PREMIER SERMON POUR
LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR
Sur ces paroles de l'Apôtre : " La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité
ont paru
dans le monde (Tit. III, 4) : " et sur les trois apparitions de Jésus-Christ.
1. La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité
ont paru dans le monde (Tit. III, 14). ".Grâces soient rendues à Dieu par qui
nous recevons une si abondante consolation dans notre voyage, au sein de l'exil
et au milieu de nos misères. Car nous avons soin de vous rappeler bien souvent,
afin que vous ne l'oubliiez pas, que nous sommes des voyageurs sur la terre, des
exilés de la patrie, des hommes dépouillés de leur héritage; car quiconque n'a
point gémi sur son sort ne sera jamais consolé. Quiconque ne sent point la
nécessité d'être consolé ne saurait espérer la grâce de Dieu (1).
Aussi, les gens du monde, absorbés tout entiers par une multitude d'affaires et
dé désordres, ne s'aperçoivent point de leur misère et ne recherchent point la
miséricorde. Mais vous, à qui il n'a pas été dit en vain : " Arrêtez-vous et
voyez que je suis le Seigneur de toutes douceurs (Psal. XLV, 11), " vous, à qui
le même Prophète disait encore : " Le Seigneur fera connaître à son peuple la
puissance de ses oeuvres (Psal. CX, 6) : " vous, dis-je, que les occupations du
siècle ne captivent plus, remarquez combien est grande la consolation
spirituelle. Vous, qui n'ignorez point que vous êtes en exil, apprenez que le
secours vient du ciel, " car la bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité ont
paru dans ce monde. " Tant que son humanité ne parut point, sa bonté demeura
cachée, attendu que celle-ci existait avant celle-là puisque la miséricorde du
Seigneur est éternelle. Mais comment pouvait-elle être connue dans toute sa
grandeur ? Elle était promise mais on ne le sentait point encore, et voilà
pourquoi tant d'hommes en doutaient. Dieu avait parlé autrefois en diverses
occasions et en diverses manières par la bouche des prophètes (Hebr. I, 1), il
avait dit : " Mes pensées sont des pensées de paix, non d'affliction (Jerem.
XXIX, 11). " Que répondait l'homme qui né ressentait que son affliction et
ignorait les douceurs de la paix ? Il disait à Dieu jusques à quand nous
direz-vous : " La paix, la paix, lorsqu'il n'y a point de paix (Ezech. XIII,
10)? " Aussi les anges de paix versaient-ils des larmes amères en s'écriant : "
Seigneur, qui est-ce qui croira nos paroles (Isa. XXXIII, 7) ? " Mais que les
hommes en croient du moins leurs propres yeux maintenant, car " les témoignages
de Dieu sont très-dignes de créance (Psal. XCII, 5). " Et, afin qu'elle ne pût
échapper à ses regards, " Dieu a dressé sa tente en plein soleil (Psal. XVII,
5). "
2. Or, voici maintenant la paix non plus promise
simplement, mais envoyée; non plus différée, mais donnée; non plus prophétisée,
mais présentée. Voici que Dieu a envoyé sur la terre comme le trésor même de sa
miséricorde, ce trésor, dis-je, dont la passion doit briser l'enveloppe, pour en
répandre le pria de notre salut qui y est caché;
pour être, peu volumineux, il n'en est pas
moins rempli, car si ce n'est qu'un tout petit enfant qui nous a été donné, en
lui habite toute la plénitude de la divinité. Dans la plénitude des temps est
donc venue la plénitude, de la divinité. Elle est venue dans la chair afin
d'être visible par des yeux de chair, et, afin qu'à la vue de son humanité, on
reconnût sa bonté; car si ce dès que l'humanité,de Dieu apparaît, il n'est plus
possible de doutes de sa bonté. Comment, en effet, aurait-il pu nous mieux
signaler sa bonté, qu'en prenant notre chair, notre chair, dis-je, non point
celle qu’Adam eut, avant son péché? Est-il rien qui prouve mieux sa miséricorde
que de voir qu'il a pris, notre misère? Enfin où trouver un amour plus plein,
que dans le fait du Verbe même de Dieu se faisant pain pour nous ? " Seigneur,
qu’ est-ce que l'homme pour faire tant de cas,de lui, et pour que votre cœur,
s'attache à lui (Job. VII, 17) ? " Que l’homme apprenne, par là, quel soin Dieu
prend de lui, quel bien il lui rend dans sa pensée, et quels sentiments il
nourrit à son égard. Ne te demande point, ô homme, ce que tu souffres, mais ce
qu'il, a souffert. Reconnais quel cas il fait de toi, par ce qu'il est devenu
pour toi afin que tu pusses, en voyant son humanité, te convaincre de sa bonté.
En effet, plus il s'est fait petit en se faisant homme, plus il s'est montré
grand en amour, et, plus il s'est fait humble pour moi, plus il est digne de mon
amour. " La bonté de Dieu notre Sauveur et son humanité nous ont apparu, "
disait l'Apôtre. Oui elles ont apparu, mais immenses, mais manifestes ! ce qui a
rendu la preuve de sa bonté plus grande encore, c'est le nom de Dieu qu’il a
voulu ajouter à son humanité.
3. Car l’ange Gabriel, qui fut envoyé à Marie, lui
parle du fils de Dieu, mais ne le nomme point. Dieu. Béni donc soit Dieu qui a
trouvé parmi nous, et pour nous, un ange de notre race qui suppléât ce que
l'ange du ciel avait omis, Car le nôtre avait aussi l'esprit de Dieu, et c'est
dans cet esprit qu'il nous a annoncé :ce qu'il nous importait tant de savoir.
Est-il, en effet, quelque chose qui fonde la foi, fortifie l'espérance et
enflamme la charité comme l'humanité de pieu? Mais ce que les autres anges n'ont
point dit, c'est le notre qui devait le dire. Il ne convenait point que tous les
anges annonçassent toutes choses, car, il fallait que nous eussions le plaisir,
d'apprendre une chose des uns et une autre des autres, et que nous eussions des
actions de grâces à rendre à chacun. Pourtant, il y a un nom que les anges et
l'Apôtre s'accordent à lui donner, c'est celui de Sauveur. En s'adressant à
Marie qui était plus complètement instruite que lui par le Saint-Esprit, Gabriel
se contente de lui indiquer le nom du Sauveur; " vous lui donnerez le nom de
Jésus (Luc. I, 31). " Mais lorsqu'il s'adresse à Joseph, il lui explique la
signification de ce nom : " Vous lui donnerez le nom de Jésus, parce que ce sera
lui qui sauvera son peuple (Matth. I, 21). " De même aux, bergers, la grande
nouvelle qui leur est annoncée, c'est qu'il leur est né un Sauveur, le Seigneur
Christ. Saint Paul s'exprime à peu près de la même manière quand il dit : " La
bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu ont paru (Tit. III, 6). " C'est un nom
d'une grande douceur, et nul n'a négligé de le prononcer, attendu qu'il m'était
bien nécessaire de l'entendre. Autrement qu'aurai-je fait en apprenant que le
Seigneur venait? Ne me serais-je point enfui, comme Adam qui voulait éviter sa
présence et ne put y réussir ? Ne tomberais-je point dans le désespoir, en
apprenant l'arrivée de celui dont j'ai si souvent violé la loi, de la patience.
de qui j'ai tant abusé, dont j'ai si mal reconnu les bienfaits? Quelle plus
grande consolation pourrait-il y avoir pour moi que d'entendre un nom plein de
douceur et de consolation? Aussi entendez-le lui-même dire que " le Fils n'est
pas venu pour juger le monde, mais, pour que le monde fût sauvé par lui (Joan.
III, 17). " Alors je m’approche avec confiance, je prie, l'espérance dans l’âme.
En effet, que craindrais-je quand celui qui vient dans ma demeure est le
Sauveur? Je n'ai péché que contre lui, s'il me pardonne tout sera oublié,
d'autant plus qu'il peut faire tout ce qu'il lui plait il est Dieu, s’il me
justifie, qui est-ce qui me condamnera? Qui est-ce qui osera élever la voix
contre les élus de Dieu (Rom. VIII, 33)? Il faut donc nous réjouir de ce qu'il
est venu chez nous, car il se montrera facile à pardonner.
4. Après tout il est tout petit enfant, il sera
donc bien facile de l'apaiser: Qui ne sait que les enfants pardonnent aisément?
Et s'il n'est pas venu à nous pour peu de chose, cependant il faut bien peu de
chose pour nous réconcilier avec lui ; mais si peu que ce soit de ne saurait
pourtant pas être moins que la pénitence, après tout n'est-ce que notre
pénitence, sinon infiniment peu de chose? Nous sommes pauvres, nous ne pouvons
donner que peu; mais ce peu, si nous le voulons, suffit pour nous réconcilier.
Tout ce que je puis donner, c'est ce misérable corps, mais si je le donne, il
suffit; sinon j'ajoute son propre corps au mien, en effet il est du même sang
que moi, il est à moi. Car cet " enfant est né pour nous, ce fils a été donné à
nous (Is. IX, 6). " Seigneur, je supplée par vous à ce qui me manque. O
réconciliation d'une incomparable douceur ! O satisfaction infiniment agréable !
O réconciliation vraiment facile mais infiniment utile ; satisfaction vraiment
petite mais non de peu de prix ! Mais plus elle est facile aujourd'hui, plus
elle sera difficile demain, et si maintenant il n'est personne qui ne puisse se
réconcilier, bientôt il n'y aura plus personne qui le pourra, car, de même que
la bonté du Sauveur s'est montrée au delà de toute espérance, au delà de tout ce
que les hommes pouvaient imaginer, ainsi pouvons-nous nous attendre à un
jugement dune sévérité pareille à ce que fut sa bonté. Gardez-vous donc bien de
mépriser la miséricorde de Dieu si vous ne voulez point ressentir sa justice, ou
plutôt sa colère, son indignation, sa violence ou sa fureur. Seigneur, ne me
reprenez point dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère (Psal.
VI, 1). Pour que vous n'ignoriez point quelle sera la sévérité du jugement
futur, il a commencé par vous en donner une idée dans la grandeur de sa
miséricorde qui, le précède; jugez donc de la grandeur de la vengeance par la
grandeur de l'indulgence. Dieu est immense, sa justice comme sa miséricorde est
infinie, il est riche en pardon, riche en vengeance ; mais la miséricorde a.
pris le devant, afin que, si nous le voulons, la sévérité du jugement n'ait plus
le motif de sévir. Il a donc donné le pas à sa bonté, afin que réconciliés par
elle, nous pussions considérer sans crainte sa sévérité. Voilà pourquoi il
voulut non-seulement descendre sur la terre, mais s'y faire connaître;
non-seulement y naître, mais y être connu.
5. Après tout, c'est à cause de cette
manifestation que ce jour est célèbre pour nous, sous le nom de jour de
l'apparition. En effet, c'est aujourd'hui que les Mages sont venus de l'Orient à
la recherche du soleil de justice qui venait de se lever, de celui dont il est
écrit : " Voilà l'homme qui a pour nom Orient (Zach. VI, 12). " C'est
aujourd'hui qu'ils ont adoré l'enfantement nouveau d'une vierge, après avoir
suivi la route que leur indiquait un astre nouveau. N'y a-t-il point là encore
pour nous une grande consolation, de même que dans le mot de l’Apôtre dont je
vous ai entretenus ? Celui-ci la nommé Dieu; et ceux-là lui donnent le même
titre sinon de bouche, du moins par leurs actions. Que faites-vous, ô Mages, que
fais-vous? Vous adorez un enfant à la mamelle, dans une vile étable, et caché
sous de vils langes? Est-ce que vous voyez Dieu en lui ? Si c'était un Dieu ne
serait-il point dans son temple; le Seigneur, mais c'est dans les cieux qu'il
habite : et vous venez, le chercher, dans une vile étable, sur le sein d'une
mère? Que faites-vous, encore une fois, et pourquoi lui offrez-vous de l’or ?
Est-il donc roi aussi ? Mais où est sa cour royale, où est son trône, où est la
foule de ses courtisans ? Faut-il prendre une étable pour la cour d'un roi, une
crèche pour son trône, Joseph et Marie pour tous courtisans? Comment des hommes
aussi, sages ont-ils pu perdre le sens au point d'adresser leurs adorations à un
tout petit enfant, que son âge et la pauvreté de ses parents contribuent à
rendre méprisable? Ils ont perdu le. sens, c'est vrai, mais c'est pour le
recouvrer, et le Saint-Esprit leur a appris avant tout autre ce que l'Apôtre n'a
annoncé que plus tard, c'est, que : " Si quelqu'un parmi vous veut être sage,
qu'il devienne insensé et il deviendra sage (I Cor. I, 21). " N'y avait-il pas
lieu de craindre, mes frères, que ces hommes ne se scandalisassent et ne se
crussent mystifiés en voyant tant de choses indignes d'un Dieu et d'un roi? De
la capitale d'un royaume où ils présumaient qu'ils devaient chercher le roi, ils
sont envoyés à Bethléem, dans une misérable petite bourgade ; ils entrent dans
une étable et y trouvent un enfant enveloppé de langes. Cette étable ne les
choque point, ces langes ne les offusquent point, et cet enfant à la mamelle ne
les scandalise point; ils se prosternent, ils le saluent comme un roi, et
l'adorent comme un Dieu; sans douté c'est que celui qui les a conduits là les a
instruits en même temps; sans doute celui qui les a avertis extérieurement par
une étoile, les a aussi intérieurement éclairés. Le Seigneur en se manifestant
ce jour-là l'a donc rendu céleste; et les Mages, parleurs respect leur dévotion,
en ont fait un jour de dévotion et de respects.
6. Mais nous ne célébrons point que cette
manifestation aujourd'hui il en est encore une autre que nous avons appris de
nos pères à célébrer encore. Bien qu'elle soit séparée par un long laps de temps
de la première, cependant on croit qu'elle eut lieu le même jour. Jésus ayant
accompli sa trentième année dans la chair (car en tant que Dieu il est toujours
le même et ses années ne marchent point vers leur déclin), il se présenta au
baptême de Jean au milieu d'un grand concours d'hommes de sa nation. Il y vint
comme un homme du peuple, lui qui seul était sans péché. Qui l'aurait pris alors
pour le Fils de Dieu ? Qui aurait pensé qu'il était le Seigneur de majesté ? O
Seigneur, comme vous vous humiliez profondément! Vous vous cachez bien bas, mais
vous ne pouvez demeurer inconnu à Jean. N'est-ce pas lui qui du fond du sein
maternel, avant même d'avoir vu le jour, vous reconnut, bien que vous ne fussiez
pas encore né non plus? N'est-ce pas lui qui vous reconnut à travers la double
enveloppe du sein de sa mère et du sein de la vôtre? Comme il ne pouvait alors
s'adresser à la foule, il instruisait du moins sa mère de votre présence par un
tressaillement de joie. Mais aujourd'hui que se passe-t-il? l'Evangéliste nous
le dit : " Jean le vit venir et il dit : voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui
ôte les pêches du monde ( Joan. II, 29). " Oui, c'est bien un agneau , c'est
bien lui plein d'humilité, lui plein de douceur. " Voici, dit-il, l'Agneau de
Dieu, celui qui ôte les péchés du monde. " C'est-à-dire voici celui qui ;va
effacer nos iniquités et purifier notre cloaque. Mais nonobstant ce témoignage
il veut être baptisé de la main de Jean. Celui-ci n'ose céder à ses voeux, qui
peut s'en étonner? Oui, qu'y a-t-il d'étonnant qu'un homme tremble et n'ose
point toucher au chef saint d'un Dieu, à cette tête que les Anges adorent, que
les puissances vénèrent, que les principautés ne considèrent qu'avec crainte? Eh
quoi, Seigneur Jésus, vous- voulez être baptisé? Pourquoi cela, Seigneur, et
quel besoin avez-vous du baptême? Est-ce que l'homme qui est en bonne santé a
besoin de médecin, et celui qui est pur a-t-il besoin de se purifier encore ?
D'où vous viendrait donc le péché pour avoir besoin du baptême? Est-ce de votre
père? Vous en avez un, je le sais, mais ce père est Dieu, vous lui êtes égal,
car vous êtes Dieu de Dieu, lumière de lumière. Or, qui ne sait que le péché ne
peut se trouver en Dieu ? Est-ce de votre mère, car vous avez aussi une mère,
mais cette mère est vierge. Je me demande quel péché vous pouvez tenir d'elle,
puisqu'elle vous a conçu sans péché et vous a mis au monde sans perdre sa
virginité? Quelle tâche peut se trouver dans l'Agneau immaculé? " C'est moi
plutôt, dit Jean, qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi (Matth,.
III, 14) ! " Des deux côtés l'humilité est grande, mais il n'y a pas de
comparaison entre celle de l'un et celle de l'autre. En effet, le moyen pour un
homme de ne point s'humilier en présence d'un Dieu qui est humble ? "
Laissez-moi faire pour le moment, dit le Seigneur, car c'est ainsi qu'il
convient que nous accomplissions toute justice (Matth. III, 15). " Jean céda et
obéit; il baptisa l’Agneau de Dieu, il purifia l’eau. C'est nous qui avons été
lavés, ce n'est pas lui, car nous savons que c'est pour nous purifier, que les
eaux ont été purifiées elles-mêmes.
7. Mais peut être ne vous en rapporterez-vous
point entièrement au témoignage de Jean, attendu qu'après tout, il est homme et
par conséquent sujet à caution, d’autant plus qu'il est proche parent de celui à
qui il rend témoignage. Eh, bien! voilà un témoignage plus imposant, que celui,
de Jean, c'est le témoignage de la colombe qui vient se reposer:sur
Jésus-Christ. Or ce n'est pas sans raison que pour désigner l'Agneau de Dieu,
c'est une colombe qui arrive attendu qu'il n'est point d'être qui convienne
mieux à l'agneau que la colombe. Ce qu'est l'agneau parmi les animaux, la
colombe l’est parmi les oiseaux. L'un et l'autre sont d'une parfaite innocence ,
d'une très-grande douceur et d’une extrême simplicité. Est-il rien de plus
éloigné de toute malice qu’un agneau et qu'une colombe? Ils ne sauraient nuire à
personne, ils ne savent point ce que c'est que de faire du mal. N'allez pas
croire que tout cela s’est passé par hasard , le témoignage de Dieu le Père vous
détromperait: Le Dieu de toute majesté fit retentir son tonnerre, le Seigneur
s'est fait entendre sur les grandes eaux (Psal. XXVIII, 3). " Au même instant on
entendit une voix du ciel qui dit: celui-ci est : mon Fils bien-aimé en qui
j'ai. mis toutes mes complaisances (Matth. III, 17). " En effet, Jésus est bien
celui en qui rien ne déplaît au Père, rien ne choque les regards de sa majesté.
Aussi dit-il lui-même : " Je fais toujours ce qui lui plaît. Ecoutez-le (Joan.
VIII, 29), " dit-il. A vous maintenant, Seigneur Jésus, à vous de parler.
Jusques à quand ferez-,vous comme si vous n'entendiez point? Vous ne vous êtes
tu que trop longtemps, oui trop longtemps; mais à présent votre Père vous permet
de parler. Combien de temps vertu, sagesse de Dieu, demeurerez-vous cachée dans
la foule comme un homme faible et dépourvu de sagesse? Combien de temps encore,
noble Roi, Roi du ciel, souffrirez-vous qu'on vous croie et qu'on vous. appelle
le ils du charpentier? Car saint Luc nous apprend qu'alors encore il passait
pour être le fils de Joseph (Luc. III, 23). " O humilité, vertu du Christ, ô
sublime humilité ! Comme vous confondez notre orgueil et notre vanité ! J'ai une
ombre de savoir à peine, ou plutôt je me figure que je l'ai, et je ne puis plus
me taire, je me produis et me fais valoir avec autant d'imprudence que
d'impudence, j'ai hâte de parler, je suis aussi avide d'instruire les autres que
lent à les écouter. Est-ce que Jésus, quand il gardait si longtemps le silence
et se tenait caché, redoutait la vaine gloire? Pourquoi aurait-il appréhendé la
vaine gloire lui qui est la vraie gloire du Père? Et pourtant il la craignait,
mais non pour lui. Il la craignait pour nous, à qui il savait qu'elle était
redoutable. C’est nous qu'il voulait prémunir, nous encore qu'il voulait
instruire. Il gardait le silence des lèvres, mais il nous parlait par ses
oeuvres, et, ce qu’il nous apprit plus tard par ses leçons, en disant : apprenez
de moi que je suis doux et humble de coeur (Matth. XI, 29), " il nous
l'enseignait dès lors par ses exemples. En effet, nous ne savons que peu de
choses de son enfance, et, depuis son enfance jusqu'à l’âge de trente ans, il
n'est plus parlé de lui. Mais à présent il ne peut plus demeurer caché, car son
Père fa trop clairement montré à tous les yeux. Mais dans sa première
manifestation même il voulut se montrer en la société de la Vierge Marie parce
que la virginité de sa mère est encore une leçon de réserve.
8. Nous trouvons dans l'Evangile sa
troisième manifestation dont nous célébrons également aujourd'hui le souvenir.
Il était invité aux noces de Cana; là, le vin étant venu à manquer, il compatit
à l'embarras des époux et changea l'eau en vin: "Ce fut, dit l’Evangéliste, le
premier de ses miracles (Joan. II, 11). " Ainsi dans la première manifestation,
il montre le vieil homme en lui, car c'est sous la forme d'un enfant suspendu
aux mamelles de sa mère qu'il a apparu : dans la seconde, le témoignage de son
Père montre en lui le vrai Fils de Dieu; et dans la troisième, il se montre
lui-même vraiment Dieu en changeant la nature à son gré. Ce sont là, autant de
preuves qui confirment aujourd'hui notre foi, autant de démonstrations qui
fortifient notre espérance, autant de motifs qui enflamment notre amour.
DEUXIÈME SERMON
POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR
Sur les Mages, à l'occasion de ce passage du Cantique des cantiques " Sortez de
vos demeures,
filles de Sion, et voyez le roi Salomon (Cant. III, 10). "
1. Nous lisons que le Seigneur s'est manifesté
trois fois le même jour, sinon à la même époque. La seconde et la troisième fois
il le fit d'une manière admirable, mais sa première manifestation est la plus
admirable de toutes. Je trouve admirable le changement de l'eau en vin,
admirable encore le témoignage de Jean, de la colombe et du Père; mais ce qui
m'inspire plus d'admiration encore, c'est qu'il fut reconnu par les Mages. Or,
ils l'ont reconnu, la preuve en est qu'ils l’adorèrent et lui offrirent de
l’encens. Non-seulement ils reconnurent en lui un Dieu, mais aussi un roi, comme
le prouve for qu'ils lui présentèrent. Toutes ces offrandes cachent pour eux un
grand mystère de charité, aussi lui offrent-ils de la myrrhe pour indiquer sa
mort. Les Mages adorent donc un enfant à la mamelle et lui offrent des présents.
Mais, ô Mages, où donc voyez-vous la pourpre royale autour de cet enfant ?
Est-ce dans ces pauvres langes dont il est enveloppé ? Si cet enfant est roi, où
donc est son diadème? Pour vous, vous le voyez effectivement avec le diadème
dont sa mère l'a couronné, je veux parler de cette- enveloppe mortelle dont il
dit lui-même en ressuscitant : " Vous avez déchiré le sac dont j'étais vêtu, et
vous m'avez environné de joie (Psal. XXIX, 12). " Sortez donc de vos demeures,
filles de Jérusalem, et venez voir le roi Salomon qui parait avec le diadème
dont sa mère l'a couronné, etc. (Cant. III, 10). " Oui sortez, vertus
angéliques, habitants de la Jérusalem céleste, voici votre roi, mais paré de
notre couronne, du diadème dont sa mère lui a ceint le front. Mais vous avez
jusqu'à ce jour ignoré ces délices, jusqu'à ce jour vous n'avez point goûté ce
bonheur. Vous connaissez bien sa grandeur, vous avez maintenant son abaissement
sous les yeux; sortez donc de vos demeures et venez voir votre roi Salomon qui
paraît avec, le diadème .dont sa mère l'a couronné.
2. Mais il n'est pas nécessaire que nous les y
invitions , ils ressentent eux-mêmes le désir de le contempler. Car plus sa
grandeur leur est connue, plus son abaissement leur semble aimable et précieux;
voilà pourquoi, bien que nous ayons encore plus de sujets qu'eux de nous
réjouir,puisque c'est pour nous qu'il est né, et à nous qu'il est donné, ce sont
eux cependant nous préviennent et nous exhortent à le voir. J'en vois la preuve
dans le fait de l'ange qui annonce la bonne et grande nouvelle aux bergers, et
dans les chants de l'armée céleste qui était avec lui (Luc. III, 16). C'est:
donc à vous, âmes mondaines, que je m'adresse quand je dis filles de Sion;
'est,à vous qui êtes des filles délicates et faibles plutôt que des fils, car la
force vous manque et vous n'avez rien de viril en vous, que je dis : " Sortez de
votre demeure, filles de Sion. " Sortez de vos sentiments charnels pour vous
élever vers l'intelligence de l’esprit, de la servitude, de la concupiscence de
la chair, pour rester dans la liberté de l'intelligence de l'esprit. Sortez de
votre pays, de votre parenté et de la demeure de votre père " et venez voir
votre roi Salomon. "D'ailleurs il ne serait pas sûr pour vous de voir en lui
l'Ecclésiaste, car qui dit Salomon, dit pacifique. Or il est Salomon dans l'exil
(2); mais qui dit Ecclésiaste dit harangueur de la foule, or il
le sera au jugement dernier; qui dit Idite, dit ami du Seigneur, il ne le sera
que dans son royaume. Dans l'exil il est doux et aimable; au jugement dernier il
sera juste et terrible, et dans le royaume, il sera glorieux et admirable.
Sortez donc de vos demeures, et venez voir votre roi Salomon,,car partout il
porte sa royauté. Son royaume n'est pas de ce, monde, il est vrai, mais il n'en
est pas moins roi dans ce monde. En effet, quand on lui dit : "Vous êtes donc
roi? Je le suis, répondit-il, et c'est- pour cela que je suis né et que je suis
venu dans le monde (Joan. XVIII, 37). " Maintenant donc il règle nos moeurs, au
jugement dernier il discernera nos mérites, et dans son royaume il les
récompensera.
3. Sortez donc de vos demeures, filles de Sion, et
venez voir votre roi Salomon qui parait avec le diadème dont sa mère l'a
couronné, le diadème de la pauvreté, la couronne de la misère. Car il a reçu de
sa marâtre une couronne d'épines, une
couronne de misère. Mais il en recevra une de justice de la main des siens, le
jour où les anges iront arracher tous les scandales du milieu de son royaume,
alors qu'il viendra pour juger avec les anciens de son peuple, et que l'univers
entier se déclarera pour lui contre les insensés. Son Père le gratifie d'une
couronne de gloire, selon ce mot du Psalmiste : " Vous lui avez donné une
couronne de gloire et d'honneur (Psal. VIII, 6). " Venez donc le contempler,
filles de Sion, sous le diadème dont l'a couronné sa mère. Prenez la couronne de
votre roi devenu petit enfant pour vous, et, avec les Mages, adorez son
abaissement; car leur foi et leur dévotion vous sont aujourd'hui proposées en
exemple. A qui, en effet, comparerons-nous, à qui assimilerons-nous ces hommes
aujourd'hui? Si je considère la foi du bon larron et la confession du centurion,
il me semble que les Mages l'emportent sur tous les deux, attendu que pour
ceux-ci déjà il avait fait bien des miracles, déjà il avait été annoncé par bien
des bouches, déjà même il avait reçu les adorations de bien des gens. Remarquons
néanmoins quel fut le langage de ces deux hommes. Le bon larron s'écriait du
haut de la croix : " Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez arrivé
dans votre royaume (Luc. XXII, 42). " Le supplice de la, croix serait-il la voie
qui le conduit à son royaume? Qui donc t'a appris qu'il fallait que le Christ
souffrit pour entrer dans sa gloire? Et toi, centurion, où as-tu appris à le
connaître? L'Évangéliste nous dit que : " En voyant qu'il avait expiré en jetant
ce grand cri, il s'écria : certainement cet homme était le Fils de Dieu (Marc,
XV, 39). " Chose étrange et bien digne d'admiration!
4. Aussi vous dirai-je, voyez et
remarquez quels yeux perçants, quels yeux de lynx a la foi. Elle voit le Fils de
Dieu dans un enfant à la mamelle, elle le voit dans un homme attaché à la croix,
enfin elle le voit dans un mourant En preuve, c'est que le centurion le reconnut
sur la croix et les mages dans une étable: l'un le reconnaît malgré ses clous;
les autres, malgré ses langes; celui-là reconnaît la Vie dans la mort, ceux-ci
la vertu de Dieu dans le faible corps d'un nouveau-né; le premier, l'Esprit
suprême dans un dernier soupir; les seconds, le Verbe de Dieu dans un muet
enfant; car ce que l'un confesse par ses paroles, les autres le confessent par
leurs présents. Le bon larron confesse le roi, et le centurion, le Fils de Dieu
et de l'homme en même temps. Mais que signifient les trois présents des Mages?
Leur encens ne montre-t-il point qu'ils reconnaissent en Jésus non moins un Dieu
que le fils de Dieu? Aussi, mes frères bien-aimés, je demande à Dieu que
l'immense charité que le Dieu de toute majesté nous a témoignée, vous profite,
ainsi que le profond abaissement auquel il s'est soumis, et l'immense bonté que
le Christ nous a montrée par son abaissement. Rendons grâce au Rédempteur, notre
médiateur, qui nous a fait connaître l'extrême bonne volonté de Dieu le Père à
notre égard; car nous savons si bien quelles sont ses dispositions à notre
égard, que nous pouvons dire avec raison : " Nous courrons, mais non pas au
hasard (I Cor. IX, 26). " Nous ne pouvons douter, en effet, que le coeur de Dieu
le Père ne soit à notre égard dans les dispositions où nous l'a montré celui
même qui est sorti de son coeur.
TROISIÈME SERMON
POUR LE JOUR DE L'ÉPIPHANIE DE NOTRE SEIGNEUR
Sur ce passage de l’Évangile : " Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né
( Matt. II, 2) ? "
1 Mes frères, je crois nécessaire de vous exposer,
selon ce que j'ai coutume de faire les autres jours de fête le sens de la
solennité d'aujourd'hui. Quelquefois je parle contre les vices, ce genre de
sermons est très utiles mais il me paraît mieux convenir aux autres jours qu'à
celui-ci. Les jours de fête et surtout dans nos plus grandes solennités, il vaut
mieux s’appliquer dans les sermons à instruire et à toucher. Comment, en effet,
pourriez-vous célébrer ce que vous ne connaîtriez point, et comment
connaîtriez-vous ce dont on ne vous parle point? Que ceux donc qui sont versés
dans la connaissance de la loi, nous permettent de nous mettre à la portée de
ceux qui le sont peu, comme l'exige la loi de la charité. D'ailleurs je ne bois
pas qu'ils soient privés de nourriture , parce qu'ils voudront bien servir des
mets un peu moins recherchés aux âmes un peu moins instruites, comme on pourrait
le faire pour le simple peuple. Or, c'est ce qu'ils feront si dans , une pensée
de charité fraternelle, ils se contentent de ce que réclament les personnes
moins instruites, quoique peut-être ce ne soit pas aussi nécessaire pour eux.
Ils pourront ensuite ramasser les restes, et repasser dans leur esprit avec
attention et ruminer comme font les animaux purs, tout ce qui aura pu échapper,
à cause de sa subtilité, aux esprits peu cultivés.
2. La solennité de ce jour tire donc son nom d'un
mot qui signifie manifestation, car ce mot épiphanie n'a pas d'autre sens. C'est
donc aujourd'hui la manifestation de Notre-Seigneur, non pas d'une seule, mais
d'une triple manifestation, selon ce que nos pères nous ont appris En effet,
c'est aujourd'hui que notre Roi, encore tout petit enfant, s'est manifesté peu
de jours après sa naissance, aux premiers des, gentils, qu'une étoile avait
amenés jusqu'à lui. C'est également en ce jour, que Jésus ayant accompli sa
trentième année dans la chair, car en tant que Dieu, il est toujours le même et
ses années ne marchent point vers leur déclin, il vint au Jourdain, confondu
dans la foule des gens de sa nation pour être baptisé, et que le témoignage de
Dieu, son Père, le fit connaître aux hommes. C'est également aujourd'hui que, se
trouvant, avec ses disciples, invité à des noces où le vin a manqué, il a changé
l'eau en vin par un miracle admirable de sa puissance. Mais je préfère
considérer plus particulièrement la manifestation qui s'est faite dit Sauveur
pendant les premiers jours de son enfance, parce qu'elle est remplie d'une très
grande douceur, et que d'ailleurs c'est celle qui est le principal objet de
cette fête.
3. C'est donc aujourd'hui, comme nous l'avons vu
dans l'Evangile, que les Mages vinrent à Jérusalem du fond de l'Orient. Il est
bien juste sans , doute que ceux qui viennent nous apprendre le lever du Soleil
de justice, et remplir le monde entier de l'annonce de l'heureuse nouvelle, nous
arrivent de l'Orient. Par malheur la Judée infortunée qui haïssait la lumière,
se voile la face à l'éclat de cette clarté nouvelle et voit ses yeux malades se
fermer au lieu de s'ouvrir aux brillants rayons du Soleil éternel. Mais écoutons
le langage des mages arrivés de l'Orient: "Où est le Roi des Juifs nouvellement
né (Matt. II, 2 ) ? "Quelle foi assurée, quelle absence d'hésitation et de
doute! Ils ne s'inquiètent point s'il est né, mais pleins d'une complète
certitude et tout à fait étrangers au doute, ils demandent où est le Roi des
Juifs qui vient de naître. A ce mot de roi, Hérode se figure qu'il va avoir un
successeur et il est saisi de crainte. Ne nous étonnons point de son trouble,
mais étonnons-nous bien plutôt de voir Jérusalem, la cité de Dieu, dont le nom
signifie la vision de la paix, partager le trouble d'Hérode. Voyez, mes frères,
quel mal peut faire un pouvoir unique, comment un chef ;impie fait partager son
impiété à ses sujets. O la malheureuse ville que celle où règne Hérode ; elle ne
saurait demeurer étrangère à, la malice d'Hérode, et ne point partager le
trouble qu'il éprouva à la nouvelle de la naissance du Sauveur. J'espère bien,
avec la grâce de Dieu, qu'il ne régnera jamais sur nous, ce dont Dieu nous
préserve. C'est partager la malice d'Hérode et la cruauté de Babylone, que de
vouloir étouffer un ordre naissant et briser contre la pierre les jeunes enfants
d'Isaac. Il est évident, en effet, que lorsqu'il parait quelque chose qui peut
aider au salut, ou t quelque ordre nouveau, quiconque y' fait de l'opposition,
et le combat, est du nombre de ces Egyptiens qui voulaient éteindre la race
d'Israël, je dis plus, c'est un allié d'Hérode qui persécute le Sauveur
naissant. Mais revenons à notre histoire, car je suis convaincu que s'il y a
quelqu'un qui se, trouve dans ce cas, il veillera désormais sur lui-même avec le
plus grand soin, détestant du fond de l’âme les sentiments d'Hérode, afin de, ne
point partager son sort.
4. Comme les Mages s'informaient du Roi des Juifs,
et comme Hérode de son côté s'informait auprès des scribes du lieu où devait
naître le Seigneur, ceux-ci lui firent connaître le nom de la ville qu'avait
indiquée le Prophète. Lorsque les plages se furent éloignés, après avoir quitté
les Juifs, " voilà que l'étoile qu'ils avaient vue en Orient, marchait devant
eux. " Ces paroles nous donnent assez clairement à entendre qu'ils cessèrent
d'avoir Dieu pour guide tant qu'ils s'enquirent auprès des hommes; car le signe
céleste leur fit défaut dès l'instant qu'ils se mirent en quêté de
renseignements humains. Mais à peine ont-ils quitté Hérode qu'ils sont remplis
d'une grande joie, car l’étoile leur apparut marchant devant eux jusqu'à ce
qu'étant arrivée au dessus de l’endroit , où était l'enfant, elle s'arrêta: "
Entrant alors dans la maison, ils trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère, et, se
prosternant, ils l'adorèrent (Matt. II, 11). " O étrangers, d'ou vient que vous
agissez ainsi ? Nous n'avons point vu de foi pareille dans Israël. Ainsi la
triste apparence de cette étable ne vous offusque point, non plus que la vue de
ce pauvre berceau fait d'une crèche ? La présence de cette mère pauvre ni cet
enfant à la mamelle, ne vous scandalisent donc point?
5. Alors, dit l'Evangéliste " Ils ouvrent leurs
trésors et ils lui offrent en présents, de l'or, de l'encens et de la myrrhe
(Ibid.) " S'ils ne lui avaient offert que de l'or, peut-être auraient-ils paru
avoir eu la pensée de venir en aide à la pauvreté de la mère, et lui donner les
moyens d'élever son enfant. Mais comme ils lui offrent en même temps de l'or, de
l'encens et de là myrrhe, il est évident que leurs offrandes ont un sens
spirituel. En effet, l'or passe pour ce qu'il y a de plus précieux parmi les
richesses des hommes; c'est ce que, avec la grâce du Sauveur, nous lui offrons
dévotement lorsque, pour son nom, nous renonçons entièrement aux biens de ce
monde. Mais à présent il ne nous reste plus, après avoir si complètement foulé
aux pieds les choses de la terre, qu'à rechercher avec une plus vive ardeur
celles des cieux. Car c'est ainsi que nous pourrons lui offrir la bonne odeur de
l'encens qui, selon saint Jean, comme nous le voyons dans son Apocalypse (Apoc.
V, 3), représente les prières des saints. Voilà ce qui faisait dire au Psalmiste
: " Que ma prière s'élève vers vous comme la fumée de l'encens (Psal. CXL, 2) :
" et à l'Ecclésiastique : "La prière du juste perce les nues: " La prière,
dis-je, non de quiconque, mais du juste ( Eccles. XXXV, 21), car la prière de
quiconque détourne l'oreille pour ne point écouter, la loi de Dieu, est
exécrable (Prov. XXVIII, 9). "
6. Si donc vous voulez être juste et ne point
détourner l'oreille des commandements de Dieu, pour que lui-même ne détourne pas
la sienne de vos prières, il faut non-seulement que vous méprisiez le siècle
présent, mais encore que vous châtiez votre chair et la réduisiez en servitude.
Car celui qui a dit: "Quiconque ne renonce pas à tout ce qu'il possède, ne peut
être mon disciple (Luc. XVI, 32), " et encore "Si vous voulez être parfaits,
allez, vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, puis revenez vous
mettre à ma suite (Matt. XIX, 21), est le même qui a dit dans un autre endroit :
" Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa
croix et me suive (Luc. IX, 23)." L'Apôtre voulant expliquer le sens de ces
paroles, disait ; "Ceux qui sont à Jésus-Christ, ont crucifié leur chair avec
toutes ses passions et ses désirs déréglés (Gal. V, 24). " La prière doit donc
avoir deux ailes, le mépris du monde et la mortification de la chair, et avec
elles il n'est pas douteux qu'elle puisse pénétrer les cieux et s'élever en
présence de Dieu comme la fumée de l'encens. Pour que notre sacrifice soit
agréable et que notre offrande mérite d'être accueillie, il faut qu'à l'or et à
l'encens s'ajoute encore la myrrhe, car bien qu'elle soit amère, elle n'en est
pas moins fort utile, elle conserve le corps qui est mort à cause du péché et
l'empêche de tomber en pourriture en tombant dans le vice. Qu'il suffise de ce
peu de mots pour nous engager à imiter les offrandes des Mages.
7. Mais comme nous avons parlé de manifestation,
il est bien que nous recherchions qu'est-ce qui se manifeste à nous dans cette
fête. L'Apôtre se charge de nous l'apprendre en nous disant : " Ce qui a paru,
c'est la bonté et l'humanité du Sauveur notre Dieu (Tit. III, 4). " Et, en
effet, nous avons entendu l'Evangéliste nous dire que "étant entrés dans la
maison, les Mages y trouvèrent l'Enfant avec Marie sa mère (Matt. II, 41). " Or
dans ce corps d'enfant qu'une mère réchauffait contre son sein virginal,
qu'est-ce qui apparaît sinon le vérité de la chair qu'il a prise? Dans la
seconde manifestation, ne vous semble-t-il point qu'il est manifestement
proclamé Fils de Dieu de la bouche même de. son Père? En effet, les cieux s'entr'ouvrirent
au-dessus de sa tète, le Saint-Esprit en descendit sur lui sous la forme
corporelle d'une colombe, et en même temps la voix du Père fit entendre ces
paroles : " Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis toutes mes
complaisances (Matt. III, 17). " Certes, il est assez manifeste après cela, il
est suez évident et assez indubitable que le Fils de Dieu ne peut être que Dieu
lui-même. Personne, en effet, ne révoque en doute que les enfants des hommes
soient des hommes aussi, ni que les petits des animaux soient de la même espèce
que ceux dont ils sont nés. Toutefois, pour qu'il n'y ait plus place pour une
erreur sacrilège, celui qui, dans la première manifestation, fut reconnu pour
vrai homme et fils d'homme, et qui dans la seconde, n'en est pas moins déclaré
Fils de Dieu, se montre dans la troisième vrai Dieu et véritable auteur de la
nature qu'il change à son gré. Pour nous, par conséquent, mes bien-aimés, aimons
Jésus-Christ comme étant véritablement homme et notre frère; honorons-le comme
Fils de Dieu, et adorons-le comme Dieu. Croyons avec une entière sécurité en
lui, et confions-nous à lui avec la même sécurité, mes frères, car le pouvoir de
nous sauver ne lui manque point, puisqu'il est vraiment Dieu, et Fils de Dieu;
non plus que la bonne volonté, attendu qu'il est comme l'un de nous un homme
véritable et fils de l'homme. Comment pourrait-il se montrer inexorable à notre
égard, quand il s'est fait, pour nous, semblable à nous et sujet à la douleur?
8. Si vous désirez maintenant que
je vous dise sur ces trois manifestations quelques mots qui aient rapport à la
pratique, je vous prie de remarquer avant tout que le Christ se montre enfant
avec une Vierge pour mère, afin de nous apprendre à rechercher par dessus tout,
la simplicité et la modestie. La simplicité est, en effet, le partage de
l'enfance, de même que la modestie est l'apanage des vierges. Par conséquent,
nous tous, qui que,nous soyons, il est deux vertus surtout que nous devons
acquérir dès le principe même de notre conversion, c'est une humble simplicité,
et une gravité pleine de modestie. Dans la seconde manifestation, le Sauveur
vient aux eaux du baptême, non pour être purifié, mais plutôt pour recevoir le
témoignage de son Père. Tout cela représente les larmes de la dévotion dans
lesquelles on recherche bien moins à obtenir le pardon de ses fautes, qu'à
complaire à Dieu le Père, lorsque l'esprit des enfants d'adoption descend sur
nous pour rendre témoignage à notre propre esprit, que nous sommes les enfants
de Dieu, en sorte qu'il nous semble entendre du haut du ciel une voix douce
comme le miel qui nous assure que Dieu le Père se complaît véritablement en
nous. Or, il y a une grande différence entre ces larmes de la dévotion et de
l'âge viril, et celles que le premier âge laissait couler su milieu des
vagissements de l'enfance et qui n'étaient que les larmes de la pénitence et de
la confession. Toutefois, il en est d'autres qui sont bien supérieures aux
premières, ce sont celles qui prennent le goût du vin; car on peut dire avec
vérité que les, larmes de la compassion fraternelle qui s'échappent dans
l’ardeur de la charité, sont véritablement changées en vin, attendu que, par la
charité, il semble qu'on s'oublie soi-même un instant comme par l'effet d'une
ivresse pleine de sobriété.
SERMON UNIQUE POUR
LE JOUR DE L'OCTAVE DE L'ÉPIPHANIE
Sur la circoncision, sur le baptême et sur ces paroles de Notre-Seigneur à saint
Jean ;
" C’est ainsi qu'il faut que nous accomplissions toute justice (Matt. III, 15).
1. Au peuple à la tête dure, il fallait le couteau
de la circoncision, à son coeur de pierre il fallait le tranchant de la pierre
(Josué V), comme on lit que Jesus Nave l'employa pour le circoncire. Mais notre
Jésus, comme un agneau plein de douceur, fit disparaître ces usages cruels.
Seigneur, vous ôtés un agneau qui vient avec le lait et la laine, éloignez de
moi, je vous prie, le couteau, car il est bien dur et bien cruel de faire sentir
le tranchant du couteau de pierre à l'enfant nouveau-né. C'est ce qu'il fit dans
sa miséricorde, à la dureté qui pouvait convenir à des esclaves, a succédé la
douceur qui convient à des enfants, et maintenant un peu d'eau, avec l'onction
de la grâce, fait disparaître facilement la rouille du péché originel que le
couteau pouvait à peine détacher autrefois. Certes, il ne faut point s'étonner
que les choses aient changé avec le temps, et qu'à chaque époque aient été
appliqués des usages qui leur convenaient. Mais Jésus-Christ se soumit aux uns
et aux autres, afin de remplir l'office de la pierre angulaire qui réunit deux
murailles, et pour renouer, comme en les cousant ensemble, les bouts de deux
courroies, de même qu'il commença la véritable pâque en même temps qu'il
accomplit la pâque figurée.
2. Il voulut encore être circoncis, afin de
montrer qu'il était le maître de l'ancienne loi comme il l'est de l'Évangile.
Car, si c'est lui qui a dit de sa propre bouche : "Si un homme ne renaît par lé
baptême de l'eau et par la grâce du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le
royaume de Dieu (Joan. III, 5). " C'est lui aussi, qui a dit par la bouche de
son serviteur: " Quiconque n'aura point été circoncis dans la chair, sera
exterminé du milieu de mon peuple (Gen. XVII, 14). " S'il n'avait reçu que le
baptême, on aurait pu croire qu'il avait évité la circoncision, parce qu'elle
n'avait aucun rapport à lui; de même, s'il s'était fait circoncire sans recevoir
le baptême, comment croirais-je que je dois dédaigner la circoncision pour le
baptême? Or, il a reçu le baptême après avoir été circoncis et m'a appris ainsi
à m'en tenir à ce qu'il reçut en dernier lieu.
3. Enfin, comment ce Dieu qui aime et recommande
l'union, qui fait habiter ensemble ceux qui vivaient seuls sur la terre (Psal.
LXVII, 7), aurait-il pu renoncer à l'union et scandaliser les hommes? Or, il
aurait certainement, de son temps, scandalisé ceux qui l'auraient vu négliger de
se faire circoncire, de même que l'Église se scandaliserait, de nos jours, de
voir un enfant n'être point porté au baptême. D'ailleurs, il ne voulut pas
seulement recommander le rapprochement et l'union, il se proposa aussi de nous
donner un exemple d`Humilité, en se chargeant de l'appareil dont toute blessure
exige l'application, bien qu'il ne fût pas blessé lui-même. Voilà pourquoi
l'Apôtre a dit en parlant de lui " Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme et
assujetti à la loi (Gal. IV, 4). "
4. Mais de peur qu'on ne dit peut-être, s'il fut
circoncis, c'est parce que ses parents l'ont voulu, car il n'était alors qu'un
tout petit enfant, il ne se présenta au baptême qu'à l'âge de trente ans, et
vint à cet âge courber, sous la main de Jean-Baptiste, un front qui fait
trembler les Puissances, et que les Principautés adorent. Qui ne tremblerait
lui-même à cette seule pensée? O qu'elle paraîtra élevée au jugement dernier,
cette tête qui s'incline ainsi en ce moment ! combien ce front, si humble à
cette heure, paraîtra élevé et sublime alors ! " Laissez-moi faire pour cette
heure, dit-il, car c'est ainsi qu'il faut que nous remplissions toute justice
(Matt.III, 15). " Ainsi, celui qui n'est venu que dans la plénitude des temps,
et en qui habite la plénitude de la divinité, ne sait qu'une chose, tout
remplir. Il y a deux justices; l'une stricte et rigoureuse, telle, en un mot,
qu'à peine aurez-vous tourné le dos, elle tombe dans la fosse du péché; elle
consiste à ne point se préférer à ses égaux et à ne point s'égaler à ses
supérieurs. On la définit, une vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui
appartient. Il y en a une autre plus grande et plus large qui consiste à ne
point nous égaler à notre égal, en même temps que nous ne nous préférons point à
notre inférieur. C'est le propre d'un orgueil aussi grave qu'excessif de se
préférer à ses égaux ou de s'égaler à ses supérieurs, et celui d'une grande
humilité,. de se mettre au-dessous de ses égaux et de s'égaler à ses inférieurs.
Mais le comble de la justice est de se placer au dessous de ses inférieurs. De
même que c'est le fait d'un souverain et intolérable orgueil de, se préférer à
ses supérieurs, ainsi est-ce le comble et la plénitude de la justice de se
mettre au dessous de ses inférieurs mêmes. Quand saint Jean dit à Notre Seigneur
: " C'est à moi plutôt de recevoir le baptême de vos mains (Matt. III, 14), " il
fait acte de la première sorte de justice, puisqu'il se place au dessous de son
supérieur; mais ce que fait Jésus-Christ est le comble de là justice, puisqu'il
s'abaisse sous les mains de son serviteur.
5. Que chacun voie maintenant quel
modèle il doit préférer, de celui-là ou de celui-ci, qui est élevé au dessus de
tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré comme Dieu (Thes. II, 3).
Efforçons-nous, mes frères, de remplir toute justice, car la justice est la voie
qui conduit à la joie. La joie est la récompense, la justice en est la source et
ce qui la mérite. C'est en effet de la justice que naîtra notre joie, quand
apparaîtra le Christ qui est notre vie, et que nous paraîtrons avec lui dans la
gloire; attendu qu'il a été fait lui-même notre justice par son Père. Heureux
ceux qui, dès maintenant, trouvent dans la justice, une source de joie, qui
tressaillent de bonheur dans leur conscience, parce qu'ils sucent le miel
délicieux qui coule de la pierre, et mangent l'huile des oliviers qui poussent
dans les rochers les plus durs (Deut. XXXII, 13). Maintenant, il est vrai, la
justice semble laborieuse et pénible, mais il viendra un temps ou elle sera
désirée et possédée, aimée et reçue sans aucune peine, dans une douceur et un
bonheur complets, alors que nous serons en possession de la justice même. Mais
malheur à ceux qui s'écartent de la route, qui se détournent de la justice, pour
se mettre à la recherche d'une joie vaine et passagère. Car s'ils demandent du
bonheur aux choses qui passent, il ne peut que passer avec elles, lorsqu'elles
passeront elles-mêmes: de même que le feu. s'éteint quand le bois qui l'aliments
est consumé, ainsi en est-il de ce bonheur, nul n'en peut douter, lorsque le
monde avec toutes ses concupiscences, est passé.
* * * * *
1) Saint Bernard
vent dire que ceux qui ne sentent point leur misère ne recevront point la grâce
de Dieu, parce qu'il ne la donne qu'à ceux qui la demandent; de plus elle ne se
conserve que dans ceux qui craignent de la perdre. (Voir plus loin le premier
sermon de saint Bernard pour le jour de l'octave de l'Epiphanie, n. 5, et le
deuxième sermon pour le même jour, n. 8.) On peut consulter aussi le premier
sermon sur la psaume quatre-vingt-dixième, n. 1, ainsi que le cinquième sermon
pour le jour de la race de l'Eglise, n. 8, où notre saint s'exprime ainsi : " Ne
point voir sa propre est un obstacle à la miséricorde, et la grâce ne se répand
point là où on présume de son mérite. " (Voir encore la livre I de la Vie de
saint Bernard, n. 36 et 37.)
2) Depuis cet endroit jusqu'à ta
fin. du paragraphe, saint Bernard continue dans-les mêmes termes qu'il
s'exprimera dans le cinquantième de ses sermons divers.
Source :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
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