Notre Seigneur qui est Dieu et béni par
dessus tout, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Source :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
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