DISCOURS SUR LES PSAUMES

PSAUMES VI à IX-B

DISCOURS SUR LE PSAUME VI

LE JUGEMENT DE DIEU.

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, POUR LES CHANTS DU HUITIÈME JOUR ( Ps VI, 1)

L’âme fidèle supplie le Seigneur de lui accorder le salut, de la maintenir dans la justice, comme s’il devait être plus glorieux pour Dieu de faire éclater sa bonté que sa justice. Elle veut s’éloigner des pécheurs impénitents, s’ils ne se convertissent au Seigneur.

1. Cette expression, « huitième jour », est obscure ; mais le reste du titre est clair. Quelques-uns ont cru qu’elle signifiait le jour du jugement, ou ce temps de l’avènement de Jésus-Christ qui descendra pour juger les vivants et les morts. Cet avènement, selon cette croyance, aura lieu après sept milliers d’années, à compter depuis Adam ; ces sept milliers d’années s’écouleraient comme sept jours, et le huitième serait celui de l’avènement. Mais le Seigneur a dit : « Ce n’est point à vous de connaître les temps que mon Père a disposés dans sa puissance » (Ac. I, 7) ; et encore : « Quant à ce jour et à cette heure, nul ne les sait, ni les Anges, ni les Vertus, ni le Fils lui-même ; le Père seul les connaît » (Mt. XXIV, 36) : et enfin saint Paul a écrit, que ce jour du Seigneur nous surprendra comme le voleur (I Th. V, 2) tout cela nous montre clairement qu’on ne doit point chercher à connaître ce jour par la supputation des années. Or, s’il devait arriver après sept milliers d’années, tout homme pourrait le connaître au moyen d’un calcul. Comment donc se fait-il que le Fils ne le connaît point? Parole qui signifie qu’il ne l’apprendra point aux hommes, et non qu’il ne le sait point en lui-même. C’est ainsi qu’il est dit : « Le Seigneur vous tente afin de savoir » (Dt. III, 3), c’est-à-dire, « afin de vous faire connaître », comme : « Levez-vous, Seigneur » (Ps. III, 7), signifie, aidez-nous à nous relever. Si donc le Fils ne connaît point le jour, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne l’enseigne point à ceux qui n’ont aucun avantage à le connaître ; n’y a-t-il pas une certaine présomption à compter les dates pour affirmer que le jour du Seigneur doit arriver après sept milliers d’années ?

2. Pour nous, ignorons de bon coeur ce qu’il n’a pas plu à Dieu de nous révéler, et cherchons ce que veut dire cette expression du titre : « Pour le huitième jour ». Sans recourir à des calculs téméraires on peut entendre par huitième jour celui du jugement, car la fin de ce monde nous ouvrira la vie éternelle ; et alors les âmes des justes ne seront plus assujetties aux temporelles vicissitudes ; et comme tous les temps roulent périodiquement de sept jours en sept jours, on appellerait huitième jour celui qui serait en dehors de cette révolution. Dans un autre sens qui n’est pas sans justesse, on appellerait huitième jour, celui du jugement, parce qu’il doit arriver après deux genres de vie, dont l’un tient à la chair, et l’autre à l’esprit. Depuis Mam jusqu’à Moïse, la vie humaine est une vie corporelle, une vie selon la chair, ce que saint Paul appelle vie de l’homme extérieur, du vieil homme (Ep. IV, 22). A cette génération fut donné l’Ancien Testament, dont le culte était grossier, quoique religieux, et figurait le culte spirituel de l’avenir. Pendant cette période où l’on vivait selon la chair, « la mort a régné », dit l’Apôtre, « même sur ceux qui n’avaient point péché ». Et comme il l’a dit encore, « elle a régné parce qu’on imitait la prévarication d’Adam » (Rm. V, 14). Mais « jusqu’à Moïse », signifie tant qu’ont duré les œuvres de la loi, ces rites sacrés, observés d’une manière charnelle, et qui néanmoins tinrent enchaînés ceux-là mêmes qui croyaient à un seul Dieu, pour leur donner la foi au mystère de l’avenir. Mais depuis l’avènement de Jésus-Christ, qui nous a fait passer de la circoncision de la chair, à la circoncision du cœur, nous sommes appelés à vivre selon l’esprit, c’est-à-dire selon l’homme intérieur, appelé homme nouveau (Col. III, 10) à cause de sa régénération baptismale, et de ses moeurs devenues plus spirituelles. Car il est évident que le nombre quatre appartient au corps à cause des éléments dont il est formé, et de ces quatre qualités, du chaud, du froid, du sec, de l’humide. Delà vient que Dieu le fait passer par les quatre saisons du printemps, de l’été, de l’automne, de l’hiver. Tout cela est connu; et il est démontré ailleurs, par des raisons plus subtiles, que le nombre quatre appartient au corps ; mais évitons ces raisons assez obscures, dans un discours que nous voulons mettre à la portée des moins instruits. Le nombre trois appartient à l’âme, comme nous l’apprend le précepte d’aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit (Dt. VI, 5 ; Mt. XXII, 37). De plus longs détails viendraient dans l’explication de l’Evangile et non d’un psaume; mais cela suffit, je crois, pour montrer que le nombre ternaire appartient à l’âme. Donc, lorsque les nombres du corps, qui tiennent au vieil homme et à l’Ancien Testament, et les nombres de l’esprit ou de l’homme régénéré et de la loi nouvelle, seront écoulés comme un nombre de sept jours ; puisque toute action en cette vie se rapporte au corps ou au nombre quatre, ou à l’âme dont le nombre est ternaire; après cela viendra le huitième jour qui, rendant à chacun ce qu’il a mérité, appellera les justes, non plus à des œuvres passagères, mais à la vie sans fin, et condamnera les impies aux supplices éternels.

3. Telle est la damnation que redoute l’Eglise, qui s’écrie dans ce psaume : « Seigneur, ne m’accusez pas dans votre colère » (Ps. VI, 2). Saint Paul parle aussi de colère à propos du jugement : « Tu amasses pour toi, dit-il, un trésor de colère, pour le jour de la colère et du juste jugement de Dieu » (Rm. II, 5). C’est dans ce jour que ne veut pas être accusé celui qui cherche à se guérir en cette vie. « Et ne me reprenez point dans votre fureur ». Reprendre est plus doux, car il tend à l’amendement ; au lieu que, quand on est accusé, ou mis en jugement, on doit craindre pour issue une condamnation. Mais la fureur paraît être plus grande que la colère, et l’on peut s’étonner que reprendre, qui est plus doux, soit placé avec fureur, qui est l’expression la plus sévère. Pour moi, je crois que ces deux expressions n’ont qu’un même sens ; car le mot grec tumos du premier verset a la même signification que orphe, qui est dans le second. Mais comme la version latine a voulu employer aussi deux expressions, elle en a cherché une qui se rapprochât le plus de colère, et a mis fureur. De là des variantes dans les versions ; car, dans l’une, c’est la colère qui est avant la fureur, dans l’autre, c’est la fureur avant la colère; d’autres, au lieu de fureur ont indignation, et même bile. Quoi qu’il en soit, ces deux termes expriment un mouvement de l’âme qui veut punir, mouvement que nous ne pourrons attribuer à Dieu dans le même sens qu’à notre âme, puisqu’il est dit : « Pour vous, Dieu des vertus, vous nous jugez dans le calme » (Sg. XII, 18). Mais ce qui est dans le calme, est opposé au trouble. Dieu donc dans ses jugements est inaccessible au trouble ; mais on a appelé sa colère, cette émotion occasionnée par ses lois chez ses ministres. Or, l’âme qui supplie dans ce psaume, redoute d’être accusée dans cette colère, elle ne veut pas même cette réprimande qui la corrigerait ou l’instruirait. Car il y a dans le grec paideustes, c’est-à-dire enseignez. Au jour du jugement seront convaincus tous ceux qui ne sont pas fondés sur Jésus-Christ; mais ceux qui sur cette base auront bâti avec le bois, le foin et la paille, ils seront amendés ou purifiés, ils souffriront un dommage et néanmoins seront sauvés, mais comme par le feu (I Co. III, 11). Que peut-on demander à Dieu, quand on ne veut être ni accusé ni repris dans sa colère ? Que demander, sinon d’être guéri, puisque la guérison ne nous laisse à craindre ni la mort, ni la main du médecin qui emploie le feu ou le fer ?

4. Le Psalmiste poursuit donc : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme, guérissez-moi, parce que mes os sont ébranlés » (Ps. VI, 3), et par ces os il entend la force de l’âme ou le courage. L’âme donc, en parlant de ses os, se plaint de son courage qui est ébranlé; mais gardons-nous de croire qu’elle ait des os comme ceux du corps. Expliquant donc ce qui précède, le Prophète ajoute : « Et mon âme est dans un trouble profond », afin que l’on n’applique point au corps, ce qu’il appelait des os. « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? » (Id. 4) Qui ne verrait ici une âme qui lutte avec ses infirmités, et que le médecin ne se presse pas de guérir, afin de lui faire sentir dans quel abîme de maux le péché l’a précipitée ? On ne cherche guère à éviter ce qui se guérit facilement ; mais une guérison difficile nous rend plus attentifs à conserver la santé quand nous l’avons recouvrée. Loin de nous cette pensée qu’il y ait de la cruauté dans ce Dieu à qui l’on dit : « Jusques à quand tarderez-vous à me guérir ? » mais il veut dans sa bonté montrer à l’âme quelle blessure elle s’est faite. Car cette âme ne prie pas encore avec une telle ferveur que Dieu puisse lui dire : « Ta prière ne sera pas achevée que je répondrai: Me voici » (Is. LXV, 21). Dieu veut encore nous montrer quel sera le châtiment des impies qui refusent de retourner à lui, si la conversion nous est si difficile; dans ce sens il est dit ailleurs : « Si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie ? » (I Pe, IV, 18)

5. « Revenez à moi, Seigneur, et délivrez mon âme » (Ps. VI, 5). En revenant à Dieu, le pécheur le supplie de se tourner vers lui, comme il est écrit : « Revenez à moi, dit le Seigneur, et je reviendrai à vous » (Za. I, 3) Mais cette expression : « Revenez, Seigneur », voudrait-elle dire : Aidez-moi dans mon retour, à cause des difficultés et du labeur que rencontre un retour à Dieu ? Car notre conversion parfaite au Seigneur, le trouvera toujours prêt, ainsi que l’a dit le Prophète : « Nous le trouvons prêt comme la lumière du matin » (Os, VI, 3, suiv. les LXX). Nous l’avons perdu, en effet, non qu’il se soit retiré de nous, puisqu’il est présent partout, mais bien parce que nous lui avons tourné le dos. « Il était en ce monde », est-il dit, « et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas connu » (Jn, I, 10). Si donc il était en ce monde sans que le monde le connût, c’est que nos souillures ne supportent point sa présence. Mais pour nous convertir, ou pour effacer notre vie passée en taillant de nouveau notre âme à l’image de Dieu, nous ressentons le douloureux labeur d’échanger les terrestres voluptés contre le calme serein de la divine lumière. Et dans cette pénible tâche nous disons : « Revenez à moi, Seigneur », c’est-à-dire, aidez-moi, afin que se perfectionne en moi ce retour qui vous trouvera toujours prêt, et vous donnera en jouissance à ceux qui vous aiment. Aussi, après avoir dit : « Revenez à moi, Seigneur », le Prophète a-t-il ajouté : « Et délivrez mon âme », que retiennent encore les soucis du monde, et qui, dans son retour à vous, se sent déchirer par l’aiguillon des désirs. « Sauvez-moi », dit-il, « à cause de votre miséricorde » (Ps. VI, 3). Il sent qu’il n’est point guéri par ses propres mérites, puisqu’un pécheur, un violateur de la loi ne devait s’attendre en justice qu’à la damnation. Sauvez-moi donc, dit-il, non point que je l’aie mérité, mais à cause de votre miséricorde.

6. « Car nul après la mort ne se souvient de vous » (Id. 6). Il comprend que c’est en cette vie qu’il faut nous convertir, car après la mort il ne reste plus à chacun qu’à recevoir selon ses œuvres. « Qui vous confessera dans les enfers ? » (Ps. VI, 6) Le riche dont parle Jésus-Christ, confessa Dieu dans les enfers, quand il se plaignit de ses tortures, en voyant Lazare au sein du repos ; il confessa Dieu au point de vouloir avertir les siens de s’abstenir du péché, en vue de ces tourments de l’enfer, auxquels on ne croit point (Lc, XVI, 23-31). Ce fut en vain, il est vrai, mais enfin il confessa qu’il souffrait justement, puisqu’il désirait avertir ses frères de ne point encourir ces châtiments. Qu’est-ce à dire alors : « Qui confessera votre nom dans les enfers ? » Entendrait-il par là ce profond abîme, où sera précipité l’impie après le jugement, et dont les épaisses ténèbres ne laisseront échapper aucune lueur de Dieu pour le confesser ? Toutefois ce riche, eu élevant les yeux, put apercevoir Lazare au sein du repos, nonobstant les ténébreuses profondeurs qui l’environnaient lui-même ; et la comparaison qu’il dut faire lui arracha l’aveu de ses fautes. Le Prophète pourrait donner aussi le nom de mort au péché que l’on commet au mépris de la loi divine; et nous faire appeler mort ce qui n’en est que l’aiguillon, parce qu’il aboutit à la mort ; car l’aiguillon de la mort c’est le péché (I Co. XV, 56). Dans cette mort l’oubli de Dieu serait le mépris de ses lois et de ses préceptes ; ainsi le Prophète appellerait enfer cet aveuglement de l’esprit, qui saisit et enveloppe le pécheur, ou l’âme qui meurt par le péché. « Comme ils n’ont pas fait usage », dit saint Paul, « de la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés au sens réprouvé » (Rm. I, 28). C’est de cette mort et de cet enfer que l’âme demande à Dieu de la préserver, quand elle cherche à revenir à lui, et sent les difficultés du retour.

7. Aussi le Prophète continue en disant « Je me suis fatigué dans mon gémissement », et comme si c’était peu, il ajoute : « Chaque nuit je laverai ma couche de mes larmes » (Ps. VI, 7). Il appelle ici couche tout ce qu’une âme faible et malade cherche pour son repos, comme la volupté charnelle et les plaisirs du monde. C’est laver de ses larmes ces mêmes plaisirs, que chercher à s’en arracher. On voit que ses appétits charnels sont condamnables, et toutefois on est assez faible pour s’y attacher par goût, pour s’y reposer à l’aise ; et notre âme ne peut s’en relever qu’après sa guérison. Mais en disant : « Chaque nuit », le Prophète a voulu peindre sans doute l’homme dont l’esprit est prompt et reçoit quelque lueur de vérité, mais dont la chair est assez faible pour mettre parfois son bonheur dans les plaisirs du siècle, en sorte qu’il subit dans ses affections une alternative de lumière et de ténèbres : c’est le jour pour lui quand il dit : « Par l’esprit, j’obéis à la loi de Dieu », mais il décline vers la nuit à ces mots : « Et par la chair à la loi du péché » (Rm. VII, 25), jusqu’à ce qu’enfin toute nuit se dissipe, et que vienne ce jour unique dont il est dit : « Au matin je serai debout, et je verrai » (Ps. VI, 7). C’est alors qu’il se tiendra debout ; mais aujourd’hui, il est étendu sur cette couche que chaque nuit il doit mouiller de ses larmes, et de larmes si abondantes, qu’il obtienne de la bonté de Dieu le remède infaillible. « J’arroserai mon lit de mes pleurs », est une répétition ; car « mes pleurs » montrent comment il a dit plus haut : « Je laverai ». « Son lit » a le même sens que « sa couche », et toutefois, « j’arroserai » dit plus que « je laverai » : laver peut se borner à mouiller à la surface, tandis que l’arrosage pénètre dans l’intérieur, ce qui marquerait des larmes jusqu’aux profondeurs de l’âme. Le Prophète change les temps du verbe ; il a dit au passé : « Je me suis fatigué dans mes gémissements » ; puis au futur : « Chaque nuit je laverai ma couche », puis encore : « J’arroserai mon lit de mes larmes », afin de nous montrer ce qui nous reste à faire quand nous nous sommes fatigués en vain à gémir ; comme s’il disait : Ce que j’ai fait ne m’a servi de rien, voici désormais ce que je vais faire.

8. « Mon oeil s’est troublé dans la colère » (Id. 8) : est-ce dans sa propre colère, ou cette colère de Dieu par laquelle il a demandé de n’être ni accusé ni repris ? Mais si la colère de Dieu signifie le jugement, comment l’entendre dès cette vie ? Ou cette colère commencerait dès cette vie, dans les douleurs et les maux des hommes, et surtout dans leur impuissance à comprendre la vérité, selon le mot de saint Paul cité plus haut : « Dieu les a livrés au sens réprouvé » (Rm. I, 28). Tel est en effet l’aveuglement de l’esprit, que tout homme dans cet état se trouve privé de toute lumière intérieure de Dieu, mais pas absolument, tant que dure cette vie. Car il y a des ténèbres extérieures « qui sont réservées plus spécialement au jour du jugement, et qui éloigneront complètement de Dieu quiconque aura négligé de se corriger ici-bas. Mais être complètement en dehors de Dieu, qu’est-ce autre chose que l’aveuglement complet ? Car Dieu habite une lumière inaccessible (I Tm. VI, 16), et dans laquelle entreront ceux qu’il invitera, en disant : « Entrez dans la joie de votre Seigneur » (Mt. XXV, 21, 22). Cette colère commence donc dès cette vie à peser sur tout pécheur. La crainte du dernier jugement arrache au Prophète des gémissements et des larmes ; il craint d’arriver à cette colère dont le commencement lui est déjà si douloureux ; aussi ne dit-il pas que « son œil s’est éteint », mais « qu’il a été troublé par cette colère ». Rien ne nous étonnerait encore s’il disait que son oeil a été troublé par sa propre colère; c’est peut-être en ce sens qu’il est dit : « Que le soleil ne se couche point sur votre colère » (Ep. IV, 26) parce que l’âme, dans ce trouble, ne pouvant voir Dieu, s’imagine que cette sagesse divine, ce soleil intérieur est en quelque sorte couché pour elle.

9. « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis » (Ps. VI, 8). Il avait parlé de colère, si c’est toutefois de sa propre colère ; mais en considérant tous les autres vices, il trouve qu’il en est environné. Comme ces vices nous viennent de notre première vie et du vieil homme dont il faut nous dépouiller pour revêtir l’homme nouveau, le psalmiste dit fort bien : « J’ai vieilli ». « Au milieu de tous mes ennemis » peut s’entendre ou des vices, ou des hommes qui ne veulent point retourner à Dieu ; car ces hommes, quoiqu’à leur insu, malgré leurs ménagements, bien qu’ils vivent en paix avec nous, dans les mêmes villes, sous le même toit, à la même table, qu’ils s’entretiennent souvent et paisiblement avec nous; ces hommes, par leurs intentions contraires aux nôtres, sont ennemis de quiconque veut retourner à Dieu. Car si les uns aiment le monde et s’y attachent, et que les autres désirent en être délivrés, qui ne voit que les premiers sont ennemis des seconds, qu’ils entraînent, quand ils peuvent, dans les mêmes châtiments ? Et c’est une grande faveur de Dieu d’entendre journellement leur conversation, et de ne point s’écarter de la voie des commandements de Dieu. Souvent une âme qui s’efforce d’aller à Dieu, se laisse ébranler et s’effraie dans sa route, et la plupart du temps elle abandonne ses résolutions, parce qu’elle craint d’offenser ceux qui vivent avec elle, et qui recherchent avidement les biens passagers et périssables. Tout cœur parfaitement sain s’en sépare non de lieu, mais d’affection ; car l’amour est à l’âme ce qu’est pour les corps le lieu qui les contient.

10. Donc, après le labeur, le gémissement, et ces fréquentes effusions de larmes, comme on ne peut adresser en vain de si ferventes supplications à celui qui est la source de toutes les miséricordes, et dont il est dit, avec tant de vérité : « Le Seigneur est tout près des cœurs contrits » (Ps. XXXIII, 19) ; après ces difficultés donc, toute âme pieuse, ou même l’Eglise, si vous le voulez, témoigne qu’elle a été exaucée. Voyez donc ce qu’elle ajoute : « Retirez-vous de moi, vous tous, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes larmes » (Id. VI, 9). Ou le prophète annonce qu’au jour du jugement, les impies devront s’éloigner des bons et en seront séparés : ou il leur dit de se séparer à l’instant ; car s’ils font partie avec nous des mêmes grappes, néanmoins, jusque dans l’aire, les grains sont déjà dépouillés et séparés de cette paille qui les recouvre encore. Ils peuvent bien être entassés ensemble, mais le vent ne peut les enlever ensemble.

11. « Parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes, le Seigneur a entendu mes supplications, le Seigneur a reçu ma prière » (Id. 10). Cette répétition fréquente de la même pensée indique moins chez le psalmiste la nécessité de ce langage que le transport de sa joie. Quiconque est dans l’allégresse ne se contente point de nous en dire une fois le motif. Tel est le fruit de ce gémissement douloureux qui lui fait mouiller sa couche de ses larmes, et arroser son lit : « Car on ne sème dans les larmes que pour moissonner dans la joie » (Id. CXXV, 5) ; « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ! » (Mt. V, 5)

12. « Confusion et trouble pour tous mes ennemis » (Ps. VI, 11). Naguère le Prophète disait : « Éloignez-vous tous de moi », ce qui peut avoir lieu en cette vie, comme nous l’avons vu ; mais quand il parle de « confusion et d’effroi », je ne vois pas que cela se puisse entendre autrement que du jour qui mettra en évidence la récompense des justes et le châtiment des pécheurs. Jusqu’à ce jour, en effet, l’impie est loin de rougir et de cesser de nous insulter. Souvent même ses moqueries en viennent jusqu’à faire rougir de Jésus-Christ les hommes faibles dans la foi. De là cette menace : « Quiconque aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père » (Lc, IX, 26). Quiconque dès lors veut suivre les sublimes conseils de l’Evangile, de partager son bien, de le donner aux pauvres, afin de demeurer juste pour l’éternité (Ps. CXI, 9), de vendre ses possessions terrestres pour assister les indigents et suivre le Christ en disant : « Nous n’avons rien apporté en ce monde, nous n’en pouvons rien emporter : contentons-nous d’avoir de quoi vivre et nous vêtir » (I Tm. VI, 7) ; celui-là tombe sous les railleries sacrilèges des impies ; ceux qui repoussent le sens droit le traitent d’insensé. Souvent, pour éviter ce surnom de la part des incurables, il craint de faire, il remet au lendemain ce que prescrit le médecin le plus fidèle comme le plus puissant. Ceux-là donc ne peuvent rougir en cette vie ; souhaitons au contraire qu’ils s’aient pas la puissance de nous faire rougir, de nous détourner du chemin que nous avons pris, de ne point nous y causer d’embarras ou de retard. Mais un temps viendra qu’ils rougiront et répéteront ces paroles de l’Écriture : « Les voilà, ceux qui étaient l’objet de nos mépris et même de nos outrages. Insensés que nous étions, nous estimions leur vie une folie, et leur fin un opprobre : et les voilà comptés parmi les fils de Dieu, et leur partage est avec les saints ! Nous avons donc erré hors de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le soleil ne s’est pas levé pour nous. Nous nous sommes lassés dans la voie de l’iniquité et de la perdition; nous avons marché par des chemins difficiles, et nous avons ignoré la voie du Seigneur. A quoi bon noire orgueil, à quoi bon l’ostentation de nos richesses ? Toutes ces choses ont passé comme l’ombre » (Sg. V, 3-9).

13. Dans ces paroles : « Qu’ils se convertissent pour leur confusion » (Ps. VI, 11), qui ne voit un juste châtiment qui tourne à leur confusion dans cette conversion qu’ils ont refusé de faire pour leur salut ? « Et cela bien vite », ajoute le Prophète : car ils ne compteront plus sur le jour du jugement, et comme ils diront : « La paix est à nous; une ruine soudaine les surprendra » (I Th. V, 3). Quel que soit le moment, ce que l’on n’attendait pas arrive toujours bien vite, et il n’y a que l’espérance de vivre encore qui nous fasse croire que cette vie est longue. Rien ne nous paraît plus rapide que ce qui en est déjà passé. Quand donc viendra le jour du jugement, alors les pécheurs sentiront combien est courte une vie qui passe ; et ils ne pourront croire qu’il ait été long à venir, ce jour qu’ils ne désiraient point, ou plutôt à l’arrivée duquel ils n’avaient point cru. On pourrait dire encore que l’âme dont Dieu a exaucé les gémissements et les pleurs si fréquents et si durables, sentant qu’elle est délivrée du péché, et qu’elle a dompté tous les mouvements pervers des sensuelles affections, en leur disant : « Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes » (Ps. VI, 9), se trouve arrivée à cet état de perfection, où elle peut prier pour ses ennemis. C’est dans ce sens peut-être qu’il est dit : « Que tous mes ennemis soient dans la confusion et dans le trouble », afin qu’ils fassent pénitence de leurs fautes, ce qui est impossible sans trouble ni confusion. Rien n’empêche d’entendre les paroles suivantes : « Qu’ils se convertissent pour leur confusion », dans le sens d’un retour à Dieu et d’une confusion de s’être jadis glorifiés dans les ténèbres du péché, comme l’a dit l’Apôtre : « Quelle gloire avez-vous tirée de ce qui est maintenant pour vous un sujet de honte ? » (Rm. VI, 21) Cette autre expression, « et cela au plus vite », peut désigner la ferveur du désir ou se rapporter à la puissance du Christ qui, dans un temps si court, a converti à la foi de l’Évangile, ces nations qui défendaient leurs idoles en persécutant l’Église.

DISCOURS SUR LE PSAUME VII

LE SILENCE DE JÉSUS-CHRIST.

PSAUME DE DAVID QU’IL CHANTA AU SEIGNEUR, POUR LES PAROLES DE CHUSI, FILS DE GÉMINI.

Ce psaume est le chant de l’âme arrivée à la perfection, et à qui la foi découvre les mystères de la passion inconnus aux Juifs et aux pécheurs actuels. Elle comprend la patience silencieuse de Jésus à l’égard de Judas; et pourquoi, lui qui était juste, a voulu souffrir.

1. Il est facile de connaître par l’histoire du second livre des Rois, ce qui donna occasion à cette prophétie. Elle nous apprend que Chusi ami du roi David, passa dans les rangs d’Absalon révolté contre son père, afin de reconnaître ses desseins, et de rapporter à David toutes les trames que ce fils ourdissait contre lui avec Achitopel, qui avait trahi l’amitié du père, pour soutenir de tous les conseils qu’il pourrait donner, la révolte du fils. Mais dans ce psaume, il faut envisager l’histoire, moins en elle-même, que comme un voile jeté par le Prophète sur un grand mystère; levons donc ce voile (II Co. III, 16) si nous avons passé au Christ. Cherchons d’abord quel sens peuvent avoir les noms; car on n’a pas manqué d’interprètes pour les étudier, non plus à la lettre et d’une manière charnelle, mais dans un sens figuré, et pour nous dire que Chusi signifie Silence, Gémini, la Droite, et Achitopel, la Ruine du frère; dénominations qui ramènent une seconde fois sous nos yeux ce traître Judas, figuré ainsi par Absalon dont le nom signifie Paix de son père. David, en effet, eut toujours des sentiments de paix pour ce fils au cœur plein d’artifices et de rébellion, ainsi qu’il a été dit au psaume troisième (Enarrat. in Ps. III, n.1). De même que dans 1’Evangile nous voyons Jésus-Christ donner le nom de fils à ses disciples (Mt. IX, 15), nous le voyons aussi les appeler ses frères. Après sa résurrection, le Seigneur dit en effet : « Allez, et annoncez à mes frères » (Jn, XX, 17). Saint Paul appelle Jésus-Christ le premier-né de tant de frères (Rm. VIII, 29). On peut donc désigner la ruine du disciple qui le trahit, sous le nom de ruine du frère, selon le sens que nous avons donné au nom d’Achitopel. Chusi, qui signifie Silence, désigne très-bien ce silence que Notre-Seigneur opposait aux perfidies de ses ennemis, ce profond mystère qui a frappé de cécité une partie d’Israël, alors qu’ils persécutaient le Seigneur, jusqu’à ce que la multitude des nations entrât dans l’Eglise, et qu’ensuite tout Israël fût sauvé. Aussi l’Apôtre, abordant ces secrètes profondeurs, ce redoutable silence, s’écrie, comme frappé d’horreur à la vue de ces mystères : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! combien sont impénétrables ses jugements ; et ses voies incompréhensibles ! qui connaît les desseins de Dieu, et qui est entré dans ses conseils ? » (Rm. XI, 33, 34) L’Apôtre nous fait donc moins connaître ce profond silence, qu’il ne le recommande à notre admiration. C’est à la faveur de ce silence, que le Seigneur, dérobant le mystère sacré de sa passion, a fait entrer dans les vues de sa providence miséricordieuse, la ruine volontaire du frère, le crime détestable du traître, afin que la mort d’un seul homme, que se proposait le perfide Judas, devînt, par la sagesse ineffable du Sauveur, le salut de tous les hommes. Ce psaume est donc le chant d’une âme parfaite et déjà digne de connaître le secret de Dieu. Elle chante : « Pour les paroles de Chusi », paroles de ce silence qu’elle a mérité de connaître. C’est en effet un silence et un secret pour les infidèles et les persécuteurs du Christ; pour ceux au contraire à qui Jésus-Christ a dit : « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître ; mais je vous appellerai mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn, XV, 15), pour ces amis du Christ il n’y a plus de silence, mais les paroles du silence, ou la raison de ce mystère du Christ que Dieu leur a donné de pénétrer et de connaître. Ce silence, ou Chusi, est appelé fils de Gémini ou de la droite. Car il ne fallait pas dérober aux saints ce qu’il a fait pour eux, et pourtant « notre gauche », est-il dit, « ne doit point savoir ce que fait notre droite » (Mt. VI, 3). L’âme parfaite, qui a compris ce secret, chante alors cette prophétie : « Pour les paroles de Chusi », ou pour la découverte de ce mystère, que Dieu, qui est la droite, lui a fait connaître par une faveur spéciale : de là vient que ce silence est appelé fils de la droite, ou Chusi, fils de Gémini.

2. « Seigneur, mon Dieu, mon espoir est en vous, sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi » (Ps. VII, 2). Toute guerre, toute hostilité contre les vices est surmontée, et l’âme parfaite n’ayant plus à combattre que la jalousie du démon, s’écrie : « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent, et délivrez-moi, de peur que comme un lion, il ne ravisse mon âme » (Ibid. 3). Car saint Pierre nous dit que « le démon notre ennemi, rôde autour de nous, comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un à dévorer » (I Pierre, V, 8). Aussi le Prophète, après avoir dit au pluriel ! « Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent », reprend ensuite le singulier, en disant : « De peur qu’il ne ravisse mon âme, comme un lion », non pas : « Qu’ils ne ravissent, car il n’ignore pas l’ennemi qui reste à vaincre, le redoutable adversaire de toute âme parfaite. Et que je ne trouve ni rédempteur, ni sauveur » ; c’est-à-dire, de peur qu’il ne ravisse mon âme, tandis que vous ne la rachetez et ne la sauvez point; puisqu’il nous ravit, si Dieu ne nous rachète et nous sauve.

3. Ce qui nous montre que ce langage est celui de l’âme parfaite, qui n’a plus à redouter que les piéges si artificieux du démon, c’est le verset suivant : « Seigneur mon Dieu, si j’ai fait cela » (Ps VII, 4). Qu’est-ce à dire : « Cela ? » S’il ne nomme aucun péché, les voudrait-il désigner tous ? Si nous rejetons une telle interprétation, rattachons alors cette expression à ce qui suit ; et comme si nous demandions au Prophète ce qu’il entend par « cela, istud », il nous répondra : « Si l’iniquité est dans mes mains ». Mais il nous montre qu’il entend parler de tout péché, puisqu’il dit : « Si j’ai rendu le mal pour le mal » (Ps. VII, 5), parole qui n’est vraie que dans la bouche des parfaits. Le Seigneur nous dit en effet : « Soyez parfaits, comme votre Père du ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui donne la pluie aux justes et aux criminels » (Mt. V, 45, 48). Celui-là donc est parfait qui ne rend pas le mal pour le mal. L’âme parfaite prie donc « pour les paroles de Chusi, fils de Gérnini », ou pour la connaissance de ce profond secret, de ce silence que garda Jésus-Christ pour nous sauver, dans sa bonté miséricordieuse, en souffrant avec tant de patience les perfidies de celui qui le trahissait. Comme si le Sauveur lui découvrait les raisons de ce silence et lui disait : « Pour toi, qui étais impie et pécheur, et pour laver dans mon sang tes iniquités, j’ai mis le plus grand silence, et une longanimité invincible à souffrir près de moi un traître ; n’apprendras-tu pas, à mon exemple, à ne point rendre le mal pour le mal ? » Cette âme, considérant et comprenant ce que le Sauveur a fait pour elle, et s’animant par son exemple à marcher vers la perfection, dit à Dieu : « Si j’ai rendu le mal pour le mal », si je n’ai point suivi dans mes actes vos saintes leçons, « que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemis ». Il a raison de ne pas dire : « Si j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me faisaient », mais bien, « qu’ils me rendaient », puisqu’on ne peut rendre que quand on a reçu quelque chose. Or, il y a plus de patience à épargner celui qui nous rend le mal pour les bienfaits qu’il a reçus de nous, que s’il voulait nous nuire, sans nous être aucunement redevable. « Si donc j’ai tiré vengeance du mal qu’ils me rendaient » ; c’est-à-dire, si je ne vous ai point imité dans ce silence, ou plutôt dans cette patience dont vous avez usé à mon égard, que je tombe sans gloire sous les efforts de mes ennemi. Il y a une vaine jactance chez l’homme qui, tout homme qu’il est, veut se venger d’un autre. Il cherche à vaincre un adversaire, et lui-même est à l’intérieur vaincu par le démon ; la joie qu’il ressent d’avoir été comme invincible, lui enlève tout mérite. Le Prophète sait donc bien ce qui rend la victoire plus glorieuse, et ce que nous rendra notre Père qui voit dans le secret (Id. VI, 6). Pour ne pas tirer vengeance de ceux qui lui rendent le mal, il cherche à vaincre sa colère, et non son ennemi : instruit qu’il est de ces paroles de l’Ecriture : « il y a plus de gloire à vaincre sa colère, qu’à prendre une ville » (Pr. XVI, 32, suiv. les LXX.). Si donc « j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, que je tombe sans gloire sous la main de mes ennemis » (Ps. VII, 5). Il paraît en venir à l’imprécation, qui est le plus grave des serments pour tout homme qui s’écrie : « Mort à moi si je suis coupable ». Mais autre est l’imprécation dans la bouche d’un homme qui fait serment, et autre, dans le sens d’un prophète, qui annonce les malheurs dont sera infailliblement frappé l’homme qui tire vengeance du mai qu’on lui rend, mais ne les appelle ni sur lui, ni sur d’autres par ses imprécations.

4. « Que mon ennemi poursuive mon âme, et qu’il l’atteigne » (Id. 6). Il parle une seconde fois de son ennemi au singulier, et nous montre de plus en plus celui qu’il représentait but à l’heure sous l’aspect d’un lion ; cet ennemi qui poursuit l’âme et s’en rend maître, s’il parvient à la séduire. Les hommes peuvent sévir jusqu’à tuer le corps, mais cette mort extérieure ne leur assujettit point notre âme, au lieu que le diable possède les âmes qu’il atteint dans ses poursuites. « Qu’il foule ma vie sur la terre », c’est-à-dire qu’il fasse de ma vie une boue qui lui serve de pâture. Car cet ennemi n’est pas seulement appelé lion, mais encore serpent ; et Dieu lui a dit : « Tu mangeras la terre », quand il disait à l’homme pécheur : « Tu es terre et tu re« tourneras dans la terre » (Gn. III, 14, 19). « Qu’il traîne ma gloire dans la poussière » ; dans cette poussière que le vent soulève de la surface de la terre (Ps. I, 4) : car la vaine et puérile jactance de l’orgueilleux, n’est qu’une enflure et n’a rien de solide ; c’est un nuage de poussière chassé par le vent. Le Prophète veut avec raison une gloire plus solide qui ne se réduise pas en poussière, nous qui subsiste dans la conscience et devant Dieu, qui ne souffre point la jactance. « Que celui qui se glorifie », est-il dit, « ne le fasse que dans le Seigneur » (I Co. I, 31). Cette stabilité se réduit en poussière quand l’homme, dédaignant le secret de la conscience, où Dieu seul nous approuve, cherche les applaudissements des hommes. De là cette autre parole de l’Ecriture : « Dieu brisera les os de ceux qui veulent plaire aux hommes » (Ps. LII, 6). Mais celui qui connaît pour l’avoir appris ou éprouvé, dans quel ordre il fait surmonter nos vices, sait bien que celui de la vaine gloire est le seul, ou du moins le plus à craindre pour les parfaits. C’est le premier ou l’âme soit tombée, c’est le dernier qu’elle peut vaincre. « Car le commencement de tout péché, c’est l’orgueil », et « le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu » (Eccl. X, 14, 15)

5. « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère » (Ps. VII, 7). Comment cet homme que nous disions parfait, vient-il exciter Dieu à la colère ? et la perfection ne serait-elle pas plutôt en celui qui dit : « Seigneur, ne leur imputez point ce crime ? » (Ac. VII, 59) Mais est-ce bien sur les hommes que tombe cette imprécation du Prophète, et ne serait-ce point contre le diable et contre ses anges qui ont en leur possession le pécheur et l’impie ? C’est donc par un sentiment de pitié et non de colère, que l’on demande au Dieu qui justifie l’impie (Rm. IV, 5) d’arracher cette proie au démon. Car justifier l’impie c’est le taire passer de l’impiété à la justice, et changer cet héritage du démon en temple de Dieu. Et comme c’est châtier quelqu’un, que lui arracher une proie qu’il veut garder en son pouvoir, le Prophète appelle colère de Dieu, ce châtiment qu’il exerce contre le démon, eu lui arrachant ceux qu’il possède. « Levez-vous donc, Seigneur, dans votre colère ». « Levez-vous », montrez-vous, dit-il, expression figurée, mais ordinaire dans le langage humain, comme si Dieu dormait quand il nous dérobe ses desseins. « Signalez votre puissance dans les régions de mes ennemis ».Le Prophète appelle région, ce qui est sous la puissance du démon, et il veut que Dieu y règne, c’est-à-dire qu’il y soit honoré et glorifié plutôt que noire ennemi, par la justification de l’impie, et ses chants de triomphe. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, selon la loi que vous avez portée » (Ps. VII, 7), c’est-à-dire, montrez-vous humble, puisque vous recommandez l’humilité ; accomplissez vous-même avant nous votre précepte, afin que votre exemple détruise l’orgueil, et que nous ne soyons pas au pouvoir du démon qui souffla l’orgueil contre vos préceptes, en disant : « Mangez, et vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux » (Gn. III, 5).

6. « Et l’assemblée des peuples vous environnera » (Ps. VII, 8). Cette assemblée des peuples peut s’entendre des peuples qui ont cru, ou des peuples persécuteurs, car l’humilité de notre Sauveur a obtenu ce double effet : les persécuteurs l’ont environné parce qu’ils méprisaient cette humilité, et c’est d’eux qu’il est dit : « A quoi bon ces frémissements des nations, et ces vains complots chez les peuples ? » (Id. II, 1) Ceux qui ont cru en vertu de cette humilité, l’ont environné, et ont fait dire avec, beaucoup de vérité, « qu’une partie des Juifs sont tombés dans l’aveuglement, afin que la multitude des nations entrât dans l’Eglise » (Rm. XI, 25). Et ailleurs : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et jusqu’aux confins de la terre pour ta possession » (Ps. II, 8). « Et en sa faveur, remontez en haut », c’est-à-dire, en faveur de cette multitude ; et nous savons que le Seigneur l’a fait par sa résurrection et son ascension. Ayant obtenu cette gloire, il a donné le Saint-Esprit qui ne pouvait descendre avant que Jésus fût glorifié, selon cette parole de l’Evangile : « Le Saint-Esprit n’était point encore descendu, parce que Jésus n’était pas encore entré dans sa gloire » (Rm. XI, 25). Donc après s’être élevé au ciel en faveur de la multitude des peuples, il envoya l’Esprit-Saint, dont les prédicateurs de l’Evangile étaient remplis , quand, à leur tour, ils remplissaient d’églises l’univers entier.

7. Ces paroles : « Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, planez au-dessus des régions de mes ennemis » (Ps. VII, 7), peuvent encore s’entendre ainsi : Levez-vous dans votre colère, et que mes ennemis ne vous comprennent point, alors « exaltare, soyez au-dessus », signifierait : Élevez-vous à une telle hauteur que vous soyez incompréhensible ; ce qui a rapport au silence de tout à l’heure. Un autre psaume a dit à propos de cette élévation : « Il est monté au-dessus des Chérubins, et il a pris son vol et s’est dérobé dans les ténèbres » (Id. XVII, 11, 12). Cette élévation vous cachait à ceux que leurs crimes empêchaient de vous connaître, et qui vous ont crucifié; et voilà que l’assemblée des fidèles vous environnera. C’est à son humilité que le Seigneur doit d’être élevé ; c’est-à-dire incompris. Tel serait le sens de : « Élevez-vous selon la loi que vous avez portée » (Ps. VII, 7), c’est-à-dire, dans votre humiliation apparente soyez tellement élevé que mes ennemis ne vous comprennent point. Car les pécheurs sont les ennemis du juste, et les impies de l’homme pieux. « Et les peuples vous environneront en foule » (Id. 8) ; car ce qui porte à vous crucifier ceux qui ne vous connaissent pas, fera que les nations croiront en vous, et ainsi les peuples vous adoreront en foule. Mais si tel est vraiment le sens du verset suivant, il faut plutôt nous attrister à cause de l’effet que nous en ressentons dès ici-bas, que nous réjouir de l’avoir compris. Il porte, eu effet : « Et à cause d’elle remontez en haut » (Ibid.) ; c’est-à-dire, à cause de ces hommes dont la foule encombre vos églises, remontez bien haut, ou cessez d’être connu. Qu’est-ce à dire : « A cause de cette foule ? » sinon, parce qu’elle doit, vous offenser, et ainsi justifier cette, parole : « Pensez-vous que le Fils de l’homme, revenant sur la terre, y trouvera de la foi ? » (Lc, XVIII, 8) Il est dit encore, à propos des faux prophètes ou des hérétiques : « A cause de leur iniquité, la charité se refroidira chez un grand nombre » (Mt. XXIV, 12). Or, quand au sein de l’Eglise, ou dans la société des peuples et des nations que le nom du Christ a si complètement envahis, le crime débordera avec cette fureur que nous lui voyons en grande partie déjà, n’est-ce point alors que se fera sentir la disette de la parole, annoncée par un autre prophète ? (Am, VIII, 11) N’est-ce point à cause de cette congrégation qui, à force de crimes, éloigné de ses yeux la lumière de la vérité, que Dieu remonte en haut, de manière que la vraie foi, pure de tout alliage d’opinions perverses, ne se trouve plus nulle part, sinon dans le petit nombre dont il est dit : « bienheureux celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé ? » (Mt. X, 22). C’est donc à bon droit qu’il est dit : « Et à cause de cette assemblée, remontez en haut ». Retirez-vous dans vos secrètes profondeurs, justement à cause de cette assemblée des peuples qui portent votre nom, sans accomplir vos œuvres.

8. Que l’on adopte la première explication, ou cette dernière, ou toute autre de valeur égale, et mémé supérieure, le Prophète n’a pas moins raison de dire que « le Seigneur juge les peuplés » (Ps. VII, 9). Si non entend par s’élever en haut, qu’il est ressuscité pour monter (149) au ciel, on peut dire fort bien que « le Seigneur juge les peuples », puisqu’il en descendra pour juger les vivants et les morts. S’il remonte dans les hauteurs, parce que le péché fait perdre aux fidèles l’intelligence de la vérité, comme il est dit à propos de son avènement : « Pensez-vous que le Fils de l’homme venant en ce monde y trouvera de la foi ? » (Lc, XVIII, 8) « Le Seigneur juge encore les peuples ». Mais quel Seigneur, sinon Jésus-Christ ? « Car le Père ne juge personne ; il a donné au Fils le pouvoir de juger » (Jn, V, 22). Voyez alors comme cette âme si parfaite en sa prière, s’émeut peu du jour du jugement, et avec quelle sécurité de désir elle dit à Dieu dans sa ferveur : « Que votre règne arrive » (Mt. VI, 10), puis : « Jugez-moi, Seigneur, selon votre justice » (Ps. VII, 9). Dans le psaume précédent, c’était un infirme qui priait, sollicitant le secours de Dieu bien plus qu’il ne faisait valoir ses propres mérites, car le Fils de Dieu est venu pour appeler à la pénitence tous les pécheurs (Lc, V, 32). Aussi disait-il : « Sauvez-moi, Seigneur, à cause de votre miséricorde » (Ps. VII, 5), et non à cause de mes mérites. Maintenant que docile à l’appel de Dieu, il a gardé les préceptes qu’il a reçus, il ose bien dire : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice, et selon mon innocence d’en haut » (Id. VII, 9). La véritable innocence est de ne pas nuire, même à ses ennemis. Il peut donc demander à être jugé selon son innocence, celui qui a pu dire en toute vérité « Si j’ai tiré vengeance de celui qui me rendait le mal » (Id. 5). Cette expression « d’en haut, super me », doit s’appliquer à sa justice aussi bien qu’à son innocence, et alors il dirait : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice et selon mon innocence, justice et innocence d’en haut » ; expression qui nous montre que l’âme n’a point en elle-même la justice et l’innocence, et qu’elle les reçoit de la lumière dont il plaît à Dieu de nous éclairer. Aussi dit-elle dans un autre psaume : « C’est vous, Seigneur, qui faites briller mon flambeau » (Ps. XVII, 29). Et il est dit de Jean : « Qu’il n’était point la lumière, mais qu’il rendait témoignage à la lumière » (II Jn, I, 8), « qu’il était une torche enflammée et brillante » (Id. V, 35). Cette lumière donc, à laquelle nos âmes s’illuminent comme des flambeaux, ne brille point d’un éclat d’emprunt, mais d’un éclat qui lui est propre et qui est la vérité. « Jugez-moi donc », est-il dit, « selon ma justice et selon mon innocence d’en haut », comme si la torche allumée et brillante disait : Jugez-moi selon cette splendeur d’en haut, c’est-à-dire qui n’est point moi-même, et dont je brille néanmoins, quand vous m’avez allumée.

9. « Que la malice des pécheurs se consomme » (Ps. VII, 10). Cette consommation est ici le comble, d’après cette parole de l’Apocalypse : « Que celui qui est juste le devienne plus encore, et que l’homme souillé se souille davantage » (Ap. XXII, 11). L’iniquité paraît consommée dans ceux qui crucifièrent le Fils de Dieu, mais elle est plus grande chez ceux qui refusent de vivre saintement, qui haïssent les lois de la vérité, pour lesquelles a été crucifié ce même Fils de Dieu. Que la malice donc des pécheurs se consomme, dit le Prophète, qu’elle s’élève jusqu’à son comble et qu’elle appelle ainsi votre juste jugement. Toutefois, non seulement il est dit Que l’homme souillé se souille encore; mais il est dit aussi : Que le juste devienne plus juste ; c’est pourquoi le Prophète poursuit en disant : « Et vous dirigerez le juste, ô Dieu qui sondez les cœurs et les reins » (Ps. VII, 10). Mais comment le juste peut-il être dirigé, sinon d’une manière occulte ? puisque les mêmes actions que les hommes admiraient dans les premiers temps du christianisme, quand les puissances du siècle mettaient les saints sous le pressoir de la persécution, ces actions, aujourd’hui que le nom chrétien est arrivé à l’apogée de sa gloire, servent à développer l’hypocrisie ou la dissimulation chez des hommes qui sont chrétiens de nom, pour plaire aux hommes plutôt qu’à Dieu ? Dans cette confusion de pratiques hypocrites, comment le juste peut-il être dirigé, sinon par le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, qui voit nos pensées, désignées ici sous l’expression de coeur, et nos plaisirs, que désignent les reins ? Le Prophète a raison d’attribuer à nos reins le plaisir que nous font éprouver les biens temporels ; c’est en effet la partie inférieure de l’homme, et comme le siège de cette voluptueuse et charnelle génération, qui perpétue la race humaine, et nous donne cette vie calamiteuse dont les joies sont mensongères. Donc, ce Dieu qui sonde les cœurs et voit qu’ils sont où est notre trésor (Mt. VI, 21), qui sonde les reins, et voit que loin de nous arrêter au sang et à la chair (Ga. I, 16), nous mettons nos délices dans le Seigneur, ce même Dieu dirige le juste dans cette conscience même, où il est présent, où l’œil de l’homme ne pénètre point, mais seulement l’œil de celui qui connaît l’objet de nos pensées et de nos plaisirs. Car le but de nos soucis est le plaisir, et nul dans ses soins et dans ses pensées ne se propose que d’y parvenir. Dieu qui sonde les cœurs voit nos soucis, et il en voit le but ou le plaisir, lui qui sonde aussi nos reins; et quand il verra que nos soucis, loin de s’arrêter à la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux, ou à l’ambition mondaine, choses qui passent comme l’ombre (I Jn, II, 16, 17), s’élèvent jusqu’aux joies éternelles que ne trouble aucune vicissitude, ce Dieu qui sonde les reins et les cœurs conduit le juste par la voie droite, Telle œuvre que nous faisons, peut être connue des hommes, si elle consiste en paroles ou en actes extérieurs ; mais notre intention en la faisant, et le but qui nous pousse à la faire, ne sont connus que de Dieu qui sonde les reins et les cœurs.

10. « J’attends un juste secours du Seigneur, qui sauve les hommes au cœur droit » (Ps. VII, 11). La médecine a une double tâche, d’abord de guérir la maladie, ensuite de conserver la santé. C’est dans le premier but qu’un malade disait dans le psaume précédent : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible » (Id. VI, 3). En vue du second but, nous trouvons dans le psaume qui nous occupe : « Si l’iniquité souille mes mains, que je tombe justement sous les efforts de mes ennemis » (Id. VII, 4, 5). Dans le premier cas, le malade implore sa guérison, et dans le second, l’homme en santé demande à n’être point malade. L’un s’écrie donc : « Sauvez-moi dans votre miséricorde » (Id. VII, 5) ; et l’autre : « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice ». Le premier demande le remède qui le guérira, le second le préservatif contre la maladie. Aussi le premier dit-il : Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde, et le second : J’attends un secours juste du Seigneur, qui sauve l’homme au cœur droit. Dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la miséricorde qui nous sauve : dans le premier, en nous faisant passer de la maladie à la santé ; dans le second, en nous maintenant en santé. Il y a dans le premier un secours de miséricorde, puisqu’il n’y a nul mérite chez le pécheur qui désire seulement être justifié par la foi en celui qui justifie l’impie (Rm. IV, 5) : dans le second, un secours de justice, car il est accordé à celui qui est déjà justifié. Que ce pécheur alors qui disait : Je suis infirme, dise maintenant : Sauvez-moi, Seigneur, dans votre miséricorde ; et que le juste qui pouvait dire : Si j’ai tiré vengeance de ceux qui me rendaient le mal, dise maintenant : J’attends un juste jugement du Seigneur qui sauve l’homme au coeur droit. Car si Dieu nous donne le remède qui guérit notre maladie, combien plus nous donnera-t-il le moyen de conserver la santé ? Car si Jésus-Christ est mort pour nous quand nous étions pécheurs, maintenant que nous sommes justifiés, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère du Seigneur (Id. V, 8, 9).

11. « J’attends un juste secours du Seigneur », qui sauve l’homme au coeur droit. Le Dieu qui sonde les reins et les coeurs, donne aussi la droiture au juste; et par un juste secours il sauve ceux qui ont le coeur droit. Toutefois, il ne donne pas le salut à ceux qui ont la droiture dans le coeur et dans les reins, de la même manière qu’il sonde les reins et les coeurs. Dans le coeur, en effet, siègent les pensées : mauvaises, quand il est dépravé ; bonnes, quand il est droit; mais aux reins appartiennent les plaisirs condamnables qui ont quelque chose de bas et de terrestre, tandis qu’un plaisir pur n’est plus dans les reins, mais dans le coeur. Aussi ne peut-on pas dire : La droiture des reins, comme on dit : La droiture du cœur ; car où est la pensée, là aussi est la jouissance : cette droiture ne peut avoir lieu que si nous pensons aux choses divines et éternelles. Aussi le Prophète s’écriait-il : « Vous avez mis la joie dans mon cœur », après avoir dit : « La lumière de votre face est empreinte sur nous » (Ps. IV, 7). Ce n’est point le coeur, en effet, mais bien les reins qui trouvent une certaine jouissance dans cette joie folle et délirante que nous causent de vaines imaginations, quand les fantômes des choses temporelles, que se forme notre esprit, le bercent d’un espoir vain et passager ; tous ces fantômes nous viennent d’en bas, ou des choses terrestres et charnelles. De là vient que Dieu, sondant les coeurs et les reins, et voyant le coeur occupé de pensées droites, les reins sevrés de toute volupté, donne un juste secours à ce coeur droit qui sait allier à des pensées pures d’irréprochables délices. Aussi, après avoir dit dans un autre psaume : « Jusque dans la nuit mes reins m’ont tourment », le Prophète parlait du secours divin, et s’écriait : « J’avais toujours le Seigneur présent devant moi, parce qu’il est à ma droite, et je ne serai point ébranlé (Ps. XV, 7, 8), marquant ainsi que ses reins lui ont seulement suggéré, mais non causé la volupté, qui l’eût ébranlé, s’il l’avait ressentie. Il dit donc : « Le Seigneur est à ma droite, et je ne serai point ébranlé » ; puis il ajoute : « Aussi mon coeur a-t-il tressailli de joie » ( Id. 9). Les reins ont bien pu le tourmenter, mais non lui donner la joie. Ce n’est donc point dans les reins qu’il a senti la joie, mais dans ce coeur qui lui a montré que Dieu le soutiendrait contre les suggestions de ses reins.

12. « Dieu est un juge équitable, il est fort et patient » (Id. VII, 12). Quel est ce Dieu juge, sinon le Seigneur qui juge les peuples ? Il est juste, car il rendra à chacun selon ses œuvres (Mt. XVI, 27) ; il est fort, puisque nonobstant sa toute-puissance, il a enduré pour notre salut les persécutions des méchants ; il est patient, puisqu’il n’a point livré ses bourreaux au supplice, aussitôt après sa résurrection, mais il a différé afin qu’ils pussent détester cette impiété, et se sauver ; il diffère encore aujourd’hui, réservant le supplice éternel pour le dernier jugement, et chaque jour appelant les pécheurs au repentir. « Il n’appelle point chaque jour sa colère ». Cette expression : « Appeler sa colère », est plus significative que se mettre en colère, et nous la trouvons dans la version grecque (Me orge epogon) ; elle nous montre que cette colère, qui le porte au châtiment, n’est point en lui-même, mais dans les sentiments de ses ministres qui obéissent aux lois de la vérité : ce sont eux qui ordonnent aux ministres inférieurs, appelés anges de colère, de châtier le péché. Ceux-ci, à leur tour, éprouvent, en châtiant les hommes, la satisfaction, non de la justice, mais de la méchanceté. « Dieu donc n’appelle point chaque jour sa colère » ; c’est-à-dire, ne convoque point chaque jour les ministres de ses vengeances. Maintenant, sa patience nous invite au repentir ; mais au dernier jour, quand les hommes, par leur dureté et l’impénitence de leur coeur, se seront amassé un « trésor de colère pour le jour où se révélera la colère et le juste jugement de Dieu » (Rm. II, 5), alors il brandira son glaive.

13. « Si vous ne retournez à lui »,dit le Prophète, « il brandira son glaive » (Ps. VII, 13). On peut dire de Jésus-Christ, qu’il est le glaive de Dieu, glaive à deux tranchants, framée qu’il n’a point brandie à son premier avènement, mais qu’il a tenue cachée dans le fourreau de son humilité ; mais au second avènement, quand il viendra juger les vivants et les morts, les éclairs de cette framée brilleront de tout l’éclat de sa splendeur, pour illuminer les justes, et jeter les impies dans l’effroi. D’autres versions, au lieu de : « Brandira son glaive », portent : « Fera briller sa framée » : expression qui s’applique fort bien, selon moi, à cette splendeur de Jésus-Christ, au dernier avènement ; car en parlant au nom de Jésus-Christ même, le psalmiste a dit ailleurs : « Seigneur, délivrez mon âme des mains de l’impie, et votre glaive des ennemis de votre puissance » (Id. XVI, 13, 14). « Il a tendu son arc et l’a préparé ». Il ne faut point négliger ce changement de temps dans les verbes : il est dit au futur que « Dieu brandira son épée » ; et au passé, « qu’il a tendu son arc », et le discours continue au passé.

14. « Il a mis en lui l’instrument de la mort : il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents » (Id. VII, 14). Dans cet arc, je verrais volontiers les saintes Ecritures, où la force du Nouveau Testament, pareille à un nerf, a fait fléchir et a dompté la raideur de l’Ancien. Cet arc a lancé comme des flèches; les Apôtres ou les saints prédicateurs. Ces flèches que Dieu a fabriquées avec le charbon ardent, embrasent de l’amour divin ceux, qu’elles ont frappés. De quelle autre flèche serait blessée l’âme qui chante ainsi : « Conduisez-moi dans les lieux où se garde le vin, établissez-moi dans les parfums, environnez-moi de miel, parce que l’amour m’a blessée ? » (Ct. II, 4, suiv. les LXX.) De quelle autre flèche peut être embrasé celui qui veut revenir à Dieu, qui quitte le chemin de l’exil, qui implore du secours, contre les langues menteuses, et s’entend dire : « Que vous donner ? comment vous secourir contre les langues menteuses ? les flèches du vainqueur sont aiguës ; ce sont des charbons ardents ? » (Ps. CXIX, 3,4) c’est-à-dire, si vous en étiez atteint, vous brûleriez d’un tel amour du royaume de Dieu, que vous dédaigneriez tous ceux. qui vous résisteraient, et qui tâcheraient de vous détourner de votre dessein : vous vous ririez de leurs persécutions et vous diriez : « Qui me séparera de l’amour de Jésus-Christ ? L’affliction, les angoisses, la faim, la nudité, les périls, la persécution ou le glaive ? J’ai la certitude », poursuit l’Apôtre, « que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni les vertus, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur » (Rm. VIII, 35-39). C’est ainsi qu’il a fabriqué ses flèches avec des charbons ardents. Car la version grecque porte : « Ses flèches sont fabriquées au moyen de charbons ardents », quand, presque toujours, nous lisons dans la version latine. « Ses flèches sont ardentes » ; mais que les flèches brûlent, ou qu’elles allument le feu, ce qui leur serait impossible si elles n’étaient brûlantes, le sens est le même.

15. Le Prophète ne parle pas seulement de flèches que le Seigneur a préparées pour son arc, mais encore d’instruments de mort et l’on peut se demander, si des instruments de mort ne désigneraient point les hérétiques, car, eux aussi, s’élancent du même arc du Seigneur, ou des saintes Ecritures, non pour enflammer les âmes, de la charité, mais pour les tuer de leurs poisons ce qui n’arrive qu’à celles qui l’ont mérité par leurs crimes : et cette décision est encore l’œuvre de la divine Providence, non qu’elle porte les hommes au péché, mais parce qu’elle dispose des pécheurs dans l’ordre de sa sagesse. Le péché leur fait lire les Ecritures avec mauvaise intention, et le sens dépravé qu’ils sont forcés d’y donner, devient le châtiment du péché, et leur mort funeste devient comme un aiguillon, qui stimule les enfants de l’Eglise catholique, les tire de l’assoupissement et leur fait comprendre les saintes Ecritures. « Il faut, en effet, qu’il y ait des hérésies », dit l’Apôtre, « afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous , dont la vertu est éprouvée » (I Cor. XI, 19) ; c’est-à-dire, afin qu’on les reconnaisse parmi les hommes, car ils sont connus de Dieu. Ces flèches, ces instruments-de mort, ne seraient-ils point préparés pour l’extermination des infidèles, et Dieu ne les aurait-il pas faites brûlantes, ou avec des charbons ardents, afin d’embraser les fidèles ? Car elle n’est point mensongère, cette parole de l’Apôtre : « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et aux autres une s odeur de mort pour la mort; et qui est propre à ce ministère ? » (II Co. II, 16) Il n’est donc pas étonnant que les mêmes Apôtres soient des instruments de mort pour ceux qui les ont persécutés, et des flèches de feu pour embraser les cœurs de ceux qui ont cru.

16. Après en avoir agi de la sorte, Dieu fera voir l’équité de ce jugement, dont le Prophète nous parle de manière à nous faire comprendre que le supplice de chacun sera dans son péché, et le châtiment dans son injustice même ; et à nous prémunir contre cette pensée qu’il y aurait dans ce calme profond de Dieu, dans sa lumière ineffable, un désir de punir les crimes : toutefois il les dispose avec tant de sagesse, que cette joie même que goûtait l’homme dans son péché, devient un instrument de vengeance pour le Seigneur qui châtie. Voilà, dit le Prophète, « qu’il a enfanté l’injustice » (Ps. VII, 15). Mais qu’avait-il conçu pour enfanter ainsi l’injustice ? « Il avait conçu le travail » (Gn. III, 17), ce travail dont il est écrit : « Tu mangeras ton pain dans le labeur » ; et ailleurs : « Venez à moi, vous tous qui travaillez, et qui êtes chargés ; mon joug est doux, et mon fardeau léger » (Mt. XI, 28, 30). Car le labeur pénible ne finira point pour l’homme, tant qu’il n’aimera point ce qu’on ne pourra lui enlever malgré lui. En effet, tant que nous aimons ce qui peut nous échapper malgré notre volonté, nous subirons le travail et la peine: étroitement resserrés dans les difficultés de cette vie où chacun, pour posséder ces biens, s’efforce tantôt d’en prévenir un autre, tantôt de les extorquer au possesseur, nous ne pouvons les acquérir que par d’injustes combinaisons. Il est donc bien, il est parfaitement dans l’ordre que l’homme enfante l’injustice après avoir conçu le travail. Que peut-il enfanter, sinon ce qu’il a porté dans son sein, bien qu’il n’enfante pas ce qu’il a conçu ? Car le sujet à la naissance n’est plus celui de la conception : concevoir se dit d’un germe, mais c’est l’être que ce germe a formé, qui arrive à la naissance. Le travail est donc le germe de l’iniquité ; et concevoir le travail, c’est concevoir le péché, ce premier péché qui nous sépare de Dieu (Eccl. X, 14). Il a donc porté l’injustice, celui qui avait conçu le travail, et « il a mis au monde l’iniquité ». Et comme l’iniquité c’est l’injustice, il a fait éclore ce qu’il avait porté. Que dit-il ensuite ?

17. « Il a ouvert une fosse, il l’a creusée » (Ps. VII, 16). Ouvrir une fosse dans les affaires terrestres, aussi bien que dans la terre, c’est préparer un piége où puisse tomber celui que veut tromper l’homme injuste. Le pécheur ouvre cette fosse, quand il ouvre son âme aux suggestions des terrestres convoitises ; il la creuse, quand il y donne son adhésion et s’occupe d’ourdir la fraude. Mais comment serait-il possible que l’iniquité blessât l’homme juste qu’elle attaque, avant d’avoir blessé le coeur injuste qui la commet ? Un voleur, par exemple, reçoit de l’avarice une blessure, quand il cherche à endommager le bien d’autrui. Qui serait assez aveugle pour ne pas voir la distance qui sépare ces deux hommes, dont l’un subit la perte de son argent, l’autre de son innocence ? « Ce dernier donc tombera dans la fosse qu’il aura creusée » ; comme le psalmiste l’a dit encore ailleurs : « Le Seigneur se fait connaître dans ses jugements, et le pécheur s’est pris lui-même dans les oeuvres de ses mains » (Id. IX, 17).

18. « Son travail pèsera sur lui, et son iniquité retombera sur sa tête » (Jn, XVIII, 34). C’est lui qui n’a pas voulu fuir le péché ; mais il s’en est rendu volontairement l’esclave, selon cette parole du Seigneur : « Tout pécheur devient l’esclave du péché ». Son péché donc sera sur lui, puisque lui-même s’est soumis au péché ; dès lors qu’il n’a pu dire à Dieu, comme toute âme droite et innocente : « C’est vous qui êtes ma gloire et qui élevez ma tête » (Ps. III, 4), c’est donc lui qui sera abaissé, de manière que l’iniquité le dominera et descendra sur lui : elle sera pour lui un poids très-lourd, et l’empêchera de prendre son essor vers le repos des saints. Voilà ce qui arrive chez le pécheur, quand l’âme est esclave, et que les passions dominent.

19. « Je confesserai le Seigneur selon sa justice » (Ps. III, 18). Cette confession n’est point l’aveu des pécheurs ; car celui qui parle ainsi disait plus haut avec beaucoup de vérité : « Si vous trouvez l’iniquité dans mes mains » (Id. VII, 18). C’est donc un témoignage rendu à la justice de Dieu ; comme s’il disait : Vraiment, Seigneur, vous êtes juste, et quand vous protégez les bons de manière à les éclairer par vous-même, et quand, par votre sagesse, le pécheur trouve son châtiment dans sa propre malice, et non dans votre volonté. Cette confession élève la gloire du Seigneur bien au-dessus des blasphèmes des impies, qui veulent des excuses pour leurs crimes, et refusent de les attribuer à leur faute, c’est-à-dire qu’ils ne veulent point que la culpabilité soit coupable. Ils accusent de leurs péchés, ou la fortune ou le destin, ou le démon auquel notre Créateur a voulu que nous pussions résister, ou même une nature qui ne viendrait point de Dieu ; ils s’égarent en de misérables fluctuations, plutôt que de mériter de Dieu leur pardon par un aveu sincère. Car il n’y a de pardon possible que pour celui qui dit : J’ai péché. Or, celui qui comprend que Dieu, dans sa sagesse, rend à chacune des âmes ce qu’elle a mérité, sans déroger aucunement à la beauté de l’univers, loue Dieu dans toutes ses œuvres ; et ce témoignage ne vient pas des pécheurs, mais des justes. Ce n’est point avouer des fautes que de dire au Seigneur : « Je vous confesse, Seigneur du ciel et de la terre, parce que vous avez dérobé ces mystères aux savants, pour les révéler aux petits (Mt. XI, 25). De même, nous lisons dans l’Ecclésiastique : « Confessez le Seigneur dans toutes sas œuvres. Et voici ce que vous direz dans vos confessions : Tous les ouvrages du Seigneur proclament sa sagesse » (Eccl. XXIX, 19, 20). Donc, cette confession dont parle ici David, consiste à comprendre, avec le secours de Dieu et une piété sincère, comment le Seigneur, qui récompense les justes, et qui châtie les méchants, par ce double effet de sa justice, maintient toute créature qu’il a faite et qu’il gouverne, dans une admirable beauté, que peu d’hommes comprennent. Il s’écrie donc : « Je confesserai le Seigneur selon sa justice », comme le ferait celui qui a compris que le Seigneur n’a point fait les ténèbres, quoiqu’il en dispose avec sagesse. Dieu dit en effet : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut » (Gn. I, 3) ; mais il ne dit pas : Que les ténèbres soient, et les ténèbres furent faites ; et toutefois il les a réglées, puisqu’il est dit « qu’il sépara la lumière des ténèbres, qu’il donna le nom de jour à la lumière, et celui de nuit aux ténèbres » (Id. 4, 5). Il y a donc cette différence qu’il fit l’un et le régla ; et qu’il ne fit pas l’autre, bien qu’il la réglât néanmoins. Que les ténèbres figurent le péché, c’est ce que nous apprend ce mot d’un Prophète : « Et vos ténèbres seront pour vous le soleil » (Is. LVIII, 10) ; et cette parole de saint Jean : « Celui-là est dans les ténèbres qui a de la haine contre son frère » (I Jn, II, 11) ; et surtout celle-ci de saint Paul : « Dépouillons-nous des œuvres ténébreuses, pour revêtir les armes de la lumière » (Rm. XIII, 12). Ce n’est pas qu’il y ait une nature ténébreuse ; car toute nature existe nécessairement comme nature. Mais exister, c’est le propre de la lumière, tandis que ne pas exister, est le propre des ténèbres. Donc, abandonner celui qui nous a créés pour nous incliner vers ce néant d’où nous avons été tirés, c’est nous couvrir des ténèbres du péché ; ce n’est point périr tout à fait, mais descendre au dernier rang. Aussi, quand le Prophète a dit : « Je confesserai devant le Seigneur » a-t-il soin d’ajouter, pour ne point nous laisser croire à un aveu de ses fautes : « Et je chanterai le nom du Seigneur Très-Hauté » (Ps. VII, 18). Or, chanter est le propre de la joie, tandis que le repentir de nos fautes accuse la douleur.

20. On pourrait appliquer ce psaume à la personne de l’Homme-Dieu, en rapportant à notre nature infirme, qu’il avait daigné revêtir, tout ce qui est dit à notre confusion.

DISCOURS SUR LE PSAUME VIII

LE PRESSOIR DE L’ÉGLISE

POUR LA FIN, PSAUME DE DAVID, SUR LES PRESSOIRS.

La grappe de raisin contient le vin et le marc : le marc formé des enveloppes a été nécessaire pour amener le vin à maturité; le pressoir le sépare de cette enveloppe protectrice. Telle est l’oeuvre de l’Eglise qui nourrit les petits du lait de la doctrine jusqu’à ce qu’ils deviennent adultes et prennent la solide nourriture des parfaits.

1. La teneur du psaume ne nous laisse rien voir à propos de ces pressoirs qui lui servent de titre, ce qui nous montrerait que souvent l’Ecriture nous désigne le même objet sous des figures multiples et variées. Nous pouvons donc, sous la dénomination de pressoirs, entendre l’Eglise, par la même raison qui nous l’a fait voir sous la figure d’une aire ; car l’aire ou le pressoir, n’ont d’autre objet que d’ôter au blé ou au raisin ces enveloppes dont ils avaient besoin pour naître, pour croître et pour arriver à la maturité de la moisson ou de la vendange. Ces enveloppes ou ces soutiens sont, pour le blé, la paille dont il est dépouillé dans l’aire, et pour le vin, les grappes dont on l’extrait au pressoir. Il en est de même dans l’Eglise. Les bons y sont mêlés à la foule des hommes terrestres, mélange qui leur est nécessaire, et sans lequel ils ne pourraient naître, ni devenir aptes à la parole de Dieu ; et les ministres de l’Eglise travaillent à les séparer de cette foule au moyen d’un amour spirituel. Ainsi en agissent aujourd’hui les bons qui mettent l’intervalle, non des lieux, mais de l’amour, entre eux et les méchants, bien que, selon le corps, ils soient présents avec eux dans les mêmes églises. Un autre temps viendra où le froment sera séparé pour les greniers et le vin pour les celliers du Père céleste, selon le mot de l’Evangile : « Il amassera le froment pour ses greniers, et jettera la paille au feu inextinguible » (Luc III, 17). La même pensée peut s’exprimer par cette autre comparaison : Il mettra son vin en réserve dans ses celliers et jettera le marc aux animaux; et le ventre des animaux pourrait être comparé aux gouffres de l’enfer.

2. On peut encore entendre les pressoirs d’une autre manière, mais en les regardant toujours comme figure de l’Eglise. Le Verbe divin aurait pour emblème Je raisin ; car on voit dans cette grappe suspendue au bois, que les émissaires d’Israël rapportaient de la terre promise (Nb. XIII, 24), une figure de Jésus crucifié. Alors, quand le Verbe divin a besoin d’emprunter le son de la voix pour arriver à l’oreille des auditeurs, l’intelligence de ce Verbe est au son de la voix, comme le vin doux est au marc qui le contient ; et cette grappe sacrée arrive à nos oreilles comme sous la violence des pressoirs. C’est là qu’elle se déchire ; et le son de la voix est pour les oreilles, tandis que le sens arrive dans la mémoire des auditeurs comme dans un réservoir, pour se déverser ensuite dans la règle des moeurs et dans les mouvements de notre âme, comme le vin coule de la cuve dans les celliers, où il prendra sa force en vieillissant, si la négligence ne le laisse pas aigrir. Car il s’est aigri chez les Juifs, qui ont abreuvé le Seigneur de ce vinaigre(Jn, XIX, 29). Au contraire, il aura de la douceur et de la force, le produit de cette vigne mystérieuse du Nouveau Testament que le Seigneur doit boire avec ses élus dans le royaume de son Père (Lc, XXII, 18).

3. Souvent encore, le nom de pressoir désigne le martyre; car après avoir passé sous le pressoir de la persécution, les restes mortels de ceux qui ont donné leur vie pour Jésus-Christ sont jetés sur la terre comme le marc, tandis que les âmes ont pris leur essor pour le repos de l’éternel séjour. Mais ce sens figuratif ne s’éloigne point des fruits que produit l’Eglise. Le nom de pressoir donné à ce psaume nous reporte donc à l’établissement de l’Eglise, alors que le Seigneur ressuscitait pour monter au ciel. Ce fut alors qu’il envoya l’Esprit-Saint; et les disciples qui en étaient remplis, prêchèrent avec confiance la parole de Dieu, et formèrent des Eglises.

4. C’est pourquoi il est dit avec raison : « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est grand par toute la terre ! » (Ps. VIII, 2) Mais comment ce nom est-il grand dans l’univers entier ? et le Prophète répond : « C’est que votre magnificence est élevée au-dessus des cieux » (Ibid.). Le sens serait alors : Seigneur, qui êtes notre Dieu, dans quelle admiration vous jetez les habitants de la terre! puisque, de votre abaissement en ce monde, vous avez fait éclater votre gloire par-dessus les cieux : pour ceux en effet qui vous voyaient monter au ciel, et pour ceux qui y croyaient, cette ascension montrait avec quelle puissance vous en étiez descendu.

5. C’est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à l’encontre de vos ennemis » (Id. 3). Par ces enfants nouveau-nés et à la mamelle, nous ne pouvons entendre que ceux dont l’Apôtre a dit : « Comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait et non des viandes solides » (I Co. III, 2). Ils étaient figurés par ces autres enfants qui précédaient Jésus-Christ en chantant ses louanges, et en faveur desquels Jésus cita ce passage dans sa réponse aux Juifs qui le pressaient de leur imposer silence : « N’avez-vous donc point lu cette parole, dit le Sauveur : C’est de la bouche des enfants nouveau nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite ? » (Mt. XXI, 16) Il a raison de ne point dire seulement : « Vous avez tiré votre louange » ; mais, « une louange parfaite ». Car il y a des fidèles dans l’Eglise, qui ont quitté le lait pour une nourriture plus solide, et c’est d’eux que parle saint Paul quand il dit : « Nous prêchons aux parfaits la sagesse divine » (Co. II, 6) mais ils ne sont pas seuls pour former l’Eglise, car s’ils étaient seuls, Dieu abandonnerait la faiblesse humaine. Or, c’est par égard pour cette faiblesse, qu’il veut donner pour nourriture, à ceux qui sont incapables de comprendre les choses spirituelles et éternelles, la foi historique de tout ce qui s’est accompli dans le temps, depuis les Patriarches et les Prophètes, par celui qui est l’incomparable puissance et la sagesse de Dieu, et particulièrement dans le mystère de l’Incarnation. Quiconque y adhère par la foi y trouve le salut, lorsque, entraîné par cette autorité, il se soumet aux préceptes qui le purifient, s’enracine solidement la charité, devient capable de courir avec les saints, non plus comme l’enfant qui a besoin de lait, mais comme le jeune homme qui prend une nourriture solide, et peut comprendre la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur, connaître même l’amour de Jésus-Christ pour nous, qui surpasse toute connaissance (Ep. III, 18, 19).

6. « C’est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, que vous avez tiré une louange parfaite, à cause de vos ennemis ». Par ennemis de ce qu’a fait Jésus, et Jésus crucifié, nous devons entendre en général, tous ceux qui défendent de croire à l’inconnu, et qui nous promettent une connaissance claire. Telle est la conduite des hérétiques et de ceux que leurs superstitions idolâtres ont fait appeler philosophes : non qu’il soit mauvais de promettre la science, mais ils veulent écarter la foi qui est l’échelle salutaire et indispensable pour nous élever à une certitude dont l’objet ne peut être que les choses éternelles. Cette négligence d’un moyen si utile et si nécessaire nous prouve à elle seule, qu’ils n’ont point cette science promise au mépris de la foi. « C’est donc de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, Seigneur, que vous avez tiré une louange parfaite », en nous disant par votre Prophète : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point » (Is. VII, 9, suiv. les LXX), et en nous disant vous-même : « Bienheureux ceux qui n’ont point vu et qui l’ont cru » (Jn, XX, 29). A cause de vos ennemis, de ces mêmes hommes à l’occasion desquels vous avez dit ; « Je vous rends grâces, Dieu du ciel et de la terre, qui avez dérobé ces mystères aux sages, pour les révéler aux petits » (Mt. XI, 25). Le Seigneur les appelle sages, non qu’ils le soient en effet, niais parce qu’ils croient l’être. « Afin de détruire l’ennemi et le défenseur » (Ps. VIII, 3). Quel ennemi, sinon l’hérétique, à la fois ennemi et défenseur de la foi chrétienne, qu’il attaque, et que néanmoins il paraît défendre ? On pourrait encore appeler ennemis et défenseurs, les philosophes du siècle: carie Fils de Dieu est la force et la sagesse de Dieu, qui éclaire tous ceux que la vérité a rendus sages. Or, ces philosophes, ainsi nommés parce qu’ils font profession d’aimer la sagesse, paraissent la défendre, bien qu’ils en soient les ennemis, puisqu’ils ne cessent de prêcher des superstitions dangereuses, et de porter les hommes au culte des éléments de ce monde.

7. « Pour moi, je considère vos cieux, l’ouvrage de vos doigts » (Ps. VIII, 4). Nous lisons que Dieu écrivit la loi de son doigt, pour la donner à Moïse, son saint et fidèle serviteur (Ex. XXXI, 18), et dans ce doigt de Dieu. beaucoup d’interprètes voient l’Esprit-Saint. Si donc par les doigts de Dieu, nous pouvons entendre aussi les ministres remplis de l’Esprit-Saint, parce que c’est lui qui agit en eux : comme ce sont eux qui nous ont préparé toutes les divines Écritures, il nous est permis aussi d’entendre par les cieux les livres de l’un et de l’autre Testament. Il est dit aussi de Moïse, que les mages de Pharaon, voyant qu’il les surpassait, s’écrièrent : « Celui-ci est le doigt de Dieu » (Id. VIII, 19). Quoique cette expression d’Isaïe : « Le ciel sera replié comme un livre » (Is. XXXIV, 4), s’applique au ciel éthéré, on peut très-bien l’entendre encore dans le sens allégorique des livres de l’Écriture. « Pour moi donc, je considère les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains », c’est-à-dire, je lirai, je comprendrai ces Écritures, que vous avez écrites par vos ministres, que dirigeaient l’Esprit-Saint.

8. On peut donc aussi voir les livres saints, dans ces cieux dont il disait auparavant : « Votre magnificence est élevée au-dessus des cieux », ce qui signifiait : Parce que votre magnificence est plus élevée que les cieux, et qu’elle surpasse toutes les paroles des Ecritures; voilà que vous avez tiré de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle, la louange la plus parfaite, en contraignant à commencer par croire aux saintes Ecritures, ceux qui désirent arriver à la connaissance de votre grandeur ; et cette grandeur est bien au-dessus des Ecritures, puisqu’elle surpasse tous les efforts et toutes les expressions du langage. Dieu donc a voulu abaisser les Ecritures jusqu’au niveau des enfants nouveau-nés et à la mamelle, comme l’a dit un autre psaume : « Il a abaissé les cieux et il est descendu » (Ps. XVII, 19) : et il l’a fait à cause de ses ennemis, qui détestent la croix de Jésus-Christ, et dont les discours orgueilleux ne peuvent même, en disant la vérité, devenir utiles aux enfants nouveau-nés et à la mamelle. C’est ainsi qu’est détruit l’ennemi et le défenseur, qui veut défendre tantôt la sagesse, tantôt le nom du Christ, et qui attaque néanmoins la vérité dont il garantit la prompte intelligence, puisqu’il ruine la foi qui en est la base. On peut le convaincre encore de ne posséder point la vérité, puisqu’en ruinant la foi qui est l’échelle pour y arriver, il prouve qu’il en ignore le chemin. Si donc on veut détruire ce téméraire, cet aveugle prometteur de la vérité, qui en est à la fois l’ennemi et le défenseur, il faut regarder les cieux, l’ouvrage des doigts de Dieu, c’est-à-dire comprendre les saintes Écritures qui s’abaissent jusqu’à cette lenteur des enfants qu’elles nourrissent d’abord par l’humble croyance des faits historiques accomplis pour notre salut, qu’elles fortifient ensuite jusqu’à les élever à la sublime intelligence des vérités éternelles. Ces cieux donc, ou les livres saints, sont l’ouvrage des doigts de Dieu, puisqu’ils sont écrits par le Saint-Esprit qui animait les saints et agissait en eux. Pour ceux qui ont cherché leur gloire plutôt que le salut des hommes, ils ont parlé sans l’Esprit-Saint, en qui sont les entrailles de la divine miséricorde.

9. « Je verrai donc les cieux, l’ouvrage de vos doigts, la lune et les étoiles que vous avez établies » (Ps. VIII, 4). C’est dans le ciel que sont établies la lune et les étoiles ; parce que l’Eglise universelle, souvent désignée par la lune, et les églises particulières, que désignerait, selon moi, la dénomination d’étoiles, sont basées sur les saintes Ecritures, que nous avons reconnues dans la dénomination des cieux. Dans un autre psaume, nous verrons plus à propos comment le nom de lune convient à l’Eglise, en expliquant cette parole : « Les pécheurs ont bandé leur arc pour percer, dans l’obscurité de la lune, les hommes au cœur droit » (Id. X, 3).

10. « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? » (Id. VIII, 5) On peut se demander quelle est la différence entre l’homme et le fils de l’homme ; car s’il n’y en avait aucune, le Prophète n’aurait pas dit avec la disjonctive : « L’homme ou le fils de l’homme ». Si le Prophète avait dit : « Qu’est-ce que l’homme pour que vous vous souveniez de lui, et le fils de l’homme pour que vous le visitiez ? il semblerait faire une répétition du mot homme ». Mais en disant : « L’homme, ou le fils de l’homme », il montre qu’il met entre ces deux expressions une différence. Retenons bien d’abord que tout fils de l’homme est un homme, bien que tout homme ne soit point fils de l’homme ; car Adam est un homme sans être fils de l’homme, Il est donc bien de remarquer ici quelle est la différence entre l’homme et le fils de l’homme : et alors ceux qui portent l’image de l’homme terrestre qui n’est point fils de l’homme, sont désignés par le nom d’hommes, tandis que l’on appellerait fils de l’homme, ceux qui portent l’image de l’homme céleste (I Co. XV, 49). L’homme terrestre, c’est le vieil homme, tandis qu’on appelle homme nouveau (Ep. IV, 22) l’homme céleste. Mais l’homme nouveau provient du vieil homme, puisque la régénération spirituelle ne s’opère que par le changement de notre vie terrestre et mondaine ; et c’est ce qui le fait appeler fils de l’homme. Ici donc l’homme est terrestre, le fils de l’homme est céleste ; le premier est loin de Dieu, tandis que l’autre est devant lui ; alors il se souvient de l’un qui est à une longue distance, et il visite l’autre en l’éclairant à la lumière de sa face. Car « le salut est loin des pécheurs » (Ps. CXVIII, 155), « et sur nous, ô Dieu, est empreinte la lumière de votre face » (Id. IV, 7). Ainsi encore, dans un autre psaume, le Prophète associe les hommes aux animaux, dit que Dieu les sauve avec les bêtes de somme, non sans doute en leur communiquant sa lumière intérieure, mais par une extension de sa miséricorde qui descend avec bonté jusqu’aux dernières créatures : car Dieu sauve les hommes charnels comme il sauve les animaux ; mais il sépare les fils des hommes, de ces hommes qu’il associait aux animaux ; il les proclame, bienheureux d’une manière plus relevée, et par l’effet de la vérité qui les éclaire, et de la source de vie qui se répand en eux. « Seigneur », dit-il, « vous sauverez les hommes et les animaux, selon que vous multipliez votre bienveillance, ô Dieu. Mais les enfants des hommes espéreront à l’ombre de vos ailes, ils seront enivrés de l’abondance des biens de votre maison, vous les abreuverez au torrent de vos délices. Car c’est en vous qu’est la source de la vie, et dans votre lumière nous verrons la lumière. Etendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent » (Id. XXXV, 7-11). Ainsi, le Seigneur dans sa bonté se souvient de l’homme, comme il se souvient des animaux, car cette bonté s’étend jusqu’à ceux qui sont éloignés de lui ; mais il visite le fils de l’homme quand il étend sur lui sa miséricorde pour le couvrir comme de ses ailes, quand il l’éclaire à la splendeur de sa propre lumière, l’abreuve de ses délices, l’enivre de l’abondance de sa maison, et lui fait oublier les misères et les égarements de sa vie passée. C’est ce fils de l’homme, ou cet homme nouveau, qu’enfante avec douleur et gémissement la pénitence du vieil homme. Cet homme, quoique nouveau, s’appelle néanmoins charnel, tant qu’il est nourri de lait : « Je n’ai pu », dit l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels ». Et pour leur montrer qu’ils sont régénérés en Jésus-Christ, il ajoute : « Je vous ai traités comme de petits enfants en Jésus-Christ, vous donnant du lait, non une nourriture solide » (I Cor. III, 1-3). Pour cet homme nouveau, retombé dans sa première vie, ce qui arrive souvent, c’est qu’il encourt le reproche d’être homme : « N’êtes-vous pas des hommes », dit saint Paul, « et ne marchez-vous pas tout à fait comme des hommes ? » (Id. 3)

11.Le fils de l’homme a donc été visité tout d’abord dans la personne de cet Homme-Dieu, né de la vierge Marie. L’infirmité de cette chair, que daigna porter la Sagesse divine, et les ignominies de la passion, ont fait dire au Prophète : « Vous l’avez rendu quelque peu inférieur aux anges » (Ps. VIII, 6). Puis il se hâte de marquer la gloire de sa résurrection et de son ascension : « Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, en l’établissant sur toutes les œuvres de vos mains » (Id. 7). Comme les anges sont aussi l’œuvre des mains de Dieu, nous croyons que le Fils unique de Dieu est au-dessus des anges, comme nous croyons qu’il n été quelque peu inférieur aux anges, dans les ignominies de sa naissance temporelle et de sa passion.

l2. « Vous avez mis tout à ses pieds » (Id. 8). Tout, dit le Prophète, sans exception ; et afin qu’on ne pût entendre ces paroles dans un autre sens, l’Apôtre veut que la foi les accepte ainsi, quand il dit : « Excepté celui-là seul qui lui a tout assujetti » (I Cor. XV, 27). Il s’appuie, dans l’Epître aux Hébreux, sur le témoignage de ce Psaume, quand il nous ordonne de croire que tout est soumis à Jésus-Christ (Hb. II, 8), sans aucune exception. Toutefois le Prophète ne paraît pas beaucoup ajouter, quand il énumère « toutes les brebis, les bœufs, et même les bêtes sauvages ; les oiseaux du ciel, les poissons de la mer qui se promènent dans ses sentiers » (Ps. VIII, 9). Il paraît négliger les Vertus, les Puissances, et toutes les armées angéliques, négliger même les hommes, pour soumettre à Jésus-Christ les animaux : à moins que par les bœufs et les brebis, nous n’entendions les âmes saintes, qui produisent les fruits de l’innocence, ou qui travaillent à rendre la terre fertile, c’est-à-dire à obtenir des hommes terrestres une régénération dans les biens spirituels. Par ces âmes saintes, nous devons donc entendre non-seulement les hommes, mais aussi les anges, si nous vouIons conclure de ce verset que tout est soumis à Jésus-Christ Notre-Seigneur. Car il n’y aura plus rien qui ne lui soit soumis, si les princes d’entre les esprits, pour ainsi parler, lui sont assujettis. Mais comment prouver que par brebis, on peut entendre les plus élevés en sainteté, non-seulement des hommes, mais encore des créatures angéliques ? Est-ce par ce que le Sauveur nous dit qu’il a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis sur les montagnes, ou dans les hauteurs des cieux, afin de descendre pour une seule ? (Mt. XVIII, 12 ; Luc, XV, 4) Par cette brebis tombée, si nous entendons la nature humaine déchue en Adam, parce que Eve avait été tirée de son côté (Gn. II, 22), ce qu’il n’est pas temps d’examiner ici pour le traiter d’une manière spirituelle, il ne reste plus pour les quatre-vingt-dix-neuf brebis, que des natures angéliques et non des âmes humaines. Quant aux bœufs, il est facile de les entendre des anges car si l’Écriture désigne les hommes quand elle dit : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain » (Dt. XXV, 4), c’est que les hommes, en portant la parole de Dieu, sont des messagers comme les anges (Saint Augustin joue sur le mot Angelus, messager ; d’où evangelizare, porter la parle.) : combien nous sera-t-il plus facile de désigner sous la figure des bœufs, les anges eux-mêmes, ces messagers de la vérité, puisque les évangélistes qui partagent leur nom, sont désignés par les bœufs ? (I Co. IX, 9 ; I Tm. V, 8) Donc, « vous lui avez assujetti toutes les brebis et tous les bœufs », c’est-à-dire toutes les créatures spirituelles ; et par là, nous comprenons aussi tous les hommes qui vivent saintement dans l’Eglise ou sous les pressoirs, et qui sont désignés maintenant sous la figure de la lune et des étoiles.

13. « Et même les animaux des champs ». Et même, n’est point inutile ici. D’abord, parce que ces troupeaux des champs peuvent s’entendre des brebis et des bœufs ; car si les chèvres sont les animaux des rochers et des lieux escarpés, les brebis et les bœufs seront les animaux des campagnes. Donc, après avoir énuméré « les brebis, les bœufs, et les animaux des champs », on peut fort bien se demander quels sont ces animaux des champs, puisque l’on peut désigner ainsi les brebis et les bœufs. Mais l’expression, « et même, insuper », nous force à y trouver je ne sais quelle différence ; et cette expression, « et même », embrasse non-seulement les animaux des champs, mais les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme. Quelle est donc cette différence ? Rappelons-nous les pressoirs, où le vin est mêlé au marc, et l’aire qui contient la paille et le froment (Mc, III, 12), et les filets qui renferment de bons et de mauvais poissons (Mt. XIII, 47), et l’arche de Noé, qui abrite des animaux purs et des animaux impurs (Gn. VII, 8) ; et vous verrez que l’Eglise ici-bas, jusqu’au jour du jugement, renferme non-seulement des brebis et des bœufs, c’est-à-dire de saints laïques et de saints ministres, mais « encore des animaux des champs, des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui parcourent les sentiers de l’abîme ». Ces animaux des champs figurent très-bien les hommes qui mettent leur joie dans les voluptés charnelles, où ils n’ont rien d’escarpé, rien de fatigant à gravir. On peut appeler campagne, cette voie large qui conduit à la mort (Gn. IV, 8) ; Abel fut tué dans la campagne (Ps. XXXV, 7). Aussi devons-nous craindre qu’en descendant ces montagnes de la justice divine, dont le Prophète a dit : « Votre justice, ô Dieu, est comme les plus hautes montagnes », pour nous mettre à l’aise dans les facules voluptés de la chair, nous ne soyons égorgés par le démon. Maintenant, dans ces oiseaux du ciel voyons les orgueilleux, dont il est dit « Ils opposent leur bouche au ciel (Id. LXXII, 9).Voyons-les s’élever à des hauteurs comme sur l’aile des vents, ceux qui disent : « Nous glorifierons notre parole, nos lèvres sont indépendantes, qui dominera sur nous ? » (Ps. XI, 5) Voyez encore dans les poissons de la mer, ces curieux qui parcourent sans cesse les sentiers de l’abîme, ou qui cherchent dans le gouffre du siècle les biens temporels : biens futiles, qui doivent périr aussi promptement que les sentiers tracés sur la mer disparaissent, quand l’eau se rejoint après avoir livré passage au vaisseau qui fuyait, ou à tout autre nageur. Le Prophète ne dit pas seulement qu’ils parcourent ces sentiers de l’abîme, mais qu’ils les parcourent sans cesse, perambulans, pour montrer leur infatigable obstination à rechercher des choses futiles et peu durables. Ces trois vices capitaux, la volupté charnelle, l’orgueil, la curiosité, renferment tous les péchés. Saint Jean me paraît les énumérer en disant : « Gardez-vous d’aimer le monde, car tout ce qui est dans le monde, est convoitise de la chair, convoitise des yeux, ambition du siècle » (Jn, II 15, 16). C’est dans les yeux que règne la curiosité. Il est facile de voir à quoi se rapportent les autres convoitises. Telle fut aussi la triple tentation de l’Homme-Dieu, par la nourriture, ou l’appétit de la chair, quand le démon lui dit : « Faites que ces pierres se changent en pain » (Mt. IV, 3) ; par la vaine gloire, alors qu’il le porta sur une haute montagne pour lui montrer et lui promettre tous les royaumes de la terre, s’il veut l’adorer ; par la curiosité, quand il lui suggéra de se précipiter du haut du temple, afin de voir si les anges le soutiendraient. Et comme cet ennemi ne put faire prévaloir aucune de ces suggestions, il est dit dans l’Évangile, « que Satan épuisa toute tentation » (Lc, IV, 13). Dans le sens des pressoirs, tout est mis sous les pieds de Jésus-Christ, non seulement le vin, mais le marc ; non seulement les brebis et les bœufs, c’est-à-dire les âmes saintes des fidèles, soit dans le peuple chrétien, soit chez les ministres, mais encore les animaux de la volupté, les oiseaux de l’orgueil, les poissons de la curiosité. Or, ces sortes de pécheurs, nous en sommes témoins, sont dans l’Eglise confondus avec les bons et les saints. Que Dieu donc agisse dans son Eglise, qu’il sépare du marc le vin pur. Quant à nous, travaillons à devenir un vin excellent, à compter parmi les brebis et les bœufs ; mais ne figurons jamais, ni dans le marc de raisin, ni parmi les animaux des campagnes, ni parmi les oiseaux du ciel, ni parmi ces poissons de la mer toujours parcourant les sentiers de l’abîme. Toutefois ces animaux n’ont pas qu’une seule signification, et pourraient s’expliquer autrement ; cela dépend du lieu où ils se trouvent, et ailleurs ils ont une autre signification. Il est de règle que, dans les symboles, il faut examiner, d’après la pensée du texte, la signification d’une figure. Tel est l’enseignement du Christ et des Apôtres. Répétons donc le dernier verset, par lequel déjà le Prophète avait commencé, et disons : « Seigneur, notre Dieu, que votre nom est admirable sur toute la terre ! » Car, après avoir exposé le texte du psaume, il est bon d’en redire le premier verset qui en contient toute la pensée.

DISCOURS SUR LE PSAUME IX-A

LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST.

Ces actes secrets consistent dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne l’ont point connu, et dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis qu’il attire à lui les justes en les châtiant dès ici-bas.

1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, psaume de David, pour les secrets du Fils » (Ps. IX, 1). On peut se demander quels sont ces mystères du Fils : mais comme ce Fils n’est point précisé, nous devons comprendre que c’est le Fils unique de Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription : Pour le fils de David, ajoute : « Quand il fuyait devant son fils Absalon » (Id. III, 1). Nominer celui-ci, c’était ne laisser aucun doute sur le fils dont il était question ; et toutefois il n’est pas dit seulement : « Devant la face du fils Absalon », mais bien : « De son fils ». Or, ici comme il n’est pas dit : « Son fils », et comme d’ailleurs beaucoup de passages regardent les Gentils, le psaume ne peut s’entendre d’Absalon ; et d’ailleurs la guerre que ce fils de perdition fit à son père, n’a aucun rapport avec les Gentils, puisque le peuple seul d’Israël se divisa contre lui-même (II Rois, XV). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit simplement : Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage : « Si le Fils vous délivre, vous aurez la vraie liberté » (Jn, VIII, 36), il ne dit pas : « Le Fils de Dieu », mais simplement : Le Fils, laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient qu’à ce Fils par excellence, que l’on peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne serait pas désigné plus spécialement. C’est ainsi que nous disons : Il pleut, il lait beau, il tonne, et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces choses, parce que l’auteur par excellence s’offre de lui-même à notre esprit, sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils ? D’abord cette expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on distingue ceux que l’on appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à deux avènements du Sauveur, l’un accompli et que les Juifs n’ont pas compris ; l’autre à venir, que nous attendons tous ; comme le premier, ignoré des Juifs, a été avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les secrets du Fils, ce premier avènement, où l’aveuglement a frappé une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Eglise (Rm. XI, 25). Pour l’homme attentif, l’Écriture insinue aussi deux jugements, l’un occulte, et l’autre évident. Le jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre : « Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du Seigneur » (I Pierre, IV, 17). Ce jugement occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou l’avertit de retourner à Dieu, ou le frappe d’un aveuglement qui le perdra. s’il méprise la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous confesseront que c’est de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur parlait de ce double jugement, dont l’un est occulte et l’autre manifeste, quand il disait : « Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne tombera point au jugement » (Jn, V, 24) ; c’est-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux qu’il reçoit parmi ses enfants, c’est là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il encore, « est déjà jugé » (Id. III, 18), c’est-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il dit : « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés ; et ceux que ce jugement n’a pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu » (Sg. XII, 25-26). Ils sont donc réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient des mystères du Fils, c’est-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans l’aveuglement, et de cette peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par l’aveuglement ceux qui demeurent dans l’impénitence.

2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute l’étendue de mon cœur » (Ps. IX, 2) Douter quelque peu de sa providence, ce n’est point confesser Dieu de tout son cœur ; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine, combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit : « Nous goûtons la joie dans les afflictions » (Rm. V, 3) ; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs endurcis ; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence, tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et nullement à l’action divine ; c’est là confesser Dieu. « Je publierai toutes vos merveilles ». C’est publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la main de Dieu, non-seulement dans ce qu’elle opère de visible sur le corps, mais dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de Paul le persécuteur (Jn, XI, 44 ; Ac. IX). Mais comme un miracle visible est pour l’âme un appel à la lumière, et qu’un miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel ; c’est raconter toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là s’élever à l’intelligence des miracles invisibles.

3. « Je me réjouirai en vous, et en vous je tressaillerais d’allégresse » (Ps. IX, 3). Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni l’harmonie des sons passagers, ni les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens temporels, ni l’étude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce qu’amène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, « n’est le sujet de ma joie; mais en vous, je tressaille d’allégresse », ou plutôt dans ces mystères du Fils, qui a «  marqué sur notre front l’empreinte de votre lumière, ô mon Dieu » (Id. IV, 7). Car « vous les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face » (Id. XXX, 21). C’est donc vous qui faites la joie et l’allégresse de ceux qui racontent vos merveilles ; et il racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra faire, non sa propre volonté, niais la volonté de son Père qui l’a envoyé (Jn, VI, 38).

4. Nous commençons donc à voir que c’est Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le verset suivant porte : « Je chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière » (Ps. IX, 4). Or, quand l’ennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit : « Retire-toi en arrière, Satan ? » (Mt. IV, 10) Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut reculer en arrière, puisqu’il échoua dans ses tentatives de séduction, et n’obtint aucun avantage. L’homme terrestre est en arrière, mais l’homme céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel » (I Co. XV, 47). C’est de la race du premier que venait celui qui a dit : « Celui qui vient après moi a été fait avant moi » (Jn, I, 15), et l’apôtre saint Paul, oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant (Ph. III, 13). L’ennemi donc rebroussa en arrière quand il échoua auprès de l’homme céleste qu’il tentait, et il se retourna vers les hommes terrestres qu’il pouvait dominer. Nul homme, dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le faire rebrousser en arrière, si ce n’est celui qui a échangé l’image de l’homme terrestre contre l’image de l’homme céleste (I Co. XV, 49). Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre, si nous l’aimons mieux, ou le pécheur en générai, ou l’homme idolâtre. Alors ces paroles : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière », n’exprimeront point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel qu’on ne peut rien lui comparer. Quoi de plus heureux que d’abjurer son orgueil, et de renoncer à précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du médecin ; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la perfection, lui dit : « Suivez-moi ? » (Mt. XIX, 21) Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme s’il était pour nous un guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser l’ennemi en arrière, puisqu’il est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites, que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un asile caché dans les mystères du Fils : « Et le Seigneur deviendra notre refuge » (Ps. LXXXIX, 1).

5. « Ils seront abattus et anéantis en votre présence » (Ps. IX, 5). Qui donc tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et l’impie ? « Il tombera », parce qu’il n’aura plus de force ; « il sera anéanti », parce qu’il cessera d’être impie ; « en votre présence », c’est-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut anéanti celui qui a dit ; « Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi » (Ga. II, 20). Mais pourquoi « l’impie sera-t-il abattu et anéanti en votre présence ? » C’est, répond le Prophète : « Parce que vous m’avez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma cause » (Ps. IX, 5) ; c’est-à-dire, vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé, et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre délivrance : ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une heureuse navigation.

6. « Vous êtes monté sur votre siége, vous qui jugez avec équité » (Id. 5). Tel peut être le langage du Fils à son Père, dans le même sens qu’il disait : « Vous n’auriez aucun pouvoir sur moi s’il ne vous était donné d’en-haut » (Jn, XIX, 11), regardant comme un effet de l’équité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce l’homme qui dit à Dieu : « Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans l’équité » ; désignant son âme sous le nom d’un trône, et alors son corps serait la terre, appelée escabeau des pieds du Seigneur (Is. LXVI) : car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (II Co. V, 19). Peut-être est-ce l’âme de l’Eglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Ep. V, 27), digne des secrets du Fils, parce que le roi l’a introduite dans sa demeure secrète (Ct. I, 3), l’âme de l’Eglise qui dit à son Époux : « Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez avec justice », parce que vous êtes ressuscité d’entre les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut, sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, l’une ou l’autre de ces trois interprétations.

7. « Vous avez châtié les nations, et le méchant a péri » (Ps. IX, 6). Il est mieux d’appliquer ces paroles à Jésus-Christ que d’en faire son langage. Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître l’impie, comme il le fit, après son-ascension ? Car alors il envoya l’Esprit-Saint, dont furent remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent disparaître l’impie, qui fut justifié et devint pieux. « Vous avez effacé son nom pour le siècle, et dans les siècles des siècles » (Ibid.), Le nom de l’impie a disparu, car on ne peut appeler impie celui qui croit au vrai Dieu ; son nom est donc effacé pour le siècle, c’est-à-dire, pendant que s’écouleront les jours du siècle. « Et dans les siècles des siècles ». Qu’est-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont le siècle n’est que l’image et comme l’ombre ? Car cette révolution des temps qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient chaque année dans sa gloire, que le printemps, que l’été, que l’automne et que l’hiver ne s’en vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine image de l’éternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité, s’appelle siècle de ces siècles qui s’écoulent ; elle est pour eux, comme le vers que vous avez dans l’esprit à l’égard de celui que vous prononcez de la voix. Le premier se comprend, le second s’entend, a sa mesure dans le premier, qui est l’œuvre de l’art et qui demeure, tandis que le second passe dans l’air avec le son de la voix. C’est ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle dans le siècle immuable, que l’on appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la puissance de Dieu : tandis que celui-là en mesure l’action dans chaque créature. Peut-être encore n’est-ce qu’une répétition, et qu’après avoir dit : « Dans le siècle », pour qu’on ne l’entendît point du siècle qui s’écoule, le Prophète aura ajouté : « Et dans le siècle du siècle ». Car il y a dans la version grecque : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos. Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en disant : « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle » ; mais bien : « Dans l’éternité et dans le siècle des siècles ». Le nom de l’impie est donc détruit pour l’éternité, c’est-à-dire, que jamais à l’avenir il n’y aura plus d’impies; et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le siècle des siècles.

8. « Les framées de l’ennemi ont fait défaut jusqu’à la fin » (Ps. IX, 7). Ici, l’ennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille formes de l’erreur, qu’il emploie comme des glaives pour tuer les âmes ? Mais à l’encontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur, dont il est dit au psaume septième : « il brandira son glaive, si vous ne retournez à lui ». C’est lui peut-être qui est le terme où doit échouer la force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusqu’à lui. Aujourd’hui, il travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son éclat. C’est lui encore qui détruit les cités ; car, après avoir dit que la puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute : « Et vous avez détruit leurs cités ». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres ; les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de l’âme, qui soulèvent journellement dans l’homme des conflits séditieux. Il y a donc une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux, s’ils n’existaient d’abord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il en chasse le prince, ainsi qu’il est dit : « Le prince de ce siècle a été chassé dehors » (Jn, XII, 31) : la parole de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude l’action des membres et des sens, qui doivent servir à l’œuvre de la justice et du bien ; et ainsi s’accomplit cette parole de l’Apôtre : « Que le péché ne règne plus dans notre corps mortel » (Rm. VI, 12), et le reste du passage. Alors l’âme apaisée se trouve en état d’acquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri avec fracas » (Ps. IX, 7), c’est-à-dire, la mémoire des impies. « Avec fracas », l’impiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme n’arrive au calme du silence, à la paix profonde, s’il n’a d’abord fait à ses vices une guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas », signifierait que la mémoire de l’impie périt avec ce fracas que fait ordinairement l’impiété.

9. « Tandis que le Seigneur demeure éternellement » (Id. IX, 8). A quoi bon dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples contre le Seigneur et contre son Christ (Id. II, 1, 2), puisque le Seigneur demeure éternellement ? « Il a préparé son trône pour le jugement, et il jugera l’univers dans l’équité » (Id. IX, 9). C’est quand il a été jugé qu’il a préparé son trône. La patience qu’il a montrée nous méritait le ciel, et ce Dieu caché dans l’homme, stimulait notre foi. C’est là le jugement occulte du Fils. Mais parce qu’il doit venir d’une manière visible et dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, il s’est préparé un trône par un jugement caché. « Et il jugera ouvertement le monde selon la justice », c’est-à-dire qu’il rendra à chacun selon son mérite, en plaçant les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche (Mt. XXV, 33). « Il jugera les peuples dans la justice », c’est la répétition de ce qui vient d’être dit, « qu’il jugera l’univers dans l’équité ». Dieu donc ne jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le cœur, et qui en viennent plus souvent à renvoyer les coupables qu’à les condamner ; mais il jugera dans l’équité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon que leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rm. II, 15).

10. « Et le Seigneur est devenu le refuge du pauvre » (Ps. IX, 10). Quelles que soient les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur ? Il sera leur refuge, si dans ce monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne s’attachant à rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous abandonnons à la mort. C’est à ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation » (Ps. IX, 10). C’est lui qui fait le pauvre, puisqu’il chante celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants (Hb. XII, 6). Car le Prophète nous explique « l’appui dans les jours de bonheur », quand il ajoute : « Dans la tribulation ». L’âme, en effet, ne se tourne vers Dieu, qu’en répudiant le monde, alors que la fatigue et la douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si funestes.

11. « Qu’ils espèrent en vous ceux qui connaissent votre nom » (Ps. IX, 11), en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes de ce monde. L’âme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A la vérité, ce nom se trouve aujourd’hui dans toutes les bouches ; mais le connaître, c’est connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom n’est pas tel par lui-même, il n’a de valeur que dans sa signification. Or, il est dit : « Le Seigneur est son nom » (Jr. XXXIII, 2). Connaître son nom, c’est donc se mettre avec plaisir à son service. « Et qu’ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le Seigneur dit encore à Moïse « Je suis celui qui suis (Ex. III, 14), et tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est, m’a envoyé. Que ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur qu’ils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du temps, qui n’ont rien que le futur et le passé. A peine ce qu’ils ont de futur est-il arrivé, qu’il est déjà passé. On l’atteint avec empressement, on le perd avec douleur. Mais dans la nature divine, il n’y a rien de futur qui ne soit point encore, rien de passé qui ne soit plus ; être, c’est là tout ce qu’elle est, c’est l’éternité. Qu’ils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour dans les biens du temps, qu’ils élèvent leur espérance jusqu’à l’éternité, ceux qui connaissent le nom de celui qui a dit ; « Je suis celui qui suis », et dont il est écrit : « Celui qui est, m’a envoyé. Parce que vous n’abandonnerez pas, Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, c’est ne plus chercher des biens passagers et périssables, puisque «  nul ne peut servir deux maîtres » (Mt. VI, 21).

12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion » (Ps. IX, 12), est-il dit à ceux qui cherchent le Seigneur, et qu’il n’abandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation, et nous offre l’image de l’Eglise actuelle, comme Jérusalem figure l’Eglise à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision, comme l’Eglise d’ici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise ; mais elle ne la précède que dans l’ordre du temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que l’effort que nous faisons pour y arriver ; or, notre effort actuel, c’est la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourd’hui le Seigneur n’habitait dans l’Eglise de la terre, la plus attentive contemplation pourrait aboutir à l’erreur. Aussi est-il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple » (I Co. III, 17) ; et : « Le Christ habite dans l’homme intérieur et dans vos cœurs par la foi » (Ep. III, 16, 17). Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son Eglise. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles » (Ps. IX, 12). C’est ce qui a été fait, et se fera toujours.

13. « Le Seigneur s’est souvenu d’eux, en recherchant leur sang répandu » (Id. 13). Comme si les Apôtres, envoyés porter l’Évangile aux peuples, répondaient à cette injonction : « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient : « Seigneur, qui pourra croire à notre parole ? » (Is. LIII, 1) et : « Chaque jour, votre amour nous fait égorger ? ». Le Prophète a raison d’ajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de l’éternité : « Parce que le Seigneur se souvient d’eux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression : «  Leur sang ? » Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi : « Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger ? » (Ps. XLIII, 22) et dirait-il ; « Le Seigneur se souviendra d’eux, et vengera leur sang », c’est-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux ? Car nul n’entendra cette expression : « Dieu s’est souvenu d’eux », comme s’il avait pu les oublier ; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver qu’après un long espace de temps, le Prophète s’accommode au langage des hommes faibles, qui s’imaginent que Dieu oublie, parce qu’il agit avec plus de lenteur qu’eux-mêmes ne voudraient. C’est pour eux encore qu’il est dit plus bas : « Il n’a point oublié le cri des pauvres » (Ps. IX, 13) c’est-à-dire, il n’a point oublié, comme vous le pensez ; et comme si, après avoir entendu ce mot : « Il s’est souvenu », ils disaient : « Il avait donc oublié » : « Non », dit le Prophète, « il n’oublie point le cri du pauvre ».

14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre que le Seigneur n’oublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles suivantes : « Prenez-moi, Seigneur, en pitié, voyez à quelle humiliation me réduisent mes ennemis ? » (Id. 14) Pourquoi donc ne disait-il pas au pluriel : « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous réduisent nos ennemis ? » comme si tant de pauvres criaient ensemble ; et dit-il : « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme s’il n’y avait qu’un seul pauvre ? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche, s’est fait pauvre pour nous ? (II Cor. VIII, 9) Lui aussi dirait alors : « C’est vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de Sion » (Ps. IX, 15). Car c’est Jésus-Christ qui relève l’homme, non-seulement cet homme dont il s’est revêtu, et qui est le chef de l’Église ; mais chacun de nous, qui sommes les membres de son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les portes du trépas, puisque c’est par là que nous allons à la mort. Et la mort est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce qu’il était criminel de désirer : « Car la convoitise est la racine de tous les maux » (Tm. VI, 10). Aussi peut-on l’appeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà morte (Id. V, 6). Or, c’est par la convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort. Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la paix dans la sainte Eglise. C’est donc dans ces portes qu’il nous faut publier toutes les louanges du Seigneur, afin que l’on ne donne pas aux chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux (Mt. VII, 6), Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin ; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort s’entendraient-elles des sens du corps, des yeux qui s’ouvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu (Gn. III, 7), et au-dessus desquels s’élèvent ceux qui ne recherchent point les biens visibles, mais les invisibles ? « Ce qui est visible, en effet, n’est que temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels » (II Co. IV, 18) ; et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin qu’ils parviennent à connaître les secrets du Fils ? « Car ni l’œil n’a vu, ni l’oreille n’a entendu, ni le cœur de l’homme n’a compris, ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment » (Id. II, 9) ici finirait alors ce cri des pauvres, qui n’est point en oubli pour le Seigneur.

15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous » (Ps. IX, 16) ; c’est-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous m’avez donné, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu (I Co. I, 24). Tel est donc le langage de l’Eglise, affligée ici-bas et sauvée par l’espérance: tant que le jugement du Fils est caché, elle s’écrie avec espoir : « Je tressaillerai dans le Sauveur que vous m’avez donné » ; parce que sur la terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de l’idolâtrie. « Les nations sont tombées dans la fosse qu’elles avaient creusée » (Ps. IX, 16). Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres œuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à l’Eglise sont demeurés dans la dégradation qu’ils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied s’est engagé dans le piège qu’eux-mêmes avaient caché » (Ibid.). Ce piége caché, c’est la pensée fourbe, et par le pied de l’âme, on peut comprendre l’amour, qui s’appelle convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est droit. C’est l’amour qui pousse l’âme vers le lieu où elle veut arriver; et ce lieu n’est point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que l’amour l’ait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une racine (Tm. VI, 10). La charité aussi est appelée racine, quand il s’agit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce qu’elles n’ont pas une racine profonde (Mt. XIII, 5) ; ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que la charité seule peut résister. L’Apôtre dit encore : « Afin que nous ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister » (Ep. III, 17). Donc le pied des pécheurs, ou l’amour, s’engage dans le piége qu’ils avaient caché, parce qu’en goûtant le plaisir d’un acte trompeur, livrés qu’ils sont par le Seigneur aux désirs d’un cœur déréglé (Rm. I, 24), ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à n’oser plus en dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort qu’ils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège qu’ils avaient caché », ou dans leurs desseins artificieux, « leur pied demeure engagé », c’est-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui enfante la douleur.

16. « On reconnaît le Seigneur à l’équité de ses jugements » (Ps. IX, 17). Tels sont en effet les jugements de Dieu, qu’il ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent d’asile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements ? « C’est dans l’œuvre de ses mains », dit le Prophète, « que le pécheur s’est enlacé ».

17. Il y a ici : « Cantique de Diapsalma » (Graec. LXX, ode diapsalmatos). Autant que je puis en juger, c’est l’indice d’une joie secrète, causée par la séparation actuelle, non de lieu, mais d’affection, entre les pécheurs et les justes, commise dans l’aire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le Prophète continue : « Que les pécheurs soient précipités dans l’enfer » (Ps. IX, 18). Qu’ils soient livrés en leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies mortelles. « Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur » (Ps. IX, 18), car elles ont refusé de connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rm. I, 28).

18. « Car le pauvre ne sera pas éternellement en oubli » (Ps. IX, 19) » : lui qui paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble s’épanouir pour les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste ; mais, dit le Prophète, « la patience des affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par l’affection, jusqu’à ce qu’ils le soient tout à fait au dernier jugement.

19. « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne s’affermisse point » (Ps. IX, 20). Le Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier ; mais avant qu’il arrive : « Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence », c’est-à-dire dans le secret et sous l’œil de Dieu, puisqu’il n’y a pour le comprendre que le petit nombre des saints et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug d’un législateur » (Id. 21) ; qui serait, si je ne me trompe, l’Antéchrist, dont l’Apôtre a dit « que l’homme de péché se révélera » (I Th. II, 3). Que les peuples sachent bien qu’ils ne sont que des hommes, et puisqu’ils refusent d’être délivrés par le Fils de Dieu, d’appartenir au Fils de l’homme, d’être enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, qu’ils soient assujettis à l’homme, c’est-à-dire au vieil homme du péché, puisqu’ils sont eux-mêmes des hommes.

CONTINUATION DU PSAUME IX-B
INSCRITE DANS L’HÉBREU SOUS LE NUMÉRO X.

20. Comme l’Antéchrist ou l’homme de péché s’élèvera, croit-on, jusqu’à un tel degré de vaine gloire, déploiera un tel pouvoir sua tous les hommes et sur les élus de Dieu, que plusieurs auront la faiblesse de croire que Dieu ne s’intéresse plus aux hommes ; le Prophète, après un Diapsalma, exprime en quelque sorte les gémissements et les plaintes que soulève le retard du jugement. « Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous éloigner ? » (Ps. IX, 1) Et aussitôt l’interrogateur, comme s’il avait une illumination soudaine, ou comme s’il n’eût demandé ce qu’il savait bien que pour nous l’apprendre, ajoute : « Vous vous dérobez dans le temps propice, dans la tribulation » ; c’est-à-dire, vous vous dérobes à propos, et vous suscitez la tribulation pour attiser dans les cœurs le désir de votre avènement ; plus est longue la soif qui les dévore, et plus agréable sera la source de vie. Aussi le Prophète a-t-il pénétré la cause de ces retardements, quand il dit : « L’orgueil du méchant est un stimulant pour le pauvre ». C’est chose incroyable et vraie néanmoins, que la vue des pécheurs embrase les petits d’une vive ardeur, de sainte espérance qui les porte à une vie meilleure. La même raison mystérieuse a fait permettre à Dieu qu’il y eût des hérésies. Tel n’est pas sans doute le dessein des hérétiques, mais la sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur perversité, elle qui crée et qui règle la lumière, qui règle seulement les ténèbres (Gn. I, 3-4), afin qu’en les comparant à la lumière, on trouve celle-ci plus gracieuse, comme en face de l’hérésie on se trouve plus heureux de rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde les hommes d’une vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait.

21. « Ils se prennent dans les pensées qu’ils enfantent » ; c’est-à-dire que leurs pensées perverses deviennent des liens qui les enchaînent. Mais pourquoi des liens ? « Parce que le pécheur est loué dans les desseins de son âme » (Ps. IX, 3). Les paroles de la flatterie garrottent l’âme dans ses péchés ; car on se plaît à faire ce qui, non seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les applaudissements. « Et parce que l’on applaudit à celui qui fait le mal ; les coupables sont enlacés dans les pensées qu’ils enfantent ».

22. « L’impie a irrité le Seigneur ». Ne félicitons point l’homme qui prospère en cette vie, dont les fautes demeurent sans vengeance, et rencontrent l’applaudissement. C’est là le plus grand effet de la colère divine. Il faut qu’un pécheur ait bien irrité Dieu, pour être ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige. « Il a donc irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera point » (Id. 4). La colère de Dieu est à son comble quand il ne recherche plus nos péchés, qu’il paraît les oublier, n’y faire aucune attention, et qu’il permet que l’impie arrive à la richesse et aux honneurs, par la fraude et les forfaits c’est ce que nous verrons surtout dans l’antéchrist, que les hommes croiront heureux jusqu’à le prendre pour un Dieu. Mais la suite du psaume va nous montrer combien cette colère de Dieu est redoutable.

23. « Dieu n’est point en sa présence ses voies sont toujours souillées » (Id. 5). Celui qui a goûté les vrais plaisirs et les joies de l’âme, comprend combien il est malheureux d’être privé de la lumière de la vérité. Si la privation des yeux du corps, qui nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une grande calamité parmi les hommes, quel ne sera point le malheur d’un homme qui prospère dans ses péchés, jusqu’à n’avoir plus Dieu en sa présence, et ne marche que dans des voies souillées, c’est-à-dire que ses pensées et ses desseins sont criminels ? « Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux ». L’âme qui a conscience de sa culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, s’imagine que Dieu ne la juge point ; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus devant ses yeux, ce qui est pour elle une terrible damnation. « Il se rendra maître de ses ennemis » (Ps. IX, 5). Car on croit qu’il vaincra tous les rois, et régnera seul sur la terre ; et même saint Paul qui nous l’annonce, va jusqu’à dire : « Il s’assoira dans le temple de Dieu, et s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, et adoré » (II Th. II, 4).

24. Et comme il est livré aux convoitises de son cœur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de criminels artifices il va s’élever au comble de cette gloire vaine et futile, et à la domination. De là vient que le Prophète ajoute : « Il a dit dans son cœur : A moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race » (Ps. IX, 6), c’est-à-dire, mon nom et ma gloire ne s’en iront pas d’âge en âge à la postérité, si la ruse du mal ne me fait acquérir une telle domination que les siècles futurs ne puissent en garder le silence. Car l’esprit pervers qui ne connaît pas le bien, qui est étranger aux lumières de la justice, cherche par des actions criminelles à se frayer le chemin d’une renommée si éclatante, qu’elle retentisse dans les siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le bien, veulent au moins se rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur renommée. Tel est, je crois, le sens de ces paroles : « Ce n’est que par le mal que je passerai de génération en génération ». On peut encore appliquer ces paroles à l’homme dont l’esprit vain et plein d’erreur ne croit pouvoir passer de cette vie mortelle à la vie éternelle que par la voie du crime C’est ce qui est rapporté de Simon (Ac. VIII, 9, 23), qui croyait pouvoir s’élever au ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la nature humaine à la nature divine. Faut-il s’étonner maintenant que cet homme de péché, qui doit personnifier en lui-même toute la malice et toute l’impiété, dont tous les faux prophètes n’ont donné que l’ébauche, qui aura le don des miracles au point de séduire les justes, s’il était possible, aille jusqu’à dire en son cœur : « Je ne puis que par le mal être fameux d’âge en âge ? »

25. « Sa bouche est pleine de blasphèmes, d’amertume et de fourberie » (Ps. IX, 7) C’est en effet un horrible blasphème, que d’aspirer au ciel par d’aussi coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables mérites. Aussi n’est-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème ; car sa prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette amertume et de cette fourberie, c’est-à-dire au moyen de cette exaltation, et de ces embûches qui lui gagnaient la foule. « Sous sa langue est le travail et la douleur ». Nul travail n’est plus pénible que l’injustice et l’impiété ; et ce travail engendre la douleur, parce qu’il est non-seulement sans profit, mais encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage : « Ce n’est que par le mal que je puis passer d’âge en âge ». Aussi est-il dit que cela est « sous sa langue », et non dans sa langue, parce qu’il renfermera ces pensées dans l’intérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin qu’on le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le Fils de Dieu.

26. « Il se met en embuscade avec les riches » (Ps. IX, 8). Quels riches, sinon ceux qu’il comblera des biens de ce monde ? Il se mettra donc, est-il dit, en embuscade avec eux, parce qu’il fera ostentation de leur faux bonheur pour tromper les hommes ; et ceux-ci, pris du désir, fatal d’acquérir de semblables richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. « Il veut tuer l’innocent dans l’obscurité » (Id. 9). Par « obscurité » il entend, je crois, l’état de l’âme qui discerne à peine ce qu’il faut désirer, de ce qu’il faut fuir ; et tuer l’innocent, c’est amener au péché celui qui était sans tache.

27. « Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre ». Car il s’attache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur appartient » (Mt. V, 3). Il les « épie en secret, comme le lion en sa bauge ». Il appelle lion dans sa bauge, celui qui emploie la violence et l’artifice. La première persécution de l’Eglise fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par la proscription, les tourments et la mort l’autre persécution soulevée par les hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par l’artifice ; la troisième et la plus dangereuse sera celle de l’antéchrist, qui sera caractérisée par l’artifice et par la violence. Il aura la force par l’empire, et l’artifice de la séduction par les prodiges. La violence est précisée par cette expression, « dans sa bauge ». Les paroles suivantes nous expriment le même sens, mais dans l’ordre inverse : « Il tend des embûches pour enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse ; et « pour le ravir après l’avoir attiré », marque la violence ; car « l’attirer » nous montre qu’à force de le tourmenter, il parvient à s’assujettir l’homme pauvre.

28. La suite répète encore ce qui vient d’être dit : « Il l’humiliera dans un piége », c’est la ruse. « Il s’inclinera et tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination » (Ps. IX, 10), c’est la violence. Le piège désigne bien les fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc le pauvre dans son piége », dit avec raison le Prophète ; car plus paraîtront merveilleux les signes qu’il entreprendra d’opérer, et plus les saints d’alors seront méprisés, et tomberont dans l’opprobre ; et comme ils doivent lui résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus par l’éclat de ses prodiges. Mais à son tour « il s’inclinera et tombera, après les avoir dominés », c’est-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront.

29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusqu’à tomber ? C’est qu’« il a dit dans son cœur : Dieu a tout oublié, il a détourné sa face pour ne rien voir à jamais » (Id. 11). C’est pour l’esprit humain un abaissement et une chute effroyable, de trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est frappé d’aveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance marquée par le Prophète qui s’écrie : « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main » (Id. 12) » : c’est-à-dire, manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut : « Levez-vous, Seigneur, et que l’homme ne s’affermisse point, que les peuples soient jugés en votre présence » (Ps. Prim. IX, 20), c’est-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. C’est ce qui est arrivé quand l’impie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel qu’ils le méritaient, et dont il est dit : « Établissez sur eux un législateur, et que ces peuples sachent bien qu’ils sont des hommes » (Ps. Secun. IX, 14). Et après ce châtiment juste et secret, il est dit : « Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main », non plus dans le secret, mais dans la splendeur de votre gloire. « N’oubliez point à jamais les opprimés », comme l’imagine l’impie qui dit : « Le Seigneur a tout oublié; il a détourné sa tête pour ne rien voir à jamais » (Ps. Secun. IX, 11). Car c’est bien nier que Dieu voie à jamais, ou jusqu’à la fin, que dire qu’il ne prend aucun soin des actions des hommes sur la terre. La terre est, en effet, la fin des choses, comme le dernier des éléments, où les hommes travaillent dans un ordre admirable, mais ordre qui leur échappe dans leurs travaux, car il appartient aux secrets du Fils. Donc, au milieu du labeur pénible d’ici-bas, l’Eglise, comme un navire au milieu des flots et des tempêtes, semble éveiller le Seigneur qui dort, afin qu’il commande aux vents déchaînés et ramène le calme. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, lui dit-elle, étendez votre main, et n’oubliez point les pauvres sur la terre ».

30. La connaissance du dernier jugement nous a fait dire avec joie : « Pourquoi l’impie a-t-il irrité le Seigneur ? » (Id. 13) De quoi lui a servi de commettre ces forfaits ? « Il disait dans son cœur : Dieu ne les recherchera point. Vous le voyez, Seigneur », poursuit le Prophète, « mais vous considérez le travail et la colère, pour les livrer entre vos mains » (Id. 14). Prononçons bien ces paroles pour en voir le sens ; une fausse prononciation nous amène l’obscurité. L’impie a dit dans son cœur : « Dieu ne recherchera point les crimes », comme si le Seigneur voyant ce qu’il lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire tomber entre ses mains, et dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces impies, pour ne point prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la colère. C’est ce qui arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de châtier, afin de s’épargner la peine de la colère.

31. « C’est à vous que le pauvre abandonne sa défense »(Ibid.). Car il n’est pauvre, ou plutôt il n’a méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour mettre en vous seul son espoir. « Vous serez le protecteur de l’orphelin » (Ps. secun. IX, 14) c’est-à-dire de celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père, qui l’avait engendré selon la chair, de celui qui peut dire : « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde » (Ga. IX, 14). Dieu devient un père à de tels orphelins ; et le Sauveur enseigne à ses disciples à le devenir, quand il dit : « N’appelez ici-bas personne votre père » (Mt. XXIII, 9). Lui-même en donne l’exemple tout le premier, en disant : « Quelle est ma mère, ou quels sont mes frères ? » (Id. XII, 48) C’est de là que certains hérétiques très-dangereux ont avoué qu’ils n’avaient pas de mère ; ils n’ont point vu qu’en prenant ces paroles à la lettre, les disciples n’auraient point eu de pères. Car s’il dit lui-même : «  Quelle est ma mère ? » il leur donnait cet enseignement : « N’appelez ici-bas personne votre père ».

32. « Brisez le bras de l’impie et du méchant » (Ps. IX, 15), de cet homme dont il est dit plus haut, qu’il se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, c’est sa puissance, à laquelle est opposée cette puissance du Christ, dont le Prophète a dit : « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main » (Id. 5). On recherchera son péché ; mais lui, ne reparaîtra plus à cause de ce péché ; c’est-à-dire, on le jugera sur ses crimes, et ces crimes l’auront fait disparaître. Alors qu’y a-t-il d’étonnant dans les paroles suivantes : « Le Seigneur sera roi des siècles et de l’éternité ; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui appartient ? » (Id. 16) Il désigne par nations, les pécheurs et les impies.

33. « Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres » (Id. 17). Ce désir dont ils étaient embrasés, quand au milieu des angoisses et des tribulations, ils soupiraient après le jour du Seigneur : « Votre oreille, ô Dieu, a entendu que leur cœur était prêt ». Cette préparation du cœur est celle que le Prophète a chantée dans un autre Psaume : « Mon cœur est préparé, ô Dieu, mon cœur est préparé » (Id. LVI, 8) » ; et dont saint Paul dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience » (Rm. VI, 25). Par l’oreille de Dieu, nous ne devons rien entendre de corporel, mais cette puissance qui le porte à nous exaucer : et pour ne plus revenir à ce sujet, quand l’Écriture attribue à Dieu ces membres qui sont en nous visibles et corporels, nous devons entendre sa puissance d’action. Car il ne faut rien voir ici de corporel, quand Dieu écoute, non plus le son de la voix, mais la préparation du cœur.

34. « Vous rendrez justice à l’orphelin et au pauvre » (Ps. IX, 18) » ; c’est-à-dire à celui qui ne se conforme pas au monde, et qui n’est point superbe. Juger l’orphelin, n’est pas rendre justice à l’orphelin. On juge l’orphelin même en le condamnant, maison lui rend justice quand on prononce en sa faveur. « Afin que l’homme ne cherche plus à s’agrandir sur la terre » (Ibid.). Car ce sont des hommes ceux dont il est dit : « Seigneur, élevez au-dessus d’eux un législateur, afin que les peuples sachent bien qu’ils sont des hommes » (Ps. Prim. IX, 21). Mais celui qu’il est question d’élever en cet endroit sera un homme aussi, et c’est de lui qu’il est dit : « Afin que l’homme renonce à s’agrandir sur la terre ». Ce qui arrivera quand le Fils de l’homme viendra juger cet orphelin qui s’est dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père.

35. Les secrets du Fils dont il est beaucoup parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils, dont il est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le titre, en occupe la principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du Fils le jour de son avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour tous. Car il est dit de ce jour qu’il n’est connu de personne, ni des Anges, ni des Vertus, ni même du Fils de l’homme (Mt. XXIV, 36). Or, quel secret est plus impénétrable que celui que l’on dit être dérobé au juge même, non qu’il l’ignore, mais parce qu’il ne doit point le révéler ? Si toutefois quelqu’un veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au Fils de Dieu, mais au Fils de David même, dont tout le psautier porte le nom, car tous les Psaumes sont appelés Psaumes de David, qu’il écoute ces paroles adressées à Notre-Seigneur: « Fils de David, ayez pitié de nous » (Mt. XX, 30), et qu’il reconnaisse ce même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du Psaume. Il en est de même de ces paroles de l’Ange : « Dieu lui donnera le trône de David son père » (Lc, I, 32). Cette interprétation n’est point démentie par cette question du Christ aux Juifs : « Si le Christ est Fils de David, comment David inspiré de l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur, en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’abatte vos ennemis à vos pieds ? » (Mt. XXII, 11 ; Ps. CIX, 1) Cette parole s’adressait à des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils attendaient l’arrivée, ne voyaient qu’un homme, et non point la puissance et la sagesse de Dieu. Dieu donc les formait à croire selon la vérité la plus pure, que le Christ est le Seigneur de David, puisqu’il était au commencement le Verbe, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait ; qu’il est aussi le fils de David, puisque selon la chair il est né de la race de David, Le Seigneur ne dit pas que le Christ n’est point fils de David ; mais bien : Si vous êtes certain qu’il est son fils, apprenez encore qu’il est son Seigneur ; ne vous arrêtez pas à voir dans le Christ sa qualité de fils de l’homme, ce qui fait qu’il est fils de David, pour abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend Seigneur de David.

    

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