Le jeune Albino Luciani
obtint son doctorat à la Grégorienne avec une thèse très critique à l’égard
d’une œuvre théologique d’Antonio Rosmini. Mais il y a des témoignages, repris
dans la Positio super virtutibus de l’abbé de Rovereto, qui font état d’un
changement de jugement de la part de Jean Paul Ier. Les voici
un
témoignage de Jean Paul I
tiré de la Positio de l’abbé de Rovereto
Au sujet de Sa
Sainteté Jean Paul Ier, de son très bref pontificat, tous les
témoignages au procès confirment un fait que nous préférons raconter à
travers
les souvenirs de la personne directement intéressée, Mgr Clemente Riva, lequel
dit: «Je ne peux pas ne pas rappeler avec émotion la rencontre que j’ai eue, en
tant qu’évêque auxiliaire pour un secteur de son diocèse de Rome, avec le pape
Jean Paul Ier. Un jour de son bref pontificat, le 7 septembre, il
avait demandé à rencontrer le cardinal vicaire, Ugo Poletti, avec ses évêques
auxiliaires. Nous étions en rang, par ordre d’ancienneté. J’étais le dernier de
la file. Le cardinal Poletti présentait les évêques un par un. Arrivé au
dernier, le cardinal s’apprêtait à dire: “Lui, c’est …”. Le Pape l’a interrompu
en disant: “Lui, je le connais bien”. Et nous avons expliqué à Poletti tous les
événements passés. Le Pape a parlé de sa dévotion à Rosmini. J’ai alors pris la
parole et ai dit: “Saint-Père, je ne sais si je peux être votre évêque
auxiliaire vu que, sur certains points regardant Rosmini, je ne suis pas
d’accord avec vous”. Il était évident que je plaisantais. Jean Paul Ier
a fait un sourire grand comme cela. Il m’a serré dans ses bras et m’a fait
comprendre que je pouvais travailler avec lui. Mais la révélation la plus grande
a été quand, se confiant à des amis, il a dit des choses importantes».
Ces «choses
importantes», on peut les lire dans le livre de Camillo Bassotto Il mio cuore
è ancora a Venezia, où le pape Jean Paul Ier,
au milieu de nombreuses autres confidences, en fait une qui est pour nous d’un
grand intérêt.
À la page 121 de ce livre, il est écrit: «Ce
fut tard, un soir de septembre, que Jean Paul Ier
appela au téléphone don Germano Pattaro et l’invita à venir à Rome. Ils se
trouvèrent quelques jours plus tard l’un à côté de l’autre, en toute paix et
sérénité. Don Germano, à la vue de Jean Paul Ier, son ancien
patriarche, était sur le point de s’agenouiller, mais le Pape le releva, le
serra dans ses bras et l’embrassa. Il s’en suivit un entretien long, affectueux
et confidentiel. Une petite grande confession réciproque, à cœur ouvert. C’est
ainsi que m’en parlait don Germano dans les rencontres que j’ai eues avec lui».
En ce qui
concerne Rosmini, voici les paroles de Jean Paul Ier: «Don Lorenzo [Milani]
et don Primo [Mazzolari] méritent de retrouver la place qu’il leur revient dans
l’Église et dans le cœur de tous ceux qui les ont aimés. Comme le mérite aussi
l’abbé Rosmini: un prêtre qui a aimé l’Église, qui a souffert pour l’Église. Un
homme de très vaste culture, de foi chrétienne intègre, un maître de sagesse
philosophique et morale qui voyait avec clarté dans les structures ecclésiales
les retards et les défaillances évangéliques et pastorales de l’Église. Je
voudrais trouver une occasion de parler d’Antonio Rosmini et de son œuvre, que
j’ai relue avec attention».
Il ne l’a pas
laissée échapper, cette dernière expression: «Que j’ai relue avec attention»,
qui est une confirmation du chemin qu’il faisait dans la connaissance de Rosmini.
La confession
de Jean Paul Ier continue: «D’abord, je rencontrerai les pères
rosminiens et ainsi nous ferons la paix. Quand ma thèse de doctorat sur
L’origine dell’anima umana secondo Antonio Rosmimi a été publiée, certains
d’entre eux se sont déclarés en désaccord avec ma pensée et mon analyse. Je
désire que l’on revoie le décret doctrinal numéro 10, Post obitum,
par lequel la Sacrée Congrégation de l’Inquisition romaine et universelle a
condamné les “quarante propositions” tirées des écrits de l’abbé Antonio Rosmini.
Nous le ferons calmement, mais nous le ferons».
«La
Providence», remarque Mgr Clemente Riva, «a voulu que celui qui a été le plus en
désaccord avec lui soit, durant les jours où il disait ces choses, son évêque
auxiliaire pour le diocèse de Rome […]. Entre ces lignes et celles dans
lesquelles il soutenait le caractère pratiquement irréformable du décret Post
obitum, quel chemin parcouru! […] Ces pages que j’ai écrites veulent être un
témoignage de la correction et de la sincérité d’Albino Luciani: un chercheur
sérieux qui avait le courage de reconnaître le vrai et le bien, même s’il
s’agissait de revoir ou de modifier ses positions précédentes. À bien y
regarder, il y a un chemin d’approfondissement et un développement culturel et
théologique dans l’esprit de Jean Paul Ier,
qui lui fait honneur. De ce chemin culturel d’Albino Luciani resurgissent la
valeur et la portée de penseur chrétien de Rosmini lui-même. Mais Jean Paul Ier
arrivait dans ce chemin culturel, théologique et pastoral à un “projet de
pontificat” qui prévoyait des réformes de la Curie romaine et de l’Église dans
l’esprit et dans la lettre du Concile Vatican II. Je renvoie encore à ce sujet à
l’étude de Romeo Cavedo, déjà citée: Albino
Luciani: progetto di un pontificato. Les
pages que j’ai écrites représentent alors un morceau d’“histoire de l’Église”».
30Gironi -
Septembre 2007 |