PREMIER SERMON POUR
L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE
De la Susception du Christ et de celle de Marie.
1. En montant aujourd'hui dans les cieux, la
glorieuse Vierge a certainement porté à son comble la joie des citoyens du ciel.
Car elle n'est, rien moins que celle dont la voix fit tressaillir de joie,
dans-les entrailles d'une, mère. qu'elle a saluée, l'enfant qui. y était encore
enfermé. Si l'âme d'un enfant qui n'était pas encore né, s'est fondue de bonheur
é sa voix, quelle ne dut pas être l’allégresse des esprits célestes quand . ils
eurent le bonheur d'entendre sa voix, de contempler son visage ? Et même pour
nous, mes frères bien-aimés, quelle fête n'est point le jour de son Assomption,
quels motifs de joie et de bonheur n'y a-t-il point dans son assomption ? La
présence de Marie éclaire le monde entier, c'est. au point que les cieux
eux-mêmes brillent d'un plus vif éclat, à la lumière de cette lampe virginale.
C'est donc avec raison que , les actions de grâce et les chants de gloire
retentissent dans les cieux; mais nous, mes frères, il semble que nous avons
plus de motifs de gémir que d'applaudir. En. effet, ce monde inférieur ne
doit-il pas proportionner son deuil, quand elle le quitte, à l'allégresse même
que sa présence répand dans les cieux ? Pourtant, trêve de plaintes chez nous,
car, après tout, nous . n'avons point ici une cité permanente, noua aspirons, à
celle où Marie fait aujourd'hui son entrée; si nous devons un jour en être
citoyens, il est juste que, même dans notre exil, et jusque sur les bords des
fleuves de Babylone, nous l'ayons présente à la pensée, nous participions à ses
joies, nous partagions son allégresse, surtout à celle qui remplit si bien
aujourd'hui même, comme un torrent, cette cité de Dieu, que, même ici-bas, nous
en recevons quelques gouttes qui tombent jusque sur la terre. Notre Reine nous a
précédés, et le glorieux accueil qui lui est fait doit nous engager à suivre
Notre Dame, nous ses humbles serviteurs, en nous écriant : " Attirez-nous à
votre suite, nous courrons dans l'odeur de vos parfums. " Notre exil a envoyé en
avant une avocate qui, en sa qualité de mère de notre Juge, de mère de la
miséricorde, doit traiter en suppliante, mais en suppliante écoutée, l'affaire
de notre salut.
2. Aujourd'hui notre terre a envoyé un précieux
présent au ciel, pour rapprocher, par cet heureux échange de présents d'amitié,
les hommes de Dieu, la terre des cieux, notre bassesse de l'élévation suprême.
Un fruit sublime de la terre s'est élevé là d'où nous viennent tous dons
excellents, tous dons parfaits, et une fois montée dans les cieux, la
bienheureuse Vierge comblera à son tour lés hommes de ses dons. Pourquoi n'en
serait-il point ainsi ? Car le pouvoir ne lui manquera pas plus que la volonté.
Elle est la Reine des cieux, et une Reine de miséricorde, et de plus elle est la
Mère du Fils unique de Dieu; est-il rien qui puisse nous faire concevoir une
plus haute estime de son pouvoir et de sa bonté ? A moins qu'on ne croie pas que
le Fils de Dieu honore sa mère, ou qu'on doute que les entrailles de Marie, où
la charité même de Dieu a passé corporellement neuf mois entiers, se soient
remplies de sentiments de charité.
3. Si je parle de la sorte, mes frères, c'est pour
nous que je le fais, attendu que je n'ignore pas combien il est difficile que
dans un si grand dénuement, on ne puisse trouver cette charité parfaite qui ne
cherche point ses propres intérêts. Mais, sans parler des grâces que nous
recevons pour sa glorification, pour peu que nous ressentions d'amour pour elle,
nous nous réjouirons de la voir retourner à son Fils. Oui, mes frères, nous la
féliciterons, à moins pourtant qu'il ne nous arrive, ce qu'à Dieu ne plaise,
d'être tout à fait ingrats envers celle qui a trouvé; la grâce. Car elle est
aujourd'hui reçue dans la cité sainte par celui qu'elle a reçu elle-même la
première, lorsqu'il fit son entrée dans monde, mais avec quel honneur, avec
quelle allégresse et quelle gloire! Sur la terre, il n'est point un seul endroit
plus honorable que le temple du sein virginal où Marie reçut le Fils de Dieu,
et, dans le ciel, n'est point de trône supérieur à celui sur lequel le Fils, de
Dieu a placé sa mère. Recevant ou reçue, elle est également bienheureuse, elle
l’est dans les deux cas d'un bonheur ineffable parce qu'elle l'est d'un bonheur
inimaginable. Mais pourquoi lit-on aujourd'hui dans l’Eglise du Christ,
précisément le passage où il est donné à entendre, que femme bénie entre les
femmes a reçu le Sauveur ? C'est, je pense pour nous faire estimer ou plutôt
pour nous faire comprendre combien est inestimable la réception que Marie reçoit
aujourd'hui de son Fils par celle qu'il lui a été donnée à elle-même de lui
faire. En effet, qui pourrait dire, même en empruntant les secours de la langue
des anges et de celle des hommes, comment expliquer de quelle manière le
Saint-Esprit est survenu en Marie; la vertu du Très-Haut l'a couverte de son
ombre, la vertu de Dieu par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, de
quelle manière enfin le Seigneur de majesté, que l'univers entier ne peut
contenir, devenu homme, s'est enfermé dans les entrailles d'une Vierge ?
4. Mais qui pourra se faire une
juste idée de la gloire au sein de laquelle la reine du monde s'est avancée
aujourd'hui, de l'empressement plein d'amour avec lequel toute la multitude des
légions célestes s'est portée à sa rencontre; au milieu de quels cantiques de
gloire elle a .été conduite à son trône, avec quel visage paisible, quel air
serein, quels joyeux embrassements, elle a été accueillie par son Fils, élevée
par lui au-dessus de toutes les créatures avec tout l'honneur dont une telle
mère est digne, et avec toute la pompe et l'éclat qui conviennent à un tel Fils
? Sans doute, les baisers que la Vierge mère recevait des lèvres de Jésus à la
mamelle, quand elle lui souriait sur son sein virginal, étaient pleins de
bonheur pour elle, mais je ne crois pas qu'ils l'aient été plus que ceux qu'elle
reçoit aujourd'hui du même Jésus assis sur le trône de son Père, au moment
heureux où il salue son arrivée, alors qu'elle monte elle-même à son trône de
gloire, en chantant l'épithalame et en disant : "Qu'il me baise d'un baiser de
sa bouche. " Qui pourra raconter la génération du Christ et l'Assomption de
Marie ? Elle se trouve dans les cieux comblée d'une gloire d'autant plus
singulière que, sur la terre, elle a obtenu une grâce plus insigne que toutes
les autres femmes. Si l'œil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le
cœur de l'homme n'a point connu dans ses aspirations ce que le Seigneur a
préparé à ceux qui l'aiment , qui pourrait dire ce qu'il a préparé à celle qui
l'a enfanté, et, ce qui ne peut être douteux pour personne, qui l'aime plus que
tous les hommes ? Heureuse est Marie, mille fois heureuse est-elle, soit quand
elle reçoit le Sauveur, soit quand elle est elle-même reçue par lui; dans l'un
et dans l'antre cas, la dignité de la Vierge Marie est admirable, et la faveur
dont la majesté divine l'honore, digne de nos louanges. " Jésus entra dans une
bourgade , nous dit l'Évangéliste, et une femme l'y reçut dans sa maison (Luc. X
, 38). " Mais laissons plutôt la place aux cantiques de louanges, car ce jour
doit être consacré tout entier à des chants de fête. Toutefois, comme le passage
que je viens de vous citer, nous offre une ample matière à discourir, demain,
lorsque nous nous réunirons de nouveau, je vous ferai part, sans céder à
l'envie, de ce que le ciel m'aura inspiré pour vous le dire, afin que le jour
consacré à la mémoire d'une si grande Vierge, non seulement nous soyons excités
à des sentiments de dévotion ; mais encore a faire des progrès dans la pratique
de notre profession, pour l'honneur et la gloire de son Fils, Notre-Seigneur,
qui est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles. Ainsi soit-il.
DEUXIÈME SERMON
POUR L'ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE
Il faut nettoyer, orner et meubler la maison.
1. Jésus entra dans une bourgade et une femme
nommée Marthe le reçut dans sa maison (Luc. X, 88). " Il me semble que je ne
puis mieux faire, en entendant ces mots, que de m'écrier avec le Prophète : " O
Israël, que la maison de Dieu est grande, et que ses possessions sont étendues
(Baruch. III, 24) ! " Le sont-elles assez, en effet, pour qu'au prix d'elles
l'immensité de cette terre ne soit qu'une petite bourgade ? Sa patrie et le pays
qu'il habite sont-ils assez grands pour que l'Évangéliste, en parlant de
l'arrivée du Sauveur de ce monde, dise : il est entré dans une petite bourgade?
A moins que par ce mot bourgade, il faille entendre autre chose que les foyers
du fort armé du prince, de ce monde, dont un plus fort armé vient enlever tous
les meubles. Hâtons-nous, mes frères, d'entrer dans ce vaste séjour du bonheur,
là où la place de l'un ne prend point sur celle de l'autre, et où nous pourrons
comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur
et la profondeur. Ne désespérons point d'y arriver, quand nous voyons celui qui
habité dans les cieux, et qui en est le créateur, ne pas dédaigner d'entrer dans
l'étroit séjour de notre petite bourgade.
2. Mais, que dis-je, entrer dans notre petite
bourgade ? Il est même descendu dans l'étroite hôtellerie que lui offre le sein
d'une vierge; n'est-il pas dit, en effet, que " une femme le reçut dans sa
maison. " Oh ! heureuse la femme qui reçoit non pas les espions venus à Jéricho,
mais bien le vaillant, spoliateur, de ce sot ennemi qui est un vrai Jéricho,
puisqu'il change comme la lune. Ce ne sont pas les envoyés de Jésus, fils de
Marie, qu'elle héberge chez elle, mais c'est le vrai Jésus, fils de Dieu. Oui,
heureuse celle dont la maison où elle reçut le Seigneur, s'est trouvée nettoyée,
mais point vide de tout. En effet, qui pourrait dire vide, la demeure que l'Ange
appelle pleine de grâces ? Que dis-je ? pleine de grâces ? qu'il salue comme
allant voir le Saint-Esprit même survenir en elle ? Or, pourquoi surviendra-t-il
en elle, sinon pour l’emplir et la suremplir ? Pourquoi encore ? sinon, pour que
déjà remplie par le Saint-Esprit qui était venu en elle, elle en fût suremplie,
elle en débordât sur nous. Plaise à Dieu que ces parfums, c'est-à-dire, les dons
de sa grâce, découlent d'elle en nous, et que nous recevions tous de cette
plénitude! Elle est notre médiatrice, c’est par elle que nous avons reçu ,votre
miséricorde, ô mon Dieu ; enfin, c'est par elle que nous recevons le Seigneur
Jésus dans nos maisons. Car, nous avons tous notre castel et notre maison, et la
Sagesse frappe à la porte de chacun de nous; pour entrer chez celui qui lui
ouvrira et soupera avec lui. Un proverbe que tout le monde a à la bouche, et qui
se trouve encore plus dans le coeur, dit : Celui qui garde son. corps, garde un
bon castel ; mais ce n'est pas le proverbe du Sage, le sien serait plutôt
celui-ci : " Appliquez-vous à la garde de votre coeur, parce qu'il est la source
de la vie (Prov. IV, 23). "
3. Toutefois. disons aussi avec la foule : Celui
qui garde son corps. garde un bon castel; seulement voyons quelle garde il faut
mettre à ce castel. Peut-on dire que l'âme a bien gardé le castel de son corps,
lors qu'elle a laissé ses membres conspirer, si je puis parler ainsi, et en
livrer la; possession à son ennemi? Il y en a qui ont fait une alliance avec la
mort, et un pacte avec l'enfer (Is. XXVIII, 12) " Mon ami, est-il dit, après
s'être engraissé, oui, une fois engraissé, plein d'embonpoint et florissant de
santé, s'est révolté (Deut. XXXII, 15). " Voilà e genre de garde que louent les
pécheurs dans les désirs de leur chair. Que vous ensemble, mes, frères,
devons-nous sur ce chapitre, être de l'avis de la multitude? Non, non,
adressons-nous plutôt à Paul, le brave général de notre milice spirituelle.
Dites-nous donc, ô Apôtre, comment vous avez gardé votre castel? " Moi, dit-il
si je cours, ce, n'et point au hasard. si je combats, ce n'est point contre
l'air que je dirige mes coups ; mais je traite rudement mon corps st le réduis
en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois, moi-même
réprouvé (I Cor. 26). " Ailleurs, il dit : " Que le péché ne règne point dans
votre corps mortel; et ne vous fasse point obéir à ses désirs déréglés (Rom. VI,
12) ." Voilà la bonne garde à faire, et heureuse l'âme qui garde si bien son
corps que jamais l'ennemi ne le tienne en son pouvoir. Il fut un temps où cet
impie tenait mon castel sous son tyrannique empire, et commandait en maître, à
tous mes membres . On peut se rendre compte du mal qu'il fait alors par la
désolation et le dénuement qui, y règnent maintenant. Hélas! il n'y a laissé
debout ni le mur de la continence, ni le contrefort de la patience. Il en a
ravagé les vignes, saccagé les moissons, arraché les arbres; il n'est pas
jusqu'à mes yeux qui n'aient porte la désolation dans mon âme. Si même le
Seigneur n'était à mon secours, il s'en faudrait de peu que je ne fusse en
enfer, je parle, de cet enfer inférieur, où il n'y a plus de place pour la
confession et d'où il n'est donné à personne de sortir
4. D'ailleurs, dès lors même, ni la prison, ni
l'enfer ne lui manquaient à mon âme pécheresse; car à peine :victime de cette
conjuration de cette trahison détestable, elle se trouva, chez elle-même dans
une véritable prison. et livrée aux gens de sa maison pour être torturée. Elle
eut pour prison sa propre conscience, peur bourreaux sa raison et sa mémoire, et
ils s'acquittèrent de leur emploi pitié, avec rigueur, avec cruauté même ; mais
pourtant avec moins de cruauté que les lions rugissants prêts à la dévorer,
auxquels elle allait être livrée (Eccli. LI, 4 ). Aussi, béni soit le Seigneur
qui ne m'a point laissé en proie à leurs dents (Ps. CXXIII, 4). Oui béni le
Seigneur qu i m'a visité et racheté (Luc, I, 68). En effet, au moment où le
malin avait hâte de jeter mon âme dans l'enfer inférieur, et de livrer mon
castel aux flammes éternelles pour l'y consumer, afin que mes membres reçussent
la récompense de leur parjure, un plus fort que lui survint. Jésus entra dans
mon castel, garrotta le fort armé et s'empara de ses meubles, pour faire des
vases d'honneur, de ceux qu'il consacrait à l'ignominie, il brisa ses portes
d'airain, rompit ses gonds de fer, arracha son prisonnier du fond de son cachot,
et le tira des ombres de la mort. Or, c'est dans la confession que se fit cette
sortie de prison; voilà, en effet, l'instrument qui servit en même temps à
nettoyer et à parer son cachot; bientôt les joncs verdoyants des institutions
régulières, rendirent à sa prison l'aspect d'une demeure habitable. Dès lors,
cette femme a sa maison, elle a un endroit pour recevoir celui à qui elle est
redevable de si grands bienfaits. D'ailleurs, malheur à elle, si elle ne le
retient pas chez elle, si elle ne le force point à demeurer avec elle, quand le
soir approche. Car celui qui en a été chassé reviendra, il la retrouvera sans
doute nettoyée et parée, mais vide.
5. Et, en effet, il ne restera qu'une maison vide
à l'âme qui aura négligé d'en faire une habitation digne du Seigneur. Mais vous
me demanderez peut-être comment il peut se faire qu'une maison purifiée par la
confession de ses anciens péchés, ornée par l'observation des pratiques
régulières, peut encore être considérée comme indigne de devenir le séjour de la
grâce et de recevoir le Sauveur. Il en est pourtant ainsi, n'en doutez point,
tant qu'elle n'est nettoyée qu'au dehors et n'est pas couverte, comme je le
disais, de joncs verdoyants, mais toute pleine de boue à l'intérieur. Qui pense
qu'on peut recevoir le Seigneur dans des sépulcres blanchis, qui semblent beaux
quand on ne les voit que par dehors, mais qui sont tout pleins au dedans de
corruption et de pourriture ? Supposons, en effet, que, attiré par de beaux
dehors, il y mette le pied et condescende à faire faire à sa grâce une première
visite dans cette âme, ne reculera-t-il point à l'instant indigné, ne se
retirera-t-il point en criant : j'ai mis le pied dans une boue profonde où il
n'y a point un seul endroit solide (Ps. LXVIII, 5) ? Car les apparences de la
vertu sans la réalité ne sont que des accidents sans la substance. Or les
légères apparences d'une vie qui est toute extérieure, ne sauraient offrir un
terrain solide au pied de celui qui entre partout et va fixer sa demeure au plus
profond du coeur. Si l'esprit de discipline ne peut habiter dans un corps
manifestement soumis au péché, non seulement il se détourne de celui qui y est
soumis en feignant de ne point l'être, mais encore il le fuit, il s'en éloigne.
Or, est-ce autre chose qu'une feinte abominable que de ne raser le péché qu'à
l'extérieur, en en laissant subsister les racines au dedans? Soyez certain qu'il
y pullulera de plus belle, et que le malin qui avait été chassé de cette maison,
dont il avait fait sa demeure, y reviendra avec sept esprits pires que lui, en
la retrouvant nettoyée, mais vide. C'est le chien qui retourne à son
vomissement, elle est plus repoussante qu'elle ne l'était auparavant, car celui
qui, après avoir obtenu le pardon de ses fautes, retombe dans les mêmes horreurs
que précédemment, comme le sanglier retourne à sa bauge fangeuse, devient vingt
fois fils de l’enfer.
6. Voulez-vous voir une maison nettoyée, ornée,
mais vide? Jetez les yeux sur cet homme qui a confessé ses fautes, renoncé à ses
péchés extérieurs qui le faisaient juger, et qui maintenant ne travaille que du
corps aux oeuvres prescrites, parce que le coeur sec n'agit plus que par une
sorte d'habitude, absolument comme la génisse d'Éphraïm, qui aime à fouler le
grain. Il n'omet pas un seul iota de la loi, il n'en passe pas un point, il ne
néglige pas la moindre des pratiques extérieures, mais s'il ne peut se résoudre
à boire un moucheron, il avale un chameau. Au fond du coeur, il est esclave de
sa propre volonté, rongé par l'avarice, avide de gloire, plein d'ambition, il
cultive tous ces vices ensemble, ou, au moins, il en nourrit quelques uns : en
cela l’iniquité se ment à elle-même, mais Dieu ne saurait en être la dupe. En
effet, il arrive quelquefois des hommes qui se déguisent si bien, qu'ils se
séduisent eux-mêmes, et ne remarquent point qu'ils ont un ver au coeur qui les
ronge. Les dehors sont sauvés, et ils croient que par là tout est sauvé pour
eux. Comme dit le Prophète : " Des étrangers ont dévoré toute leur force, et ils
ne s'en sont pas même aperçus (Osée, VII, 9). " Ils disent : Je suis riche, je
n'ai besoin de rien, tandis qu'ils sont pauvres, dans le malheur et la misère (Apoc.
III, l7). En effet, à la première occasion, on voit la plaie, cachée sous
l'ulcère, s'enflammer, et l'arbre coupé jusqu'à la racine, mais non point
arraché, repousser toute une forêt de rejetons. Pour échapper à ce péril, il
faut mettre la cognée à la racine de l’arbre, non à ses rameaux. Qu'on ne trouve
donc point en nous rien que des pratiques corporelles, elles ne valent que bien
peu, mais qu'on y trouve la piété qui est utile à tout, et les pratiques
spirituelles.
7. L'Évangéliste continue : "Une femme nommée
Marthe le reçut dans sa demeure; elle avait une soeur du nom de Marie." Elles
sont soeurs, elles doivent donc habiter ensemble, l'une s'occupera des détail du
ménage, l'autre sera toute entière aux paroles du Seigneur. Marthe se chargea de
parer la maison, et Marie de l'emplir; en effet, elle vaque au Seigneur, pour
que le Seigneur ne laisse point sa demeure vacante. Mais qui se chargera du
nettoyage? Car il faut que la maison où le Sauveur est reçu, s'il s'en trouve
une quelque part, soit nettoyée, ornée et qu'elle ne soit point vide. Confions
donc, si vous le voulez, le soin de la nettoyer à Lazare, car son titre de frère
lui permet d'y demeurer avec ses soeurs. Or je parle de ce même Lazare qui est
en terre depuis quatre jours, qui déjà sent mauvais, mais que la voix puissante
de Jésus-Christ ressuscite d'entre les morts. Que le Sauveur entre donc dans
cette maison, qu'il en fasse souvent sa demeure, car Lazare la nettoie, Marthe
l'orne, et Marie la remplit en s'adonnant à la méditation de l'esprit.
8. Mais on me demandera, peut-être avec curiosité,
pourquoi dans notre Évangile il n'est pas parlé de Lazare; je pense que ce n'est
pas sans une raison qui a du rapport avec ce que j'ai, dit, plus haut. Le
Saint-Esprit, voulant faire comprendre qu'il s'agissait d'une habitation
virginale, ne fit aucune mention de la pénitence qui nécessairement ne vient
qu'après le mal. Il s'en faut bien, en effet, qu'on puisse dire que cette maison
ait été souillée en quoi que ce soit, et ait eu besoin que Lazare y passât le
balai. Supposez qu'elle eût contracté de ses parents la faute originelle, tout
au moins la piété chrétienne ne nous permet pas de croire qu'elle fût moins
sanctifiée que Jérémie dans le sein maternel, et moins remplie du Saint-Esprit
que saint Jean, dès le ventre de sa mère : en effet, s'il en était autrement, si
elle n'avait été sainte en naissant, on ne ferait point une fête du jour où elle
vint au monde (a). Enfin, quand on sait, à n'en point douter, que Marie a été
purifiée par la grâce toute seule, de la faute originelle que, maintenant la
grâce ne lave que dans les eaux du baptême, et que la pierre de la circoncision
enlevait seule autrefois, s'il faut croire, comme il y a piété à le faire, que
Marie ne commit jamais un seul péché actuel, il s'en suit nécessairement qu'elle
ne connut jamais non plus le repentir. Que Lazare se trouve là où il y a des
consciences qui ont besoin de se laver de leurs oeuvres de mort; qu'il se trouve
parmi les blessés qui dorment dans leur sépulcre, il ne peut y avoir que Marthe
et Marie dans la demeure de la Vierge (Luc. I, 56), de celle qui alla rendre ses
devoirs à sa parente Élisabeth, déjà vieille et grosse de trois mois environ, de
celle qui méditait en son cœur tout ce qu'elle entendait dire de son fils (Luc.
I, 19).
9. Il ne faut pas voir une difficulté dans ce
qu'il est dit que la femme qui reçut le Seigneur s’appelle Marthe, au lieu de
Marie, puisque dans notre grande Marie on retrouve en même temps l’occupation de
Marthe, et le calme repos de Marie. Toute la beauté de la fille du roi est à
l’intérieur, ce qui n'empêche point qu'elle ne soit, au dehors, parée de
vêtements de toutes sortes, (Ps. XLIV, 10). Elle n'est point du nombre des
vierges folles, c'est une vierge prudente, qui a sa lampe et de l’huile dans son
vase (Mt. XXV, 12). Auriez-vous oublié la parabole de l’Évangile, qui nous
représente les vierges folles exclues de la salle des noces? Leur demeure était
pure; puisqu’elles étaient vierges, elle était ornée, puisque toutes, sages et
folles avaient préparées leurs lampes, mais elles étaient vides, puisqu'elles
avaient point d'huile dans leur vase. Or, c’est à cause de cela que l’Époux n'a
voulu ni être reçu par elles dans leurs maisons, ni les recevoir elles-mêmes
dans la salle de ses noces. Il n’en fut pas ainsi de la femme forte qui a écrasé
la tête du serpent, car, entre autres éloges qui sont faits d'elle, il est dit :
" Sa lampe ne s’éteindra point pendant la nuit (Prov., XXXI, 18). " C’est une
allusion aux vierges folles qui, au milieu de la nuit, ou au moment où l'Époux
arrivait, se plaignent, mais bien tard et disent : " Nos lampes se sont éteintes
(Mt, XXV, 8). " La glorieuse Vierge Marie s’est
donc avancée avec sa lampe allumée, et fut,
pour les anges eux-mêmes, un tel sujet d'étonnement, qu'ils s'écriaient : "
Qu’elle est celle qui s’avance comme l’aurore à son lever, belle comme la lune,
et éclatante comme le soleil (Cant. VI, ,9) ? " En effet, ils voyaient briller
plus que les autres celle que Jésus-Christ, son fils et Notre Seigneur, avait
remplie de l'huile de sa grâce, bien plus que toutes ses compagnes.
TROISIÈME SERMON
POUR L’ASSOMPTION DE LA VIERGE MARIE
Marie, Marthe et Lazare.
1. " Jésus entra dans une bourgade, et une femme ,
appelée Marthe, le reçut dans sa maison (Luc. X, 38)., "D'où, vient, mes frères,
que des deux soeurs, l'Évangéliste ne dit que d'une qu'elle reçut le Seigneur,
surtout lorsque celle, qu'il nomme est la moindre des deux, car c'est Jésus
lui-même qui nous atteste que Marie a pris une meilleure part que Marthe? C'est
Rachel que Jacob. préfère, mais on lui donne à la place Lia, sans qu'il s'en
aperçoive, (Gen. XXIX, 23), et, s'il se plaint, on lui répond que ce n'est pas
l'habitude de marier les filles plus jeunes avant leurs aînées. Mais si vous
réfléchissez que c'est dans une maison de terre que le Seigneur est reçu, vous
comprendrez que ce soit Marthe plutôt que Marie qui l'y reçoive. Quand l'Apôtre
dit : " Glorifiez et portez Dieu dans votre corps (I. Cor. VI, 20), " c'est à
Marthe, non à Marie qu'il s'adresse, attendu que la première sait mieux se
servir de l’instrument de son corps que l'autre, pour qui il est plutôt un
obstacle. Après tout, il est dit que " le corps qui se corrompt, appesantit
l'âme, et cette demeure terrestre abat l'esprit par une multitude de soins qui
réclament sa pensée (Sap. IX, 15), " il n'est point parlé de ceux qui absorbent
son activité. Sur la terre, ce sera donc Marthe qui recevra le Sauveur dans sa
maison : quant à Marie, elle songera bien plutôt à la manière dont elle sera
reçue par lui, dans cette maison n'est pas laite de main d'homme, mais qui est
éternelle dans les dieux. Peut-être, après tout, peut-on dire qu'elle a aussi
reçu le Seigneur, mais qu'elle l'a reçu en esprit, car il est esprit.
2. "Elle," c'est-à-dire Marthe, "avait une soeur
du nom de Marie qui, se tenant assise aux pieds de Jésus, écoutait sa parole
(Luc. X, 39. " Comme vous le voyez, les deux Marie ont reçu le Verbe, l'une dans
sa chair, et l'autre dans ses discours. Quant à Marthe, elle était fort,occupée
à préparer tout ce qu'il fallait, et, se présentant devant Jésus, elle lui dit :
" Seigneur, ne remarquez-vous point que ma Soeur me laisse servir toute seule ?
" Vous représentez-vous des murmures dans la maison où Jésus-Christ est reçu ?
Oh, heureuse la maison, heureuse à jamais la communauté où Marthe se plaint de
Marie, car pour ce qui est de Marie, elle ne saurait en aucun cas porter envie à
Marthe, elle ne le peut point. D’ailleurs avez-vous jamais lu quelque part que
Marie fût plainte de ce que sa Soeur la laissait vaquer seule à la méditation ?
Non certes, il s'en faut bien effet que ceux qui vaquent au service de Dieu,
aspirent après les fonctions pleines de trouble de ceux de leurs frères qui ont
un emploi. Toujours Marthe semblera ne pouvoir se suffire à elle-même, et, peu
propre d'ailleurs à ce genre de vie, elle désire bien plutôt être chargée
d'autres emplois. " Mais Jésus lui répondit : Marthe, Marthe, vous vous
inquiétez, et vous vous embarrassez de nous préparer plusieurs choses (Luc. X,
41). " Remarquez les prérogatives de Marie, (a) et quel avocat elle trouve en
toute circonstance. Si le Pharisien s'indigne, si sa Soeur se plaint, si même
les disciples du Sauveur murmurent, Marie garde le silence, mais le Christ parle
pour elle. " Marie a, dit-il, choisi la meilleure part qui ne lui sera point
ôtée (Ibidem. 42), " jamais. Elle a choisi cet unique nécessaire, cette seule
chose, que le Prophète demandait à Dieu, avec tant d'instances, quand il disait
: " Je n'ai demandé qu'une seule chose au Seigneur, je ne rechercherai qu'elle (Ps.
XXVI, 7). "
3. Mais que veulent dire ces paroles, mes frères,
Marie a choisi la meilleure part 2 Et que devient après cela ce que nous avons
coutume de lui dire, quand il lui arrive de trouver que sa part est meilleure
que celle si troublée, de la besogneuse Marthe ? que devient le proverbe "
l'homme qui fait du mal, vaut mieux encore que la femme qui fait du bien (Eccli.
XLII, 14)? " Ce mot encore, " si quelqu'un me sert, mon Père l'honorera (Joan.
XII, 26) ? " Et cet autre : " Celui qui est le plus grand parmi vous, sera votre
serviteur (Matt. XX, 26) ? " D'ailleurs où sera la consolation de celle qui
travaille, si on exalte la part de sa soeur au détriment de la sienne? De deux
choses l'une, ou bien, il nous faut choisir tous, si cela dépend de nous, la
part qui est louée en Marie, ou bien il faut reconnaître qu'elle a réuni les
deux parts, en ne se précipitant point d'elle-même sur l'une des deux, et en se
tenant prête à obéir au commandement du Maître, quelque chose qu'il lui ordonne.
En effet, y a-t-il quelqu'un qui ressemble au fidèle David, qui aille et qui
vienne, soumis avec empressement aux ordres du Roi (I Reg. XXII, 14) ? N'est-ce
pas lui qui s'écriait: " Mon coeur est préparé, Seigneur, mon coeur est préparé
(Ps. LVI, 8) ? " C'est peu d'une fois, il est deux fois préparé à vaquer au
Seigneur, et préparé à servir le prochain. Voilà certainement quelle est la
meilleure part qui,
ne doit point lui être ôtée; voilà la disposition
d'esprit la meilleure, puisqu’elle ne saurait changer de quelque côté qu'on
l'appelle. Il est dit : "Quiconque sert bien obtient un bon grade (Tim. III,
13), " peut-être celui qui vaque à Dieu en obtient-il un meilleur, mais celui
qui obtient le grade le plus élevé, est celui qui excelle en l'un et l'autre
emploi. J'ajoute encore un mot s'il m'est permis de soupçonner la pensée de
Marthe. Peut-être regardait-elle sa soeur comme oisive,
quand elle voulait que le Seigneur
l'envoyât s'occuper avec elle. Mais il faudrait être charnel, et ne rien
comprendre aux choses spirituelles de Dieu que d'accuser une âme qui vaque à
Dieu de ne vaquer à rien. Que ceux donc qui penseraient ainsi, apprennent que
c'est la meilleure part, celle qui demeure éternellement. En effet, ne vous
semble-t-il point que l'âme complètement inhabile dans l'exercice de la
contemplation de Dieu, aura une sorte de maladresse, quand elle arrivera dans le
séjour où il n'y a point d'autre occupation, pas d'autre pensée, pas d'autre vie
que la contemplation
4. Mais considérons, mes frères, comment une
charité bien réglée a distribué trois emplois différents dans notre maison, en
donnant l'administration à Marthe, la contemplation à Marie, et la pénitence à
Lazare. Tout cela se trouve en toute âme parfaite; toute fois, il y en a à qui
l'un ou l'autre de ces emplois conviennent mieux qu'à d'autres, en sorte que les
uns vaquent à la sainte contemplation, les autres sont adonnés au service de
leurs frères, et d'autres enfin, semblables aux blessés qui dorment au fond de
leurs tombeaux, repassent leurs années dans l'amertume de leur âme. Voilà mes
frères, oui voilà dans quels sentiments pieux et élevés Marie doit penser à son
Dieu, dans quelles dispositions de bienveillance et de miséricorde, Marthe doit
se trouver, par rapport au prochain, et quelles pensées humbles et misérables
Lazare doit avoir de lui-même. Que chacun considère le rang où il se trouve. "
Si ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, se trouvent dans ce pays-là, il se
délivreront eux-mêmes, par leur propre justice, dit le Seigneur, mais ils ne
délivreront ni leur fils, ni leur filles (Ez. XIV, 14). " Je ne flatte
personne, et que personne de vous ne se flatte point non plus; ceux qui n'ont
reçu aucun emploi, aucune charge à remplir, doivent se tenir assis, soit aux
pieds de Jésus avec Marie, soit au fond du sépulcre avec Lazare. Et pourquoi
Marthe, qui a pour fonction de s'occuper de tous les autres, ne serait-elle
point affairée en mille choses? Mais à vous, qui n'avez point son emploi, il
suffit de l'un des deux autres qui restent, vous n'avez point à vous montrer
besogneux en quoique ce soit, mais seulement à goûter avec bonheur la présence
de Dieu, ou, si vous ne le pouvez point encore, à laisser tout autre soin, pour
vous replier sur vous-même, selon le mot du Psalmiste (Ps. XLI, 7) quand il
parle de lui-même.
5. Je vous le répète, mes frères, afin que vous ne
puissiez alléguer votre ignorance, si vous n'avez pas mission de construire
l'arche de Noé, ou de la diriger au milieu des eaux du déluge, il faut que vous
soyez un homme de désirs comme Daniel, ou un homme de douleur, un homme de
souffrances comme Job. Autrement, j'ai bien peur que le Seigneur ne vous trouve
tièdes, que vous ne lui causiez des nausées, et qu'il ne vous rejette de sa
bouche, quand il voudrait vous trouver chaud de sa considération, et brûlant du
feu de son amour, ou froids par sa connaissance, et éteignant dans l'eau de la
componction les traits embrasés du démon. Mais il faut que Marthe sache bien
aussi elle-même que ce qu'on recherche avant tout dans les dispensateurs, c'est
qu'ils se montrent fidèles (I Cor. IV, 2) ; or, il en sera ainsi s'ils
recherchent les intérêts de Jésus-Christ, non les leurs, s'ils ont une intention
pure, s'ils font la volonté de Dieu non les leur, si enfin, leur action est bien
réglée. Il s'en trouve en effet, dont l'oeil n'est pas pur; ceux-là reçoivent de
suite leur récompense. Il y en a d'autres qui se laissent conduire par leurs
propres mouvements, et tout ce qu'ils font est souillé par la tache de leur
volonté propre qui s'y trouve imprimée. Venons-en maintenant au chant nuptial et
considérons comment l'Époux, quand il appelle l’Épouse à lui, ne néglige aucune
de ces trois choses; mais n'y en ajoute non plus aucune. "Levez-vous, dit-il,
hâtez-vous; ma bien-aimée, ma colombe, ma belle et venez (Cant. II, 10). "
N'est-elle point son amie, l'âme qui ne songe qu'aux intérêts de son maître, et
pousse la fidélité jusqu'à sacrifier sa vie pour lui? Car, toutes les fois que,
pour le moindre de ceux qui sont à lui, elle laisse là tous les attraits pour
les choses spirituelles, elle sacrifie, spirituellement parlant, sa vie, pour
lui. N'est-elle pas belle cette âme qui; dans la contemplation de Dieu qu’elle
voit face à face, se transforme en la même image et avance de clarté en clarté
comme si elle était illuminée par l'esprit même du Seigneur (II Cor. III, 18) ?
Enfin, n'est-ce point une colombe que l'âme qui soupire et qui gémit dans le
creux de la pierre, dans les trous de la muraille (Cant. II, 14), comme si elle
était sous la pierre du tombeau?
6. " Une femme, dit l'Évangéliste, nommée Marthe
le reçut dans sa maison. " C'est évidemment l'image des religieux qui ont pour
office de vaquer à différents emplois dans une pensée de charité fraternelle.
Puissé-je me trouver du nombre des dispensateurs fidèles. A qui ces paroles élu
Seigneur; Marthe, Marthe, vous vous embarrassez de bien des choses, "
conviennent-elles mieux qu'aux supérieurs, s'ils se montrent dans leur poste,
animés d'une bonne et digne préoccupation? En est-il d'autres occupés de plus de
choses en même temps que ceux qui doivent embrasser dans leur sollicitude Marie,
qui vaque à la contemplation, Lazare qui vaque à la pénitence, et tous ceux avec
qui ils partagent leur propre fardeau ? Voyez Marthe affairée, voyez Marthe
occupée de mille détails, je veux dire cet apôtre qui, donnant des conseils aux
prélats qui partageaient ses sollicitudes, est chargé en même temps lui-même du
soin de toutes les églises. " Qui est faible, disait-il, sans que je
m'affaiblisse avec lui? qui est scandalisé,sans que je brûle moi-même (II Cor.
XI, 29) ? " C'est donc à Marthe qu'il appartient de recevoir le Seigneur dans sa
maison, puisque c'est sur elle seule que repose l'administration de la maison
entière. Il est le médiateur,. et c'est à lui d'obtenir en même temps, pour lui
et pour ses inférieurs, le salut et la grâce, selon ce mot de l'Écriture : "Que
les montagnes reçoivent la paix pour le peuple; et les collines la justice (Pal.
LXXI, 29). " Que ses aides reçoivent chacun en proportion de leur ministère.
Qu'ils reçoivent le Christ, qu'ils servent le Christ, qu'ils lui rendent leurs
devoirs dans ses membres, celui-là dans ses frères infirmes, cet autre dans les
pauvres, ce dernier enfin dans les voyageurs et les étrangers.
7. Pendant que Marthe est ainsi
absorbée par les mille occupations de son emploi, il faut que Marie voie comment
elle vaque au sien, et reconnaisse combien le Seigneur est doux. Oui, elle doit
voir avec quelle piété d'âme et quelle tranquillité d'esprit elle doit se tenir
assise aux pieds de Jésus, l'avoir constamment sous les yeux, recevoir les
paroles qui tombent de ses lèvres, car autant sa vue est agréable, autant ses
entretiens sont doux. Une grâce admirable est répandue sur ses lèvres, et il
surpasse en beauté tous les enfants des hommes (Ps. XLIV, 3), et les anges
eux-mêmes. Réjouissez-vous et rendez grâces à Dieu, ê Marie, d'avoir choisi la
meilleure part. Heureux, en effet, les yeux qui voient ce qu'il vous est donné
de contempler, et les oreilles qui sont dignes d'entendre ce que vous entendez.
Oui, heureuse êtes-vous, vous qui percevez le bruit imperceptible des entretiens
divins, dans le silence où il est bon à l'homme d'attendre le Seigneur. Soyez
simple, exempte non seulement de tonte ruse et de toute feinte, mais même de
nombreuses fonctions, afin de pouvoir vous livrer aux entretiens de Celui dont
la voix est douce et la figure agréable à voir. Prenez garde pourtant d'abonder
en votre sens, et de vouloir être plus sage qu'il ne faut, de peur qu'en
poursuivant la lumière, vous ne donniez tête baissée dans les ténèbres, aveuglée
par le démon du midi; mais ce n'est pas ici le moment de vous en parler. Qu'est,
en effet, devenu Lazare ? Où l'avez-vous déposé? C'est à ses soeurs que je le
demande, à ses sueurs, dis-je, qui ont enseveli leur frère par la prédication et
le ministère, par l'exemple et la prière. Où donc l'avez-vous mis? Il est placé
dans la terre, au fond d'une fosse, il gît sous une pierre, il n'est pas facile
de le trouver. Aussi, ne me semble-t-il pas hors de raison de réserver ce sujet
pour le sermon du quatrième jour de cette octave, afin que, en entendant avec le
Sauveur ces paroles : "Celui que vous aimez est malade (Joan. XI, 3), nous
restions pour aujourd'hui au point où nous en sommes.
QUATRIÈME SERMON
POUR L'ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE
Les quatre jours de l'ensevelissement de Lazare, et louange de la Vierge.
1. C'est le moment de s'adresser à toute chair
quand la Mère du Verbe incarné est enlevée dans les cieux, et la mortelle
humanité ne doit point cesser de faire entendre ses louanges le jour oit la
seule nature humaine se trouve élevée dans la Vierge au dessus des esprits
immortels. Mais si la dévotion ne nous permet pas de garder le silence
aujourd'hui sur elle, notre intelligence paresseuse ne peut concevoir, et notre
langue inhabile ne peut exprimer rien qui soit digne d'elle. Voilà pourquoi les
princes eux-mêmes de la cour céleste, à la vue d'une chose si nouvelle,
s'écriaient tout pleins d'admiration : " Quelle est celle qui monte ainsi du
désert, pleine de délices (Cant. VIII, 5) ? " C'est comme s'il disaient en
termes plus clairs : "Comme elle est grande, et d'où lui vient, puisqu'elle
s’élève du désert, une telle affluence de délices ? On n'en trouve pas de
semblables, même parmi nous, dont le cours impétueux du fleuve réjouit la vue
dans la cité de Dieu, et qui, sous ses yeux, buvons à longs traits,dans un
torrent de délices. Quelle est cette femme qui vient de dessous le soleil, de là
où il n'y a que labeur, douleur, affliction d’esprit, et qui monte, comblée de
délices spirituelles ? Pourquoi ne dirais-je point que ces délices, ce sont la
gloire de la virginité, avec le don de la fécondité, la marque insigne de
l’humilité, le doux rayon de miel de la charité, les entrailles de la
miséricorde, la plénitude de 1a grâce, et le privilégie d'une gloire unique?
Aussi, en s'élevant de ce désert, la Reine du monde, comme l'Église le dit dans
ses chants, " est devenue belle et douce à voir dans ses délices, "même aux yeux
des autres. Qu'ils cessent pourtant d'admirer les délices de ce désert; car le
Seigneur a répandu sa bénédiction, et notre terre a porté son fruit (Ps.
LXXXIV, 13). Qu'ont-ils à admirer marie quand elle s'élève du désert de cette
terre comblée de délices ? Ils ont bien plus de quoi admirer dans le Christ
devenu pauvre, quand il était riche de la plénitude du royaume du ciel, car il
me semble bien plus étonnant de voir le fils de Dieu descendre au-dessous même
des anges que Marie s'élever au dessus d'eux. Son dénuement a fait notre
richesse, et ses misères ont fait les délices du monde. (II Cor. VIII, 9).
Enfin, quand il était riche, il s'est fait pauvre pour nous, afin de nous
enrichir par sa propre pauvreté. Il n est pas jusqu'aux ignominies de sa croix
qui ne soient devenues un sujet de gloire pour les fidèles.
2. Mais de plus, celui qui est notre vie court au
moment funèbre e pour en tirer celui qui y dormait déjà de puis quatre jours, ce
Lazare qui doit faire le sujet de mon sermon aujourd'hui, si votre charité ne
l'a point oublié, mais s'il cherche Lazare, c'est pour être lui-même cherché et
trouvé par Lazare. Car la charité consiste précisément, non pas en ce que nous
avons aimé Pieu, mais en ce qu'il nous a aimés le premier. Courage donc,
Seigneur, cherchez celui que vous aimez pour nous faire aimer et chercher de lui
à votre tour. Demandez où on l'a posé, car il gît enfermé, chargé de liens,
écrasé. Il gît dans la prison de sa conscience, il est chargé des liens de la
discipline, et il est recouvert, écrasé par le fardeau de la pénitence comme par
une lourde pierre qui serait placée au dessus de lui, d'autant plus qu'il est
privé de la charité qui est forte comme la mort, de la charité, dis-je, qui
supporte tout. Et là, Seigneur, au milieu de tout cela, déjà il sent mauvais,
car il y a quatre jours qu'il est en cet état. Il me semble que votre esprit me
devance pour découvrir ce que je veux vous faire entendre par Lazare; eh bien !
c'est celui qui, venant de mourir au péché, se perce la muraille (Ez. VIII,
8), pour voir d'innombrables abominations, les abominations exécrables de son
coeur mauvais et impénétrable; or, suivant un mitre apôtre, il est. entré dans
la pierre, et il s'est caché dans une fosse creusée dans le sol, pour se
soustraire à l'indignation et à la fureur du Seigneur (Jr. XXVI, 38).
3. Mais, que faut-il entendre par ces mots. "
Seigneur, il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est mort? "
Peut-être n'allez-vous point trouver de suite ce que signifient cette mauvaise
odeur et ces quatre jours. Il me semble que le premier jour est celui de la
crainte, le jour où le mal du péché s'irradiant dans nos cœurs, nous donne la
mort, ce jour-là, nous sommes comme ensevelis dans le sépulcre de nos propres
consciences. Le second jour, si je ne me trompe, est celui de la lutte, car il
arrive ordinairement que, dans les premiers temps de notre conversion, la
tentation des mauvaises habitudes se fait plus vivement sentir, et les traits
enflammés du diable ne peuvent être éteints qu'avec peine. Le troisième jour me
paraît être celui de la douleur, alors que le pécheur repasse ses années dans
l'amertume de son âme, et n'a pas moins de peine à se détourner des périls
futurs que de chagrin pour gémir sur les maux passés. Vous vous étonnez que ce
soit là ce que j'entends par les quatre jours, mais ce sont les jours de la
sépulture, des jours de ténèbres et d'obscurité, des jours de deuil et
d'amertume. Vient après cela le jour de la honte, qui ne diffère point des trois
autres; c'est celui où l'âme est enveloppée d'une horrible confusion, quand la
malheureuse considère le nombre et la grandeur de ses fautes, et que, des yeux
du cœur, elle envisage les sombres images de ses péchés. Dans cet état, l'âme ne
dissimule rien, mais juge tout, mais aggrave, mais exagère tout, c'est un juge
sévère qui ne s'épargne point. Après tout, ce courroux est bon, cette sévérité
cruelle est digne de pitié, elle se concilie aisément la grâce de Dieu, en
prenant en main, contre elle-même, les intérêts de sa justice. Mais en
attendant, ô Lazare, maintenant, sors de ton sépulcre, ne demeure point
davantage dans une si mauvaise odeur. Une chair qui sent mauvais n'est pas loin
de se corrompre, et celui qui est trop vivement confondu et brisé 'est bien prés
du désespoir ; aussi, ô Lazare, sors de ton tombeau. L'abîme appelle l'abîme, un
abîme de lumière et de miséricorde appelle un abîme de ténèbres et de misère. Sa
bonté l'emporte sur ta propre iniquité, et là où le péché abonde, il fait
surabonder la grâce. " Lazare, dit-il, venez dehors. " C'est comme s'il avait
dit en propres termes : " Jusques à quand les ténèbres de votre conscience vous
retiendront-elles ? Jusques à quand, sur votre couche, votre coeur se
sentira-t-il percé de compassion? Venez dehors, avancez, respirez à la lumière
de mes miséricordes. Voilà, en effet ce que vous avez lu dans un Prophète : "Je
vous retiendrai comme par le frein de ma gloire, pour que vous ne périssiez
point" (Is. XLVIII, 9). "Un autre Prophète avait dit plus clairement encore : "Mon âme a été toute troublée en moi-même, c'est pourquoi je me souviendrai de
vous (Ps. XLI, 7)."
4. Mais que veulent dire ensuite ces paroles : "
Enlevez la pierre, " et peu après : " déliez-le ? " Est-ce que, après la visite
de la grâce qui console l'âme, le pécheur cessera de faire pénitence parce que
le royaume de Dieu s'est approché, ou repoussera-t-il la discipline, si par
hasard le Seigneur entre en courroux, et s'éloignera-t-il de la voie de la
justice ? Non, non. Qu'on ôte la pierre, mais que la pénitence continue, non
plus pour le charger et l'accabler de son poids, mais pour fortifier et affermir
de plus en plus l'âme revenue à la vie, et déjà même assez robuste. Maintenant,
en effet, sa nourriture est de faire la volonté du Seigneur, ce qu'elle ne
savait point auparavant. Voilà aussi comment la discipline n'étouffe point sa
liberté, selon ce mot. du Prophète : " La loi n'est point pour les justes (I Tim.
1, 9) ; " mais elle dirige sa volonté, et la maintient dans les sentiers de la
paix. Sur la résurrection de Lazare, nous avons un mot plus clair encore du
Prophète, le voici : " Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer (Psal. XV,
10), " attendu que, comme je me souviens de vous l'avoir dit le second jour de
cette octave, une conscience coupable est comme une prison, comme un enfer pour
l'âme. " Et vous ne permettrez pas que votre saint, non pas le sien, mais le
vôtre, celui que vous sanctifiez vous-même, " souffre la corruption (ibidem). "
Or, le mort de quatre jours, qui déjà sentait mauvais, était bien près de la
corruption. Oui, il s'en fallait de peu que le pécheur ne tombât tout à fait en
pourriture, et que, arrivé au fond même de l'abîme, il ne méprisât tout (Prov.
XVIII, 2) ; mais, prévenu par la voix de la vertu et vivifié par elle, il rend
grâce en s'écriant : " Vous m'avez fait connaître les voies de la vie, et vous
me comblerez de joie par la vue de votre visage (Ibidem 11). " En effet, vous
avez appelé mon âme du fond de l'enfer, et l'en avez tirée pour vous contempler,
alors que mon esprit se contemplait avec angoisse , et n'avait sous les yeux que
la face abominable de sa propre conscience. " Il s'écria donc, dit l'Évangile,
d'une voix forte: Lazare, venez dehors. " Oui, ce fut une voix bien forte, mais
ce qui en faisait la force et la grandeur, c'était bien moins l'éclat de ses
sons que ses accents de bonté et sa vertu.
5. Mais où en suis-je venu ? N'avais-je pas
commencé par suivre la Vierge au moment où elle s'élevait dans les cieux ? Et
voici que je descends avec Lazare au fond de l'abîme; le cours de ma pensée m'a
emporté de toute la splendeur de la vertu par une pente rapide à l'odeur d'un
mort de quatre jours. Pourquoi cela ? n'est-ce point parce que j'ai cédé à mon
propre poids, parce que la matière m'attirait en bas , d'autant plus
énergiquement qu'elle me touche de plus près? J'avoue mon inhabileté, je ne fais
point mystère de ma propre faiblesse. Il n'est rien qui me plaise plus, mais en
même temps, il n'est point de sujet non plus qui m'inspire plus de crainte à
traiter que la gloire de là Vierge Marie. Car, sans parler de l'ineffable
privilège de ses mérites et de sa prérogative unique, tout le monde a pour elle,
comme il est juste, les sentiments de dévotion et d'amour les plus grands,
l'honore et l'exalte à l'envi ; chacun est heureux de parler d'elle, mais quoi
qu'on dise sur ce sujet ineffable, par le fait même qu'on a pu le dire, plaît
moins, est moins agréable aux auditeurs, et reçoit un moins favorable accueil.
Et pourquoi ce que l'esprit de l'homme peut comprendre à cette gloire
incompréhensible ne semblerait-il pas trop peu de chose ? Si j'entreprends de
louer en elle la virginité, à l'instant se présentent à moi une multitude de
vierges. Si je parle de son humilité, il s'en trouve également au moins
quelques-uns qui, à l'école de son Fils, ont appris à être doux et humbles de
coeur (Matt. XI, 29). Si c'est la grandeur de sa miséricorde que j'entreprends
d'exalter , il s'offre à la pensée aussitôt quelques hommes, et même des femmes
remplis de sentiments miséricordieux. Il n'y a qu'une seule chose où elle est
sans modèle et sans imitateurs, c'est l'union des joies de la maternité avec la
gloire de la virginité. Marie, est-il dit, a choisi la meilleure part. Nul
doute, en effet, que ce ne soit la meilleure, car si la fécondité du mariage est
bonne, la chasteté des vierges est meilleure, mais ce qui surpasse l'une et
l'autre, c'est la fécondité unie à la virginité, ou la virginité unie à la
fécondité. Or, cette union est le privilège de Marie, nulle autre femme ne le
partage avec elle, il ne lui sera point ôté pour être attribué à une autre. Il
lui est propre, il est en même temps ineffable, si nul ne peut l'obtenir, nul ne
peut non plus en parler comme il faut. Mais que sera-ce de ce privilège, si on
songe au Fils qu'elle a eu? Quelle langue, fût-ce la langue même des anges,
pourra célébrer dignement les louanges de la Vierge Mère, et mère non d'un homme
quelconque, mais de Dieu même? C'est une double nouveauté, une double
prérogative; c'est un double miracle, mais non moins digne que parfaitement
convenable, car de même qu'il ne convenait point qu'une Vierge eût un autre
Fils, de même un Dieu ne pouvait naître d'une autre mère.
6. Mais pour peu qu'on y fasse attention, on
trouvera qu'il y a plus encore, et on verra que les vertus que Marie semblait
d'abord partager avec les autres femmes lui conviennent à elle plus
particulièrement qu'aux autres. En effet, quelle autre vierge pour sa pureté
osera se comparer à celle qui a été digne de devenir le sanctuaire du
Saint-Esprit, et la demeure du Fils de Dieu ? Si on estime les choses à leur
rareté; la première femme qui résolut de mener la vie des anges sur la terre
n'est-elle point au dessus de toutes les autres ? " Comment cela se fera-t-il,
dit-elle ? car je ne connais point d'homme (Luc. I, 34). " Quel inébranlable
dessein de garder la virginité, que celui que n'a point ébranlé la voix d'un
ange lui promettant un Fils! " "Comment cela se fera-t-il, dit-elle? " Ce ne
peut être de la manière que les choses se passent ordinairement pour les autres
femmes, car, pour moi, je ne connais point d'homme, je ne désire point de fils
et n'espère point d'enfant.
7. Mais aussi, quelle grande et précieuse
humilité, avec une pareille pureté, avec une telle innocence, avec une
conscience si bien exempte de tout péché, disons plus encore, avec une telle
plénitude de grâce ! O femme bienheureuse, d'où vous vient cette humilité, et
une telle humilité? Elle était bien faite pour attirer les, regards du Seigneur,
sa beauté était bien propre à exciter lés désirs du Roi des rois, et la suave,
odeur qu'elle exhalait était bien capable d'arracher le fils de Dieu du sein
éternel de son père. Aussi, quel rapport manifeste entre le cantique de notre
Vierge et le chant nuptial de celle dont le sein devint le lit de son époux !
Entendez Marie s'écrier dans l'Évangile : " il a regardé l’humilité de sa
servante (Ibid. 48), " et puis, écoutez-la encore dans son épithalame : "
Pendant que le roi se reposait dans mon sein, le nard, dont j'étais parfumée, a
répandu son, odeur (Cant. I, 11)". Or, le nard est une toute petite plante qui a
la propriété de purger l'estomac, ce qui montre bien qu'elle est ici l'emblème
de l'humilité, dont l'odeur et la beauté ont trouvé grâce devant Dieu.
8. Qu'il ne soit point parlé de votre miséricorde,
ô Vierge bienheureuse , s'il se trouve un seul homme qui se rappelle vous avoir,
invoquée en vain dans ses besoins. Pour ce qui est de toutes vos autres, vertus,
ô vous dont nous sommes les humbles serviteurs, nous vous en félicitons pour
vous-même, mais pour, ce qui est de celle-ci , c'est nous que nous en
félicitons. Nous avons des louanges à donner à votre, virginité, et nous tâchons
d'imiter votre humilité; mais ce qui charmait tout particulièrement des
malheureux comme nous, c'est la miséricorde; ce que nous embrassons plus
étroitement, ce que nous invoquons le plus souvent, est la miséricorde. C'est
elle, en effet, qui a obtenu la réparation de l'univers entier, et le salut de
tous les hommes, car on ne peut douter qu'elle n'ait songé avec sollicitude, à
tout le genre humain à la fois, la femme à qui il fut dit : " Ne craignez ô
Marie; vous avez trouvé la grâce (Luc. I, 39), " que vous cherchiez sans doute.
Qui donc, ô femme bénie, pourra mesurer la longueur, et la largeur, la sublimité
et la profondeur, de votre miséricorde? Sa longueur, elle secourt jusqu'à son
dernier jour celui qui l'invoque. Sa largeur, elle remplit si bien la terre
entière, qu'on peut dire de vous aussi que la terre est pleine de votre
miséricorde. Quant a sa sublimité et à sa profondeur, elle s'élevé, d'un côté, à
la restauration de la cité céleste, et de l'autre, elle apporte la rédemption à
tous ceux qui sont assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort. En effet,
c'est pour vous, ô Vierge que le ciel s'est rempli, et que l'enfer s'est vidé,
que les brèches de la céleste Jérusalem se sont relevées, et que la vie a été
rendue aux malheureux hommes qui l'avaient perdue et qui l'attendaient. Voilà
comment votre toute puissante et toute bonne charité abonde, en sentiments de
compassion, et en désirs de venir à notre secours, aussi riche en compassion
qu'en assistance.
9. Aussi, que notre âme, dévorée
des ardeurs de la soif, vole à cette fontaine, que notre misère recoure avec
sollicitude à ce comble de miséricorde. Tels sont les voeux dont nous vous
accompagnons autant que nous le pouvons, à votre retour vers votre fils, et dont
nous grossissons de loin votre cortège, ô Vierge bénie. Que désormais votre
bonté ait à cœur de faire connaître au monde la grâce que vous avez trouvée
devant Dieu, en obtenant, par vos prières, le pardon pour les pécheurs, la
guérison pour les malades, la force pour les coeurs faibles, la consolation pour
les affligés, du secours pour ceux qui sont en péril, et la délivrance pour les
saints. Que, dans ce jour de fête et de joie, ô Marie, reine de clémence, vos
petits serviteurs qui invoqueront votre très doux nom, obtiennent les dons de la
grâce de Jésus-Christ votre fils, Notre-Seigneur qui est le Dieu béni par dessus
tout, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
SERMON POUR LE
DIMANCHE
DANS L’OCTAVE DE L’ASSOMPTION DE MARIE.
Les douze prérogatives de la bienheureuse vierge
Marie, d’après ces paroles de l’Apocalypse : " Il apparut un grand prodige dans
le ciel ; c’était une femme revêtue du soleil, elle avait la lune sous ses
pieds, et une couronne de douze étoiles sur la tête (Apoc. XII, 1). "
1. Mes bien chers frères, il est un
homme et une femme qui nous ont fait bien du mal ; mais grâce à Dieu, il y eut
aussi un homme et une femme pour tout réparer et même avec de grands avantages ;
il n’en est point de la grâce comme du péché, et la grandeur du bienfait que
nous avons reçu dépasse de beaucoup la perte que nous avions faite. En effet,
dans sa prudence et clémence extrêmes, l’ouvrier qui nous a faits n’a point
achevé de rompre le vase déjà fêlé, mais il le répara complètement, et si bien,
que de l’ancien Adam, il nous en fit un nouveau, et transvasa Eve dans Marie. Il
est certain que le Christ seul pouvait suffire, car tout ce qui nous rend
capable du salut vient de lui (II Cor. III, 5) ; mais il n’était pas avantageux
pour nous que l’homme fût seul, il valait mieux que les deux siècles
concourussent ensemble à notre réparation, puisque l’un et l’autre avaient pris
part à notre corruption. Sans doute, nous avons un médiateur aussi fidèle que
puissant entre Dieu et les hommes, dans l’homme qui s’appelle Jésus-Christ, mais
la majesté divine nous impose en lui. Il nous semble que l’humanité est absorbée
tout entière dans la divinité , non pas que la substance humaine ait été
changée, mais ses sentiments ont été déifiés. Il n’est pas seulement
miséricordieux, il est aussi notre juge, car s’il a appris la compassion parce
qu’il a lui-même souffert, et devint par là miséricordieux, il a cependant reçu
aussi en main la puissance de juger. Après tout, notre Dieu est un feu qui
dévore (Deut. IV, 24), comment le pécheur ne craindrait-il point, en approchant
de lui, de périr devant sa face, comme la cire se fond et coule au feu (Ps.
LXVII, 2) ?
2. Et maintenant donc, la femme qui
a été bénie entre toutes les femmes, ne semblera point sans emploi, elle aura sa
place dans l’œuvre de notre réconciliation. Il nous faut un médiateur, pour
arriver à un médiateur, et je n'en vois pas de plus utile que Marie. Nous avons
eu une cruelle médiatrice dans Ève, par qui l'antique serpent a fait pénétrer
jusqu'à l'homme même son virus empesté, mais Marie est fidèle, et est venue
verser l'antidote du salut à l'homme et à la femme en même temps. L'une a prêté
son concours à une oeuvre de séduction, (autre a donné le sien à une oeuvre de
propitiation ; l'une suggéra à l'homme une pensée de prévarication, et l'autre
lui apporta la rédemption. Pourquoi la faiblesse humaine craindrait-elle de
s'approcher de Marie? Il n'y a rien d'austère, rien de terrible en elle, elle
est toute douceur, et ne nous offre à tous que le lait et la laine. Parcourez
attentivement toute la suite de, l'histoire évangélique, et si vous trouvez en
Marie un mot de reproche, une seule parole dure, la plus petite marque
d'indignation, je veux bien que vous la soupçonniez pour le reste, et que vous
ayez peur d'approcher d'elle. Mais au contraire , si vous la trouvez en toute
occasion, comme vous la trouverez en effet, plutôt pleine de grâce et de bonté,
remplie de miséricorde et de douceur, rendez-en grâce à celui qui, dans son
infiniment douce miséricorde, vous a donné une médiatrice telle que vous n'ayez
jamais rien à redouter en elle. Après tout, elle s'est faite toute à tous, et
s'est constituée, dans son immense charité, débitrice des insensés, aussi bien
que des sages. Elle ouvre à tous les hommes le sein de sa miséricorde, afin que
tous reçoivent de sa plénitude, le captif, la rédemption; le malade, la santé;
l'affligé, des consolations; le pécheur, son pardon ; le juste, la grâce ; les
anges, la joie; la Trinité entière, la gloire, et la personne du fils, la
substance humaine, en sorte qu'il n'y eût personne qui échappât à sa chaleur (Ps.
XVIII, 7).
3. N'est-ce point là la femme qui
est vêtue du Soleil? Je veux bien que la suite de la prophétie montre qu'on doit
entendre ces mots de l'état présent de l'Église, mais on peut aussi fort bien
les appliquer à Marie. En effet, elle semble s'être revêtue d'un autre Soleil,
car, de même , que le Soleil se lève indifféremment sur les bons et sur les
méchants, ainsi Marie ne fait point une question de nos mérites passés; elle se
montre pour tous exorable, et pour tous très clémente ; elle enveloppe d'un
immense sentiment de commisération les misères de tous les hommes. Tout défaut
se trouve placé au dessous d'elle, et, dans une sorte d'élévation très
excellente, elle dépasse toutes nos faiblesses, toute notre corruption, plus que
toute autre créature, de manière qu'on peut dire avec raison que la lune est
sous ses pieds. Autrement il ne semble pas que nous disions rien de bien grand,
si nous plaçons la lune sous les pieds de celle dont il ne nous est pas permis
de douter qu'elle est élevée au-dessus des chœurs des anges, plus haut que les
séraphins, et que les chérubins. Ordinairement, la lune est le symbole, non
seulement de la corruption, mais même de la sottise, et parfois aussi de
l'Église dans le temps présent; de la sottise à cause de ses phases différentes,
et de l'Église, probablement parce qu'elle n'a qu'une lumière empruntée. Eh
bien, s'il m'est permis de parler ainsi, je dirai que c'est la lune, entendue
dans ce double sens, qui se trouve sous les pieds de Marie, mais, l'une y est
d'une manière, et l'autre de l'autre. En effet, " l'insensé, est changeant comme
la lune, et le sage est stable comme le soleil (Eccli. XXVII, 12). " Or, dans le
soleil, la chaleur et l'éclat sont constants; la lune au contraire brille
seulement, encore sa lumière est-elle changeante et incertaine, elle ne demeure
jamais dans le môme état. C'est donc avec bien de la raison qu'on nous
représente Marie, revêtue du Soleil, puisqu'elle a pénétré l'abîme de la sagesse
divine à une profondeur tout à fait incroyable, au point que, autant que cela se
peut pour une simple créature, en dehors de l'union personnelle, elle semble
plongée tout entière dans cette lumière inaccessible, dans ce feu qui a purifié
les lèvres du Prophète ( Is. VI, 6), et qui embrase les séraphins mêmes. C'est
d'une manière bien différente, que sont les choses pour Marie; elle n'a point
mérité seulement d'être effleurée par cette lumière, mais d'en être recouverte
de tous côtés, d'en être enveloppée de toute part, et de s'y trouver comme au
milieu du feu. Si le vêtement de cette femme est on ne peut pas plus brillant,
il est aussi on ne peut point plus chaud, tout est inondé de ses incomparables
rayons, et on ne peut soupçonner en cette femme rien je ne dis point de
ténébreux, mais même de tant soit peu sombre et obscur, ni même rien de tiède,
rien, dis-je, qui ne soit extrêmement chaud.
4. Pour ce qui est de la folie,
elle est si loin sous ses pieds, qu'elle ne saurait jamais être confondue parmi
les femmes insensées et les vierges folles. Bien plus, cet unique insensé, le
prince de toute folie, dont on peut dire avec vérité, qu'il a changé comme la
lune, et qu'il a perdu tout son éclat, se voit maintenant foulé, écrasé par
Marie, sous les pieds de qui il endure une affreuse servitude. Car c'est elle
qui fut jadis promise de Dieu, comme devant écraser un jour, du pieds de sa
vertu, la tête de l'antique serpent, qui tentera, mais en vain, dans ses
nombreux et dangereux replis, de la mordre au talon (Gen. III, 15). C'est elle
seule, en effet, qui a écrasé toutes les têtes impies de l'hérésie. En effet,
l'un dogmatisait qu'elle n'avait pas formé le Christ de sa propre substance; un
autre disait, avec le sifflement du serpent, qu'elle ne l'avait pas mis au
monde, mais trouvé tout petit enfant; un troisième avançait qu'elle avait usé du
mariage au moins après son enfantement divin, un dernier, ne pouvant lui
entendre donner le titre de mère de Dieu, lui refusait avec une incroyable
impiété, le grand nom de Theotokos. Mais tous ces serpents se sont vus écrasés;
tous ces supplanteurs ont été supplantés; tous ces contradicteurs se sont
trouvés confondus ; et maintenant toutes les générations la proclament à l'envi
bienheureuse. Mais que dis-je? le dragon a tendu un piège, par la main d'Hérode,
à la vierge mère, pour dévorer son enfant à sa naissance, à cause des inimitiés
qui se trouvaient entre lui et la race de la femme.
5. S'il faut plutôt entendre
l'Église par la lune, parce qu'elle ne brille point par elle-même, mais par
Celui-là seul qui dit: " Sans moi vous ne pouvez rien (Joan, XV, 5) .", vous
avez la médiatrice dont je vous ai parlé plus haut, bien clairement indiquée: En
effet, il est dit : " Une femme, apparut, vêtue du soleil, elle avait la lune
sous les pieds (Apoc. XVII, 1). " Attachons-nous donc, mes frères, aux pas de
Marie et, dans la plus dévote des supplications, roulons-nous à ses pieds bénis.
Tenons-les bien et ne la laissons point partir qu'elle ne nous ait bénis, car
elle est puissantes la toison placée entre la rosée et le sable, la femme entre
le soleil et la lune, c’est Marie entre Jésus-Christ et son Église. Mais
peut-être vous étonnerez-vous moins de voir une toison humide de rosée qu'une
femme,vêtue du soleil, car; non seulement le rapport de la femme avec le soleil
dont elle est vêtue est grand, mais leur rapprochement est. bienfait pour
surprendre. En effet, comment une nature si, fragile peut-elle subsister dans
une si grande chaleur? Tu as raison de t'en étonner, ô Moïse, et de vouloir voir
cette merveille de plus près; mais il, faut auparavant que tu ôtes la chaussure
de tes pieds; et que tu laisses là toutes les enveloppes des pensées charnelles;
si tu veux t'approcher davantage. " Il faut, dit-il, que j'aille reconnaître
quelle est cette merveille que je vois (Ex. III, 3). Oui, une vraie merveille,
en vérité, que ce buisson qui brûle sans se consumer, un vrai miracle que cette
femme qui demeure intacte au milieu du soleil qui lui sert de vêtement. Ce n'est
point là le fait de l'homme, ni même de l'ange, il y a en cela quelque chose de
beaucoup plus élevé. " Le Saint-Esprit, a dit l'Ange, surviendra en vous (Luc.
I, 35). " C'est comme s'il disait, comme Dieu est esprit, et comme notre Dieu
est un feu dévorant, "la vertu; " non la, science, non pas même, la vôtre; mais
"la vertu du Très-Haut, vous couvrira de son ombre. " Après cela, il ne faut
plus s'étonner que, sous une telle ombre, une femme puisse supporter un tel
manteau.
6. " Une femme vêtue du soleil, "
dit le Prophète. Oui, toute vêtue de lumière, comme d'un manteau. Le charnel ne
comprend peut-être point cela, c'est trop spirituel pour lui; et ce me semble
une folie. Mais il n'en était pas ainsi pour l'Apôtre, quand il disait : "
Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ (Rom. XIII,14). " Comme vous êtes devenue
familière au Seigneur, ô Notre Dame ! combien vous avez mérité de vous approcher
de lui ; disons mieux, de lui devenir intime; quelle grâce vous avez trouvée; à
ses yeux! Il demeure en vous, et vous, vous demeurez en lui ; vous le revêtez;
et vous vous revêtez de lui; vous lui donnez pour vêtement la substance de votre
chair, et vous, il vous recouvre du manteau de gloire de sa majesté. Vous
revêtez ce soleil d'un nuage, et vous, vous êtes revêtue du soleil même, car le
Seigneur a opéré un nouveau miracle sur la terre, il a fait qu'une femme en
ceignit un homme (Jr. XXXI, 22), mais un homme qui ne fut pas autre que le
Christ, dont il est dit : " Voici un homme, son nom est l'orient (Za. VI, 12).
" Il en a opéré également un nouveau dans le ciel, quand il a fait qu'une femme
apparût vêtue du soleil. Ce n'est point tout encore, elle l'a couronné, et elle
a mérité d'être à son tour, couronnée elle-même de sa main. Sortez donc, filles
de Sion, et voyez le roi Salomon sous le diadème dont sa mère l'a couronné
(Cant. III, 11). Mais nous reviendrons sur ce sujet, une autre fois; en
attendant, entrez plutôt et voyez votre Reine, avec le diadème que son propre
fils lui a posé sur la tête.
7. " Sur sa tête, lisons-nous,
était posée une, couronne de douze étoiles. " Assurément, ce front, plus
éclatant, que, les étoiles mêmes qu'il orne plus qu'il n'en est orné, était bien
digne de, recevoir une semblable couronne. Après tout, pourquoi, les,astres, ne
seraient-ils point la couronne de celle, dont le soleil même est le manteau ?
Les roses en fleurs et les lis des vallées l'entouraient comme,des jours
printaniers, est-il dit quelque part. La main gauche de l'Époux est passée dans
sa tête, et déjà sa droite la tient embrassée Qui dira le prix des joyaux dont
est couvert le diadème de Marie? Décrire le dessin de cette couronne, en
indiquer la composition,: est une chose qui est au dessus de .l'homme. Pour ni '
pi, toutefois, dans la faible, mesure de mes forces, sans entrer dans la
dangereuse recherche des secrets de. Dieu, je dirai qu'il ne me semble pas
qu'on, s'éloigne de la vraisemblance, quand on voit dans les douze étoiles de la
couronne de Marie,. autant do grâces,, singulières dont elle est parée, En
effet, on peut, trouver dans la Vierge les prérogatives du ciel, celles de la
chair, et enfin celles du coeur; or, ces prérogatives étant au nombre de trois,
si on les multiplie par quatre on a le nombre même des douze étoiles dont brille
la couronne de notre Reine. Or, à mes yeux, il éclate une clarté singulière,
premièrement dans la génération de Marie, secondement dans la salutation de
l'ange troisièmement dans l’acte par, lequel le Saint-Esprit survient en elle et
quatrièmement dans l'inénarrable conception du fils de Dieu. Je vois encore, les
astres de sa couronne briller des rayons éclatants des prémices de la virginité
de la fécondité sans corruption, de la grossesse exempte de fatigue, et de
l'enfantement qui ne connut point la douleur. Je vois encore briller en Marie,
d'un éclat tout particulier, la douceur dans la pudeur, la dévotion dans
l'humilité, la magnanimité dans la foi, le martyre dans le coeur. Je laisse à
votre perspicacité le soin de considérer chacun de ces brillants, pour moi, je
me contenterai de les signaler en peu de mots, les uns après les autres, à votre
attention.
8. Quel brillant remarquons-nous
dans la génération de Marie ? C'est qu'elle est d'une famille royale, de la race
d'Abraham, de l'illustre maison de David. A cela si vous ne trouvez pas que ce
soit assez encore, ajoutez que, à cause d'une sainteté unique et privilégiée.
elle fut conçue, comme, on sait par l'effet d'une disposition particulière de la
Providence, promise du ciel longtemps d'avance aux Patriarches préfigurée par
des miracles mystiques, et prédite, par des oracles prophétiques, C'est elle, en
effet, que désignait d'avance la verge d'Aaron (Num. XVII, 8), quand elle se
couvrait de fleurs, bien qu'elle n'eût point de racines ; (Judic. VI, 37) elle
que représentait la toison de Gédéon, quand elle se mouillait de rosée, tandis
que toute la terre des environs demeurait sèche; elle que voyait Ezéchiel dans
cette porte d'Orient, quine s'ouvrait pour personne (Ezh. XLIV, 1) ; c'était
elle, enfin, que le Prophète Isaïe, entre tous, promettait, sous l'image de la
tige issue de la racine de Jessé (Is. XXI, 1), et un peu auparavant, en termes
plus clairs encore, sous le nom de la vierge qui doit enfanter (Isa. VII, 14).
Aussi, est-ce avec raison qu'il est écrit qu'une grande merveille a apparu dans
les cieux, puisqu'elle était depuis tant de temps promise par eux. " Le
Seigneur, a dit le Prophète, vous donnera lui-même un signe. Une Vierge concevra
(Ibidem). " Oui, on peut bien dire que ce signe est grand, attendu que celui qui
le donne est grand lui-même, et quels sont les yeux que l'éclat de cette
prérogative n'a point éblouis? Vient, après cela, le salut plein d'une humble
déférence qu'elle reçut de la bouche de l'Archange qui semble la contempler déjà
sur un tr8ne royal, au dessus de tous les ordres d'esprits célestes, si bien
qu'il s'en fallait de peu qu'il n'adorât une femme, lui qui jusqu'alors était
habitué à recevoir les hommages des hommes. Il nous montre bien par là le mérite
excellent de notre Vierge, et la grâce singulière dont elle est remplie.
9. Après ce joyau, j'en vois
briller encore un autre dans le mode inouï de sa conception; car ce n'est point
dans l'iniquité, comme toutes les autres femmes, mais par la vertu du
Saint-Esprit qui survint en elle, que seule et dans la sainteté Marie conçut son
fils. Qu'elle ait enfanté le vrai Dieu, le fils de Dieu, en sorte que le fils
qui naquit de Marie, fût en même temps fils de Dieu et fils de l'homme, Dieu et
homme tout ensemble, c'est là un abîme de lumière, et je n'oserais affirmer que
l'oeil même de l'ange n'ait point été ébloui à l'éclat de cette lumière.
D'ailleurs, la virginité de sa chair et son dessein de demeurer vierge reçoivent
eux-mêmes un nouveau jour de la nouveauté même de son dessein de demeurer
vierge, il est évident que c'est dans toute la liberté de son esprit que,
s'élevant au-dessus des préceptes de la loi de Moïse, elle fit voeu de consacrer
à Dieu tout à la fois la chasteté du corps et celle du coeur. Ce qui prouve , en
effet, combien son dessein était inébranlable, c'est qu'aux paroles de l'Ange
qui lui promettait un fils, en termes assurés, elle répondit : " Comment cela se
fera-t-il, car je ne connais point d'homme (Luc. I, 34) ? " Voilà peut-être d'où
lui venait d'abord le trouble qu'elle ressentit en entendant les paroles de
l'Ange, et pourquoi elle demandait ce que pouvait signifier le salut qu'il lui
fait comme à une femme bénie entre toutes les femmes, quand elle n'aspirait qu'à
être bénie à jamais parmi les vierges. Elle cherchait dans sa pensée quelle
pouvait être cette salutation ; car elle lui paraissait suspecte, et lorsque la
promesse d'un fils lui eut fait comprendre le péril qui menaçait manifestement
sa virginité, elle ne put s'empêcher de s'écrier : " comment cela se fera-t-il,
car je ne connais point d'homme ? " Aussi, mérita-t-elle de recevoir la
bénédiction qui lui était annoncée, sans perdre. la gloire de la virginité; sa
virginité reçut un accroissement de gloire de sa fécondité, de même que sa
fécondité trouva un nouvel éclat dans sa virginité; ces deux astres semblent
réfléchir mutuellement les rayons l'un de l'autre. Il est grand d'être vierge,
mais être vierge et mère en même temps, c'est ce qui dépasse toute mesure. Pour
ce qui est des fatigues extrêmes que toutes les femmes ressentent dans la
grossesse, seule entre toutes, elle ne les connut point, parce que seule elle
ignora les émotions voluptueuses de la conception. Aussi, dès les premiers jours
de sa grossesse, alors que toutes les femmes éprouvent. les plus grands
malaises, Marie, toute heureuse, traverse les montagnes pour aller offrir ses
services à Elisabeth. Bien plus, on la voit monter à Bethléem à une époque où
se6 couches étaient imminentes, elle portait un dépôt infiniment précieux ,
c'était pour elle un léger fardeau , car elle portait celui qui la portait
elle-même. Son enfantement est un astre brillant plein d'éclat, quand elle donna
au monde, avec une joie nouvelle pour lui, un fruit également nouveau, seule
exempte entre toutes les femmes de la malédiction commune qui pèse sur elles, et
des douleurs de l'enfantement. Si nous estimons le prix des choses à leur
rareté, on ne saurait trouver rien de plus rare que ce privilège, car, entre
toutes les femmes , nulle n'en a joui avant elle, et nulle n'en jouira comme
elle après elle. Si nous considérons toutes ces choses de l'œil de la foi, il
est hors de doute que nous en ressentirons de l'admiration, du respect, de la
dévotion et de la consolation.
10. Mais celles dont il nous reste
à parler sont proposées à notre imitation. Il ne nous a point été donné d'être
promis et annoncé du ciel avant notre naissance en tant de manières différentes,
ni de recevoir de la bouche de l'archange Gabriel un salut aussi nouveau que
respectueux. Quant aux deux autres nouveaux privilèges, nous les partageons
encore moins que les précédents avec elle, ils sont un secret à elle, car il n'
y. a que d'elle qu'il a été dit : " Ce qui est ne en elle est l'œuvre du
Saint-Esprit ( Matt. I, 20); " Il n'y a qu'elle qui entendit de pareilles
paroles : " Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le fils de Dieu (Luc.
I, 35). " On peut présenter des vierges au roi, mais elles ne sauraient venir
qu'après elle; seule entre toutes, elle réclame le premier rang. Bien plus,
seule elle a conçu sans souillure, elle a connu la grossesse sans fatigue, elle
a mis un fils au monde sans douleur. Aussi, n'est-ce rien de semblable qui nous
est demandé, mais pourtant il est certaines choses qu'on attend de nous. En
effet, il ne faut pas croire que l'absence de ces dons singuliers sera pour
notre négligence une excuse, si chez nous la pudeur va sans la douceur, si
l'humilité du cœur, si la magnanimité de la foi, si la compassion de l'âme nous
font défaut. C'est un joyau qu'on aime à voir briller dans un diadème, une
étoile qui scintille au front, que le rouge de la pudeur. Vous viendrait-il à la
pensée que cette grâce fit défaut à celle qui fut pleine de grâce? Marie fut
pleine de réserve, nous en avons la preuve dans l'Évangile. Où lit-on, en effet,
qu'elle fut loquace ou hardie? Un jour, qu'elle voulait parler à son fils, elle
se tenait à la porte (Matt. XII, 46), sans s'appuyer sur son titre de mère pour
l'interrompre dans son discours, ou pour entrer dans l'endroit où il parlait. Si
j'ai bonne mémoire, les quatre évangiles ne nous font entendre que quatre fois
la parole de Marie ; une première fois quand elle répond à l'Ange, encore ne se
décide-t-elle à le faire qu'après qu'il lui eût parlé deux fois lui-même le
premier; une seconde fois à Élisabeth, quand sa voix fit tressaillir Jean dans
le sein de sa mère, et lorsque les louanges de sa cousine la portèrent à
glorifier à son tour, le Seigneur (Luc. I, 34). La troisième fois à son fils,
alors âgé de douze ans, quand elle et son père le cherchaient avec inquiétude
(Luc. I, 46); la quatrième fois, à son fils encore, aux noces de Cana et aux
serviteurs (Luc. II, 48). Or, c'est surtout dans cette circonstance qu'a éclaté
sa bonté naturelle, et que s'est montrée sa retenue virginale (Jean. II, 3), En
effet, en se représentant par l'embarras qu'elle ressentait elle-même, celui que
déraient éprouver les époux, elle ne peut le supporter plus longtemps, ni
dissimuler à son fils que le vin manquait. Reprise par lui, elle se montra douce
et humble de coeur, en ne répondant point un mot, et, sans cesser d'avoir
confiance, elle recommande aux serviteurs de faire ce que Jésus leur dirait.
11. Ne voyons-nous point que, dès
le principe, Marie est la première personne que rencontrent les bergers?
L'Évangéliste nous dit en effet : " ils trouvèrent Marie et Joseph avec l'enfant
qui était posé dans une crèche (Luc. II, 16). " Il en est de même des Mages, si
vous vous en souvenez, qui ne trouvèrent point non plus l'enfant Jésus sans
Marie (Matt. II, 11), et plus tard, quand elle porta le Seigneur dans son
temple, elle entendit Siméon lui parler longuement de son fils et d'elle-même
sans cesser de se montrer aussi peu pressée de parler qu'elle était avide
d'écouter. Et même "Marie conservait toutes ces paroles et les repassait dans
son coeur (Luc. II, 19). " Mais, dans toutes ces circonstances, on rat'` trouve
pas qu'elle ait dit un seul mot du grand mystère de l'Incarnation. Oh? malheur à
nous qui avons toujours la parole à la bouché, malheur à nous qui laissons un si
libre cours à toutes nos pensées, " qui sommes percés partout, " comme dit le
comique. Que de fois Marie entendit son fils non seulement parler à la foule en
particulier, mais encore révéler à ses apôtres, lors des entretiens particuliers
les mystères du royaume de Dieu. Que de fois le vit-elle opérer des miracles,
puis elle le vit attaché à la croix, expirant, ressuscité et montant au ciel.
Or, dans toutes ces circonstances, c'est à peine si on rapporté que notre
pudique tourterelle 'éleva la voix. Enfin, nous lisons dans les Actes des
apôtres, qu'en revenant dit mont des Oliviers, ils persévérèrent, unanimement
dans la prière. De qui est-il parlé ainsi? Si :Marie se trouvait du nombre;
qu'elle soit nominée la première, puisqu'elle est plus grande que tous les
autres, tant parla prérogative de sa maternité qu'à cause du privilège de sa
sainteté. Or, l'historien sacré dit : " C'étaient Pierre et André, Jacques et
Jean, " et les autres. " Tous, ils persévérèrent unanimement dans la prière avec
les femmes et avec Marie, mère de Jésus. " Est-ce donc ainsi qu'elle se montrait
la dernière des femmes pour être nommée après toutes? On peut bien dire que les
disciples étaient vraiment charnels, alors que, n'ayant pas reçu le
Saint-Esprit, parce que Jésus n'était pas encore glorifié, ils eurent une
discussion pour savoir qui était le plus grand parmi eux. Marie, au contraire,
s'humiliait non seulement en toutes choses, mais encore plus que tous les
autres, d'autant plus profondément qu'elle était plus grande. Aussi, est-ce avec
raison que celle qui s'était faite la dernière de tous quand elle était la
première, fût élevée du dernier rang au premier; c'est avec raison qu'elle
devient la maîtresse de tous, comme elle s'était faite la servante de tous;
c'est justice enfin qu'elle fût élevée au dessus des anges mêmes, après s'être
placée avec une ineffable douceur, an dessous des veuves et des pécheresses
pénitentes, au dessous trame de celle d'où sept démons avaient été chassés: Je
vous en prie, mes enfants bien-aimés, cherchez à acquérir cette vertu si vous
aimez Marie; oui, si vous avez à coeur de lui plaire, imitez sa modestie. Il n'y
a rien qui soit plus convenable à l'homme en général, rien qui siée davantage
ait. chrétien en particulier; mais surtout. il n'est pas de vertu qui convienne
mieux que celle-là à des religieux.
12. Mais, dans la Vierge, la vertu
d'humilité reçoit manifestement un nouveau lustre de~sa douceur même; ce sont
deux vertus qui ont sucé le même lait, que la douceur et l'humilité, elles,se
sont trouvées bien étroitement unies dans Celui qui disait : " Apprenez de moi
que je suis doux et humble de coeur (Matt. XI, 19). " De même, en effet, que la
présomption naît de l’orgueil, ainsi la douceur ne peut procéder que d'une vraie
humilité. Mais Marie ne nous a pas donné une preuve d'humilité seulement, en
gardant le silence, elle nous l'a montrée plus clairement encore dans ses
paroles. En effet, après avoir entendu l'Ange lui dire : " Le fruit saint qui
naîtra, de vous sera appelé le Fils de Dieu (Luc. I, 35), " elle ne trouve rien
autre chose à dire sinon qu'elle est la servante de Dieu. Peu après, Élisabeth
la voit arriver chez elle, instruite, à l'instant même où elle entrait, de cette
gloire singulière de cette vierge, elle s'écrie dans son étonneraient : " D'où
me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne vers nous (Ibid. 43) ? "
Puis elle ajoute en faisant l'éloge de sa voix : " Dès que votre parole a frappé
mon. oreille, quand vous m'avez saluée, mon enfant a tressailli de joie dans mon
sein (Ibid. 44) ; " elle continue ensuite en louant sa foi : " Heureuse, lui
dit-elle, heureuse êtes-vous d'avoir cru, parce que les choses qui vous ont été
dites de la part du Seigneur s'accompliront en vous (Ibid. 45). " Ce sont là
autant d'éloges magnifiques, mais la pieuse humilité de Marie n'en retiendra
rien pour elle, elle les reportera tous à Celui de qui sont tous les biens qu'on
loue en elle. Vous louez la mère de Notre-Seigneur, dit-elle à Élisabeth, mais
pour moi, " mon âme glorifie le Seigneur lui-même (Ibid. 46). " Vous me dites
que votre enfant, à ma,voix, a tressailli de joie dans votre sein, et moi " mon
esprit est ravi de,joie dans le Sauveur, mort Dieu. " Quant à votre enfant, il
se réjouit et tressaille de bonheur comme l'ami de l’Époux en entendant sa voix.
Vous me déclarez bien heureuse parce que j'ai cru; mais la cause de ma joie et
de mon bonheur est dans la bonté même de Dieu, et si désormais "toutes les
générations me proclameront bienheureuse, " c'est parce que le Seigneur a
abaissé ses regards sur son humble et petite servante.
13. Mais allons-nous nous imaginer,
mes frères, que sainte Elisabeth s'est trompée dans le langage que le
Saint-Esprit lui-même lui inspirait de tenir ? Gardons-nous-en bien. Elle est,
en effet, bienheureuse, tout à la fois parce que Dieu l'a regardée, et parce
quelle a cru, car ce dernier bonheur est la conséquence et le fruit du regard
qu'il a jeté sur elle. C'est par un artifice ineffable du Saint-Esprit qui
survint en elle, qu'à cette excessive humilité vint s'ajouter, dans le secret de
ce coeur de vierge, une telle magnanimité, et que ces deux vertus, comme je l'ai
déjà dit de la virginité et de la fécondité, sont devenues comme deux étoiles
qui se prêtaient un mutuel éclat, puisque tant d'humilité ne porta aucune
atteinte à tant de grandeur d'âme, de même qu'une telle grandeur d'âme ne nuisit
en rien à une si grande humilité. En effet, si elle se montre si humble dans
l'estime qu'elle fait d'elle, elle ne s'en montre pas moins magnanime dans la
manière dont elle croit à la promesse qui lui est faite, et, tout en ne se
regardant que comme l'humble servante du Seigneur, elle ne fit aucune difficulté
de se croire élevée à l'incompréhensible mystère, à l'admirable commerce, au
sacrement insondable de la future maternité de l'homme Dieu. Tel est, en effet,
le privilège de la grâce de Dieu dans le coeur des élus, c'est que, de même que
l'humilité ne les rend point. pusillanimes, la magnanimité. ne les rend point
arrogants; au contraire, ces deux vertus se prêtent un mutuel appui, en sorte
que, non seulement la magnanimité n'engendre point l'orgueil, mais rend
l'humilité même beaucoup plus grande. On devient par elle, en même temps, bien
plus timoré et bien plus reconnaissant envers le distributeur de la grâce, sans
toutefois que par la porte de l'humilité, la pusillanimité puisse s'introduire
dans l'âme. Mais, moins on présume de soi-même dans les plus petites choses,
plus en même temps, on se confie en la puissance de Dieu pour les grandes.
14. Quant au martyre de la Vierge
qui est, comme vous vous le rappelez, la douzième étoile de sa couronne, je le
trouve dans la prophétie de Siméon, et dans toute l'histoire de la passion de
Notre-Seigneur. En parlant de l'enfant Jésus, Siméon dit : " Cet enfant est
destiné à se trouver en butte à la contradiction, " puis, s'adressant à Marie,
il continue : " Et vous, votre âme sera percée d'un glaive (Luc. II, 34). " On
peut bien dire, en effet, qu'un glaive a percé votre âme, ô heureuse mère, car
ce n'est qu'en passant par votre coeur qu'il pouvait pénétrer dans la chair de
votre Fils. Et même quand votre Jésus, le vôtre par excellence, en même temps
que le nôtre, eut rendu l'esprit, ce n'est plus son âme qu'atteignit la lance
qui, n'épargnant pas même dans les bras de la mort, la victime à qui elle ne
pouvait plus faire de mal, perça son côté de son fer cruel, mais c'est votre âme
elle-même qu’elle frappa. Car, pour lui, son âme n'était déjà plus là, mais la
vôtre ne pouvait s'arracher de ces lieux. Sa douleur, comme un glaive violent, a
donc traversé votre coeur, et nous pouvons vous appeler, avec raison , plus que
martyr, puisque, en vous, le sentiment de la compassion l'emporta si fort sur
celui de la passion endurée par le corps.
15. N'était-ce point une parole
plus pénétrante qu'un glaive, qui perça, en effet, votre âme et atteignit jusque
dans les replis de l'âme et de l'esprit (Hébr. IV, 12), que celle-ci : " Femme,
voici votre fils (Jean. XIX, 26) ? " Quel échange ! Jean substitué à Jésus; le
serviteur au Seigneur, le disciple au maître; le fils de Zébédée au Fils de
Dieu, un pur homme au vrai Dieu ! Comment ce langage n'aurait-il pas percé,
comme d'un glaive, votre âme si aimante, quand son souvenir seul déchire nos
coeurs de pierre et d'airain ? Ne vous étonnez point; mes frères, si je dis que
Marie fut martyr dans le coeur, il faudrait pour en être surpris que vous
eussiez oublié que le plus grand crime que saint Paul ait reproché aux Gentils
c'est d'avoir été sans affection (Rom. I, 31). Cette absence de sentiment était
loin de se trouver dans les entrailles de Marie, puisse-t-elle être aussi
étrangère à ses humbles serviteurs. Si vous nie demandez si elle ne savait pas
d'avance qu'il devait mourir ? Elle n'en doutait point, vous répondrai-je ; si
elle ignorait qu'il dût ressusciter peu de temps après, je vous dirai qu'elle ne
l'ignorait point, qu'elle l'espérait même avec confiance. Et, malgré cela, si
vous voulez savoir si elle souffrit de le voir attaché à la croix, ma réponse
est qu'elle souffrit beaucoup. Après tout; qui êtes-vous, mon frère, et à quelle
source puisez-vous votre sagesse pour vous étonner davantage devoir Marie
compatir, que de voir le fils de Marie pâtir? Il aurait pu souffrir la mort du
corps, et elle n'aurait pu ressentir celle du coeur ? Ce fut une charité, en
comparaison de laquelle nul ne saurait en avoir une plus grande, qui fit endurer
l'une au fils ; ce fut une charité aussi à laquelle on ne saurait en comparer
une autre, qui fit souffrir l'autre à la mère. Et maintenant, ô mère de
miséricorde, au nom de l'affection de votre très pure âme, la lune qui se tient
à vos pieds, vous invoque avec les accents de la plus grande dévotion comme une
médiatrice entre elle et le Soleil de justice; que dans votre lumière elle voie
sa lumière, et que, par votre intercession, elle mérite la grâce du Soleil
qu'elle a véritablement aimé pardessus tout, et qu'elle a orné, en le revêtant
d'une robe de gloire, et en lui mettant sur la tête une couronne de beauté. Vous
êtes pleine de grâce, pleine de la rosée du ciel, appuyée sur votre bien-aimé et
comblée de délices. Nourrissez aujourd'hui vos pauvres, ô vous notre Dame; que
les petits chiens eux-mêmes mangent des miettes de la table du Maître, et, de
votre urne qui déborde, donnez à boire non seulement au serviteur d'Abraham,
mais encore à ses chameaux, Car c'est vous qui êtes, en vérité, la fiancée
choisie et préparée pour le Fils du Très-Haut, qui est Dieu et béni par dessus
tout dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Source :
http://www.abbaye-saint-benoit.ch/
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