LES DEVOIRS

LIVRE I
(suite)

 

 

Le courage militaire.

Mais peut-être la gloire de la guerre tient-elle certains hommes attachés au point de penser que seul existe le courage du combat, et que je me suis rabattu sur les formes de courage que je viens d'évoquer, pour la raison que ce courage manquerait aux nôtres. Combien courageux fut Josué pour, dans un seul combat, terrasser et faire prisonniers cinq rois avec leurs peuples! Ensuite, comme un combat s'engageait contre les Gabaonites et qu'il craignait que la nuit n'empêchât sa victoire, avec grandeur d'âme et de foi il s'écria: « Que le soleil s'arrête », et il s'arrêta jusqu'à ce que sa victoire fût consommée. Gédéon, avec trois cents hommes, remporta un triomphe sur un peuple considérable et sur un ennemi cruel. Jonathan, jeune homme, fit preuve de courage dans un grand combat. Que dire des Maccabées?

Mais je parlerai d'abord du peuple de nos pères. Ceux-ci, bien qu'ils fussent prêts à se défendre pour sauver le temple de Dieu et leurs lois, ayant été attaqués, par une ruse des ennemis, le jour du sabbat, préférèrent offrir aux blessures leurs corps désarmés plutôt que de se défendre, par crainte de violer le sabbat. Et ainsi tous avec joie s'offrirent à la mort. Mais les Maccabées, considérant qu'en vertu de cet exemple toute la race pouvait périr, même durant le sabbat, alors qu'eux-mêmes étaient provoqués à la guerre, vengèrent le massacre de leurs frères innocents. Aussi par la suite, le roi Antiochus, dans son ardeur, quand il fit allumer la guerre par ses généraux Lysias, Nicanor et Gorgias, fut écrasé avec ses troupes orientales et assyriennes dans de telles conditions que quarante-huit mille hommes furent abattus sur le champ de bataille par trois mille.

Considérez la valeur du chef Judas Maccabée d'après celle d'un seul de ses soldats. En effet Eléazar remarquant un éléphant qui dominait tous les autres, couvert d'un harnachement royal, pensa que le roi était dessus; rapide, au pas de course, il se précipita au milieu de la formation ennemie et jetant son bouclier, des deux mains s'efforçait de tuer la bête: il s'introduisit sous elle et de son glaive enfoncé par dessous, lui porta un coup mortel. C'est ainsi qu'en tombant la bête écrasa Eléazar et ainsi qu'il mourut. Quelle force d'âme par conséquent: d'abord il ne craignait pas la mort; ensuite, enveloppé par les formations adverses, il était entraîné dans les rangs serrés des ennemis, entrait au milieu de leur colonne et, rendu plus hardi par le mépris de la mort, jetant son bouclier, allait et se maintenait sous la masse de la bête qu'il blessait des deux mains, puis pénétrait en elle, dans la pensée qu'il la frapperait d'un coup plus définitif; enfermé plutôt qu'écrasé par l'écroulement de la bête, il fut enseveli sous son propre triomphe.

Et l'homme ne fut pas trompé dans son attente, bien qu'il l'eût été par le harnachement royal: en effet, cloués sur place au spectacle magnifique de sa valeur, les ennemis qui n'avaient pas osé attaquer l'homme sans défense, tout à l'action, après la chute et l'écroulement de la bête, tremblèrent de telle sorte qu'ils se jugèrent, à eux tous, inégaux à la valeur d'un seul, que, finalement, le roi Antiochus, fils de Lysias, qui était venu muni de cent vingt mille hommes et avec trente-deux éléphants, — ainsi, dès le lever du soleil, par le fait de chacune de ces bêtes, on eût dit des sortes de monts qui resplendissaient par l'éclat des armes comme par des torches enflammées — néanmoins terrifié par le courage d'un seul, il demanda la paix. Et ainsi Eléazar laissa la paix comme héritière de sa valeur. Mais que ces faits soient mis au compte des triomphes.

Pourtant, parce que l'on fait preuve de courage non seulement dans les succès mais aussi dans les revers, considérons la fin de Judas Maccabée. Celui-ci en effet après la défaite de Nicanor, général du roi Démétrius, se sentant trop assuré contre vingt mille soldats de l'armée du roi, entreprit la guerre avec neuf cents hommes; comme ceux-ci voulaient se retirer pour ne pas être écrasés par le nombre, il leur conseilla une mort glorieuse plutôt qu'une fuite honteuse: « afin, dit-il, de ne pas laisser un sujet de reproche à notre gloire ». Aussi ayant engagé le combat, alors qu'on luttait depuis le point du jour jusqu'au soir, il attaqua l'aile droite où il remarqua la troupe la plus solide des ennemis, et la repoussa facilement. Mais, en suivant les fuyards, il s'exposa à une blessure par derrière; c'est ainsi qu'il trouva une occasion de mourir plus glorieuse que des triomphes.

Pourquoi lui joindre son frère Jonathan? Combattant avec une petite troupe contre les armées royales, abandonné des siens et laissé en compagnie de deux hommes seulement, il reprit la guerre, repoussa l'ennemi et rappela les siens en fuite pour les associer à son triomphe.

Le courage des martyrs.

Voilà le courage de la guerre; en quoi se trouve une forme, qui n'est pas banale, du beau et du convenable, parce que pour sa part, elle préfère la mort à la servitude et à la honte. Mais que dire des souffrances des martyrs? Et pour ne pas aller chercher bien loin, est-ce que par hasard les enfants Maccabées remportèrent sur l'orgueilleux roi Antiochus un triomphe moindre que leurs propres aïeux? Car ceux-ci vainquirent en armes, tandis que ceux-là le firent sans armes. La cohorte des sept enfants se tint invincible, cernée par les formations royales: les supplices furent vaincus, les bourreaux cédèrent, les martyrs ne furent pas vaincus; l'un dépouillé de la peau de la tête, avait changé d'aspect, mais il avait accru sa force; un autre, à l'ordre de tirer la langue, pour en être amputé, répondit: le Seigneur n'entend pas seulement ceux qui parlent, lui qui entendait Moïse dans son silence; il entend les pensées silencieuses des siens plus que les voix de tous. Tu crains le fouet de la langue, tu ne crains pas le fouet du sang? Le sang aussi a sa voix, avec laquelle il crie vers Dieu, comme il cria dans le cas d'Abel.

Que dirais-je de la mère qui contemplait avec joie autant de trophées que de corps de ses fils, et que charmaient les voix des mourants comme des chants de citharèdes? Elle percevait en ses fils la très belle cithare de ses entrailles et la mélodie de la piété, plus douce que tout rythme de la lyre.

Que dirais-je des enfants de deux ans qui reçurent la palme de la victoire avant la conscience de la réalité? Que dirais-je de sainte Agnès qui, placée devant le danger de perdre deux très grands biens, la chasteté et la vie, préserva sa chasteté et échangea sa vie contre l'immortalité?

N'omettons pas non plus saint Laurent qui, voyant son évêque, Sixte [1], mené au martyre, se mit à pleurer, non pas sur la passion de l'évêque, mais sur le fait que lui restait en arrière. C'est pourquoi il se mit à l'interpeller en ces termes: « Où t'en vas-tu, père, sans ton fils? où, saint évêque, te hâtes-tu sans ton diacre? Jamais, d'habitude, tu n'offrais le sacrifice sans ton serviteur. Qu'est-ce donc, père, qui t'a déplu en moi? M'as-tu par hasard reconnu comme indigne? Essaie au moins de savoir si tu as choisi un serviteur approprié. A celui à qui tu as confié la sanctification du sang du Seigneur, à qui tu as confié de partager avec toi la distribution du sacrement, à celui-là tu refuses de partager avec toi l'effusion de ton sang? Prends garde que ton jugement ne soit mis en cause, tandis qu'on loue ton courage. Rejeter le disciple porte préjudice à la fonction du maître. Que dire du fait que des hommes illustres, supérieurs, l'emportent par les combats de leurs disciples, plus que par les leurs? Enfin, Abraham offrit son fils, Pierre envoya devant lui Étienne. Et toi, père, montre en ton fils ton courage, offre celui que tu as formé, afin que, sans inquiétude pour ton jugement, avec une noble escorte, tu parviennes à la couronne ».

Alors Sixte de dire: « Non, mon fils je ne te délaisse ni ne t'abandonne, mais de plus grands combats te sont réservés. Nous, en notre qualité de vieillard, nous recevons un plus léger combat à accomplir, mais toi, en ta qualité de jeune homme, t'attend un plus glorieux triomphe sur le tyran. Tu viendras bientôt, cesse de pleurer, dans trois jours tu me suivras: à l'évêque et à son lévite convient l'intervalle de ce nombre. Il ne t'appartenait pas de vaincre sous un maître, comme si tu cherchais un aide. Pourquoi réclames-tu le partage de ma passion? Je t'en laisse le legs tout entier. Pourquoi recherches-tu ma présence? Que les disciples faibles pré­cèdent le maître, mais que les courageux le suivent, afin que vainquent sans maître ceux qui n'ont plus besoin de l'enseignement du maître. C'est ainsi également qu'Élie délaissa Elisée. Je te confie donc l'héritage de notre courage ».

Telle était la querelle, digne sujet de rivalité, assurément, entre l'évêque et son serviteur, afin de savoir qui souffrirait le premier pour le nom du Christ. On raconte que, lors de tragédies, de grands applaudissements du théâtre étaient soulevés quand Pylade se disait Oreste et qu'Oreste, comme il l'était, affirmait être Oreste: le premier afin d'être exécuté à la place d'Oreste, et Oreste, pour ne pas souffrir que Pylade fût exécuté à sa place. Mais ils n'avaient pas le droit de vivre du fait que l'un et l'autre étaient coupables de parricide, l'un parce qu'il l'avait accompli, l'autre parce qu'il avait aidé. Ici, personne encore ne pressait saint Laurent, si ce n'est l'amour du don de soi; cependant lui-même aussi, après trois jours, alors que, pour avoir joué le tyran, il était placé sur un gril et brûlé, déclara: « c'est rôti, retourne et mange ». Ainsi par le courage de l'âme, il vainquait la nature du feu.

Je pense qu'il faut aussi prendre garde à ce que certains, en se laissant mener par un désir excessif de gloire, n'en usent trop insolemment avec les pouvoirs publics, ne provoquent les esprits des païens, qui nous sont généralement hostiles, au goût de la persécution et ne les enflamment de colère. De cette manière, pour que ces hommes puissent persévérer et vaincre les supplices, combien de gens font-ils périr?

II faut aussi veiller à ne pas prêter l'oreille aux flatteurs: en vérité, s'attendrir sous l'effet de la flatterie paraît bien non seulement n'être pas un trait de courage, mais même être un trait de lâcheté.

La tempérance.

Puisque nous avons parlé de trois vertus, il nous reste à parler de la quatrième vertu que l'on appelle la tempérance et la modération où l'on voit et recherche surtout la tranquillité de l'âme, le goût de la douceur, l'agrément de la mesure, le souci de la beauté morale, la préoccupation du convenable.

Il nous faut donc tenir une certaine ligne de vie, en telle sorte que nous tracions certaines fondations à partir de la modestie prise pour principe: elle qui est la compagne et l'amie du calme de l'âme, empressée à fuir l'effronterie, étrangère à tout excès; elle chérit la sobriété, cultive la beauté morale, recherche ce convenable.

Qu'il s'ensuive un choix des relations pour nous attacher aux vieillards les plus estimés. Et en effet, de même que le commerce des contemporains est plus agréable, ainsi celui des vieilles gens est plus sûr: par une sorte d'enseignement et de direction concernant la vie, ce commerce déteint sur la conduite des jeunes gens, et l'imprègne pour ainsi dire de la pourpre de l'honnêteté. Et en effet, s'il est vrai que ceux qui sont dans l'ignorance des lieux, désirent vivement entreprendre le voyage avec des gens tout à fait instruits des chemins, combien plus les jeunes gens doivent-ils aborder, avec de vieilles gens, le voyage, nouveau pour eux, de la vie, afin d'éviter qu'ils ne puissent s'égarer et s'écarter du vrai sentier de la vertu? En effet, rien n'est plus beau que d'avoir les mêmes hommes, et pour maîtres et pour témoins de sa vie.

Il faut encore rechercher en toute action, ce qui s'accorde aux personnes, aux moments, et aux âges, ce qui en outre est adapté au caractère de chacun. Souvent en effet, ce qui convient à l'un, ne convient pas à l'autre. Une chose est appropriée au jeune homme et une autre à l'homme âgé; l'une l'est dans les dangers, l'autre pour les situations favorables.

David dansa devant l'arche du Seigneur, tandis que Samuel ne dansa pas; et le premier ne fut pas blâmé, mais ce fut plutôt le second qui fut loué. David changea son visage en face du roi — qui avait nom Achis — mais s'il avait fait cela indépendamment de la crainte d'être reconnu, en aucune manière il n'aurait pu être exempt du reproche de légèreté. Saül aussi, entouré d'un chœur de prophètes, prophétisa également lui-même; et de lui seul, comme d'un personnage inconvenant, on a fait cette mention: « Saül est-il aussi parmi les prophètes? ».

Que chacun donc connaisse son propre talent et s'applique à ce qu'il aura choisi comme lui étant approprié. Ainsi donc qu'il examine d'abord ce qu'il poursuivra: qu'il connaisse ses qualités mais reconnaisse aussi ses défauts et qu'il se montre un juge équitable de soi, afin d'aller dans le sens de ses qualités et d'esquiver ses défauts.

L'un se trouve être plus apte pour l'articulation de la lecture, un autre plus agréable pour la psalmodie, un autre plus attentif à exorciser ceux qui souffrent de l'esprit du mal, un autre plus à sa place à la sacristie. Que l'évêque considère tout cela et qu'il assigne à chacun pour devoir ce qui lui est approprié. Son propre talent en effet qui conduit chacun, ou bien le devoir qui lui convient, c'est cela dont on s'acquitte avec plus d'agrément.

Mais ceci qui est difficile en toute vie, est très difficile en particulier dans notre genre d'existence. Chacun en effet aime à suivre la manière de vivre de ses parents. Ainsi la plupart de ceux dont les parents ont servi dans la fonction publique, sont portés vers ce service, mais d'autres le sont vers des activités diverses.

Toutefois dans les devoirs d'une charge d'Église, on ne peut rien trouver de plus rare que l'homme qui suive la conduite de son père, ou bien parce que le genre d'existence, par son austérité, l'en détourne, ou bien parce que, à l'âge critique, l'abstinence paraît trop difficile, ou bien parce que, pour l'ardeur de la jeunesse, la manière de vivre paraît trop obscure; et c'est pourquoi l'on se tourne vers des goûts que l'on juge plus dignes d'être applaudis. Ils sont assurément plus nombreux à préférer les réalités présentes aux réalités futures. Or ces hommes servent les réalités présentes, tandis que nous, nous servons les réalités futures. Aussi plus la cause est importante, plus le soin doit être attentif.

Digression sur le convenable.

Observons donc la modestie et cette modération qui rehausse la parure de toute la vie.

Ce n'est pas en effet chose banale, pour chacune des affaires, de tenir la mesure et d'établir un ordre en lequel vraiment brille avec éclat ce qu'on appelle le convenable et celui-ci est à ce point lié avec la beauté morale qu'on ne peut l'en dissocier. Car, à la fois, ce qui est convenable est beau et ce qui est beau est convenable, de telle sorte qu'il existe plutôt une distinction dans le langage qu'une différence dans la vertu. Que ces réalités en effet diffèrent entre elles, on peut le saisir, mais on ne peut l'expliquer.

Et pour essayer de tirer quelque chose concernant cette distinction, la beauté morale est comme la santé et une sorte de bon état du corps; quant à la convenance, elle est pour ainsi dire la grâce et la beauté. Ainsi donc, de même que la beauté paraît l'emporter sur le bon état et la santé, et cependant ne peut exister sans eux, ni en être séparée en aucune manière, parce que s'il n'y a pas la santé, il ne peut y avoir la beauté et la grâce, de même la beauté morale comporte en elle ce convenable, de telle sorte que celui-ci paraît procéder de celle-là et ne peut exister sans elle. Ainsi donc la beauté morale est comme le bon état de toute notre œuvre et de toute notre action, et le convenable est comme le bel aspect — pour mêlé que soit ce convenable à la beauté morale, la réflexion l'en distingue. De fait, même si le convenable, dans un cas donné, paraît l'emporter, cependant il existe sur la racine de la beauté morale, mais à la manière d'une fleur de choix, de telle sorte que sans la beauté morale il se fane, que sur elle, il fleurit. Qu'est-ce en effet que la beauté morale, si ce n'est ce qui fuit la laideur comme la mort? Mais qu'est-ce que le contraire du beau, sinon ce qui amène la sécheresse et la mort? Tant donc que l'essence de la vertu est un bois vert, ce convenable y brille comme une fleur, parce que la racine est saine; mais en vérité lorsque la racine de notre dessein est viciée, rien ne germe.

On trouve cela dans nos Écritures de façon sensiblement plus nette. David dit en effet: « Le Seigneur a établi son règne, il a revêtu l'éclat de la convenance ». Et l'apôtre déclare: « Gomme en plein jour, marchez dans la beauté », ce qu'on exprime en grec par  εύσχήμως.  Or ce terme signifie proprement: avec bonne tenue, avec bon aspect. Ainsi donc Dieu, quand il créa le premier homme, le façonna avec un bon extérieur, une bonne disposition des membres et lui donna très bon aspect; il ne lui avait pas donné la rémission des péchés; mais après qu'il eut rénové par l'Esprit et rempli de grâce celui qui était venu dans la condition d'esclave et l'aspect d'homme, il assuma l'éclat de la convenance, attaché à la rédemption de l'homme. Et c'est pourquoi le prophète a dit: « Le Seigneur a établi son règne, il a revêtu l'éclat de la convenance ». Ensuite il dit ailleurs « C'est à toi que convient, ô Dieu, l'hymne dans Sion », c'est-à-dire: il est beau que nous te craignions, que nous t'aimions, que nous te priions, que nous te rendions honneur; il est écrit en effet: « Que toutes choses chez vous se fassent dans la beauté ». Mais nous pouvons craindre aussi un homme, l'aimer, le solliciter, l'honorer, tandis que l'hymne s'adresse spécialement à Dieu: il est convenable de croire supérieur, pour ainsi dire, à toutes les autres choses, ce que nous présentons à Dieu. Il sied que la femme aussi prie « dans une tenue soignée », mais il convient spécialement qu'elle prie voilée et qu'elle prie en promettant la chasteté en même temps qu'une bonne conduite.

Le convenable est donc ce qui est le plus remarquable: il se divise en deux. Il existe en effet un convenable pour ainsi dire général qui s'étend à l'ensemble de la beauté morale et que l'on observe pour ainsi dire dans le corps tout entier; il existe aussi un convenable spécial qui brille dans quelque partie. Le conve-général se présente comme s'il offrait la cohérence, toute son action, d'une apparence uniforme et de l'ensemble de la beauté morale, lorsque toute sa vie s'accorde avec elle-même, sans que rien fasse dissonance en aucun point; ce convenable spécial se présente lorsqu'il offre, dans ses vertus, quelque action

Observe en même temps ceci: le convenable consiste à vivre conformément à la nature, à passer sa vie conformément à la nature; la laideur consiste en tout ce qui peut être contraire à la nature. L'apôtre dit en effet, sous la forme d'une interrogation: « Convient-il que la femme prie Dieu sans voile sur la tête? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que pour l'homme, assurément, s'il porte la chevelure longue, c'est une honte pour lui? » — parce que c'est contraire à la nature. Et il dit de nouveau: « Mais pour la femme, si elle porte les cheveux longs, c'est une gloire pour elle » — c'est en effet conforme à la nature — « parce que, bien sûr, les cheveux tiennent lieu de voile » — c'est en effet un voile naturel. Ainsi donc la nature elle-même nous accorde le visage et l'apparence extérieure que nous devons conserver. Si seulement nous pouvions sauvegarder aussi l'innocence et ne pas altérer le don reçu, par notre malice.

Tu as devant les yeux ce convenable général, puisque Dieu a fait la beauté de ce monde. Tu as aussi le convenable dans les parties, puisque, lorsque Dieu fit la lumière et distingua le jour et la nuit, lorsqu'il créa le ciel, lorsqu'il sépara les terres et les mers, lorsqu'il établit que le soleil, la lune et les étoiles brillent sur la terre, Dieu trouva bonne chacune de ces choses. Ainsi donc ce convenable qui brillait en chacune des parties du monde, resplendit dans l'ensemble, comme le prouve la Sagesse en disant: « C'était moi qu'il applaudissait... alors qu'il se réjouissait de l'achèvement du monde ». Il en va de la même façon, par conséquent, dans la structure du corps humain: la partie que constitue chacun des membres est un agrément, mais la disposition appro­priée des membres, pour former un ensemble, charme davantage, parce qu'on voit alors qu'il se complètent et s'harmonisent.

Ainsi donc si quelqu'un maintient l'égalité du caractère dans tout l'ensemble de la vie, la mesure en chacune des actions  et aussi l'ordre, et s'il conserve la constance dans les propos et dans les œuvres ainsi que la modération, ce convenable prédomine dans sa vie et brille comme en une sorte de miroir.

Retour au sujet la tempérance.

Que s'y ajoute cependant la douceur de la conversation, afin de se concilier l'affection des auditeurs et de se montrer agréable envers ses amis ou ses concitoyens ou, si faire se peut, tous les hommes. Qu'il ne se présente ni comme un flatteur ni comme un homme à flatter par personne. La première attitude en effet relève de l'astuce, la seconde de la vanité.

Qu'il ne méprise pas ce qu'un chacun et surtout l'excellent homme pense de lui; de cette manière en effet il apprend à accorder du respect aux gens de bien. De fait, ne pas se soucier des jugements des gens de bien relève ou de l'arrogance ou du laisser-aller; or la première attitude s'inscrit au compte de l'orgueil, la seconde à celui de la désinvolture.

Qu'il prenne garde aussi aux mouvements de son âme; sa propre personne en effet doit être observée et examinée par soi, et de même qu'elle doit se garder contre soi, de même aussi doit-elle veiller sur soi. Il existe en effet des mouvements de l'âme, dans lesquels il y a ce désir qui, comme par une sorte d'élan, jaillit; d'où son nom grec ορμή, parce que par une sorte de force qui s'insinue, il se jette en avant. Il y a dans ces mouvements une sorte de force, qui n'est pas de peu d'importance, de l'âme et de la nature; cette force toutefois est double, se trouvant d'une part dans le désir, de l'autre dans la raison dont le rôle est de retenir le désir, de le rendre obéissant à soi, de le mener où elle veut, et, comme par un enseignement attentif, de lui apprendre ce qu'il faut faire, ce qu'il faut éviter, de telle sorte qu'il se soumette à ce bon dresseur.

Nous devons être attentifs en effet à ne conduire aucune entreprise à la légère ou sans soin, ou absolument aucune dont nous ne puissions fournir une raison « probable ». La cause en effet de notre action, bien que l'on n'en rende pas compte à tous, est cependant examinée par tous; et nous n'avons pas en vérité de quoi nous puissions nous excuser: car bien qu'il y ait une sorte de force de la nature en tout désir, cependant le désir, en même temps, a été soumis à la raison par la loi de la nature elle-même et lui obéit. Aussi est-ce le fait d'un homme qui exerce une bonne surveillance de faire effort en son âme de telle sorte que le désir ni ne devance la raison ni ne la délaisse, de peur qu'en la devançant il ne la trouble et ne la repousse, qu'en la délaissant il ne l'abandonne. Le trouble supprime la constance, l'abandon révèle l'apathie, dénonce la paresse-Une fois l'âme troublée en effet, le désir se répand plus largement et plus loin, et, comme sous l'effet d'un élan sauvage, il ne supporte plus les rênes de la raison et ne sent plus aucuns commandements du cocher qui puissent le ramener. Aussi, bien souvent, non seulement l'âme s'inquiète et la raison se perd, mais encore le visage s'enflamme ou de colère ou de passion, pâlit d'effroi, ne se tient pas de plaisir, est transporté d'une joie excessive.

Quand cela se produit, on abdique cette sorte de censure naturelle et le sérieux du caractère; et l'on ne peut tenir cette vertu qui, dans la conduite des affaires et dans les projets, peut seule maintenir l'autorité que l'on a et ce qui convient — la constance.

La colère.

Or un désir particulièrement puissant naît de l'excessive irritation qu'allumé très souvent le ressentiment de l'injure reçue. A ce sujet, nous instruisent suffisamment les préceptes du psaume que nous avons placé dans le préambule; or il s'est bien trouvé aussi que, sur le point d'écrire sur Les devoirs, nous usions de cette affirmation de notre préambule qui, elle-même aussi, concernait l'enseignement du devoir.  Mais parce que précédemment, comme il le fallait, nous avons effleuré la question de savoir comment un chacun peut prendre garde à ne pas se laisser emporter par l'injure reçue — nous craignions que le préambule ne devînt trop long — je pense que maintenant il faut en disserter plus abondamment. Le lieu est en effet opportun, pour dire à propos du rôle de la tempérance, comment on réprime la colère.

C'est pourquoi nous voulons démontrer, si nous le pouvons, qu'il y a, dans les Écritures divines, trois genres d'hommes qui reçoivent l'injure. L'un est formé de ceux que le pécheur invective, insulte, attaque. Chez ces hommes, à cause du déni de justice, le sentiment de l'honneur grandit, le ressentiment s'accroît. Semblables à ceux-ci sont des gens très nombreux appartenant à cet ordre, à mon rang. De fait, si quelqu'un me fait injure, à moi qui suis faible, peut-être, bien que faible, pardonnerai-je l'injure qui m'est faite; si c'est une accusation qu'il me lance, je ne suis pas assez grand pour me satisfaire de ma propre conscience, même si je me sais étranger à cette accusation, mais je désire effacer la tache faite à mon honneur d'homme libre, en faible que je suis. J'exige donc « œil pour œil, dent pour dent » et je rends l'insulte par l'insulte.

Mais s'il est vrai que je suis homme qui progresse, bien que non encore parfait, je ne retourne pas l'outrage; et si l'adversaire répand l'insulte et submerge mes oreilles d'outrages, pour moi, je me tais et ne réponds rien.

Mais dans l'hypothèse où je suis parfait — je parle par manière d'exemple, car en réalité je suis faible — dans l'hypothèse donc où je suis parfait, je bénis qui maudit comme bénissait aussi Paul qui dit: « On nous maudit et nous bénissons ». Il avait entendu en effet celui qui disait: « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous calomnient et vous persécutent ». C'est pourquoi donc Paul supportait et endurait la persécution pour la raison qu'il dominait et adoucissait l'affectivité humaine en vue de la récompense proposée, afin de devenir fils de Dieu, s'il avait aimé son ennemi.

Toutefois nous pouvons également enseigner que le saint David, en ce genre aussi de vertu, ne fut pas inférieur à Paul. Lui qui d'abord assurément, quand le fils de Semei le maudissait et lui lançait des accusations,  se taisait, s'humiliait et faisait silence sur ses bonnes actions, c'est-à-dire sur la conscience de ses bonnes œuvres; et qui ensuite souhaitait qu'on le maudît parce que par cette malédiction il gagnait la miséricorde divine.

Vois d'autre part comment il conserva et l'humilité et la justice et la prudence pour mériter la grâce de la part du Seigneur. D'abord il dit: « II me maudit pour la raison que le Seigneur lui a dit de maudire ». Tu constates l'humilité: ce qui est commandé par Dieu, c'est avec égalité d'âme, comme un petit esclave, qu'il estimait devoir le supporter. De nouveau il dit: « Voici que mon fils qui est sorti de mes entrailles, en veut à ma vie ». Tu constates la justice; si en effet nous endurons de la part des nôtres des maux bien pénibles, pourquoi subissons-nous avec indignation ceux qui nous sont infligés par des étrangers? En troisième lieu il déclare: « Laisse-le maudire parce que le Seigneur le lui a dit, afin qu'il voie mon humiliation, et le Seigneur me payera en retour pour prix de cette malédiction ». Non seulement il supporta celui qui l'insultait, mais encore il laissa, sans lui faire de mal, celui qui lui jetait des pierres et le suivait; bien plus, après la victoire, à celui qui lui demandait grâce, il pardonna volontiers.

J'ai introduit ce texte avec l'intention de montrer que, dans l'esprit de l'Évangile, le saint David, non seulement ne fut pas offensé, mais encore fut reconnaissant à l'endroit de celui qui l'insultait et fut charmé plutôt qu'irrité par des injures pour prix desquelles il estimait qu'une récompense lui serait donnée. Mais cependant, si parfait qu'il fût, il recherchait plus de perfections encore. Il s'échauffait sous la souffrance de l'injure, en homme, mais il remportait la victoire, en bon soldat; il résistait, en courageux athlète. Or le but final de sa patience était l'attente des promesses et c'est pourquoi il disait: « Fais-moi connaître, Seigneur, quels sont mon but final et le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui manque à mon compte  ». Il recherche le but final des promesses célestes ou celui du temps où chacun ressuscite à son rang: « En prémices le Christ, ensuite ceux qui appartiennent au Christ, qui ont cru en son avènement, puis ce sera la fin ». C'est en effet après la remise du règne au Dieu et Père, et après l'anéantissement de toutes les puissances, comme dit l'apôtre, que commence la perfection. Ici donc l'embarras, ici la faiblesse, même des parfaits, là le comble de la perfection. C'est pourquoi il est en quête aussi des jours de la vie éternelle, de ces jours qui sont et non de ceux qui passent, afin de connaître ce qui manque à son compte, ce qu'est la terre de la promesse, portant des fruits qui durent toujours, ce qu'est la première demeure près du Père, ce que sont la seconde et la troisième en lesquelles chacun se repose en proportion de ses mérites.

Digressions sur le thème des deux images.

II nous faut donc désirer ces réalités en lesquelles se trouve la perfection, en lesquelles se trouve la vérité. Ici c'est l'ombre, ici l'image, là la vérité: l'ombre est dans la Loi, l'image dans l'Évangile, la vérité dans les réalités célestes. Auparavant on offrait un agneau, on offrait un Jeune taureau, maintenant c'est le Christ qu'on offre, mais on l'offre comme homme, comme subissant la passion; et lui-même, comme prêtre, s'offre pour remettre nos péchés, ici en image, mais en vérité là où il intervient comme avocat en notre faveur, auprès du Père. Ici donc nous marchons dans l'image, nous voyons en image, mais là ce sera face à face, où se trouve le comble de la perfection, car toute perfection réside dans la vérité.

Ainsi donc, tant que nous sommes ici, conservons l'image, afin que là nous parvenions à la vérité. Qu'il y ait en nous l'image de la justice, qu'il y ait l'image de la sagesse, car on en viendra à ce jour et nous serons appréciés d'après l'image.

Que l'ennemi ne trouve pas en toi son image, ni sa rage, ni sa fureur; en elles en effet se trouve l'image du mal. Le démon ennemi en effet comme un lion rugissant cherche qui tuer, qui dévorer. Qu'il ne trouve pas la convoitise de l'or, ni des monceaux d'argent, ni les idoles que sont les vices, de peur qu'il ne t'enlève la parole de la liberté; la parole de la liberté est en effet que tu dises: « Le prince de ce monde viendra et il ne trouvera rien en moi ». C'est pourquoi si tu es assuré qu'il ne trouvera rien en toi quand il viendra fouiller, tu diras ce que le patriarche Jacob dit à Laban: « Reconnais ce qui, de tes biens, est chez moi ». Heureux à juste titre Jacob chez qui Laban ne put rien retrouver qui fût à lui! Rachel en effet avait fait disparaître les idoles d'or et d'argent qui étaient les dieux de Laban.

C'est pourquoi si la sagesse, si la foi, si le mépris du monde, si la grâce font disparaître toute incrédulité, tu seras heureux, car tu ne détournes pas ton regard vers les vanités et vers les folies mensongères. Ou bien est-ce chose de peu de prix, d'enlever sa voix à l'ennemi, en sorte qu'il ne puisse avoir le droit de t'accuser? C'est pourquoi celui qui ne détourne pas son regard vers les vanités, n'est pas troublé; celui en effet qui détourne vers elles son regard est troublé, et assurément de la manière la plus vaine. Qu'est-ce en effet que de rassembler des richesses, sinon chose vaine? Car la recherche des biens périssables est chose vaine, tout à fait. Or quand tu les auras rassemblées, comment peux-tu savoir s'il te sera permis de les posséder?

N'est-ce pas chose vaine que le marchand, nuit et jour, fasse du chemin afin de pouvoir accumuler les monceaux d'un trésor, de rassembler des marchandises, de se troubler pour le prix — de peur par hasard qu'il ne vende moins cher qu'il n'a acheté — d'être à l'affût des prix des régions, et soudain ou bien de provoquer contre lui l'envie des brigands pour son trafic bien connu, ou bien, faute d'avoir attendu des vents plus calmes, en cherchant un gain, d'essuyer un naufrage, par impatience d'un retard.

Ne se trouble-t-il pas vainement, celui aussi qui, au prix de la plus grande peine, amoncelle ce dont il ne sait pas à quel héritier il le laissera? Souvent, ce que l'avare a amassé avec le plus grand souci, un héritier jouisseur le dissipe dans une prodigalité inconsidérée; et des biens longtemps cherchés, un vilain glouton, aveugle sur le présent, imprévoyant pour l'avenir, les engloutit en une sorte de gouffre. Souvent aussi le légataire espéré acquiert en outre l'envie pour l'héritage obtenu, et par une mort rapide transfère à des étrangers les économies du legs accepté.

Pourquoi donc tisses-tu vainement une toile d'araignée qui est dépourvue de valeur et sans profit, et suspends-tu comme des fils les mutiles ressources de la richesse? Car quoiqu'elles affluent, elles ne servent à rien; bien plus elles te dépouillent de l'image de Dieu et te revêtent de l'image de l'homme terrestre. Si quelqu'un a l'image du tyran, n'est il point passible de la damnation? Et toi tu déposes l'image de l'empereur éternel et tu ériges en toi l'image de la mort. Rejette plutôt de la cité de ton âme l'image du diable et dresse l'image du Christ. Qu'elle brille en toi, qu'elle resplendisse en ta cité, c'est-à-dire en ton âme, elle qui efface les images des vices. De ceux-ci David dit: « Seigneur, dans ta cité, tu réduiras à rien leurs images ». En effet dès lors que le Seigneur a peint Jérusalem à son image, alors toute image des ennemis est détruite.

Les devoir des clercs

Que si par l'Évangile du Seigneur, le peuple lui-même aussi a été formé et éduqué au mépris des richesses, combien plus faut-il que vous, lévites, ne soyez pas liés par les convoitises terrestres, vous dont Dieu est le partage? De fait alors que la possession terrestre était répartie par Moïse au peuple des pères, le Seigneur exclut les lévites, à cause de leur participation à la possession éternelle, du fait qu'il était lui-même pour eux le lot de leur héritage. Aussi David dit-il: « Le Seigneur est la part de mon héritage et de ma coupe ». Enfin telle est l'étymologie de leuita, lévite: ipse meus, lui-même est mien, ou ipse pro me, lui-même est pour moi. Grande est donc sa fonction, que le Seigneur dise de lui: « lui-même est mien », ou comme il dit à Pierre à propos du statère trouvé dans la bouche du poisson: « Tu le leur donneras pour moi et pour toi ». C'est pourquoi l'apôtre aussi, après avoir dit que l'évêque doit être sobre, chaste, distingué, hospitalier, apte aux études, ni avare ni querelleur, bien maître de sa maison, ajouta: « Quant aux diacres, il faut de la même manière qu'ils soient dignes, non pas hypocrites, non pas grands buveurs de vin, non pas à la poursuite du vilain profit, mais gardant le mystère de la foi dans une conscience pure. Et que ces hommes en outre soient d'abord éprouvés et qu'ainsi ils servent, s'ils n'encourent aucun reproche ».  Nous voyons bien tout ce qu'on requiert de nous: que le ministre du Seigneur pratique l'abstinence du vin, qu'il soit soutenu par un bon témoignage non seulement des fidèles, mais encore de la part des gens de l'extérieur. Il convient en effet que l'estime publique témoigne en faveur de nos actes et de nos œuvres, afin qu'il ne soit point porté atteinte à notre fonction, de telle sorte que celui qui voit le ministre de l'autel, orné des vertus qu'il faut, en proclame l'auteur et vénère le maître qui a de tels serviteurs. C'est en effet l'honneur du maître que la propreté de son bien et l'innocence de la conduite de sa domesticité.

Quant à la chasteté, que dirai-je, puisqu'une seule union et non renouvelée est permise? Et ainsi donc dans le mariage lui-même, la loi est de ne pas réitérer le mariage et de ne pas obtenir l'alliance d'une seconde épouse. Or ceci paraît étonnant à un grand nombre de gens: pourquoi le mariage réitéré, même avant le baptême, produit-il des empêchements pour l'élection à une fonction et pour le privilège de l'ordination, alors que même les fautes, d'ordinaire, ne sont pas un obstacle si elles ont été remises par le sacrement de baptême. Mais nous devons comprendre que, par le baptême, le péché peut être absous, tandis que la loi ne peut être abolie: dans le mariage il n'y a pas de péché, mais il y a une loi; ce qui relève du péché, donc, est pardonné dans le baptême, mais ce qui relève de la loi dans le mariage n'est pas aboli. Et puis comment peut-il encourager à l'état de veuvage, celui qui, personnellement, a multiplié les mariages?

D'autre part vous connaissez l'obligation d'offrir un ministère sans reproche et sans tache, et de ne le profaner par aucune relation conjugale, vous qui avez reçu la grâce du ministère sacré, vierges de corps, la pudeur intacte, étrangers aussi à l'union conjugale elle-même. Et je n'ai pas omis ce point pour la raison que dans un bon nombre d'endroits assez retirés, en exerçant le ministère ou même le sacerdoce, on eut des enfants; et l'on justifie cela, comme en vertu de l'usage ancien, lorsque l'on offrait le sacrifice avec des intervalles de plusieurs jours; et cependant, même le peuple pratiquait la continence pendant deux ou trois jours afin de s'approcher avec pureté pour le sacrifice, comme nous le lisons dans l'Ancien Testament: « et il lave ses vêtements ». Si au temps de la figure, si grande était l'observance, combien plus doit-elle l'être au temps de la réalité! Apprends, prêtre et aussi lévite, ce que signifie laver tes vêtements: offrir un corps pur pour la célébration des mystères. S'il était interdit au peuple, sans la purification de ses vêtements, de s'approcher pour son offrande, toi, sans t'être lavé en ton âme comme en ton corps, tu oses adresser des supplications pour d'autres, tu oses apporter à d'autres ton ministère?

II n'est pas de peu d'importance le devoir attaché à la charge des lévites, eux dont le Seigneur dit: « Voici que je choisis des lévites du milieu des fils d'Israël, à la place de tout premier-né qui ouvre le sein de sa mère chez les fils d'Israël: ces élus seront le rachat des premiers-nés et ils seront pour moi des lévites. Je me suis en effet consacré les premiers-nés, dans la terre d'Egypte ». Nous avons appris que les lévites ne sont pas comptés parmi tous les autres, mais que sont préférés à tous, ceux qui sont choisis et consacrés d'entre tous; de même que les premiers-nés des fruits, les prémices, qui sont destinés au Seigneur, où se trouvent l'acquittement des promesses et le rachat des péchés. « Tu ne les comprendras pas, dit le Seigneur, au nombre des fils d'Israël, et tu statueras que les lévites sont préposés à la tente de l'alliance et à tous ses objets et à tout ce qui s'y trouve. Qu'eux-mêmes portent la tente et tous ses objets et qu'ils servent eux-mêmes dans la tente; qu'eux-mêmes établissent le camp à l'entour de la tente; en levant le camp, que les lévites démontent eux-mêmes la tente et en établissant le camp, qu'eux-mêmes de nouveau dressent cette tente. Tout étranger à la tribu qui s'en sera approché, qu'il meure de mâle mort ». C'est donc toi qui as été choisi de tout l'ensemble des fils d'Israël, apprécié parmi les fruits sacrés en tant que premiers-nés, préposé à la tente pour camper dans le camp de la sainteté et de la foi — et l'étranger qui s'en sera approché, mourra de mâle mort — établi pour cacher l'arche d'alliance. Tous en effet ne voient pas les profondeurs des mystères parce qu'elles sont cachées par les lévites, de peur que ne voient ceux qui ne doivent pas voir et que ne prennent ceux qui ne peuvent conserver. Ainsi Moïse a vu la circoncision spirituelle, mais il la cacha pour prescrire, à titre de signe, la circoncision; il vit les azymes de la vérité et de la pureté, il vit la passion du Seigneur mais il cacha par des azymes corporels les azymes de la vérité, il cacha la passion du Seigneur par l'immolation de l'agneau ou du taureau; et les bons lévites conservèrent le mystère, sous le couvert de leur foi. Et toi tu juges de peu d'importance ce qui t'a été confié? D'abord de voir les profondeurs de Dieu, ce qui relève de la sagesse; ensuite de monter la garde devant le peuple, ce qui relève de la justice; de défendre le camp et de protéger la tente, ce qui relève du courage; de te montrer toi-même maître de toi et sobre, ce qui relève de la tempérance.

La concurrence des vertus.

Ces genres principaux des vertus, même ceux qui sont en dehors de l'Église, les ont définis, mais ils ont jugé l'ordre de la communauté humaine supérieur à celui de la sagesse, alors qu'il est nécessaire que la sagesse soit le fondement de la justice, parce qu'elle ne peut subsister si elle n'a un fondement. Or le fondement est le Christ.

Première est donc la foi, qui relève de la sagesse, comme dit Salomon, à la suite de son père: « Le début de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur ». La Loi aussi dit: « Tu aimeras ton Seigneur », « tu aimeras ton prochain ». Il est beau en effet d'apporter à la société du genre humain ton obligeance et tes devoirs. Mais ceci d'abord est convenable: ce que tu as de plus précieux,  c'est-à-dire ton âme — en comparaison de quoi tu n'as rien de plus grand — de le destiner à Dieu. Quand tu as acquitté ton dû au Créateur, il t'est loisible d'apporter la contribution de tes œuvres à la bienfaisance et à l'aide à l'égard des hommes, et de porter secours à leurs nécessités, ou bien par de l'argent ou bien par le devoir de ta charge, ou bien encore par un quelconque service; ce qui s'offre largement dans votre ministère: par de l'argent, secourir — libérer qui est lié par une dette — par le devoir de ta charge, accepter de conserver les biens que craint de perdre celui qui a cru devoir en faire le dépôt.

Le cas des dépôts.

Le devoir de la charge est donc de conserver et de rendre le dépôt. Mais un changement se produit parfois, en raison ou bien des circonstances, ou bien de la nécessité, en sorte que le devoir ne soit pas de rendre ce que tu as reçu; par exemple si quelqu'un, qui porte secours aux barbares contre la patrie, réclame son argent, étant un ennemi déclaré; ou si tu rends à quelqu'un, alors qu'est présent celui qui va le dépouiller; si tu restitues à un homme en délire, alors qu'il ne peut conserver; si tu ne refuses pas à un fou l'épée qu'il a déposée, avec laquelle il va se tuer, n'est-ce pas la restitution qui va à l'encontre du devoir? Si tu acceptes sciemment des biens obtenus par vol, en sorte que soit frustré celui qui les avait perdus, n'est-ce pas chose qui va à l'encontre du devoir?

Le cas des promesses.

II va encore à l'encontre du devoir, parfois, d'acquitter une promesse, de tenir un serment; ainsi Hérode qui jura que, quoi qu'il lui fût demandé, il le donnerait à la fille d'Hérodiade, et accorda le meurtre de Jean pour ne pas renier sa promesse. Car que dirai-je de Jephté qui immola sa fille qui, la première, s'était présentée au-devant de son père victorieux? Il voulait accomplir le vœu qu'il avait prononcé: quoi que fût ce qui, le premier, se serait présenté au-devant de lui, il l'offrirait à Dieu. Il eût mieux valu ne rien promettre de semblable, que d'acquitter sa promesse par le meurtre de sa fille.

Le jugement nécessaire aux clercs.

Vous n'ignorez pas quel jugement requiert l'attention à tout cela. Et c'est à cette fin que l'on choisit le lévite qui gardera le sanctuaire, qu'il ne se trompe pas dans son jugement, qu'il ne déserte pas la foi, qu'il ne craigne pas la mort, qu'il ne fasse rien à l'encontre de la tempérance, mais que, dans son air même, il porte la marque du sérieux, lui auquel il convient de tenir sur la réserve non seulement son âme, mais encore ses yeux, de peur que même une simple rencontre fortuite ne profane la retenue de son visage, puisque « celui qui a regardé une femme pour la désirer, a commis l'adultère avec elle en son cœur ». Ainsi commet-on l'adultère non seulement par la souillure de l'acte, mais encore par l'intention du regard.

Tout cela paraît grand et bien rigoureux, mais non pas excessif en une grande charge, puisque telle est la grâce des lévites, que Moïse disait d'eux dans ses bénédictions: « Donnez à Lévi ses hommes, donnez à Lévi ses hommes d'une évidente loyauté, donnez à Lévi le lot du soutien à son égard, et sa fidélité à l'homme saint qu'ils éprouvèrent dans les tentations, qu'ils maudirent près de l'eau de la rébellion. Lui qui dit à son père et à sa mère: je ne te connais pas, qui ne reconnut pas ses frères et qui renia ses fils; celui-ci garde tes paroles et a observé ton alliance ».

Ceux-ci sont donc ses hommes et ses hommes d'une évidente loyauté, qui n'ont dans le cœur aucune ruse, ne cachent aucune tromperie, mais gardent ses paroles et les méditent dans leur cœur, comme Marie aussi les méditait; eux qui n'ont pas appris à faire passer leurs parents avant leur devoir, qui haïssent les profanateurs de la chasteté, vengent l'outrage à la pudeur, ont appris les moments opportuns des devoirs, que le devoir le plus important est celui qui, pour chacun, est approprié au moment opportun, et en telle sorte que chacun suive cela seulement qui est beau, mais qu'assurément, lorsque se présentent deux partis moralement beaux, il estime devoir préférer celui qui est le plus beau; ces hommes à bon droit sont bénis.

Conclusion.

Si quelqu'un donc fait avec une évi­dente loyauté les œuvres de  Dieu, offre l'encens, « bénis, Seigneur, sa vertu, accueille les travaux de ses mains  », afin qu'il obtienne la grâce de la bénédiction prophétique.


[1] Le pape Sixte II était monté sur le trône pontifical en août 257, après la mort du pape Étienne; en ce même mois d'août 257, un premier édit de Valérien, visant exclusivement le clergé, des évêques aux diacres, leur interdisait la célébration du culte et la visite des cimetières; près d'un an plus tard, le 6 août 258, Sixte II fut surpris, célébrant l'eucharistie dans le cimetière de Prétextât. Un second édit ayant prescrit l'exécution sans délai des clercs pris en infraction, Sixte II fut immédiatement décapité avec quatre diacres.

    

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