« Mon cœur bat de
moins en moins... »
Ma
fin n’est pas encore pour tout de suite: c’est là un sacrifice
supplémentaire. Que cela soit pour la gloire de Jésus et le salut des âmes.
Dois-je encore attendre
longtemps avant que les hommes ne se soumettent à la volonté de Dieu ? Je
suis impatiente et je dis à Jésus :
— Mon cœur bat de moins en
moins. Je ne peux plus attendre. Je n’ai commis aucun délit, pour qu’il me
soit appliqué un aussi grave châtiment.
Pauvre de moi, si je devais
être jugée par les gens ! En vérité ils ont raison de mal me juger : sans le
Seigneur je serais capable de faire ce qu’ils disent et encore pire.
D’après les paroles de Jésus,
auxquelles je crois aveuglément, il me semble que ma vraie vie soit proche:
le ciel, oh le ciel! Je vais être heureuse au ciel!
Le 13 décembre, de bon matin —
ce ne fut pas un rêve, non plus une illusion — j’ai vu la
Notre-Dame de Fatima élevée — je ne sais pas sur quoi elle
posait — à une grande hauteur. Autours d’Elle,
en bas, une grande foule Qu’elle regardait avec tendresse. Je me suis
trouvée hors de moi-même: il me semblait avoir été transportée dans une
autre région.
(...)
Mon âme souffre beaucoup après
la consécration du monde à la Maman chérie...
(...)
Ma fièvre continue... mes
sueurs ne s’expliquent pas ; je ne sais pas comment je peux vivre ; cela
seulement devrait arriver à donner lumière...
Révérend Père Provincial,
Cette nuit, vers deux heures et
demie, j’ai demandé à ma sœur de bouger mon corps couver de sueur. La vie
semblait me quitter, les forces me manquaient. Mon âme, toujours désireuse
de s’envoler vers Dieu, était dans une douloureuse agonie. J’avais besoin de
soutien: elle voulait de la lumière, cette lumière que peu de prêtres savent
donner aux âmes. Toute seule avec Jésus, intérieurement, je Lui disais :
— Donnez-moi le Père spirituel,
donnez-le-moi de nouveau, bien que vous l’ayez éloigné de moi, grâce à cette
union qui n’est pas toute à fait, ou presque, comprise. Mais maintenant, mon
Jésus, celle-ci ne suffit pas, je ne peux pas vivre ainsi.
La paix m’a envahie et l’idée
de vous écrire m’est venue, pour vous demander, par l’amour de Jésus et des
douleurs de Marie, de permettre au Père Mariano
Pinho de venir et de reprendre la direction de mon âme, pendant le
peu de jours qui me restent à vivre.
Très souvent j’ai eu l’idée de
m’adresser à vous, mais aussitôt mon idée était étouffée par la crainte et
par quelque chose d’autre qui ne me permettait de l’écrire. Mais, cette
fois-ci elle a été durable et menée à bien.
Ce n’est pas moi qui l’ai
choisi [comme directeur spirituel]. Il y a dix ans, j’étais seule, sans
guide, et très éprouvée entre quatre murs depuis huit ans. Le Seigneur a eu
pitié de moi, il me l’a choisi et me l’envoya. Ce fut alors, qu’en suivant
ses saints conseils, que j’ai connu alors davantage le Seigneur. Depuis
treize mois déjà il est interdit de venir ici. Jésus seul sait combien cela
m’a coûté, aussi j’ai tout souffert par amour pour Lui. Maintenant,
toutefois, j’ai besoin de quelqu’un qui me soutienne ; je ne peux plus vivre
dans un martyr pareil. Si vous pouviez voir, rien que quelques instants ce
que je souffre dans mon corps et dans mon âme, et combien j’ai souffert
pendant cette période, je suis sûre que vous auriez pitié de moi. Ma fièvre
est montée à 40° et plus ; des douleurs horribles agitent et font trembler
mon corps, comme une tempête qui voudrait tout détruire.
Je me suis vengée et, ma
vengeance continuera au ciel, à l’égard de ceux qui ont été la cause de ma
souffrance. Savez-vous quelle sera ma vengeance ? Je prierai et je
demanderai, pour eux, le pardon. J’implorerai pour eux la lumière afin
qu’ils vivent de la vie intérieure de Jésus et ne soient plus des obstacles
pour d’autres âmes éprises de Dieu et ayant besoin des lumières et du
soutien de saints directeurs.
Êtes-vous fâché contre moi ? Ne
le soyez pas! Je sais que je suis méchante, et la créature la plus
misérable, la fille la plus indigne de Jésus, mais pour cette raison même
digne de compassion. Moi, sans la grâce de Dieu, je me crois capable de
faire et d’être tout ce de quoi on m’accuse auprès de vous; toutefois, avec
la grâce et toute la force du Seigneur, mon innocence sera reconnue.
Permettez-moi, Révérend Père
Provincial, de vous demander, une fois encore, pour l’amour de ce qui vous
est le plus cher au ciel et sur la terre: permettez à mon Père spirituel de
venir m’assister pendant mes derniers jours; qu’il apporte les dernières
lumières, les derniers conseils à cette pauvre qui espère aller bientôt au
ciel.
Je fais confiance à Jésus et à
la Maman du ciel pour que je ne sois plus un motif de honte pour votre
Ordre.
Adieu, Révérend Père.
Veuillez me pardonner. Je n’ai rien fait dans l’idée de vous offenser. Je ne
veux offenser personne et encore moins les disciples de Jésus. Ayez
l'obligeance de me pardonner. A nous revoir au ciel.
(...) Après la Communion Jésus
m’a parlé ainsi :
— Te voici à l’ombre de l’Eucharistie
; c’est l’aliment qui fait germer les vierges les plus pures, les plus
chères, les plus aimées de mon divin Cœur. Combien tu me dois, ma fille, et
combien me doit l’humanité entière pour l’institution de cet Aliment sacré !
Comme Je me sens bien
à l’ombre de ton cœur ! Ici Je trouve toute la richesse, toute la pureté,
tout l’amour. J’y trouve tout ce que J’attends d’une âme qui n’appartient
qu’à Moi. Je Me donne à toi par amour...
(...) Le premier mai, Jésus m’a
encore parlé et Il m’a dit :
— Ma fille, combien
belle
est une âme en état de grâce ! Oh! la beauté et
les charmes d’une épouse de Jésus ! Jésus s’est épris d’Alexandrina
; Il l’a préparée pour en faire son tabernacle sur la terre. Réjouis-toi, ma
petite fiancée, réjouis-toi avec ton Jésus. Que le monde dise et fasse ce
qu’il veut : Jésus est à toi, tout à toi; tu es à Lui, toute à Lui.
L’aveuglement de mes
disciples et de ceux qui se disent mes amis me font davantage de peine que
les délits des pécheurs. Jésus immole ses victimes pour les sauver. Et ceux
qui devraient toujours posséder la lumière divine n’en veulent pas, ne la
cherchent pas et essaient de détruire les causes les plus sublimes et les
plus chères à Jésus, ce Qu’il a préparé de plus riche dans le monde, de plus
grande gloire pour Lui et encore davantage pour les âmes.
Courage, petite
fille ! Celui qui est avec Jésus ne craint rien. Celui qui Le possède a
toute la force. Courage, mon aimée ! Ce sont les derniers combats... Après
ce sera le Ciel.
Si d’un côté les épines me
blessent et la montagne escarpée de mon Calvaire me mène à un plus grand
désarroi, me laissant par terre dans la nuit la plus obscure et les plus
grandes et poignantes souffrances; d’un autre côté j’ai la voix douce et
suave de Jésus qui me dit :
— Courage, ma fille, c’est
pour moi que tu souffres ! Aie courage ! Je suis Jésus !
Cette voix m’oblige à me lever
et à cheminer avec lassitude. Jésus m’appelle, il veut ses âmes. Et par où
je chemine! Pauvre de moi ; quelle aveugle je suis ! Je ne vois rien ! Après
m’être levée, je n’ai pas de lumière sur mon chemin; je n’entends pas la
voix divine qui m’appelle. Mon Dieu, si vous me manquez, je n’ai plus
personne. Ayez compassion de moi !... Combien ont de la haine envers moi;
combien me méprisent; combien me calomnient! Quand je m’interroge, me
disant : —
“Quel mal leur ai-je fait ?” — aussitôt la pensée me vient : — “Quel
mal nous a fait Jésus, sinon de nous aimer et de mourir pour nous ?”
Et aussitôt je me sens obligée de leur pardonner et de répéter bien
souvent :
“Pardonnez leur, mon Jésus, faites qu’ils se convertissent et ouvrent
leurs cœurs à votre divin Amour. Mais vous seul, mon Amour, connaissez mon
amertume !...”
Je me sens seule. Un
incendie s’est allumé en moi, un incendie qui a tout enflammé et tout
détruit.J’ai tout perdu. Et
vous même, mon Jésus, vous n’êtes plus descendu dans ma chambre par le saint
sacrifice de la Messe... Quelle nostalgie, quelle douleur ; on m’a tout
volé ! Ayez compassion, Jésus, de
ce faible souffle de vie, qui n’est même plus comme l’agonisant qui par
moments peut encore respirer. Regardez, Jésus, je suis encore plus à
plaindre que cet agonisant. Ma respiration est de plus en plus lente ; on
dirait que je ne respire que par intermittences de plusieurs jours, ce qui
fait que ma vie s’essouffle doucement. Je suis comme une lumière qui
s’éteint, pour ne plus jamais s’allumer. Mes yeux semblent avoir perdu la
lumière de la terre ; je ne peux plus vivre la vie humaine. Mais, malgré
cela, j’ai confiance en vous.
Laissez que ma confiance
puisse aller aussi loin qu’il lui soit permis ; laissez qu’elle augmente
autant que possible. J’ai choisi de vivre entre vos très saints bras et dans
votre très saint Cœur, que j’ai choisi pour demeure. Comme il est doux de
vivre et de mourir avec vous, mon Jésus ! Que m’arrivera-t-il encore ?
Arrive ce qui doit arriver. Enchaînée par les liens de votre amour, que
puis-je craindre ? La tempête ne s’arrête pas. J’entends le sifflement des
vents furieux et destructeurs. J’entends le roulement du tonnerre qui fait
tout trembler. Laissez-moi, ô Jésus ! Ou plutôt, permettez que je fixe,
d’une fois pour toutes, mon regard sur votre divin regard, afin de ne plus
m’éloigner de vous, afin d’accepter le martyr que vous voudrez que je
souffre; afin de ne plus vouloir que ce que vous voulez vous-même. Je veux
vivre de vous et pour vous, ne rien craindre ; être forte avec vous ; ne
craindre que le péché, en ayant devant les yeux toute l’étendue de ma
misère. Que suis-je sans Jésus ?
Pour satisfaire aux
désirs de Monseigneur l’Archevêque,
je me suis soumise à un autre examen médical
qui a eu lieu le 27 mai 1943. Quand celui-ci m’a été annoncé,une nouvelle souffrance
s’empara de mon esprit. Mais voyant en tout cela la très sainte Volonté de
Dieu, comme toujours, par obéissance, bien qu'un nouvel examen médical
fusse pour moi bien pénible, j’y ai consenti. Lors que j’ai appris la
date de celui-ci, j’ai ardemment prié la très Sainte Vierge de me donner la
sérénité nécessaire pour tout supporter avec courage et résignation, pour
Jésus et pour les âmes.
Le jour fixé, mon médecin
traitant, le docteur Henrique Gomes de Araujo,
et le professeur Carlos Lima,
sont venus chez nous. Je suis restée calme et
sereine ; le Seigneur m'avait exaucée. L'un des médecins m'a demandé, tout à
coup, si je souffrais beaucoup, pour qui j'offrais mes souffrances et si je
souffrais volontairement. Il m'a demandé si je serais contente si le
Seigneur, d'un moment à l'autre, me libérait de mes douleurs. Je lui ai
répondu qu'en vérité je souffrais beaucoup, que j'endurais celles-ci pour
l'amour de Dieu et pour la conversion des pécheurs. Ils m'ont demandé quel
était mon désir le plus grand. J'ai répondu : — Le Ciel.
Alors l’un d’eux m’a demandé si
je désirais être sainte, comme sainte Thérèse, comme sainte Claire, et bien
d’autres, et être mise sur les autels, en laissant comme elles une grande
renommée dans le monde. J'ai répondu :
— Célébrité ?... C'est ce
qui m'intéresse le moins !
Pour éprouver ma foi en Dieu,
il m'a posé encore cette question :
— Si pour sauver les
pécheurs il était nécessaire de perdre ton âme, que ferais-tu ?
— J’ai pleinement confiance
que la mienne serait sauvée, en sauvant celles des autres ; mais si je
devais la perdre, je dirais non au Seigneur ; Il ne me demanderait jamais
une pareille chose. Je peux toutefois dire que j’ai offert au Seigneur mes
yeux, qui sont ce que j’ai de plus cher dans mon corps, si cela était
nécessaire pour la conversion d’Hitler, de Staline et de tous les autres
fauteurs de guerre.
— Et pourquoi ne manges-tu
pas ?
— Je ne mange pas parce que
je ne le peux pas; je me sens rassasiée, je n’en éprouve pas le besoin, par
contre j’ai la nostalgie des aliments.
Après cela les médecins ont
commencé l’examen que j’ai accepté dans une bonne disposition. Ce fut un
examen rigoureux, mais en même temps je dois dire qu’ils ont usé de
délicatesse envers mon pauvre corps. A la fin, étant donné que je n’étais
pas en état de supporter un voyage, ils ont décidé de faire venir chez nous
deux religieuses infirmières afin que celles-ci s’assurent de la véracité de
mon jeûne.
Quand les médecins sont partis,
le Seigneur m’a fait comprendre que leurs décisions ne se réaliseraient pas,
et je suis restée alors dans l’attente de leurs nouvelles et de leurs
instructions.
Le 4 juin le docteur
Azevedo
et le Père Alberto, mon confesseur, sont venus m’annoncer la décision des
médecins, et me convaincre, moi et ma famille, de l’opportunité d’aller au “Refuge
de la Paralysie Enfantine” de Foz.Je devais être placée dans une
chambre sous surveillance, pendant un mois, pour un contrôle plus direct de
tout ce qui se passait en moi. Moi, sur le coup, j’ai dit non, mais aussitôt
je me suis avisée, pensant à l’obéissance que je devais à l’Archevêque,
et pour ne pas mettre dans une situation délicate mon directeur, le docteur
Azevedo et tous ceux qui s’intéressent à moi.
J’ai donc accepté la proposition, mais j’ai posé quelques conditions :
1 — pouvoir communier tous les
jours ;
2 — d’être toujours accompagnée
de ma sœur ;
3 — de ne plus être soumise à
aucun autre examen, car je partais pour des observations et non point pour
des examens.
Pendant les jours où je suis
encore restée à la maison, j’ai demandé à Jésus et à la Maman du Ciel de me
donner force et courage ainsi que force et courage pour les miens, qui
étaient désolés. Combien de fois, pendant la nuit, le cœur oppressé et les
larmes aux yeux, j’ai supplié Jésus de m’aider car j’avais l’impression que
toutes mes forces m’abandonnaient et que je me voyais sans courage pour
moi-même, et encore moins pour en insuffler aux autres !
Le 27 mai jésus m’avait dit :
— Ma fille, ne
crains pas. Tu n’as aucune raison de craindre. Tu as en toi la Force
qui est du Ciel et de la terre. La Chair et le Sang de Jésus sont ton
aliment. Imprime sur ton cœur Ma divine Image, et dans les moments
d’affliction regarde et contemple le crucifix. Le courage viendra. Un
raz-de-marée de délits s’abat sur le monde : aie compassion de Ma douleur,
répare pour les pécheurs. Aie courage ! Ma divine Volonté s’accomplira.
Le 5 juin Jésus me dit encore :
— L’âme fidèle ne craint pas la
croix ; elle la prend, l’embrasse, la caresse, la porte par amour. Les
épines avec lesquelles Jésus pare ses victimes sur la terre, se
transforment, au Ciel, en pétales des plus belles roses.
(...) Dis à ta sœur
qu’elle t’accompagne dans tes douleurs, dis à tous ceux qui t’aident de
t’accompagner dans ton douloureux calvaire, car les premières grâces et les
premières bénédictions seront pour eux.
La veille [9 juin],après avoir offert au
Seigneur le sacrifice de mon départ, sans aucune lumière, du plus profond de
mon cœur, j’ai dit :
— O mon Jésus, je ne veux
faire que votre très sainte volonté !
Tour d’un coup, par son infinie
bonté, je L’ai entendu :
— Courage, ma fille...
C’est pour ma cause, c’est pour les brebis que mon divin Cœur aime
tendrement.
Le 10 juin arriva et, tout
était prêt pour le voyage vers l’hôpital de Foz
do Douro. Un immense chagrin s’empara de moi, mais en même temps un grand
courage m’est venu qui me permis de cacher tout ce qui se passait dans mon
âme. Je déposais toute ma confiance en Jésus, et j’étais si certaine de son
aide divine, que je pensais que s’il en était besoin, Il m’enverrait ses
anges pour m’aider dans l’exil où me voulaient les hommes.
Quand le médecin — Dr
Azevedo
— est arrivé pour me prendre, il n’a pas eu le courage de me dire qu’il nous
fallait partir ; c’est moi qui suis intervenue, lui disant :
— Allons, docteur, pour
revenir il nous faut partir !
Nous avons pris congé. Jésus
seul sait ce que m’a coûté la séparation des miens qui, remplis de douleur,
m’entouraient et m’embrassaient. Moi je ne faisais que fixer le Cœur de
Jésus et de la
Petite-Maman pour leur demander de la force.
En descendant les escaliers sur
un brancard, j’ai dit aux miens, pour les encourager :
— Courage ! Que tout ceci
soit pour Jésus et pour les âmes !
Mais je n’ai rien pu dire
d’autre, tellement mon cœur était oppressé, et aussi pour retenir mes
larmes. Il le fallait pour ne pas augmenter davantage leur chagrin.
À peine déposée dans
l’ambulance, j’ai été entourée par une centaine de personnes, qui avaient
les larmes aux yeux. J’ai entendu aussi les sanglots de ma mère et des
autres parents. La douleur qu’alors j’ai éprouvée est indicible. J’avais
hâte de partir, et partir vite ; mon cœur battait si violemment que j’avais
l’impression qu’il me cassait les côtes. J’ai dit alors à Jésus :
— Acceptez toutes les
pulsations de mon cœur comme autant d’actes d’amour pour le salut des âmes.
Le voyage fut difficile. Je
pensais que mon cœur n’y résisterait pas. De temps en temps je regardais ma
sœur ; elle était si abattue ! Le médecin disait qu’il n’était pas difficile
de voyager avec des malades comme moi parce qu’il me voyait toujours
souriante. Mais Jésus seul sait combien grande était
l’amertume de mon cœur et les tourments de mon pauvre corps. À cause des
secousses de l’ambulance je me sentais déprimée, mais je répétais
inlassablement :
— Tout pour votre amour,
Jésus ! Que l’obscurité de mon âme puisse éclairer d’autres âmes !
Près des dernières maisons de
Balasar, Monsieur Sampaio releva les
rideaux de l’ambulance. J’ai remarqué que le médecin avait les larmes aux
yeux. Je lui ai dit :
— Nous voilà bien !
Et je lui ai demandé ce qui se
passait. Il m’expliqua alors que sur le bord de la route quelques enfants
nous avaient jeté des fleurs. Je me suis sentie toute attendrie et c’est
avec peine que j’ai pu retenir mes larmes.
Quand nous sommes arrivés
à Matosinhos,le médecin décrocha
les rideaux afin que je puisse regarder la mer. Un énorme silence m’envahit
et, en observant le continuel va-et-vient des vagues venant mourir sur la
plage, j’ai demandé à Jésus que mon amour, lui aussi, soit continuel et
permanent.
Arrivés près du “Refuge”,
le docteur Gomes de
Araujo s’opposa à ce que l’ambulance s’avance
jusqu’à la porte. Il chargea quelques hommes de prendre mon brancard et de
m’emmener ainsi, après m’avoir recouvert le visage afin que personne ne me
reconnaisse. Mon cœur s’est attristé davantage, me représentant ce que ce
serait de passer de longs dans un tel établissement. Ainsi recouverte il me
semblait être dans un cachot et je me demandais à moi-même :
— Quel crime ai-je commis ?
La montée des escaliers du “Refuge”
m’a causé bien des peines car l’on me portait la tête en bas.
Ce ne fut qu’une fois dans ma
chambre que mon visage fut découvert. Là j’ai été entourée par le docteur
Araujo
et par quelques dames qui devaient m’assister. Ensuite on m’a placée dans
mon lit.
À ma sœur ils avaient attribué
une autre chambre, contrairement à ce qui avait été convenu. Ce fut l’un des
plus grands sacrifices que l’on pouvait exiger de moi : comment pouvais-je
rester sans elle ; Elle qui savait comment me bouger quand c’était
nécessaire et m’aider avec de bonnes paroles qui m’étaient d’un grand
secours pour supporter mon douloureux calvaire.
À peine m’avait-on allongée sur
le lit que
Deolinda s’est présentée sur le seuil de la
porte avec la valise contenant le linge. Le docteur
Araujo, la voyant, hurla comme un forcené :
— Hors d’ici cette valise !
Ce fut là une autre épine parmi
tant d’autres. Ensuite il commença à donner ses ordres :
— Mesdames les assistantes,
la malade peut dire tout ce qu’elle voudra, mais vous n’êtes pas autorisées
à lui poser des questions.
Ces ordres ayant été
donnés, il se retira et je suis restée seule avec le médecinet deux dames;
celles-ci ayant été désignées pour rester en permanence auprès de moi pour
surveiller tous mes mouvements.
Quand, déjà il faisait nuit, le
docteur
Azevedo se préparait pour partir, je n’ai pas pu
retenir davantage les larmes. Lui alors, bien plus qu’avec du respect, avec
tendresse pour ma douleur, il m’a dit :
— Ayez du courage ! Demain
je reviendrai.
Oui, j’ai pleuré malgré moi,
mais j’ai offert mes larmes si amères à mon Bien-Aimé
Jésus. Me voyant ainsi désolée il fut admis que ma sœur reste dans ma
chambre avec l’une des surveillantes, afin qu’elle lui apprenne la façon de
me bouger. Mais il m’a été précisé de suite :
— Seulement cette nuit,
jamais plus !
Le lendemain, vendredi,
commença pour moi, dans cette maison, un vrai calvaire. À l’heure de
l’extase, comme il arrive tous les vendredis, ma sœur est entrée ; le
docteur Azevedo, monsieur
Sampaio et une infirmière étaient déjà présents. Aux observateurs
présents, aucun détail n’a échappé, et tout a été divulgué et commenté. Par
exemple que monsieur Sampaio
avait sorti sa montre, que ma sœur s’était agenouillée en entendant les
paroles de l’extase ; que l’une des infirmières avait pleuré,
etc.
Le docteur
Azevedo, comme toujours, a écrit le colloque de l’extase pour le
remettre aux médecins.
Deolinda,
qui avait reçu l’ordre de ne plus revenir dans ma chambre, était attristée
et elle dit :
— Ne pourrais-je voir ma
sœur même si ce n’est que depuis le seuil de la porte de la chambre ?
Pensez-vous que mon regard puisse l’alimenter ?
Inclinée sur mon lit elle
pleurait, inconsolable. Ce fut alors que je lui ai dit :
— Ne t’affliges pas, le
Seigneur est avec nous.
L’assistante qui avait pleuré
pendant l’extase, lui tapant sur l’épaule lui dit :
— Ne pleurez pas. Le docteur
Araujo est un homme d’une grande charité.
Il a suffi cette phrase à
l’adresse de ma sœur pour que cette assistante soit démise de ma
surveillance ; nous ne
l’avons revue que dans les derniers jours, mais
accompagnée, quand déjà ils avaient les preuves de la vérité. Ceci est
arrivé à cause d’une assistante qui a été mon bourreau pendant toute la
durée de mon séjour au “Refuge”. Elle ne peut pas s’imaginer ce
qu’elle m’a fait souffrir. Que le Seigneur lui pardonne.
Dans la nuit du vendredi au
samedi j’ai eu l’une de ces crises de vomissements qui me font tant
souffrir. Cela m’a été d’autant plus pénible que je n’avais personne pour me
soutenir.
Le samedi le docteur
Araujo
est revenu pour voir comment j’allais et pour se renseigner sur ce qui était
arrivé. Ma prostration était telle que je ne me suis même pas rendue compte
quand il a frappé à la porte, toujours fermée à clef. Je ne l’ai entendu que
quand, tout près de moi, il susurrait à l’infirmière :
— Elle est condamnée ! Elle
est condamnée !
A ces paroles j’ai ouvert les
yeux et je lui ai dit :
— Docteur, même chez moi
j’ai de pareilles crises.
Il m’a répondu immédiatement,
d’un ton impérieux :
— Mademoiselle, ne croyez
pas être venue ici pour jeûner !
J’ai compris ce qu’il voulait
dire et je me suis sentie profondément blessée.
Informé sur ce qui était arrivé
le vendredi, il a voulu lire le récit de l’extase et il commenta, furieux :
— Il paraît impossible que
le docteur
Azevedo, si intelligent, se laisse séduire par
de semblables choses ! Il faut en finir avec tout ceci. En attendant,
enlevons d’ici toutes les horloges afin que cette malade ignore jusqu’à
l’heure qu’il est (Comme si le Seigneur avait besoin d’horloge !).
Me voyant si fatiguée, il
aurait voulu me soulager à l’aide de médicaments, mais je m’y suis opposée.
Combien de fois les infirmières
se sont approchées de moi, me croyant morte !
Cinq jours d’une continuelle
agonie — davantage dans l’âme que dans le corps — se sont passés. Pendant
les crises de vomissements, ils ne permettaient pas à
Deolinda
de venir à côté de moi, alors que chez nous, parfois, deux personnes
n’étaient pas de trop pour me tenir.
Ils étaient tous persuadés que
les crises étaient dues au manque d’alimentation et que, ainsi exilée et
sans personnes qui ait pu me la procurer, j’aurais besoin de la demander,
sinon je mourrais.
Comme ils se trompaient ! Ils
ne savaient pas que l’aliment me venait de la sainte Hostie que je recevais
tous les jours.
En ces jours, le docteur
Azevedo
est venu me voir et ma sœur, sans que je le sache, l’a mis au courant de
tout. Il est venu près de mon lit sans que je me réveille ; l’infirmière lui
suggéra que j’avais besoin de médecine. Ce fut à ce moment-là que j’ai
ouvert les yeux et que j’ai entendu ce qu’il lui répondait :
— Cette malade est venue
pour que l’on constate son jeûne et pour rien d’autre. J’espère que le
docteur
Araujo respecte ces conditions. Je ne permets pas qu’on lui fasse des
piqûres ou n'importe quoi d’autre, à moins qu’elle ne le demande elle-même.
Vous verrez, les crises passeront, les cernes autour des yeux disparaîtront,
le teint et le pouls deviendront normaux, ou presque, car l’air marin ne les
favorise pas. Je vous assure d’une chose, madame : vous mourrez, je mourrai,
mais la malade ne mourra pas dans cet hôpital.
Ensuite, assis à côté de moi,
il me prodigua un peu de ce réconfort dont j’avais tant besoin.
Par la volonté de Dieu, cinq
jours plus tard, les vomissements ont cessé, le teint est redevenu normal,
ainsi que la luminosité des yeux.
Pendant la visite suivante de
mon médecin — le docteur
Azevedo — l’assistante le salua par cette
phrase :
— Regardez, docteur,
regardez ce beau visage !
Et le docteur de lui répondre
délicatement mais néanmoins fermement :
— Ce sont les côtelettes et
les piqûres !
Jésus a bien voulu montrer
encore une fois son pouvoir sur cette humble créature.
Toutes les assistantes
accomplissaient scrupuleusement les consignes du docteur
Araujo et elles ne m’ont jamais abandonnée un seul instant. Elles
n’ouvraient la porte de la chambre que pour laisser entrer les médecins et
les infirmières.
En dépit de ma transformation,
ni le docteur
Araujo ni l’infirmière voulaient se convaincre
que je pouvais vivre sans manger. En effet, ils utilisaient parfois des
arguments pour m’intimider: ils passaient ensuite aux phrases pleines de
tendresse et d’intérêt pour ma personne. Dans leurs discours je les ai
entendues dire que mon cas relevait de l’hystérie ou à un quelconque
phénomène inexplicable.
Un jour j’ai raconté au docteur
Azevedo tout ce que j’avais dans mon âme si attristée et que pour
guérir l’hystérie il n’était pas nécessaire de rester dans un tel hôpital.
Mais il m’a encouragée et m’a redonné confiance. Je lui ai obéi pour faire
en tout, la volonté de Dieu.
Le docteur
Araujo venait me voir deux ou trois fois par jour, mais jamais à la
même heure. Je pense qu’il le faisait ainsi pour voir s’il découvrait
quelque chose. Une fois il est entré dans ma chambre la nuit, quand s’y
trouvait l’assistante que certains ont appelé du sobriquet de « cardinal-diable ».
Même si je vivais jusqu’à la
fin du monde, je ne pourrais oublier l’impression que j’éprouvais quand le
docteur ouvrait et ensuite fermait immédiatement la porte : je restais comme
suspendue à ce qu’il avait dit. J’éprouvais une telle impression que dans
mon cœur et dans mon âme la tristesse augmentait. Combien de fois je
répétais à Jésus : “Que cette nuit puisse contribuer à donner de la
lumière à ceux qui m’entourent et à toutes les âmes qui vivent dans les
ténèbres”.
Lors des conversations et des
interrogatoires, le docteur
Araujo utilisait tous les arguments possibles
pour me convaincre de manger, me disant que Dieu n’était pas content de mon
jeûne. Il est parvenu à me faire avoir des scrupules. En outre, les
infirmières ont essayé de me prendre par les sentiments.
Une fois, le docteur
Araujo a voulu essayer de m’ôter la foi. Il s’est servi de tout ce
que son intelligence avait de maille-leur, me soumettant à des
interrogatoires interminables et torturants afin de me décourager, persuadé
que tout ce qui se passait en moi était dû à une influence humaine et non
pas divine.
Si à chaque fois que j’étais
interrogé j’avais l’impression de me trouver en face d’un loup habillé en
agneau, ce jour-là ce fut bien pire: il me semblait voir en lui Satan
lui-même qui, avec art et des sourires malins, voulait m’ôter la foi et me
convaincre que tout cela n’était qu’illusion.
Il me disait :
— Soyez convaincue,
mademoiselle, que Dieu ne veut pas que vous souffriez! S’il veut sauver les
autres, qu’il les sauvent Lui-même, il en a le
pouvoir. S’il est vrai que Die récompense ceux qui souffrent, il n’y a pas
de récompense adéquate pour vous qui avez déjà trop souffert.
Mais, mon Dieu — me disais-je —
je sais que vous êtes infini, infini en pouvoir, infini dans les
récompenses. S’il en était comme il me dit, pourquoi je souffre ?
Le docteur
Araujo
accompagnait ses paroles d’un regard malicieux, démoniaque — c’était
l’impression que j’avais. Je lui ai alors répondu :
— Elles sont si grandes, si
grandes les choses de Dieu ! Et nous, nous sommes si petits, moi en tout
cas !
L’espace d’un instant il se
tût, ensuite, indigné, il s’est exclamé :
— Vous avez raison, mais
moi, je suis une personne bien plus grande !
Et il est sorti. Il était bien
loin de connaître cette loi d’amour pour les âmes. S’il connaissait la
valeur d’une âme, il verrait alors que tous ce que nous faisons n’est jamais
de trop pour les sauver.
Les humiliations et les
sacrifices affluaient constamment. Si du moins j’avais su bien les souffrir,
j’aurais tant eu à offrir à Jésus. On me présentait toujours de nouvelles
choses qui réclamaient de moi humiliations et sacrifices.
J’avais au pied de mon
lit une photographie de
Jacintade Fatima. Je la
regardais avec amour et, sans craindre que les assistantes le répètent au
docteur, je soupirais :
— Chère
Jacinta, malgré ton jeune âge, tu as pu évaluer combien coûtent ces
choses ! Du Ciel où tu demeures, aide-moi ! Seule l’aide du Ciel et les
prières des âmes bonnes pourront me donner force pour cheminer dans un si
douloureux calvaire, et supporter le poids de cette croix très pesante.
Toutes les fois que le docteur
Araujo entrait, il me tenait le même discours et me laissait très
épouvantée quand il me disait :
— Nous devons parler
longuement.
Quand je le voyais sortir, je
respirais profondément et je me disais : “Béni soit le Seigneur pour ton
départ !” Mais la pensée qu’il reviendrait bientôt, me procurait une
très amère souffrance.
Un jour, assis à ma droite, il
cherchait à me convaincre que j’étais dans l’illusion. Il a commencé par un
discours très vague sur la médecine et sur l’un de ses professeurs de Porto,
auquel il avait présenté un travail couvrant de beaucoup de pages, élaboré
après de longs jours et de longues nuits d’études. Il était convaincu
d’avoir bien profité des leçons. Le professeur, ayant lu cet écrit, lui
avait demandé : “Êtes-vous sûr de ce que vous avez écrit ?” — “Oui, je
suis sûr, pour telle et telle raison.”
La conversation se prolongeait
et moi je fixais le docteur faisant semblant de ne pas comprendre où il
voulait en venir, et je disais pour moi-même : “Plus on veut monter, plus
haute est la chute !”
Mais le docteur poursuivait :
— J’étais convaincu d’avoir
fait un excellent travail ; le professeur m’a laissé parler et ensuite m’a
démontré que j’avais tort. Je suis resté sans souffle: mon Dieu, tant
d’heures de perdues ! Combien d’heures d’illusion ! Ma longue étude s’était
écroulée en quelques minutes.
Moi qui savais où il voulait en
venir, je lui ai dit, à ce moment-là, en souriant :
— Mais mon cas ne s’écroule
pas, docteur ! J’ai été guidée par un directeur très saint et très sage, et
qui m’a étudiée pendant de longues années. Si l’œuvre est de Dieu, personne
ne la faire s’écrouler !
Le docteur, un peu embarrassé,
faisant semblant que ce n’était pas celui-là le but de ses paroles, a
conclu :
— Ah non !...
Il s’est levé en hâte et
sortit. Il en était temps ! Cependant, toute seule, je me confiais à Jésus,
le seul avec qui je pouvais le faire et je lui offrais mes larmes, que je
cherchais à dissimuler à l’assistante. Je chantais des louanges à Jésus et à
la Maman du Ciel, cherchant à me montrer remplie de joie. Je chantais avec
le plus grand enthousiasme, mais au-dedans de moi et dans mes yeux il
semblait n’y avoir ni soleil ni jour.
Durant la nuit, quelques fois,
je me demandais : “Que peut faire ma sœur, à cette heure-ci ?
Pleure-t-elle ?” Pensant qu’elle souffrait à cause de moi, une fois je n’ai
pas pu retenir mes larmes. Combien j’ai alors pleuré ! Je n’avais qu’une
crainte: déplaire à Jésus. Mais Lui, Il savait que j’acceptais tout par
amour pour Lui, avec un immense désir de Lui gagner des âmes. En effet, je
Lui ai offert mes larmes comme autant d’actes d’amour pour les Tabernacles.
— “Plus la désolation est
grande, plus grand est aussi l’amour”, n’est-ce pas ainsi, mon Jésus ?
Acceptez tout cela.
Le seizième et le
trentième jour de mon séjour, j’ai reçu la visite de maman. J’avais si
grande envie de la voir ! Elle n’a pu rester que très peu de temps avec moi
et toujours sous le regard inquisiteur des surveillantes. Elle pleurait et
moi, je faisais semblant de ne pas avoir de chagrin : je lui souriais, je
plaisantais avec elle, je la cajolais, et avec mon sourire trompeur,je cachais la
tristesse de mon âme, en retenant les larmes qui à tout prix voulaient
couler. Je l’ai encouragée, m’épanchant intérieurement avec Jésus. C’était
ma croix : ne devais-je pas la porter par amour de Jésus qui est mort pour
moi ?
Mes journées passaient ainsi,
dans une continuelle lutte, entrecoupée seulement par l’alternance des
infirmières qui se succédaient selon la volonté du docteur
Araujo. À cause de certaines d’entre elles, j’ai beaucoup souffert,
parce qu’elles outrepassaient les limites de leurs droits et de leurs
devoirs.
Le jour est arrivé où le
docteur, convaincu désormais de la vérité,permis un plus
relâchement, permettant pour quelque temps la venue de ma sœur, même si
toujours sous la surveillance de l’assistante. Il permit aussi à la Sœur
franciscaine du “Refuge” de me rendre une très brève visite.
Nous avions déjà projeté de
faire savoir à la maison la date de notre retour quand, inopportunément
surgit un contretemps. L’une des infirmières avait parlé de mon cas au
docteur Alvaro. Celui-ci qui ne me connaissait pas, et connaissait encore
moins mes phénomènes, a fait naître des doutes. Il a commencé par affirmer
que c’étaient des choses impossibles, que les assistantes s’étaient fait
berner et qu’il ne croirait qu’un envoyant auprès de moi l’une de ses
infirmières de confiance. Le docteur
Araujo, indigné par la méfiance manifestée
vis-à-vis de ses assistantes, lui imposa d’envoyer lui-même, auprès de moi,
une personne plus âgée, en qui il aurait entièrement confiance : la propre
sœur du docteur Alvaro a été choisie.
Quand nous pensions nous voir
libérées de notre douleur, ce fut alors qu’une nouvelle éprouve, bien plus
triste et douloureuse, nous a été imposée. Le docteur
Araujo est venu me convaincre de la nécessité de rester encore dix
jours. Ma sœur n’était pas d’accord, mais je lui ai répondu :
— Quand on y a passé trente
jours, on peut bien y passer quarante...
Le docteur Alvaro, en vérité,
n’exigeait pas dix jours. Pour se convaincre il lui suffisait que je reste
quarante-huit heures de plus, sans manger ni rejeter. Mais ce fut le docteur
Araujo qui, délicatement, pour l’honneur de son nom, invita
l’assistante à rester un jour de plus, puis un autre jour...
Cette dernière période fut un
nouveau calvaire que j’ai offert à Jésus et à la
Petite-Maman: dure épreuve, mon Dieu !
[Au cours de l’une de ces
journées], le docteur
Araujo, sans aucune explication, prit la bourse
en caoutchouc que j’avais sur l’estomac et une carafe d’eau que les
assistantes conservaient pour humidifier le mouchoir que je tenais sur le
front, et versa dans les deux récipients je ne sais quoi : si j’avais sucé
le mouchoir ou bu de l’eau de la bourse en caoutchouc, comme l’a dit par
suite le docteur Alvaro, j’aurais eu des indispositions qui leur auraient
permis de s’en rendre compte. Il ordonna ensuite aux assistantes de ne plus
changer la glace de la bourse même si je le demandais. Ses ordres ont été
respectés, bien que la nouvelle assistante ait essayé, à plusieurs reprises
de changer la glace. Moi-même, je lui disais quelquefois :
— Enlevez-moi la bourse
quelques instants afin qu’elle rafraîchisse, puis remettez-la-moi de
nouveau. Il est nécessaire d’obéir aux ordres du médecin.
Nous étions revenues au point
de départ, sauf que bien plus strict. Il a finalement été interdit de parler
de Jésus, car on pensait que de cette façon on pourrait découvrir ce qui se
passait en nous.
Un jour, le docteur m’a dit :
— Je n’admettrai pas que
vous appeliez votre sœur plus d’une fois la nuit.
L’assistante, plusieurs fois,
comme pour me tenter, et avec une intention tortueuse — c’est l’impression
qu’elle me donnait — me disait :
— Pauvre sainte, toujours dans
cette même position ! Je vais appeler votre sœur !
À ce que je répondais :
— Je vous en remercie,
madame, mais je ne le veux pas. Ce sont les ordres du médecin: ma sœur ne
doit pas venir plus d’une fois par nuit !
Quand ma sœur toquait pour
entrer — cette seule fois qui lui était permise par le docteur — pour me
changer de position, la nouvelle assistante allumait la lampe, ouvrait la
porte et se plaçait à côté de ma sœur. Aussitôt que celle-ci quittait la
chambre, l’assistante, simulant de la compassion envers moi, pour le froid
que j’aurais pu souffrir, et comme si elle raccommodait les draps et les
couvertures, me découvrait complètement pour voir si
Deolinda n’avait rien laissé dans le lit. Je comprenais très bien son
intention, mais sous prétexte de commodité, je levais les bras au-dessus des
coussins afin qu’elle puisse mieux faire son inspection.
— Mon Jésus, tout et uniquement
pour votre gloire !
Les séductions pour me faire
manger quelque chose de son repas n’ont pas manqué! Elle me présentait un
morceau, sans mot dire, et moi, je lui souriais. Si l’invitation était
verbale, je lui disais :
“Merci”, mais toujours souriante, faisant semblant de ne pas comprendre
sa malice.
La nuit, particulièrement quand
je ressentais davantage la solitude, le temps me paraissait bien long. Je
sentais mon cœur, tel un arbre aux racines épaisses, bien plantées dans le
sol, et que la furie d’une grosse tempête arrachait, le jetant à terre... Il
me semblait que tout et tous me piétinaient. Même en l’expliquant de la
sorte, je sens que je ne dis rien de comparable à ce que j’ai souffert.
Encore aujourd’hui je revis dans ma mémoire ces choses-là et j’éprouve un
vrai tourment. Seul l’amour pour Jésus et pour les âmes me permet de
supporter une telle épreuve !
Quand je sentais s’approcher le
docteur, je disais :
— Voilà qu'arrive le
bourreau qui vient visiter la pauvre prisonnière par amour de Jésus et des
âmes. Je n’ai offense personne d’autre que vous, ô mon Jésus, mais les
hommes veulent, sans même s’en rendre compte, que de cette façon, je paie
mes ingratitudes !
En voyant ma sœur épouvantée
parce que quelqu’un lui avait dit que mon échéance était proche parce que je
n’évacuais pas, j’ai cherché à lui redonner courage. Pauvres hommes ! Jésus
sait faire les choses bien mieux qu’eux !
La veille du départ fut un jour
de visites. Tous les enfants du “Refuge” sont passés
devante
moi. J’ai prié avec eux et je leur ai distribué des caramels. Ma sœur ne
semblait plus la même: tous s’en sont rendu compte. En plus des enfants,
environ mille cinq cents personnes sont venues me visiter... Les policiers
ont dû intervenir pour maintenir l’ordre. L’un d’eux s’est posté à côté de
moi, se contentant de répéter inlassablement: “En avant! Allez, allez,
avancez !” Quelle impression que ce mouvement de foule ! Ni les
suppliques de ma sœur ni les policiers n’ont réussi à le contenir.
Le docteur
Araujo lui-même, depuis la fenêtre, a dû intervenir pour que l’on
arrête un tel mouvement sinon on allait me tuer.
Moi, en effet, je me sentais humiliée, las et exténuée, ayant un sentiment
de gêne pour les baisers que je recevais et les larmes que l’on laissait
tomber sur mon visage, comme signe d’une estime que je ne mérite pas et que
je ne veux pas.
Restée seule, j’ai d’abord
demandé à ma sœur de me laver.
Dans la matinée du jour ne
notre retour, le docteur
Araujo, qui n’avait presque pas dormi vu sa
responsabilité, est venu au “Refuge” où beaucoup de monde attendait
pour me voir. Il est resté à côté de moi et a permis l’entrée de quelques
personnes. Puis il nous a dit que nous étions libres, que leurs observations
étaient terminées. Il autorisa ma sœur à manger dans ma chambre, puis
ajouta :
—
En octobre je viendrai vous visiter à
Balasar, non plus comme médecin espion, mais
comme un ami qui vous estime.
Reconnaissante, j’ai baisé la
main du docteur et je l’ai remercié pour son intérêt envers moi. Je l’ai
fait avec sincérité, parce que, bien qu'il ait été sévère et rude envers
moi, il montra une attention sérieuse envers mon cas.
Dans l’après-midi de cette
journée du 20, les religieuses et les assistantes m’ont fait des cadeaux.
Certaines sont même venues assister à mon départ. Alors que j’étais déjà
installée dans l’ambulance, l’une d’elles m’a aspergée de parfum, alors
qu’une autre dame m’a offert un bouquet d’œillets.
Au cours du voyage j’ai
reçu quelques bouquets de fleurs. Je les ai acceptés par délicatesse, bien
loin de penser qu’ils seraient par la suite un prétexte à certains pour me
faire souffrir.
Ni le parfum, ni les fleurs
n’ont été pour moi un motif de vanité. Quand, pendant le voyage, nous nous
arrêtions pour reposer, si je voyais que des gens s’approchaient, par
admiration pour moi, je disais au docteur Azevedo:
— Ne nous arrêtons pas,
docteur, allons plus loin.
J’ai du être indélicate, mais
lui, il s’est montré toujours d’une extrême patience.
Je vivais davantage à
l’intérieur qu’à l’extérieur de moi. La mer était tout ce qui se présentait
devant mes yeux, m’invitant au silence, au recueillement en Dieu.
Quand je me suis retrouvée dans
ma petite chambre, je croyais rêver! j’ai pleuré,
mais des larmes de joie.
Une fois déposée sur mon
lit, pendant bien longtemps, je n’ai plus permis que l’on me touche; de
continuels gémissements m’échappaient, à cause des douleurs de plus en plus
fortes, dues, probablement au voyage.
Pourquoi me suis-je sacrifiée ?
Par vanité, peut-être ? Pauvre monde ! Vanité ? Pourquoi ? Que sommes-nous
sans Dieu ? Qui pourrait souffrir autant seulement par veine gloire ou par
vanité ? Quarante jours à l’hôpital ! Combien d’humiliations ! Le docteur
Azevedo
avait raison quand, pendant le voyage aller, en me plaçant un mouchoir
humide sur le front, il me disait :
— Vous avez quelques cheveux
blancs, mais au voyage de retour, vous en aurez encore davantage.
Et c’est ce qui est arrivé: il
prévoyait ce qui allait m’arriver. Cependant, il est très beau de tout
affronter pour Jésus, pour l’amour de Lui.
— (...)
Ta souffrance a été bien grande, ma petite fille, dure la souffrance de ta
sœur, dans cette prison-là.En avant ! Ce
fut pour Jésus, pour le salut de milliers et de milliers d’âmes pécheresses.
Quel triomphe pour le Cœur de Jésus ! Le voici exalté, le voici glorifié
dans ses chers humiliés...
Cela suffit !
Dorénavant tu ne sortiras plus de ta chambre... Dis, ma fille, dis à ton
Père spirituel, dis à ton médecin que pour toutes leurs humiliations, ils
seront exaltés. Jésus leur est reconnaissant pour le triomphe de sa cause.
Les hommes tenteront de la faire tomber,mais Jésus
veillera, et ceux qui lui sont chers coopéreront. Tout ce qui est à Jésus ne
tombe pas : reste solide au milieu de toutes les tempêtes, brille,
triomphe...
—
O mon Jésus, j’ai surmonté l’épreuve pour
votre plus grande gloire et pour le salut des âmes. Je veux être toujours
petite aux yeux du monde, mais grande dans l’amour, grande à pouvoir sauver
les âmes...
(...)
J’ai dicté du mieux que j’ai pu
les grandes souffrances vécues au “Refuge”, mais ce que j’ai pu dire
n’est rien, comparé à ce que j’ai vécu, en réalité. J’ai su le ressentir,
mais je ne sais que bien mal l’expliquer. Je suis toujours confiante d’avoir
obéi. Jésus est digne de tout, n’est-ce pas ?
Mon corps a souffert une grande
secousse; aujourd’hui encore les douleurs sont presque insupportables, et
souvent il me semble ne plus pouvoir m’en sortir. Mais lors des moments de
plus grande douleur, fixant le Cœur de Jésus, je lui dis avec toute la
ferveur de mon cœur :
—
Cœur très saint de Jésus, j’ai confiance en
vous, j’ai confiance !
Quand on me parle de la guerre
et du danger dans lequel se trouve le Portugal de devoir y participer, je
souris, et pendant que mon cœur redouble de confiance, je dis à Jésus :
— J’ai confiance en vous !
À ceux qui m’expriment leurs
craintes je réponds :
— Il n’en sera rien; le
Seigneur est miséricorde infinie !... Et pourtant, nous ne le méritons pas
davantage que les autres nations. Mais, les pères, n’ont-ils pas quelquefois
une particulière prédilection pour un enfant plus que pour un autre ? Le
Seigneur, lui aussi agit parfois de la sorte.
Ces conversations sur la guerre
me font toujours souffrir parce que, contrastant avec ce que j’entends de la
part du Seigneur, lequel très souvent me répète :
— Aie confiance, ma fille !
J’étais fréquemment tentée
d’estimer que de telles paroles puissent venir du démon, mais les effets que
je ressentais dans mon âme étaient différents: en effet, en entendant “Aie
confiance, ma fille !”, je sentais en moi une grande paix et une paix
capables de vaincre la guerre.
À la fin, il m’est arrivé
aux oreilles que le
Saint-Père avait été fait prisonnier,mais je ne l’ai pas
cru, considérant une telle nouvelle comme une confusion du peuple...
J’ai toutefois ressenti dans
mon âme un deuil semblable à celui que l’on éprouve pour la mort d’un père
de famille qui laisse des enfants orphelins. Bien des jours se sont passés
dans cette lutte continuelle ; je ne me lassais pas d’offrir toutes mes
souffrances à Jésus afin d’obtenir la paix. je
voulais soulager, réconforter, libérer le Pape de toutes ses souffrances,
mais je ne savais pas comment.
Un jour, après la Communion,
j’ai ressenti un grand désir d’écrire au Pape. Je ne pouvais pas contenir ce
désir, et j’ai dit à ma sœur :
— Je veux écrire au Pape ;
apporte-moi une plume et du papier.
Et, immédiatement je me
suis mise au travail, demandant au Seigneur lumière et force, lui offrant le
sacrifice même d’écrire.
Très Saint-Père,
Je sais qu’en ces heures
tragiques pour l’humanité, le cœur qui souffre davantage, après celui de
Jésus, c’est celui de votre Sainteté. Jésus souffre de voir le monde en
guerre, rempli de haine, couvert de crimes...
Oh !
combien souffre aussi le cœur de la plus pauvre, de la plus misérable
et indigne de vos filles, de ne point pouvoir défendre le Cœur de Jésus
contre les crimes de l’humanité, et empêcher qu’il soit blessé; mon cœur
souffre de ne pouvoir alléger le vôtre de la douleur si cruelle et profonde
qui transperce le cœur de mon Père spirituel et celui du monde entier !
Oh mon bien-aimé
Saint-Père, je ne compte pour rien, je n’ai aucun pouvoir, je ne suis
que pauvreté et misère, mais Jésus peut me rendre forte et puissante, et
c’est avec Jésus et la Maman du Ciel que je me mets à côté de votre Sainteté
pour vous aider, par mes souffrances, à porter votre croix si pesante !
J’aimerais embrasser la terre
où votre Sainteté pose ses pieds ; j’aimerais marcher à plat ventre partout
où vous êtes contraint de passer : ceci comme preuve de ma douleur de vous
voir souffrir et de mon profond respect envers vous.
Courage, courage, très
Saint-Père, Jésus ne manque jamais ! La force vient d’en-Haut,
la guerre se termine; la paix régnera de nouveau parmi les hommes, mais
toujours au prix de la douleur et du sacrifice. Le règne de votre Sainteté
continuera toujours entouré d’épines, mais la grâce et l’amour de Jésus ne
vous feront pas défaut, afin que vous puissiez vous en sortir serein de
votre si douloureux calvaire.
Ce fut lui qui se choisit un
aussi aimable fils pour père de nous tous, pour répandre la sainte lumière
du divin Esprit.
Votre pontificat sur la terre
est triste, à cause de la malice des hommes, mais il sera heureux et
glorieux au Ciel, comme prix de tant de souffrances et de tant d’amour pour
Jésus.
Très
Saint-Père, je suis l’une de vos filles, malade depuis 26 ans et
paralysée depuis presque 19. Cette lettre me coûte un énorme sacrifice, car
je suis étendue sur mon lit, mon pauvre corps traversé par d’aiguës
douleurs; mais c’est une preuve d’amour, d’un saint amour envers mon cher
Saint-Père. Ah ! mon
Saint-Père, s’il m’était possible de dire combien je souffre dans mon
corps et dans mon âme ! Elle ne s’égaye que quand je fixe mes yeux en Jésus.
Père, mon
Saint-Père, accordez-moi votre bénédiction apostolique afin que mes
souffrances soient davantage supportables et pardonnez mon hardiesse.
Je n’ai pas demandé
l’autorisation de qui que ce soit, parce que depuis deux ans, je n’ai plus
mon directeur: commande qui peut, obéi qui doit! La bénédiction, la
bénédiction, mon
Saint-Père, et le pardon pour mon écrit, mais je ne sais pas mieux le
faire. Je ne vous oublierai plus sur la terre, et encore moins au Ciel. Je
ne sais pas trouver des paroles adéquates pour mon
Saint-Père: pardon, pardon !
Je suis la pauvre
Alexandrina
Maria da Costa.
Une fois écrite [la lettre au
Pape], je suis restée bien plus soulagée ; j’ai même ressenti finalement un
certain contentement, mais de peu de durée.
Un jour après l’avoir expédiée,
lors du recueillement après la Communion, j’ai éprouvé une énorme souffrance
pour le
Saint-Père. J’étais très préoccupée à cause des
manœuvres militaires; malgré ma confiance, j’ai souffert à cause de tout ce
que j’entendais. Sans m’attendre à une réponse, je disais à Jésus :
— O mon Jésus, sauvez le
Saint-Père, donnez la paix au monde entier !
Et le Seigneur de me répondre :
— Oui, ma fille, bientôt
j’accorderai la paix. Jésus ne trompe pas.
Et j’ai continué :
— O mon Jésus, épargnez le
Portugal de la guerre. Nous ne le méritons pas, mais ayez pitié de nous.
Épargnez le Portugal !
—
Oui, ma fille, le Portugal sera épargné ! Il
n’entrera pas dans la guerre.N’ai-je pas la
crucifiée de ce Calvaire à côté de ma Mère bénie pour soutenir le bras du
Père éternel ?
Environ une heure plus tard,
j’ai entendu dire que nous serions tombés aux mains des français et que le
Pape avait été tué. J’ai eu l’impression que mon cœur se brisait : j’avais
du mal à respirer; je ne pouvais ni parler ni prier. Les yeux fixés sur le
Cœur de Jésus, je disais mentalement : “Aidez-moi Jésus !
Petite-Maman, aidez-moi ! Ne me laissez pas tomber !”
J’offrais à Jésus toutes mes
souffrances afin que le
Saint-Père soit libéré, persuadée que j’étais
qu’il n’était pas mort et que ce n’était pas vrai tout ce que l’on racontait
au sujet du Portugal.
Ce fut un jour d’une effroyable
lutte. Je demandais au Seigneur de m’envoyer quelqu’un qui puisse me
réconforter, parce que je ne voulais pas l’offenser par mon découragement.
Des heures d’une affreuse agonie se sont ainsi passées. Je me sentais comme
au milieu dune terrible tempête qui détruisait tout, sans que
personne vienne
à mon secours. Je gardais mon cœur fixé sur Jésus et sur la Maman du Ciel,
demandant toute l’aide du Ciel.
Jésus est venu me réconforter :
— Le
Saint-Père n’est pas mort ; il vit et il continue sa mission.
Il me répéta plusieurs fois, au
plus intime de mon cœur :
— Aie confiance ! Aie
confiance ! Jésus ne trompe jamais !
Mais le démon, non content de
ma souffrance, et enragé à cause de l’inutilité de ses efforts, me répétait
fréquemment :
— Le Portugal en guerre ! Le
Portugal en sang !
Sa rage était si grande qu’elle
faisait peur...
Il me semblait entendre le
tocsin pour le
Saint-Père, entendre, au Portugal, le bruit et
le fracas d’artillerie. Toutefois, j’ai gardé ma confiance à Jésus.
Tout ceci est arrivé le 14
octobre 1943, et déjà le 10 du même mois, le Seigneur m’avait dit plus ou
mois la même chose...
Que le démon soit maudit, car
il essayait de m’enlever la paix et de me faire perdre la confiance en celui
qui ne trompe ni ne peut être trompé !
Mon confesseur étant venu, il a
tout fait pour me tranquilliser et il y a réussi durant la confession.
Par la suite j’ai continué à
prier pour le
Saint-Père, et la souffrance que je ressentais à
cause de lui s’est estompée jour après jour.
Le jour du
Christ-Roi,j’ai senti comme si
mon corps et mon esprit mouraient, comme si mon existence sur la terre
cessait. Je ne peux pas exprimer la douleur qui en résulta. Au contraire: je
me sentais encore davantage au purgatoire ! Quelle douleur, mon Dieu !Certains jours je me
sentais traversée par des flammes. Je pensais que cela était dû à la soif
ardente ; je me suis trompée. Ce n’étaient point des flammes de la terre :
elles avaient une splendeur merveilleuse. Elles me pénétraient pendant des
heures, tourmentant mon corps et tous mes sens ; tout mon être en était
pénétré et je souffrais de douleurs indicibles. Malgré cela, je sentais la
nécessité de plonger dans ces flammes pour me purifier.
Comme le papillon est
attiré par les flammes, moi aussi, j’y suis attirée, et les bras ouverts,
j’entrais dans ce feuqui tourmentait mais
ne consumait point, animée par un seul désir : libérée de ceci, je m’en vais
à mon Jésus !
J’ignorais la signification de
cette souffrance. Je ressentais et rien d’autre. J’ai su simplement la
ressentir et rien d’autre. Jésus est venu me l’expliquer :
— ... Tu vis au Purgatoire.
L’empêchement qui semble te séparer du monde, c’est moi qui l’ai permis.
Maintenant, tu ne vis plus dans le monde, tu y es comme si tu n’y vivais
plus. Ton tourment est inénarrable : je ne l’ai jamais donné à aucune âme.
Veux-tu me consoler de cette manière ? Veux-tu continuer cette souffrance ?
— Tout ce que vous voudrez, mon
Jésus; tout ce que vous voudrez !
— Si tu savais combien grand
est le bien, que tu procureras aux âmes dès qu’elles apprendront de quelle
manière tu as souffert ! Ton esprit est mort au monde ; ta vie est celle des
âmes du Purgatoire. Mais tu ne souffres pas uniquement pour toi.
Vite, vite, il faut
faire connaître au monde combien elles souffrent. Vite, vite, il faut
libérer mes âmes, mes bien-aimées.
— (...)
Ta vie n’a rien
d’humain, elle est uniquement divine... Les ornements que je donne à mes
épouses les plus chères ce sont des épines, et des plus aiguës. Mais toi, tu
les transformes avec tant de douceur et amour qu’elles deviennent toutes des
pierres précieuses. Quelle merveille, quelle richesse est ton cœur, ô ma
belle colombe! La pureté ne se tache pas; elle devient de plus en plus
blanche et pure. Tu sens que ton esprit est mort ? C’est Moi qui le permets:
il est mort pour le monde, mais il vit de plus en plus pour le Ciel. Le feu
qui te tourmente signifie en réalité le feu du purgatoire. Je te purifie
afin qu’après ta mort tu viennes directement à Moi. C’est ce que désire ma
Mère bénie, afin que tu saches ce que souffrent les âmes qui y vont et qui
nous sont chères. Souffre tout, offre tout pour elles.
● ● ●