Marie,
PARFAITE IMAGE DE L'ÉGLISE
Nous honorons aujourd’hui la très Sainte Vierge Marie sous le
titre le plus récent qu’on lui ait décerné dans le domaine de la
Foi, à savoir qu’elle a été élevée à la gloire du Ciel en son
corps et en son âme, au terme de sa vie terrestre. L’expression
est reprise dans la Prière du jour. Quelques indications
historiques vont ici précéder notre petit commentaire sur les
lectures de la fête.
C’est
le 1er novembre
1950 que le pape Pie XII a proclamé ce dogme. Cette date
“tardive” ne veut pas dire que l’Assomption de Marie n’ait pas
été évoquée auparavant. Il en a été du dogme de l’Assomption
comme de celui de l’Immaculée Conception : maints auteurs en ont
parlé, depuis très longtemps, c’étaient des vérités
sous-jacentes, des croyances affirmées parfois même avec force
par certains, et qui aussi générèrent quelques polémiques entre
théologiens de renom. Mais l’Église en son autorité ne jugeait
pas encore à propos de reconnaître ces vérités comme
dogmatiques, et ce d’autant plus que, à strictement parler, la
Sainte Écriture n’en parle pas.
La raison fondamentale pour laquelle l’Écriture ne nous donne
aucune indication sur la vie proprement dite de Marie, est que
l’œuvre rédemptrice du salut se concentre essentiellement dans
le message de Jésus-Christ, centre de la Révélation, et que les
“détails” historiques entourant cette Bonne Nouvelle n’avaient
pas à être consignés dans le Dépôt Sacré : ils étaient transmis
oralement, formant ainsi la première Tradition orale, une
tradition parfois un peu déformée, mais dont les diverses
expressions se font l’écho fidèle d’un héritage commun, solide
et constamment confirmé.
C’est ainsi que s’est transmis ce fait tout-à-fait exceptionnel
pour une créature humaine, du “passage”, transitus, de
Marie. Le corps de la Mère de Jésus n’aurait pas connu la
corruption qui est le sort de tout corps humain après la mort.
La mort
elle-même de Marie fut mise en discussion : Marie est-elle morte
ou bien est-elle passée directement de la terre au ciel, comme
fut enlevé au ciel le prophète Elie ? Sur la Dormition de
Marie, l’encyclique du pape Pie XII ne veut rien affirmer de
décisif. Toutefois, il est plus que légitime de penser que Marie
ait suivi de façon intégrale les traces de son divin Fils ; et
de même que Jésus est mort
et ressuscité, comme
nous l’affirmons dans notre Credo, de même Marie est
certainement morte à cette vie humaine, juste avant d’être
portée corps et âme au ciel.
Quant à la date choisie pour cet événement, elle était celle
d’une fête mariale déjà existante à Jérusalem comme Mémoire de
la Mère de Dieu. Un texte affirme même que Marie mourut le jour
de Noël… Une fête de Noël en plein mois d’août expliquerait
mieux que les bergers dormaient en pleine campagne au moment où
les Anges leur annoncèrent la naissance du Christ.
Maintenant, si en France cette fête est chômée, on le doit
indirectement à l’empereur qui avait établi au 15 août une fête
de saint Napoléon, martyr, évidemment chômée. Fort heureusement
la fête reprit son nom… et resta chômée.
En marge de ces considérations historiques, nous avons plutôt à
répondre à cette question : quel sens a pour nous cette fête ?
Quel message devons-nous en retirer pour le proclamer à notre
tour ?
En Marie, nous reconnaissons l’acceptation totale de l’Évangile,
la fidélité totale à l’appel du Christ, beaucoup plus encore que
son rang exceptionnel de Mère du Sauveur. C’est ce que nous
enseigne Jésus dans le petit extrait de l’Évangile qui est
proposé pour la messe du soir de cette fête de l’Assomption :
Heureux, dit une femme dans la foule, le ventre qui t’a porté et
les seins que tu as sucés (c’est le texte exact de l’Évangile),
à quoi Jésus répond : Bien plus heureux ceux qui écoutent la
Parole de Dieu et qui la gardent.
Oui, Marie conservait dans son cœur tout ce que disait et
faisait Jésus et s’en entretenait dans son cœur (cf. Lc 11:28),
au point que nulle autre créature humaine n’a mieux imité
fidèlement le Divin Modèle. Quand nous prions les mystères
glorieux du chapelet, après la Résurrection et l’Ascension du
Seigneur et la Pentecôte, nous méditons sur l’Assomption de
Marie, et nous lui demandons de nous aider à rester fidèles
comme elle l’a été : jusqu’au bout.
La destinée de Marie ne s’arrête pas là. Cette Femme
extraordinaire, extraordinairement sainte, une fois emportée au
ciel, y reçoit la place glorieuse que son Fils lui destinait,
auprès de Lui, comme Reine céleste de tous les Saints, des
Prophètes, des Apôtres, des Martyrs, des Confesseurs, des
Vierges, de l’Église tout entière. Mais aussi, plus encore que
de son vivant, elle est Mère de l’Église, notre Mère à tous,
avec dans leur sublimité toutes les manifestations qu’une tendre
Mère peut avoir pour chacun de ses enfants : Salut des infirmes,
Consolatrice des affligés, Refuge des pécheurs, Secours des
Chrétiens, Etoile du matin, Porte du ciel ; toutes ces
invocations sont depuis des siècles répétées dans les Litanies
de Lorette ; il n’est que de rester quelques instants dans un
sanctuaire comme Lourdes ou Loreto, pour “palper” cette
confiance qu’ont tous ceux qui souffrent envers leur Mère
céleste. Le couronnement de Marie, c’est sa récompense finale,
l’apothéose de sa persévérante fidélité, commémorée à son tour
huit jours après l’Assomption, en la fête de Marie Reine, le 22
août, et c’est là le cinquième des Mystères glorieux du
Chapelet.
Vraiment, depuis vingt et un siècles, toutes les générations
proclament bienheureuse Marie, Mère de Jésus et Reine
intimement unie à Lui dans la gloire. Chaque soir, dans le monde
entier, de tous les couvents et de toutes les abbayes, de toutes
les maisons religieuses, s’élève le Cantique de Marie, le
Magnificat, l’évangile d’aujourd’hui qui chante la joie de Marie
d’avoir été choisie pour la divine mission qu’elle a eue : être
Mère du Sauveur, donc Mère de Dieu, Co-rédemptrice avec Jésus,
et maintenant Mère de l’Église.
Il a été dit au début que l’Écriture ne contient pas
d’indication précise concernant la vie de Marie, encore moins de
son Assomption. Toutefois il est des textes bibliques auxquels
se sont constamment référés les auteurs pour appuyer leurs
affirmations concernant l’incorruptibilité du corps de Marie.
C’est par exemple le verset 8 du psaume 131 (qui est lu pour
l’Assomption à la Messe du soir) : Monte, Seigneur, vers le lieu
de ton repos, toi, et l’arche de ta force ! Comme l’Arche
renferma la Manne, c’est le corps de Marie qui renferma le Verbe
incarné. Or, le bois de l’Arche était incorruptible, ce bois de
sétim que ne peuvent attaquer les vers et qui se conserve intact
dans l’eau ; la nouvelle Arche, le corps de Marie, est à son
tour incorruptible. C’est généralement à propos de la fête de la
Dormition, évoquant précisément l’Assomption corporelle, que les
Pères et les Docteurs ont comparé Marie à l’Arche.
Voilà pourquoi la première lecture de la Messe du soir nous
présente l’épisode du transfert de l’Arche dans la Tente
préparée par David, avec tout le respect (on ne la touche pas,
mais on la déplace au moyen de barres comme l’avait ordonné
Moïse) et l’honneur possibles (les chantres, avec leurs
instruments… holocaustes et sacrifices).
En revanche, le psaume 44, qui est lu à la Messe du jour, est un
véritable épithalame, un chant de noces, où tour à tour l’épouse
chante l’époux, puis l’époux chante l’épouse ; celle-ci peut
aussi bien être l’Église, épouse virginale du Christ, que Marie,
Mère et Modèle de l’Église, Reine qui occupe un trône de gloire
à la droite de Dieu (Ps 44,10). C’est une tradition liturgique
de relire à presque chaque messe mariale ces versets du psaume
44.
Ressuscités et montés au ciel, voici donc Jésus-Christ et Marie
unis dans la victoire finale sur la mort : sur cette victoire,
l’Église nous fait lire quelques lignes de la première lettre de
Paul aux Corinthiens. Si la perspective de notre fin terrestre
nous effraie, écoutons Paul invectiver la mort : où est donc ta
victoire ? Oui, nous le savons, la mort n’est plus qu’un passage
obligé, un moment transitoire, avant de rejoindre la gloire du
Christ. Comme Marie, avec tous les Saints qui sont morts dans
l’amour de Dieu, comme Thérèse de l’Enfant-Jésus, nous devons
dire : Je ne meurs pas, j’entre dans la Vie.
Une expression un peu difficile retiendra notre attention, à la
fin de l’épître d’aujourd’hui. Comment Paul peut-il dire que
Christ aura mis sous ses pieds tous ses ennemis, une expression
reprise au Psaume 109 (Ps 109:1b), difficile à comprendre après
que nous ayons entendu Jésus nous dire que son joug est doux et
(son) fardeau léger (Mt 11:26). Il faut savoir que, dans
l’Antiquité, le trône royal avait à ses pieds des décorations
symbolisant les ennemis du roi : s’asseoir sur ce trône, c’était
assumer la domination sur les peuples soumis. Le psaume 109 est
le psaume royal par excellence, et les assidus du Bréviaire le
prient chaque dimanche à vêpres. Une royauté donc qui n’a rien
d’une oppression ; Jésus domine, avec Marie, dans l’amour,
offrant à chacun de nous une totale liberté, la libération du
péché.
Marie dans la
gloire, c’est elle aussi que l’apôtre Jean contemple en vision,
quand il parle d’un signe grandiose dans le ciel. Alors que
Marie fut, on le sait, exempte des douleurs de l’enfantement,
Jean la voit maintenant torturée par les douleurs de
l’enfantement, car dans sa mission de Co rédemptrice, Marie
souffre avec le Christ pour amener toutes les âmes au salut.
Même si le Christ et Marie sont définitivement entrés dans la
gloire et ne souffrent plus actuellement, il reste que les
péchés de chaque être, à chaque instant, sont cause des infinies
souffrances que Jésus subit, ainsi que sa chère Mère auprès de
Lui. A La Salette, Marie apparut en pleurs : le jeune
Maximin, qui ne l’avait pas reconnue, croyait ingénument que
cette pauvre Dame avait été battue par son mari ; puis Marie
expliqua, à lui et à Mélanie, qu’elle n’avait plus la force de
retenir le bras de son Fils : Si mon peuple ne veut pas se
soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils.
L’Assomption et le Couronnement de Marie constituent ainsi
l’aboutissement de tout le cycle des fêtes mariales, qui
commencent au 8 décembre, en son Immaculée Conception, de même
que le cycle des fêtes du Seigneur commence en la fête de
l’Annonciation (25 mars) pour s’achever à l’Ascension.
Quand la vie est dure, quand l’effort nous coûte, invoquons
Marie, notre glorieuse Maman, cela nous redonnera courage pour
persévérer à notre tour et gagner un jour aussi la couronne de
la fidélité. Écoutons le prêtre chanter la Préface : (Marie),
parfaite image de l’Église à venir, aurore de l’Église
triomphante, guide et soutient l’espérance de ton peuple encore
en chemin.
C’est ainsi que dans la Prière, nous demandons à Dieu, par
Marie, de demeurer attentifs aux choses d’en haut pour obtenir
de partager sa gloire. Faisons bien nôtre cette prière, désirons
intimement ce que nous demandons par la bouche du prêtre.
Magnificat !
Abbé Charles Marie
de Roussy |